Blog à part ......... Jaurès pacifiste jusqu'au bout....
Les derniers jours de juillet 2014 Jean Jaurès s’était dépensé sans compter pour tenter d’empêcher la catastrophe qui s’annonçait. En fait cela faisait plus de dix ans que, préoccupé face à la montée des nationalismes et les rivalités entre les grandes puissances en Europe, il sentait arrivée cette saloperie de guerre. Il crut un temps fin 2013 quand la guerre dans les Balkans semblait être terminée fin 2013, que le pire était passé et pouvoir en s’appuyant sur les peuples pouvoir consolider des espoirs d’une paix durable ; mais le début d’été 2014 fut dramatique et tout s’enchaîna très rapidement. Dès l’annonce de l’attentat de Sarajevo (28 juin 2014) il prend la pleine mesure du danger et s’implique notamment par ses tribunes dans la presse et notamment les éditoriaux de l’Humanité le journal socialiste qu’il a fondé en 2004.
Le 23 juillet l’ultimatum autrichien à la Serbie jette de l’huile sur le feu qui reprenait et attise les tensions entre grandes puissances européenne. Immédiatement Jaurès s’emploie à mobiliser « Il n'y a plus qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces pour écarter l'horrible cauchemar », lance-t-il le 25 juillet à Lyon. Les manifestations pacifistes se multiplient les jours suivants en Europe, comme en France. Il réunit en urgence le bureau de l’international socialiste le 29 Juillet à Bruxelles.
Le 30 juillet il publia une tribune dans la Dépêche du Midi, le journal de sa région où son premier article en ‘’Une’’ avait paru le 24 janvier 1887. Il avait alors 28 ans. Celui-ci fut son dernier, sonnant comme un adieu à ses proches, racines. Il allait avoir, cinq semaines plus tard, 55 ans.
La Dépêche du Midi a sorti, l’été 2009, pour célébrer les 150 ans de Jaurès un remarquable « Hors série » « 1859-1914 ; Les grandes unes de la Dépêche. 50 éditoriaux signés Jean Jaurès ». On y trouve aussi des informations biographiques et des anecdotes de la vie de Jaurès. C’est un document exceptionnel que je me suis procuré à Figeac.
La tribune du 30 juillet, probablement écrite le 29 juillet de retour de Bruxelles ou peut-être le 28 juillet avant de se rendre à cette réunion je la reproduis in extenso ci après.
« L’oscillation au bord de l’Abîme.
Aurons-nous la guerre universelle ? Aurons-nous la paix ? Les nouvelles obscures succèdent aux nouvelles obscures comme de sombres nuées dans un ciel chargé d’orage ; les éclaircies d’une heure se produisent et la confiance d’un moment ranimée défaille de nouveau sous quelque télégramme menaçant ou ambigu. Ainsi je me garderai bien de risquer aujourd’hui un pronostic, rassuré ou inquiet, qui pourrait être démenti tout à l’heure. Précisément, le groupe socialiste vient d’envoyer une délégation au ministère des affaires étrangères. Quand nous avons traversé pour nous y rendre les couloirs de la Chambre et la salle des Pas Perdus des journalistes, nous étions enveloppés des plus effrayantes rumeurs. On disait que, le matin même, l’ambassadeur d’Allemagne avait fait une démarche comminatoire. Le fait était faux, mais peu à peu les nerfs se tendent. Quelle misère pour la race humaine ! Quelle honte pour la civilisation !
Devant la formidable menace qui plane sur l’Europe, j’éprouve deux impressions contraires. C’est d’abord une sorte de stupeur et une révolte voisine du désespoir. Quoi ! C’est à cela qu’aboutit le mouvement humain ! C’est à cette barbarie que se retourne dix-huit siècles de christianisme, le magnifique idéalisme du droit révolutionnaire, cent années de démocratie ! Les peuples se sentent soudain dans une atmosphère de foudre et il semble que qu’il suffit de la maladresse d’un diplomate, du caprice d’un souverain, de la folie d’orgueil d’une caste militaire et cléricale au bord du Danube pour que des millions et des millions d’hommes soient appelé à se détruire. Et qu’on se demande un moment s’il vaut la peine de vivre et si l’homme n’est pas un être prédestiné à la souffrance, étant aussi incapable de se résigner à sa nature animale que de s’en affranchir. Et puis, je constate malgré tout les forces bonnes, les forces d’avenir qui s’opposent au déchainement de la barbarie. Quoi qu’il advienne, ces forces de paix et de civilisation grandiront dans l’épreuve ; Si elles réussissent à prévenir la crise suprême, les nations leur sauront gré de les avoir sauvées du péril le plus pressant. Si malgré tout, l’orage éclate, il sera si effroyable qu’après un accès de fureur, de douleur, les hommes auront le sentiment qu’ils ne peuvent échapper à la destruction totale qu’en assurant la vie des peuples sur des bases nouvelles, sur la démocratie, la justice, la concorde et l’arbitrage.
