L’invité …… Bernard Maris salué par ses amis….
C’est un petit livre qui m’a pris par la main, samedi dernier, alors que je m’étais juré de ne pas en acheter tant que j’aurais encore à la maison des livres de 2015 non lus. J’étais entré dans ma librairie préférée par curiosité et parce que la quinzaine du polar approche. Je me suis pourtant retenu à prendre le nouveau John Harvey qui, dans ‘’Ténèbres, ténèbres’’ son dernier roman, remet en selle l’inspecteur Charles Resnick, sept ans après ’’Cold in Hand’’ et seize ans après ‘’Derniers sacrements’’….. Et puis après encore fouiné quelques temps devant l’étalage des polars j’ai vu en sortant ce petit bouquin de 120 pages titré « Pour saluer Bernard Maris » et je n’ai pu faire autrement que de le saisir. Au verso il était indiqué que huit auteurs rendaient hommage à leur ami assassiné le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo.
J’appréciais beaucoup Bernard Maris que j’avais appris à connaitre depuis une dizaine d’années par ses interventions radios-télévisés, que ce soit sur France Inter, Sur I télé quand il débattait ave l’économiste libéral Philippe Chalmin, ou de temps à autre sur France 5 à C Dans l’air. Quand je feuilletais des hebdomadaires, à la Maison de la Presse, un article de sa part orientait mon choix d’achat. Par contre je ne l’ai pas suivi sur Charlie Hebdo.
J’ai déjà fait deux billets dans la rubrique ‘’A livre ouvert’’ concernant Bernard Maris (Link 1 et 2). Cette fois-ci j’ai retenu la rubrique ‘’L’invité’’ pour pouvoir tracer un portrait du personnage que finalement je connaissais peu. Ce petit livre édité chez Flammarion en est l’occasion. Il offre huit portraits différents et complémentaires. Dans ce qui suit je ne respecte pas l’ordre du bouquin et je ne reporte que quelques extraits des différents chapitres que je complète d’un commentaire succinct.
Le Français par Michel Bernard. « La dernière fois que j’ai vu Bernard c’était à Reims moins d’un mois avant sa mort. Il était venu assister à une cérémonie de remise de décret de naturalisation que je devais conduire l’après-midi. A table nous avions parlé de son manuscrit en cours sur la France, de la manière dont réussissait ou ne réussissait pas l’intégration de la population récemment immigrée. L’interrogation était au cours de son texte comme elle était au cœur de lui-même…..(…). Au moment où il commençait d’envisager le sens et l’utilité de son existence, la force du passé, celui de ses origines pyrénéennes, celui de sa nationalité, lui avait fait sentir, non pas des racines, mais des liens qui l’attachaient à des hommes et des femmes morts depuis longtemps, à d’autres formant un peuple installé depuis le fond des âges sur une étroite portion de la terre……(…). Quel destin que celui de Bernard Maris. Petit-fils d’ancien combattant de Verdun, fils de résistant, gendre de Maurice Genevoix grièvement blessé en 1915. Il a été assassiné cent ans après dans ce qui commence à ressembler à une nouvelle guerre…… En tuant Bernard Maris ils nous ont touchés au cœur…. ».
Commentaire : Ayant longtemps (entre 27 et 40 ans) j'ai vécu et travaillé en Afrique francophone aussi me suis-je pleinement retrouvé dans ce chapitre de son dernier livre (page 26) : « Je me sens comme Ulysse de retour au pays occupé par des prétendants. J’ai vu le monde. J’ai négligé mon pays et j’ouvre les yeux sur ceux qui lui ravisse… ce que vous voulez ; son âme sa beauté… ». Mais maintenant que nous vieillissons dans notre cher pays, nous avons Pilou et moi, un besoin vital, de voyager dans d’autres pays au moins deux ou trois fois par an. Français et citoyens du monde. Je remplacerais même sa formule (page 32) : « Victor Hugo, avec ses contradictions est la France » par : Brassens avec ses contradictions est la France.
