Idées-débats : l'ambition de Jean Zay.
Au lendemain du jour où la France célébrait la Résistance en accueillant au Panthéon, Germaine Tillon, Geneviève de Gaulle Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay, avec ce très bel hommage qui leur fut rendu par le président de la République, j’ai jugé intéressant et utile de reprendre l’excellent billet de Gérard Courtois paru le 18 mai dernier dans « Le Monde ». Ce billet fait référence à l’un des héros de cette journée, Jean Zay, mais aussi au débat sur la réforme du collège qui fut l’un des thèmes politiques majeurs de ce mois de mai.
Mais au préalable voici un extrait du discours du Président Hollande, hier au Panthéon ; extrait qui concerne Jean Zay :
«…. Jean ZAY, c’est la République. L’école de la République. Celle pour laquelle, comme ministre de l’Education du Front Populaire, il en dessine déjà la réforme, sans doute pour que d’autres s’en inspirent. Il veut qu’elle soit, cette République et cette école, à la hauteur des valeurs d’égalité qu’elle proclame. La laïcité de la République pour laquelle il lutte, non pas pour opposer mais pour réconcilier.
La culture, c’est aussi pour lui la République. Pas pour en faire une propagande mais pour en donner l’image la plus belle qu’il soit, celle de la liberté, pour que le beau soit à la portée du plus grand nombre.
Jean ZAY réfléchit pendant toute cette période de la captivité. Il n’avait que cela à faire. Subir et néanmoins imaginer, inventer la République nouvelle. Il en fit le récit dans « Souvenirs et solitude ». Néanmoins, il ne la vit jamais cette République à laquelle il avait rêvé.
Il fut exécuté par la Milice en juin 1944. Sorti de sa prison, conduit à un lieu-dit, le Puits du Diable, il savait ce qui pouvait l’attendre. Il eut le temps de crier lui aussi au moment d’expirer : « Vive la France !»…. ».
La partie du discours qui semble ce matin faire polémique. Voyons maintenant ce qu’en pensait Gérard Courtois la semaine dernière :
« L'ambition de Jean Zay
Il faut y revenir, tant le débat fait rage sur la réforme du collège. Cela fait trois semaines, en effet, que ses promoteurs et ses détracteurs s'affrontent sans retenue, s'accusent des plus noirs desseins et s'envoient à la figure les anathèmes les plus cinglants.
Ainsi, chaque camp accuse l'autre de "mensonges " ou à tout le moins de "fantasmes" et de "mauvaise foi". Chaque camp réclame méchamment que " les masques tombent " : ceux de l'excellence, qui ne serait que le cache-sexe de l'inégalité assumée, dénonce la ministre de l'éducation nationale à propos des propositions de la droite ; ceux de l'égalité des chances, qui ne serait que le paravent d'un désastreux nivellement par le bas, fustige la droite à propos du projet gouvernemental. Les intellectuels de tout poil s'en mêlent, académiciens en tête. D'éternels affrontements ressurgissent, entre " élitistes " et " égalitaristes ", entre " progressistes " et " immobilistes ", entre Anciens et Modernes.
Cette virulence est stupéfiante, car tout le monde prétend viser la même ambition : une jeunesse mieux formée et mieux armée pour trouver sa place dans la société de demain, accédant à 80 % au niveau du baccalauréat (objectif fixé par la gauche comme par la droite depuis le milieu des années 1980) et à 50 % au niveau d'un diplôme de l'enseignement supérieur (objectif de la loi Fillon de 2005). Mais la violence du débat n'est pas moins logique, car personne ne s'accorde sur les moyens d'y parvenir ou sur les conséquences pédagogiques et sociales d'une telle mutation.
Cela fait bientôt un siècle que dure la polémique. En 1937, déjà, Jean Zay, le ministre de l'éducation nationale du Front populaire – celui-là même qui fera son entrée au Panthéon le 27 mai –, avait plaidé que les capacités intellectuelles n'étaient pas l'apanage des enfants des classes aisées, et que la société aurait tout intérêt à accorder le maximum de chances au plus grand nombre de jeunes. Trop novateur, son projet de réforme fut torpillé par la Chambre des députés et les défenseurs du lycée traditionnel.