Nous assistons au choc du monde germanique et du monde slave. C’est le duel le plus vain : Car aucune de ces deux grandes forces ne pourra supprimer ou même refouler l’autre. Il faudra bien, après des saturnales de violences, qu’elles s’accommodent l’une à l’autre et qu’elles trouvent leur équilibre. Pourquoi ne pas le chercher dès maintenant ?
La démarche de l’Autriche-Hongrie a été si brutale, si odieuse, qu’elle a fait oublier tout le reste et que la responsabilité de la monarchie des Habsbourg a apparu seule en pleine lumière. L’Europe a oublié les dix ans de compétitions, d’intrigues, d’abus de la force, de mauvaise foi internationale qui ont grossi l’abcès. Elle a oublié le Maroc, la Tripolitaine, les horreurs balkaniques, les imprudences de la Serbie. Elle a oublié même que l’annexion de la Bosnie- Herzégovine, qui est à l’origine du conflit actuel, a été préparée par l’accord de l’Autriche-Hongrie et de la sainte Russie slave, par l’entrevue à Buchlau de M. Aerenthal et de M. Isvotsky, lequel, pour avoir été plus tard une dupe, ne fut pas moins à ce moment-là un complice. Oui l’Europe a oublié un instant tout cela, et il était juste qu’elle l’oubliât tant il y avait dans la note comminatoire de l’Autriche de la brutalité, d’indécence et de d’inhumanité. La lourdeur germanique s’y est aggravée de jésuitisme, de l’esprit implacable et rancuneux des cléricaux de Vienne.
Peut-être l’Autriche-Hongrie s’apercevra-t-elle qu’elle joue un jeu redoutable. Faire violence à la Serbie, c’est se préparer de graves difficultés : c’est exaspérer les populations slaves de l’Empire ; c’est aggraver le travail de dislocation qui se propage dans la monarchie austro-hongroise.
Si l’Allemagne a la prétention d’exiger de la France agisse sur la Russie, pour que celle-ci s’abstienne de toute action, elle commet une très grave erreur ; car la France n’acceptera pas une pression indiscrète, et elle pourra toujours répondre à l’Allemagne : Oui, si de votre côté vous vous engagez à agir sur l’Autriche-Hongrie. Mais il est vrai qu’il est de l’intérêt de la Russie ce ne pas précipiter son action. Elle permettra ainsi à la médiation anglaise de s’exercer, à la conscience des peuples de s’affirmer. Elle obligera le germanisme impérialisme à assumer seul la responsabilité du trouble jeté sur l’Europe. Si la France, librement, donne ce conseil à la Russie, elle aura servi à la fois la Russie et la paix.
Partout le socialisme international élève sa voix pour condamner les méthodes de brutalité, pour affirmer la commune volonté de paix du prolétariat européen. Même s’il ne réussit pas d’emblée à briser le concert belliqueux, il l’affaiblira et il préparera les éléments d’une Europe nouvelle, un peu moins sauvage.
Jean Jaurès. »
Supplément du 31 juillet 2014 : ce jour La Dépêche du midi a sorti un nouvel hors série des éditoriaux signés Jean Jaurès
On trouve la même tonalité dans le dernier article de Jean Jaurès dans son ultime tribune publiée dans l’Humanité le 31 juillet, le jour de son assassinat par un déséquilibré, militant ultranationaliste Raoul Villain. Je n’ai trouvé qu’un extrait de cet article. « Le plus grand danger à l’heure actuelle n’est pas, si je puis dire, dans les événements eux-mêmes. […] Il est dans l’énervement qui gagne, dans l’inquiétude qui se propage, dans les impulsions subites qui naissent de la peur, de l’incertitude aiguë, de l’anxiété prolongée. […] Ce qui importe avant tout, c’est la continuité de l’action, c’est le perpétuel éveil de la pensée et de la conscience ouvrière. Là est la vraie sauvegarde. Là est la garantie de l’avenir. »
( A suivre .... Pourquoi ont-ils tué Jaurès.)