L’historien par Arnaud Tessier. « ….Pour Bernard Maris, en ces dernières années une réalité s’impose : ‘’Une nation se cimente dans le sang.’’ C’est un fait. Ce n’est pas agréable, mais c’est ainsi. C’est ce sentiment, devenu conviction vive qui semble peu à peu s’être emparé de lui, de cet homme de gauche d’une sincérité parfaite, si attaché à la liberté de ses origines, à la diversité du monde, si indépendant d’esprit, si intègre. Oui, la nation est une donnée de l’Histoire : certes elle compte sa misère et ses grandeurs, mais elle recèle en elle-même une force qui peut préserver un peuple du grand nivellement général et le conduire à d’immenses actes de courage. …..(..).. La grande figure pour lui, resta jusqu’au bout Jaurès, l’ancien député du centre-gauche, qu’on appelait alors ‘’les opportunistes’’, devenu au tournant des années 1900, la figure fédératrice du mouvement socialisme français….(...) Jaurès pour qui la politique devait respecter une morale et avoir dans la tête la beauté du monde…. Jaurès qui gardait Dieu dans un coin de sa tête et disait : ‘'le courage c’est d’aimer la vie et regarder la mort d’un regard tranquille’’».
Commentaire : C’est aussi la France de Bernard Maris, de l’auteur de « Si on aimait la France » ce livre non terminé pour lequel j’ai fait un billet où je me posais quand même quelques questions…..
L’économiste : Dans ce chapitre Jacques Sapir décrit l’évolution de Maris ces dernières années en faisant son autocritique de ses positions en faveur d’un fédéralisme européen parce qu’il pensait alors que cet objectif était inatteignable et qu’à se réclamer d’une utopie nous encourions les plus grands dangers dans le monde réel. « Les Français ont payé affreusement la politique de l’euro fort. Pourquoi faut-il un euro fort ? Parce que l’industrie allemande est heureuse avec un euro fort, et parce que les rentiers du monde entier sont heureux avec un euro fort...(…).Une monnaie forte est faite pour les prêteurs (les rentiers) une monnaie faible pour les emprunteurs (les ménages, les entreprises qui sont situées en bas de l’échelle de production). L’euro fort a détruit l’industrie française. D’autres facteurs ont aidé : la nullité des patrons français, l’insuffisance de recherche, le transfert massif des intelligences vers la finance au détriment de l’industrie… ».
Commentaire : Je ne serais pas loin de partager l’avis de Maris et je dirais même que j’ai fait quasiment suivi le chemin inverse : Je n’étais pas très fédéraliste à l’époque de Maastricht même si, in fine, j’ai fini par dire ‘’Oui’’ à Mitterrand. Ensuite j’ai voté ''Non'' lors du référendum sur la constitution européenne…. Mais je suis inquiet devant le montant de la dette française notamment par la part croissante prélevée sur les marchés financiers (environ 45% de la dette) ; et même si, actuellement, cela permet d’obtenir des taux d’intérêt très bas, voire nuls, ce qui entraîne une trompeuse stabilisation du niveau d'endettement, on doit quans même se demander ce qu'il qu’arriveraiten cas d’implosion de l’euro, s’il fallait rembourser en dollars avec une monnaie française très dévaluée ? Et je n'ose envisahger une sortie non concertée. Malheureusement Bernard Maris ne m’apportera plus la potentielle réponse.
L’éducateur, par Sébastien Lapaque. « … Nourri par une masse considérable de lectures ayant trait à tous les domaines, Bernard Maris, s’était éloigné des tentatives positivistes et rationalistes d’appréhender le mystère du monde et de sa vie… A Karl Marx, penseur de la liberté sans âme des transactions commerciales, il reprochait de n’être pas un penseur de la vie…. Les attachements de cet admirateur de Keynes étaient trop nombreux et trop variés pour qu’il fût possible de l’assigner à résidence. Il a fait partie du comité scientifique d’ATTAC, mais a fini par prendre ses distances avec le mouvement altermondialiste auquel il reprochait sa naïveté. Souvent cruel avec les économistes orthodoxes, il n’avait aucune nostalgie pour le mythe soviétique. Sa critique était à égale distance des dévots du Marché et des adeptes d’un léninisme rebouilli...(..).Avec Bernard Maris et grâce à lui, l’économie, c’était beaucoup plus que l’économie. Refusant le cloisonnement des disciplines et l’enfermement dans le jargon spécialisé, cet amateur de chemins de traverse avait l’art de rendre claire les théories que les experts s’attachent à embrouiller pour impressionner les téléspectateurs éberlués. L’écouter et le lire c’était toujours être démystifié...(..). Bernard Maris était tout sauf un professeur enfermé dans ses chiffres, ses courbes, ses statistiques. Littérature, philosophie, histoire, géographie, psychanalyse : rien de ce qui était humain ne lui était étranger…. (..).. Moraliste de grand style, il n’a pas fait de morale lorsqu’il s’est agi d’expliquer comment les listes du FN avaient pu recueillir près de 25% lors de l’élection européenne de mai 2014. Il a posé un regard froid sur ce qu’il y avait de pourri au royaume de France… Des choses qu’on ne lisait ni dans les journaux de gauche, ni de droite.»
