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A livre ouvert ..... Rue des voleurs.

21 Août 2015 , Rédigé par niduab Publié dans #à livre ouvert

Voilà ce que j’écrivais fin janvier 2014 dans un billet intitulé ‘’Des Niortais à l’honneur en 2013 ‘’: « Mathias Enard est un auteur reconnu, habitué des prix littéraires, spécialiste des cultures et des langues arabe et persane. L'un de ses derniers ouvrages, «Rue des voleurs» (Publié chez Actes Sud), dont le récit se déroule dans le contexte du Printemps arabe, a reçu en 2013 le prix du Roman-news créé par Publicis Drugstore et le magazine Stiletto. Résidant à Barcelone, Mathias Enard n'en reste pas moins attaché à sa ville natale puisqu'il sera le parrain littéraire en juin 2014 du festival Téciverdi, placé sous le thème des «migrations».  Je ferais un billet ‘’ A livres ouverts ‘’ après avoir lu « Rue des voleurs » et après le festival Téciverdi qui est programmé fin juin 2014»

Finalement je n’ai qu’un an de retard ! J’avoue que je n’ai lu ce roman que cet été car c’est mon défaut, j’ai souvent les yeux plus gros que la tête en achetant plus de livres que je n’ai de temps pour les lire ; j’achetais car depuis quelques mois je me suis modéré et, progressivement, je suis arrivé à résorber le retard.

J’ai donc mis plus de temps que prévu pour lire « Rue des voleurs » (Edition Actes Sud, août 2012) mais peu importe car j’ai adoré ce bouquin (au point que depuis j’ai aussi lu, avec beaucoup de plaisir, « Remonter l’Orénoque » et que je vais attaquer « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants »). Je sens que je vais me faire l’intégrale de cet auteur, mais il me faudra, pour les plus anciens, aller les chercher à la médiathèque comme fut déjà le cas pour « Remonter l’Orénoque »

Il est grand temps de parler de ce roman titre, « Rue des voleurs » ; mais est-ce seulement un roman ? Oui c’en est un, par son côté road-movie, de Tanger à Barcelone, du jeune garçon de Tanger au jeune adulte de Barcelone ; mais pas seulement si on prend le temps de s’arrêter en chemin sur les aspects philosophiques, politiques et culturels. Par exemple, attardons un instant sur Ibn Batouta, le grand explorateur, le Marco Polo de l'Islam, voyageur, écrivain ou conteur berbère du 14ème siècle qui, de 1325 à 1350, a parcouru tout le monde musulman, voire plus loin, du Maghreb au Moyen-Orient, de l'’Afrique noire (Tombouctou Somalie et Zanzibar) aux lointains et vastes territoires d’Asie (Inde et Chine). Cette figure historique est très présente tout au long du livre à l’initiative d’ailleurs de Judit la jeune étudiante espagnole passionnée de la langue et de la culture arabe dont le jeune Lakhdar, héros de ce roman itinérant, va tomber amoureux. Même le ferry, assurant la traversée entre Tanger et Algésira et sur lequel Lakhdar va un temps travailler, s’appelle aussi ‘’Ibn Batouta’’. 

A livre ouvert ..... Rue des voleurs.
A livre ouvert ..... Rue des voleurs.
A livre ouvert ..... Rue des voleurs.
A livre ouvert ..... Rue des voleurs.
A livre ouvert ..... Rue des voleurs.

 L’histoire du périple est racontée par Lakhdar, du moins Mathias Enard choisit-il cette forme de narration, ce qui permet de montrer l’évolution du jeune homme entre 18 et 20 ans dans ce tourbillon de vie qui le fait d’abord être rejeté par sa famille, errer misérablement dans Tanger avant de se laisser, un temps, embrigader par l’intermédiaire de son ami d’enfance Bassam dans un mouvement islamiste, puis découvrir l’amour, rejeter tout ce qui l’emprisonne, rechercher celle qu’il aime et la liberté. Ca lui permet aussi de se découvrir lentement ; de comprendre et d’assumer les conséquences de ses choix ou erreurs de jeunesse. Certains éléments sont distillés, progressivement presque par accident, au fil des pages : ainsi cette ‘’faute’’ avec sa cousine Meyriem :

« On avait dix-sept ans mais plutôt douze dans nos têtes. p.14 »

« Si j’avais su j’aurai imploré le pardon de mon père. Si je n’avais pas été aussi orgueilleux…. Peut-être aurais-je épousé Meyriem. p.16

Et puis quand il rencontre son petit frère Yassine devant la mosquée ; frère qui refuse de lui serrer la main et l’apostrophe :

« Tu devrais avoir honte de reparaître par ici »…... Ca commençait à bien faire, toute cette histoire parce que je m’étais retrouvé à poil avec Meyriem… »

Enfin nous apprenons la triste vérité page 79 avec cette lettre retrouvée chez Bassam « …j’ai enfin compris que j’étais responsable de sa mort là-bas dans ce village perdu, de son hémorragie au cours d’un avortement paysan et clandestin.. ». Pas très courageux le Lakhdar adolescent perdu, mais pas trop non plus le Lakhdar narrateur qui se cache encore trop longtemps derrière des faux semblants….

