A livre ouvert.... Bertrand Tavernier : Amis Américains (2)
Je poursuis la présentation du carnet de notes de Bertrand Tavernier, un pavé de 1000 pages intitulé « Amis américains ». Le précédent billet ne concernait que les plus anciens du cinéma parlant, soit cinq réalisateurs dont le parrain John Ford mais aussi son compère Henry Hathaway une autre légende du western et du cinéma d’action. 5 sur 28 portraits proposés ce qui peut effrayer pour ce qu’il reste mais me voilà déjà à la page 250 soit un quart du bouquin. Dans le billet d’aujourd’hui j’aborde une grosse partie avec la « Middle Génération » que du beau monde ce qui m’emmènera avec 8 réalisateurs jusqu’à la page 525. Ensuite je ferai probablement un dernier billet où j’effectuerai un tri dans les nombreux portraits proposés par Tavernier, éliminant d’office les plus jeunes encore en activité que je pourrais toujours présenter dans un billet ciné-cure à l’occasion d’un nouveau film, et ne conservant de la ‘’liste noire’’ qui a détruit beaucoup de carrières que les plus emblématiques et les plus connus.
Budd Boetticher (1916/2001) a réalisé environ 32 films entre 1944 et 1969. Pour l’interview Tavernier réalisé en 1964 a envoyé par écrit ses questions (39) à Boetticher qui y a répondu longuement par écrit et enregistrement magnétophone.
«…J’ai commencé par travailler comme assistant réalisateur sur de nombreux films dont Des souris et des hommes de Lewis Millestone (1939). Le dernier cinéaste que j’ai assisté fut Charles Vidor dans La Reine de Broadway (1944). Puis j’ai réalisé des films sous le nom d’Oscar Jr. Moins j’en parlerai mieux ça vaudra…… The Bullfigher and the Lady (La Dame du Toréador 1951) fut mon premier film sous le nom de Budd Boetticher. Je l’aime beaucoup car j’y ai mis beaucoup de moi-même et je m’en sens très proche…. Dans les westerns les plus réussis que j’ai faits avec Randolph Scott, les héros décident de faire quelque chose qu’ils ont envie de faire. Il y a quelque chose avec Randolph Scott, que vous avez remarqué et qui me tient à cœur : parfois le héros se trompe. D’autre part ces films m’ont permis de lancer de nouveaux acteurs comme Lee Marvin, Richard Boone James Coburn etc… ..... De tous les films que j’ai fait à Hollywood, Séminole (L’expédition de Fort King. 1953) est celui qui obtenu les plus mauvaises critiques. Moi, je l’aime beaucoup car c’est film très honnête car ce sont bien les indiens qui ont gagné cette guerre….J’aime aussi énormément Seven Men from Now (Sept hommes à abattre 1956) C’est l’un des meilleurs westerns que j’ai fait. Lee Marvin eut la possibilité de devenir l’un des meilleurs acteurs de composition américains…»
1/ A feu et à sang (1951) 2/ La dame et le Toréador (1951) 3/ L'expédition du fort King (1953) 4/ Sept homme à abattre 5/ La chevauchée de la vengeance 6/ La chute d'un caïd ( 1959)
Delmer Dave (1904/1977) a fait lui aussi une trentaine de films entre 1943 et 1964. Dans ce portrait on trouve de nombreuses lettres amicales et Techniques que Delmer a envoyé à son ‘’Cher Bertrand’’, mais je pioche plus dans l’analyse de Tavernier
«…Il faut insister sur tout ce qui fait l’extrême originalité de Daves, tant dans sa manière de filmer et d’appréhender la dramaturgie que dans le regard posé sur les différents genres où il s’illustra. Et tout d’abord cette attention aux paysages, à la nature….. Les paysages ne servent pas simplement de cadre à l’action, ils l’épousent…..Ce qui intéresse Daves, c’est de tisser un lien organique entre un extérieur et le sentiment intime de la scène….. Autre fait caractéristique qui le démarque de ses contemporains c’est le refus de faire l’apologie, l’exaltation de l’individualisme….. Les femmes sont magnifiquement sont traitées ….Nulle œuvre n’est plus imperméable, plus réfractaire à la misogynie, plus éloignés de toute exaltation machiste, de tout cynisme manipulateur. Les personnages féminins sont le moteur de l’action quand ils ne sont pas les porte-parole de l’auteur…. »
1/ Les passagers de la nuit (1947) 2/ La flèche brisée (1950) 3/ La dernière caravane (1956) 4/ 3 h 10 pour Yuma (1957) 5/ L'r du Hollandais (1958) 6/ La colline des potences (1959)
Stanley Donen (1924/1977) a fait 27 films entre 1943 et 19844. Tavernier eut trois entretiens-interviews avec Stanley Donen (1963, 1969 et 1995) le dernier plus de dix ans après son dernier film de cinéma, mais il travaillait encore pour la télévision. Je choisi de rapporter quelques extraits de la deuxième interview :
«…B.T : Vous avez dit que vous n’aimiez pas vos vieux films. S.D : C’est vrai je ne les aime pas. Quand je dis cela, c’est parce que je pense qu’ils ne sont plus bons maintenant Ils ne sont pas assez réussis…..
