Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

A livres ouverts....De "Au plus noir de la nuit" à "Mes bifurcations".

11 Février 2015 , Rédigé par niduab Publié dans #à livre ouvert

Il y a 25 ans aujourd’hui, un quart de siècle, Nelson Mandela sortait libre de la prison Victor-Verster devant les caméras de télévisions du monde entier. Voilà comment l’un de mes écrivains préférés décrit ce moment historique dans ses mémoires, « Mes bifurcations ».

« Le 11 février 1990 devint l’un de ces jours, et pas simplement pour les Sud-Africains, que quiconque l’a vécu n’oubliera jamais. Un jour à commémorer longtemps, comme celui du mur de Berlin : un jour, où, selon les ailés de Santamaya, l’humanité s’est mise à rêver dans une clé différente.(…).Ce que nous citoyens d’Afrique du Sud, nous vîmes, comme le reste du monde, sur nos écrans de télé, ce fut : un homme de grande taille, grisonnant, impeccablement vêtu, un septuagénaire qui tenait la main de sa femme pour traverser avec de longues et lentes enjambées le jardin paysager de la prison Victor-Verster aux environs de Paarl, à soixante kilomètres du Cap, vers la foule immense massée dehors. Alors, avec une incroyable soudaineté, un mythe se transforma en un être humain. Le rêve impossible acquit une effarante réalité. Nelson Rolihlahla Mandela était libre.

Je me trouvais à Grahamstown. Malgré tous mes efforts, il me fut impossible de me libérer et de me rendre au Cap pour l’occasion. Depuis plusieurs années, je travaillais sur mon roman « Un acte de terreur », dont la marche de Mandela vers la liberté formait un épisode-clef. Quand j’ai écrit ce passage, c’était encore une vision quasi impossible du rêve qui avait permis au pays de résister pendant si longtemps. Or voilà que, de façon incroyable, cela arrivait sous mes yeux : j’étais assis devant la télé avec ma machine à écrire, j’écrivais les dernières pages du roman. Ma vision se troubla. Je pleurai. Mais je voyais mieux que jamais auparavant. C’était comme se mouvoir dans un autre espace-temps, un type différent de réalité. Soudain tout était à portée de main.

Plus tard, j’écrivis ceci : Nous avons accompli l’impossible. Maintenant, il nous reste à accomplir le possible. Ce qui s’est révélé beaucoup plus difficile que nous ne l’avions cru. Mais nous avions franchi le seuil, Mandela était libre….. » Extrait, page 560, de ''Mes bifurcations'' le livre autobiographique d’André Brink. Edité par Acte Sud en 2010 et, pour la collection de poche, Babel en septembre 2014.

A livres ouverts....De "Au plus noir de la nuit" à "Mes bifurcations".

Je viens de rentrer d’un voyage d’une douzaine de jours à Cuba. Pourquoi Cuba ? Pour voir, pour le soleil et pour fuir un peu l’hiver de France, pour les Caraïbes, pour la langue espagnole, etc…. Curieusement j’ai beaucoup pensé à Mandela et à ce passage du livre de Brink, lorsque nous visitions le mémorial de Santa Clara. En traversant la salle où reposent, dans des niches les restes d’Ernesto Che Guevara et de nombreux compagnons morts en Bolivie lors de combats ou assassinés en prison, j’étais surpris et désolé en passant devant l’étoile ‘’del comandante’’ et le brasero de la flamme éternelle de ne pas ressentir une émotion semblable à celle que j’avais connue en avril 2013 devant la statue de Mandela à l’entrée de la prison Victor-Verster à Paarl. Je reviendrai dans quelques jours sur ce voyage à Cuba, mais c’est au retour en France par le journal Le Monde acheté à Roissy avant de prendre le TGV qui me ramenait chez moi que j’ai appris le décès d’André Brink, l’humaniste. Figure du paysage littéraire de l’Afrique du Sud, l’écrivain est mort à l’âge de 79 ans, le 6 février, 25 ans presque jour pour jour après la libération de son ami Nelson Mandela. En découvrant cette information j’étais complètement abasourdi : pourquoi ai-je autant pensé à Mandela ces jours derniers alors que notre guide ne parlait que du Che, le héros mythique de Cuba. Parce qu’on arrivait à la date anniversaire de sa libération ? Peut-être mais voilà que celui qui a tant dénoncé l’apartheid dans ses livres, disparaissait. Pour moi aussi c’était ‘’comme se mouvoir dans un autre espace-temps’’.

 J’ai découvert André Brink avec « Une saison blanche et sèche » son roman qui reçut en novembre 1980 le prix Médicis étranger. Je crois que ce roman reste encore aujourd’hui l’un des plus beaux que j’ai lus avec « Une journée d’Ivan Denissovitch » et « Des souris et des hommes » ou encore « Affliction »….. Et beaucoup d’autres bien sûr mais celui-là, dans ma mémoire, à une saveur particulière….