Reprenons maintenant le cours de l’histoire : Après avoir mené pendant plusieurs mois une vie de mendiant et ne pouvant retourner chez lui le jeune homme encore gamin trouve donc, grâce à son ami Bassam, un petit job de permanent dans une librairie de livres religieux. Son ami l’a présenté au Cheikh Nouredine responsable d’une association de diffusion de la pensée coranique et le voilà recruté dans ce groupe d’autant plus facilement qu’en plus du travail tranquille qui lui est demandé il est logé et gardien des lieux. Il ne s’inquiète guère des discussions politiques radicales dans ce contexte de printemps arabe jusqu’au jour où on lui demande de participer à une expédition punitive avec gourdins contre une autre librairie, celle qu’il fréquentait régulièrement pour trouver les polars dont il est friand.

Heureusement, suit le moment où il rencontre deux jeunes étudiantes espagnoles dont Judit. Elles ne restent que deux jours à Tanger, avant de se rendre à Marrakech. Suffisant pour apprendre à se connaitre et pour se communiquer les adresses mails. Et puis Lakhdar se retrouve subitement seul : Bassam, Cheikh Nouredine et le groupe ont disparu. Il apprend par la télévision qu’il y a eu un attentat à Marrakech. D’abord il s’inquiète pour Judit qu’il contacte par internet : elle n’a pas été touchée par l’attentat mais elle pense avoir croisé son ami Bassam à Marrakech……

Lakhdar a peur que ses ‘’amis religieux’’ puissent-être impliqués dans cet attentat monstrueux ; il ne peut donc rester dans la librairie. Curieuse coïncidence les locaux de la diffusion de la pensée coranique disparaissaient dans un incendie ; la veille Lakhdar était entré par hasard dans le bureau ouvert de cheikh Nouredine et fut surpris d’y trouver de l’argent négligemment étalé sur une table….. Forcément il se fit un peu voleur : « Il y avait près de quinze ou vingt mille dirhams …. Plus de cash que personne n’en avait jamais vu, j’aurai pu aller en taxi jusqu’à la banlieue de Nador chercher Meryem, dire j’emporte cette jeune femme, voici dix mille dirhams pour votre peine, personne n’y aurait trouvé à redire. ». Mais en sortant du bureau il s’est arrêté chez la mère de Bassam qui lui a remis une vieille lettre qui lui était destinée. Par cette lettre oubliée il apprenait la fin tragique de Meyriem.......

Le lendemain Judit était à nouveau de passage par Tanger……et ils passèrent la nuit ensemble, puis elle quitta le Maroc. Il y avait eu aussi ces jours-là la rencontre avec Jean-François dans un café, la rencontre de deux amateurs de polars et une conversation amicale qui déboucha sur une proposition de travail : oh, pas un truc terrible ! Il devait numériser des fiches individuelles des combattants morts lors de la première guerre mondiale, mais son statut de salarié était une sécurité, même si financièrement il n’était plus dans le besoin. Il n’avait aucune nouvelle de Bassam et de Cheik Nouredine mais quelques jours après le départ de Judit il y avait eu un attentat à Tanger, au Café Haïfa. Il y avait eu aussi dans la presse un portrait robot du terroriste : il ressemblait beaucoup à Bassam….

Il restait en contact avec Judit par internet, qui revint à l'été passer trois jours à Tanger avant de poursuivre son voyage vers Tunis. Lakhdar demanda une semaine de congé pour rejoindre sa belle ; tel Ibn Batouta au 14ème siècle il allait à Tunis. A la fin du séjour il promit à Judit qu’il la rejoindrait à Barcelone.

Grâce à son patron Jean-François, il obtint une place d’homme à tout faire sur le ferry Ibn Batouta qui fait la liaison entre le port de Tanger et celui d’Algésiras.

Fin du 1er chapitre ‘’Détroit’’ (de 120 pages)  et début du 2ème chapitre ‘’Barzakh’’ (de 50 pages)

Evidemment Lakhdar n’avait pas de visa pour sortir du port d’Algésiras et le fait de passer chaque jour le détroit ne le rapprochait pas vraiment de sa bien aimée, mais une occasion allait se présenter :

«  un coup du destin, un de plus …. Un soir alors que nous étions arrivés à Algésiras le matin, le capitaine nous a convoqué… Les gars, les bateaux sont saisis par la justice espagnole. On ne peut pas bouger d’ici jusqu’à nouvel ordre …. ». Au bout de quelques semaines de quasi emprisonnement dans le port, les travailleurs du ferry obtinrent un visa d’un mois accordé pour raisons humanitaires. Saady, un ami du ferry, lui avait conseillé de contacter M. Cruz qui dirigeait une entreprise de Pompes Funèbres à Algésiras spécialisé dans le rapatriement des migrants marocains morts dans leur tentative de rejoindre l’Europe. M. Cruz avait souvent besoin d’un assistant marocain pour s’occuper des macchabés et l’aider à déterminer par leurs papiers leur origine. Un créneau qui pouvait rapporter beaucoup quand il était possible de ramener les corps aux familles. Après les morts de la première guerre mondiale, ceux de la migration vers l’Europe. Mais Lakhdar ne pensait qu’à rejoindre Barcelone et Judit. Comment faire ? « C’est peut-être cette longue fréquentation des cadavres qui m’a facilité les choses ; ces deux mois de morts ont fait que la perspective de dévaliser Cruz ne me soit pas difficile à envisager ». Le destin donna à nouveau un coup de pouce, du moins si l’on veut bien croire le narrateur. Cruz est rentré de sa dernière livraison fatigué et déprimé. Il s’est suicidé par empoisonnement. Lakhdar n’avait plus qu’à récupérer son passeport dans le bureau de son patron et au passage ramasser les cinq mille euros qui trainait là dans le coffre fort.