…..B.T : Même Sing’ing in the rain ? S.D : Bien sûr, c’est un très mauvais film. Il y a deux ou trois séquences qui sont assez réussie mais ça ne tient pas le coup. C’est terriblement sentimental, horriblement irréaliste.
…. B.T. : Et Funny Face ? S.D. : Je ne l’ai pas revu depuis longtemps et je pense que si je le revoyais, je le détesterais. Je trouverai peut-être des choses intéressantes, les danses de Fred Astaire, les chansons de Guershwin et Audrey Hepburn……
….B.T Dans deux ans aimerez peut-être Singin’in the rain. S.D. Peut-être mais je crois que je n’aimerai jamais Arabesque… »
Robert Parrish (1916/1995) a fait 20 films entre 1951 et 1985, dont un, son dernier, en collaboration étroite avec son ami Bertrand Tavernier (Mississipi Blues). Parmi toutes ces belles rencontres avec les réalisateurs américains, il me semble in fine que Parrish fut la plus belle histoire d’amitié.
«…Robert Parish était la générosité incarnée, toujours dans l’idée que la vie est si courte que valait mieux se concentrer sur les belles âmes.….. Je me souviens de la découverte de The Purple Plain (1954). Film de guerre et film d’amour, d’une moralité exemplaire, l’une des approches honnête d’une histoire interraciale avec Grégory Peck. Je me souviens encore dans The country ((1959) de Robert Mitchum abattant son cheval nommé larmes, de ce héros déchiré, de Jean Seberg annonçant à Stanley Baker dans In the French Style (1963) qu’elle ne peut plus vivre avec lui, de John Cassavetes se suicidant parmi les fleurs jaunes dans Sattle The Wind (1958) …… On pourrait évoquer tous ces personnages à la recherche de leur racines, d’une manière de vivre, de morale ;….Un cinéma où le respect de l’autre est primordial, ce qui n’exclu pas l’humour comme dans Cry Danger (1951) et Shoot first (1953)….. »
Richard Quine (1920/1989) a réalisé 30 films entre 1948 et 1978
«…. Sympathique, détendu, Richard Quine ressemblait à ses films…… Je l’ai rencontré sur le plateau de Paris when it Sizzle (1964). Il s’approchait alors de l’apogée de sa carrière qu’il atteindra grâce au succès du film suivant How to Murder wife (1965)….. Ses propos étaient simples et clairs, non exempt d’humour, cet humour et cette simplicité qui faisait le prix de My Sister Eileen (1955) l’un des meilleurs musicaux de la décennie….. D’autres films comme Bell, Book and Candle (1958) et Strangers when we meet qui tournant de portraits de femme, sont des miracles de finesse et d’élégance. Cinéaste féministe il nous offre là les études les plus subtil, les plus intelligentes du système matriarcal américain……Après How to Murder wife, sa chute fut vertigineuse et totalement inattendue…..»
Jacques Tourneur (1904/1977) a réalisé 30 films entre 1931 et 1965 dont 3 films tournés en France entre 1931 et 1934 et les suivants aux Etats-Unis ou du moins dans le cadre du système américain. Jacques Tourneur dont le père Maurice était cinéaste à Hollywood avait d’ailleurs peu vécu en France avant de venir faire ses premiers films en France.