 Son héros Ben Du Toit, professeur d’histoire, est un afrikaner de Johannesburg dont la vie est banale ; jusqu’au jour où son ami Gordon, le jardinier noir, est victime des lois de l’apartheid. En questionnant et en cherchant à élucider les causes de la mort de son fils qui avait eu le tort de participer à une manifestation d'étudiants à Soweto, Gordon était devenu, aux yeux des policiers, un dangereux terroriste. Le jardinier devait, à son tour, décéder au poste de police, officiellement ‘’suicidé’’. Ben va découvrir progressivement qu’il vivait à côté d’une population qui subissait un système ignoble qu’il cautionnait par lâcheté et pour ne pas perdre ses privilèges, sa tranquillité. Ben se met à son tour à enquêter et dénonçant les abus du pouvoir en place, il prend d’énormes risques pour faire éclater la vérité et rapidement sa petite vie tranquille de blanc se désintègre. Ben du Toit l’ancien africander bien docile finira par tout perdre…. même la vie. Lui aussi sera assassiné. Ce livre fut adapté au cinéma par Euzhan Palcy avec Donald Sutherland, Susan Sarandon, Winston Nshona et Marlon Brando…. Un excellent film !

 Après avoir lu ce magnifique roman j’en ai lu plusieurs autres de Brink notamment son deuxième roman publié en Afrique du sud en 1973 et immédiatement interdit  pour cause de pornographie puis sorti en France en 1976, «  Au plus noir de la nuit. Le narrateur et héros principal, Malan est un acteur noir. Il a eu le tort d’aimer une Blanche et d’être aimer d’elle. Il a été arrêté, torturé, accusé d’avoir assassiné Jessica la femme qu’il aime et condamné à mort. C’est dans sa cellule qu’il écrit l’histoire de sa vie et par là celle de son peuple pendant l’apartheid. »

 Le cinquième roman, celui qui suivit ‘’Une saison blanche et sèche’’, est basé sur des faits historiques. «  Un turbulent silence : En 1824 éclate sur une ferme isolée au cœur de l’Afrique du Sud une des rares révoltes d’esclaves de l’histoire de ce pays. Contre deux jeunes fermiers blancs, Barend et Nicolaas, se dresse une poignée de travailleurs noirs, avec à leur tête Galant, frère de lait de Nicolaas. Les deux fermiers incarnent le bon droit, la bonne conscience. Ils cultivent la terre comme leur père l’avait fait avant eux. Les esclaves on leur donne à manger, à boire, un jour de congé de temps en temps. On les bat, bien sûr mais on bat aussi ses chiens et sa femme à l’occasion. Un des éléments les plus fascinants de ce livre, c’est le parallèle entre la condition de la femme blanche, prisonnière de son milieu, de son mari, des conventions et celle de l’esclave noir, homme ou femme, enchainé lui aussi. Un personnage féminin domine d’ailleurs ce roman : Hester la femme de Barend, rebelle, sauvage, indomptable. Elle incarne autant que Galant l’esclave l’esprit de liberté.… »

A livres ouverts....De "Au plus noir de la nuit" à "Mes bifurcations".

J’ai aussi dans ma bibliothèque, toujours en livre de poche, « Le mur de la peste » publié en 1987, un roman d’amour qui traite aussi du racisme et de l’apartheid mais plus confortablement vu de France.

J’ai encore « Au-delà du silence » sorti en 2003 donc après l’abolition de l’apartheid et même de la présidence Mandela. Un besoin de revenir à ses fondamentaux en redonnant la parole aux minorités oubliées par l’Histoire. « Sud-Ouest africain au début du XXe siècle, des centaines de femmes, arrivent sur un bateau, pour offrir une épouse aux colons allemands. C’est un monde livré à la brutalité coloniale et masculine que va découvrir Hanna. Un roman plein de bruit et de fureur, hanté par un passé peu glorieux. Un captivant plaidoyer pour la liberté.»

Il y eut aussi les livres empruntés dans les centres culturels : je me souviens d’avoir lu et beaucoup aimé « Un instant dans le vent » et « Un turbulent silence » à Yaoundé entre 1983 et 1986. Il me faudrait peut-être les commander à la Fnac pour les revisiter. Cet après midi, après avoir commencé ce billet, je me suis précipité au CAC de Niort pour chercher « Un acte de terreur ». Je ne l’ai pas trouvé et je vais le commander, mais j’ai ramené « Le vallon du diable » et « L’insecte missionnaire » que je vais lire illico, des que ce billet sera terminé, en hommage à André Brink.

Pour finir je vais revenir à « Mes bifurcations » avec un nouvel extrait, celui-là page 67, donc au début des mémoires : « Je me demande souvent comment on a pu, comment j’ai pu ne pas voir, ce qui se déroulait sous mes yeux dans mon pays, ce qui allait arriver. J’ai passé mon enfance au milieu des Noirs. Les villages blancs de mon enfance étaient toujours des enclaves entourées de Noirs. Il est impossible que je n’aie pas vu. Je devais bien savoir ! La tension devait être insupportable, tout le temps, tous les jours, nuit et jour. Mais, avec l’habitude, sans doute une tension constante finit-elle par devenir la normalité. C’est le critère par lequel on juge tout. Et au cœur du problème était posée la question toute simple (simple ?) du noir et du blanc. Noir et blanc, blanc et noir, tout le temps. Le résumé de tous les maux de l’Afrique du Sud. Or nous n’y voyions pas un problème, pas à l’époque, pas quand j’étais enfant. C’était notre mode de vie d’alors, un modèle imposé par Dieu. A moins que…. ? »

 Adieu André Brink, il me reste vos livres, nombreux encore à découvrir, et ceux que j’ai déjà lus avec tant de plaisir à relire encore et encore.

  

( A suivre.) 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article