Je propose la lecture complète d’un paragraphe (page 159/160), le dernier du deuxième chapitre.

« Ibn Batouta raconte dans ses voyages que lors de sa visite à La Mecque. Il croise un étrange personnage, un muet que les Mecquois connaissent tous et appellent Hassan le Fou, touché par la démence dans des circonstances étranges : lorsqu’il était encore sain d’esprit, Hassan accomplissait ses déambulations rituelles autours de la Kaaba la nuit et chaque soir, il croisait un mendiant dans le sanctuaire ; ils ne se voyaient jamais le jour, uniquement la nuit. Une nuit, donc, le mendiant s’adressa à Hassan : Hé, Hassan, ta mère s’ennuie de toi et pleure, tu n’aimerais pas la revoir ? Ma mère ? Bien sûr, répondit Hassan dont le cœur était serré à ce souvenir, bien sûr, mais ce n’est pas possible, elle est si loin. Un jour le mendiant lui proposa de le retrouver au cimetière, et Hassan le fou accepta ; le mendiant lui demanda de fermer les yeux et de s’agripper à son vêtement et lorsqu’il les ouvrit de nouveau, Hassan était devant chez lui, en Irak. Il passa quinze jours auprès de sa mère. Deux semaines plus tard, il croisa le mendiant du cimetière du village ; celui-ci lui proposa de le ramener à la Mecque, chez son maître Najm Ed-Din Isfahâni par le même moyen, les yeux fermés, les mains accrochés à la robe de tiretaine, en lui faisant promettre de ne jamais révéler ce voyage. Isfahâni s’inquiéta de la longue absence de son serviteur, quinze jours, ce n’est pas rien. Hassan finit par raconter l’histoire du mendiant et Isfahâni, dans la nuit, voulut voir l’homme en question : Hassan le mena à la Kaaba et désigna le vagabond d’un cri à son maître, c’est lui ! C’est lui ! Aussitôt le mendiant lui mit une main en travers de la gorge et dit Par Dieu tu ne parleras jamais plus, et ainsi fut fait : le mendiant disparut et Hassan, fou et muet, tourna autour du sanctuaire des années durant, sans dire de prières, sans faire d’ablutions : les gens de La Mecque prenaient soin de lui, le nourrissaient comme un saint étrange, car la bénédiction de Hassan augmentait les ventes et les bénéfices. Hassan le Fou tournait, tournait autour de la pierre noire, en orbite, dans le silence éternel, pour avoir voulu revoir sa mère, pour avoir trahi un secret, et dans mes ténèbres, auprès des petits cadavres de Cruz, parmi les chiens, je priais pour qu’un mendiant magique me sorte quelques temps de l’obscurité, me ramène en arrière, dans la lumière de Tanger, chez ma mère, dans les bras de Meryem, de Judith, avant de me laisser tourbillonner comme une météore fragile autour de la planète des années durant. Je repense aujourd’hui à cette noire parenthèse, à cette première réclusion à Algésiras, cette antichambre, alors qu’autour de moi tournent les perdus, qu’ils déambulent, aveugles, sans le secours des livres ; Cruz en réalité profitait des possibilités du monde, des fastes de la mort ; il vivait comme ces boursiers, ces vers, ces insectes qui pullulent sur des cadavres et avait sa conscience pour lui, sans doute, il pensait faire le Bien ; il rendait service ; il parasitait la misère : autant reprocher à un chien de mordre. C’était le gardien du château, le batelier du Détroit, un homme perdu, lui aussi, au fond de sa forêt mortelle, qui nait, à l’infini, dans le noir.»

 Fin du deuxième chapitre ‘’Barzakh’’ début du dernier chapitre ‘’ La rue des voleur’’ (75 pages).

Un dernier chapitre dont je dirai peu de choses : il faut bien laisser un peu de suspense pour le lecteur qui voudra découvrir ce magnifique roman. Disons que tout se passe à Barcelone  et que ce troisième chapitre prend une connotation thriller intéressante et, ce qui est classique dans les thrillers, un touche politique plus marquée et ce d'autant que Lakhdar se fait un nouvel ami Mounir, un tunisien opposant au pouvoir islamiste et que Bassam et Cheik Nouradine réapparaissent......

 

 (A suivre

A livre ouvert ..... Rue des voleurs.
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