Commentaire : Ce chapitre est très fort car il aide à comprendre en quoi sa personnalité et son érudition étaient attachante, attractive. C’était quelqu’un qui ne pouvait se résoudre à voir des partis de gauche et surtout les socialistes préférer laisser filer l’électorat populaire vers le FN plutôt que de devoir revisiter certains principes à l’aune du monde d’aujourd’hui. Par contre, j’aime bien ce passage très révélateur : « Entre la gauche et le socialisme, Bernard Maris choisissait le socialisme, ne se résignant pas à reléguer aux poubelles de l’Histoire ce mot qui avait donné à son père tant de raisons d’espérer et de se battre ». Il y a là des contradictions, des incohérences, de la nostalgie, de la résignation et du désespoir qui me font penser, à l’heure ou j’apprends sa mort par la radio, au film d’Ettore Scola ‘’Nous nous sommes tant aimés''.
L’écologiste. Pour définir l’écologisme humaniste de Bernard Maris, Julien Larère-Genevoix décrit la vie heureuse en Val de Loire du couple qu’il formait avec sa mère Sylvie, la fille du grand écrivain Maurice Genevoix, peut-être le premier écologiste.
« Les paysages du Val de Loire ont offert à Bernard ce formidable trésor accessible aux âmes pures : Sylvie lui avait transmis cette disposition, cette chance de regarder la nature comme le miroir de ses propres émotions...(..). Pour Bernard, l’écologie n’était pas un concept électoral, même s’il se prêta avec une vraie curiosité et une certaine réussite d’ailleurs au jeu d’une élection. Il ne s’agissait pas d’avantage d’une lubie bobo. Bien qu’iconoclaste, il aimait le rythme immuable des saisons, le chant des oiseaux et le spectacle de la nature…. Il portait en lui une sorte de mysticisme, une foi, à la fois inébranlable et inquiète, en un avenir plus solidaire. C’est ce don qui définit en premier cette écologie humanisme : aimer la nature pour ce qu’elle est…. (…).. Vient ensuite la volonté de la protéger. L’indifférence environnementale était à ses yeux une terrible lâcheté. Il avait une conscience aigüe de ce que nous devons, à nous même et à ceux qui viendront après. Plus qu’un dogme, l’écologie était pour lui à la fois une nécessité, un espoir et la seule manière de vivre ensemble….. »
Commentaire : En cette description je me reconnais pleinement écolo et ça correspond assez bien, aussi, à quelques bons amis qui ne plaisent pas aux écolos de salon parce qu’ils sont aussi, un petit peu chasseurs. Moi pas du tout et je ne sais pas pour ce qui concernai Bernard Maris, mais j’en doute si j’en crois le chapitre de l’ours page 118.(Un homme qui aime les bêtes autant que ses semblables)
Le Toulousain par Alain Leygonie. « ….Bernard n’est pas un économiste comme les autres. Celui-là est vraiment au dessus de tout soupçon : il ne croit pas à l’économie. Il croit davantage à la littérature qu’à l’économie. Il ne mâche pas ses mots, il appelle un imbécile, un imbécile, un charlatan, un charlatan, …. Ces mots viennent du fond du cœur, un cœur éprit de vérité et révolté par l’injustice…. Sous sa plume, ces mots reprennent des forces, des couleurs, ils sont jubilatoires….. C’est un plaisir de l’entendre rire, de voir se dissiper tout à coup, dans un fou rire, ce nuage de douce mélancolie qui généralement l’enveloppe….. Comme quand il m’a raconté cette histoire : '' cette fois il est descendu de Paris en voiture. Après deux heures de route il s’arrête sur une aire de service. Pause café et pause pipi. Il est précisément en train de pisser dans les toilettes lorsqu’un type s’en vient à côté de lui, comme il arrive parfois en ces lieux. A la fin, il risque un œil sur son voisin : C’est François Hollande ! Ils se sont reconnus presqu’en même temps. Bernard Quelle surprise ! Qu’est-ce que tu fais là ? La même chose que toi : je pisse ''…. »
Commentaire : Quel plaisir c’eut été de rencontrer un tel bonhomme ! Je parle de Maris car Hollande je l’ai rencontré, un peu…. Cette histoire me fait penser à mon copain Gérard : Cela se passait à Paris lors d’une réunion qui devait, du temps ou Jospin était premier ministre, se tenir pas très loin de l’Assemblée. Gérard s’était absenté quelques minutes et il revenait à sa place à côté de moi, émerveillé et donnant l’impression d’être dans un état second. ‘’Qu’est-ce qui t’arrive ‘’ lui dis-je. ‘’Je viens de pisser à côté de Jospin’’ et mon pote d’éclater d’un rire tonitruant !