«….J.T. : Mes meilleurs films sont, je crois I Walked with a Zombie (1943), Stars in my Crown (1943) et Build my Gallows High (1947). Ensuite, il y a Cat People et Night of the Demon (1942), sauf cette apparition du démon qui est complètement idiote et qu’on a rajouté sans mon accord. J’aime beaucoup The Flame and the Arrow (1950), Berlin Express (1948). J’ai gardé un bon souvenir de Canyon Passage (1946) et Wichita (1955).
B.T : et Days of Glory (1944), que nous n’avons pas vu ?
J.T : Heureusement, c’est abominable. Mon dernier film, City under the Sea, tourné en 1965 est très mauvais aussi…….. »
John Huston (1906/1987) a réalisé 37 films de 1931 à 1987 du Faucon Maltais aux Gens de Dublin deux films cultes. C’est dire si la magnifique filmographie est restée homogène du début à la fin. L'interview (extraits) qui suit a été fait en mars 1971.
«….B.T. Quels sont vos films préférés ? J.H. : En premier lieu je crois que je mettrais Réflections in a Golden Eye (1967), c’est un film que j’aime dans sa totalité. Puis certaines séquences de The Bible (1966), de Freud (1962), Moby Dick (1956). Et enfin The Treasure of Sierra Madre (1948), Heaven Knows Mr Allison,(1957), The Maltess Falcon (1941) et the Asphalt Jungle (1950). Vous ne pouvez pas savoir combien j’ai été touché de la manière dont vous avez parlé de Réflections in a Golden Eye. Je n’ai pas rencontré une demi-douzaine de personne qui aient compris ce film…. »
1/ Le trésor de la sierra Madre (1948) / Quand la ville dort (1950) 3/ Moby Dick (1956) 4/ Dieu seul le sait (1957) 5/ Freud (1962) 6/ Reflets dans un oeil d'or (1967)
« B.T : Errol Flynn aimait beaucoup Roots of Heaven (1958)… J.H. : Il était très bon dans ce film et je l’aime beaucoup mais le film est mauvais. C’est triste. Cela aurait pu être un très bon film et je prends sur moi l’entière responsabilité de l’échec….
B.T : On a l’impression dans Unforgiven (1960) c'était une plaisanterie ?...J.H. : Il a été démoli. Je ne pense pas que ce soit un très bon film. Il y avait des choses intéressantes…
B.T : The list of Adrian Messenger (1963) que le personnage de John Saxon n’est pas achevé...J.H. : Oui mais c'était amusant. Je pense que c'était bien raconté. Pour moi c'était une bonne histoire de détectivemais le film n'a pas été très populaire.
B.T : Quelle a été votre approche de The Night of Iguana (1964)… J.H. : Je voulais en faire un film drôle avec des moments de Lyrisme. C’est un film que j’aime, j’aime l’interprétation.....»
1/ Les racines du ciel (1958) 2/ Le vent de la plaine (1960) 3/ Les Désaxés (1961) 4/ La nuit de l'Iguane (1964) 5/ Juge et hors la loi (1972) / 6 L'honneur des Prizzi (1985)
André de Toth (1912/202) était un cinéaste américain d’origine austro-hongroise qui réalisa 33 films dont 5 en Hongrie avant de partir pour Hollywood où il fit ensuite la plus grande partie de sa carrière.
«….André de Toth n’est pas un illustrateur de genres, plus ou moins brillant, plus ou moins inventif. Ses réussites tournent au contraire le dos aux règles, aux principes de ces genres, en prennent le contre-pied formellement et idéologiquement. Nulle exaltation de valeurs, quelles qu’elles soient, nulle apologie de la nature , ni de l’individualisme, nul sentiment d’attachement à la terre, mais un regard aigu, mâtiné de scepticisme, de doute ou d’ironie, visiblement plus attaché, aux faiblesses, aux zones d’ombre, plus concerné par les dérives que par les conquêtes…….En fait il partage avec d’autres cinéastes européens émigrés cette méfiance devant un cinéma affirmatif, positif à tout prix…. »
Bertrand Tavernier lui ayant rappelé qu’il avait plusieurs fois tourné avec Randolph Scott (C’était en 1967) voici ce que lui répondit De Toth : « Oui et après six films j’ai commencé à en avoir assez. Je me réveillais la nuit en ayant l’impression de revoir encore Scott. Cela devenait une obsession. Je me sentais devenir l’artiste qui peignait éternellement la même fleur et j’ai décidé de changer. »