On a oublié, en effet, que les lois de Jules Ferry de 1881-1882, ce grand œuvre de la IIIe République, avaient établi deux ordres bien distincts. D'un côté, l'école gratuite, obligatoire et laïque, encadrée par les " hussards noirs" formés dans les écoles normales d'instituteurs, sanctionnée par le certificat d'études et couronnée, pour les meilleurs, par l'enseignement primaire supérieur.
De l'autre côté, la voie royale du lycée, payant jusque dans les années 1930, encadré par des professeurs qui conduisaient leurs élèves depuis les " petites classes " (primaires) jusqu'au baccalauréat et leur ouvraient les portes de l'université. Bref, l'on ne mélangeait pas les fils du peuple et les rejetons de l'élite sociale. Les chiffres sont saisissants : au lendemain de la guerre, la moitié des jeunes Français obtenaient le certificat d'études et 4 % seulement le baccalauréat.
Il a fallu trente ans de débats incessants et fiévreux, attisés par la poussée démographique, par l'aspiration des familles à l'éducation et la culture, et par la demande du monde économique en faveur d'une meilleure formation initiale des jeunes, pour parvenir à réduire cette fracture. Les étapes sont connues : rapport Langevin-Wallon en 1945 ; ordonnance de janvier 1959 par laquelle le général de Gaulle porte de 14 à 16 ans l'obligation scolaire ; réforme aux forceps de 1967 qui ne sera parachevée qu'en 1975 avec la loi Haby instituant le collège unique, destiné à accueillir tous les élèves jusqu'à la 3e et à leur dispenser un enseignement commun.
Depuis, l'accès à l'enseignement secondaire a été impressionnant. Le système éducatif a gagné la bataille du nombre : les trois quarts d'une génération obtiennent le baccalauréat aujourd'hui, contre un quart au milieu des années 1970, et l'on compte quelque 2,5 millions d'étudiants dans l'enseignement supérieur contre 1 million il y a quarante ans.
Mais, faute d'adapter vigoureusement son organisation et ses méthodes pédagogiques pour prendre en compte la diversité des élèves, ce système est devenu moins performant et plus inéquitable. C'est particulièrement vrai au niveau du collège, point névralgique du parcours scolaire entre l'école élémentaire et le lycée. Chacun le sait et le déplore : ses résultats sont médiocres, ils ont tendance à régresser et, loin de corriger les déterminismes sociaux, familiaux ou ethniques, notre système les aggrave, au détriment des moins bien lotis. Avec ce résultat calamiteux : un jeune sur six laissé sur le carreau, sans aucun diplôme et sans grand avenir.
Au-delà des controverses périphériques mais éruptives sur la place des langues anciennes, l'enseignement des langues vivantes ou le détail des programmes d'histoire, c'est cette question centrale qui est reposée par le projet de réforme du gouvernement. Faut-il, comme il le propose, assouplir l'organisation du collège et ses méthodes pédagogiques pour tenter de tirer le plus grand nombre des élèves vers le haut ? Au risque de déstabiliser et braquer bon nombre d'enseignants qui n'y sont pas préparés. Ou bien est-ce peine perdue et faut-il, comme le recommandent bien des responsables de droite, abandonner d'une manière ou d'une autre le collège unique et rétablir, par exemple, des filières plus courtes et professionnelles pour les élèves qui ne seraient pas jugés capables de suivre un enseignement général ?
Lancinant depuis quarante ans, tel est, en réalité, le dilemme irrésolu. Mais il est clair que chaque projet éducatif dessine un projet de société. Dans un cas, il s'agit de prolonger, autant que possible, l'ambition démocratique de Jean Zay. Dans l'autre cas, cela revient peu ou prou à y renoncer. »
(A suivre)