L’ami par Michel-julien Naudy. « …Son affection pour notre petite patrie n’a jamais conduit Bernard aux fièvres des racines, aux agapes identitaires. Cela a toujours été clair : quand on démissionne de tout projet collectif, quand on abandonne la Nation, construction politique, on se tourne vers la tribu, la horde, le clan, le sang. En vacances en Espagne, nous nous sommes assez moqués des Catalans et de leur catalanité, sardane, boutifarra et monjettes. Et plus que moqués. Bernard qui avait vécu à Madrid, parlait et aimait l’espagnol, le vrai, le castillan, s’emportait souvent contre le catalan...(..). Comme c’est loin ! Franco était encore en vie et Bernard prétendait qu’à Madrid, toutes les discussions commençaient par : ‘’Supposons qu’il meure’’ Qu’il meurt enfin ce salaud ! Pauvres Espagnols si braves ! Que serions-nous à leur place, après quarante ans de Vichy, Pas grand-chose, je le crains….. Peu après la mort de la canaille bigote, nous avons fait pour une revue toulousaine un long reportage sur la Retirada, épisode encore inconnu à cette époque…. »
Commentaire : Ce chapitre me parle encore ….. Et j’ai une pensée pour nos cousins espagnols Isa et Juan Manuel qui habitent à Barcelone et qui s’inquiètent de voir les nationalistes et indépendantistes catalans gérer la ville et la province.
Le romancier par Christian Authier: « il y a des romanciers ‘’clandestins’’, leur existence n’est connue que par quelques-uns, non pas qu’ils aient eu à souffrir d’une quelconque indifférence, mais à l’inverse parce que leur renommée extralittéraire occulta leur œuvre de romancier…… (..). Pareil sort semble réservé à Bernard Maris d’abord à cause de son aura d’économiste atypique, de personnalité médiatique et d’essayiste à succès, puis par sa disparition en ce 7 janvier 2015 aux échos planétaires. Bien sûr il fit ses premiers pas par l’économie… une économie qu’il refusait de considérer comme une science, mais qu’il abordait comme un vaste domaine où la psychologie, les grands mythes, l’Histoire, la culture avaient leurs mots à dire. De fait la littérature et les écrivains n’étaient pas absents chez Maris économiste comme en témoignent son ‘’Houellebecq économiste’’. Il consacra encore un livre ‘’L’homme dans la guerre : Maurice Genevoix face à Ernst Junger’’ à deux écrivains cher à son cœur, en particulier l’auteur de Ceux de 14, dont la fille, Sylvie Genevoix, était son épouse A côté de tout cela vivait Bernard Maris romancier. Evidemment c’est dans Pertinentes questions Morales et sexuelles dans le Dakota du Nord (1995), L’enfant qui coulait être muet (2003) et le Journal (2005) que se trouve la vérité, la part la plus personnelle et la plus chère de Bernard Maris.»
Commentaire : Bien sûr de par mon cheminement derrière Bernard Maris je n’ai pas tout lu et surtout pas lu les romans, les trois titres cités en dernier. Il y a pour moi du retard à rattraper et je commencerai par ‘'L’enfant qui voulait être muet’’ un milieu qui fait songer à certains romans de Marcel Aymé…. Et ca sera peut être avant le polar de John Harvey dont j’ai parlé en introduction.