No pasaran…. Recuerdos
Ce billet prolonge un précédent de mai 2014 intitulé ‘’ La Retirada y exilio ’’ qu’il serait utile de lire ou relire avant.
Vendredi dernier, Pilou et moi, nous nous sommes rendus dans la région toulousaine pour assister à un concert de Guillaume Lopez. Depuis début décembre il sillonne les routes de la région avec au moins trois concerts, un par commune, chaque week-end. La météo étant clémente la semaine dernière nous nous sommes décidés pour les concerts du Tarn et plus particulièrement celui du vendredi 22 janvier à Saint Sulpice la Pointe ce qui nous laissait le samedi pour aller voir quelques amis avant de rentrer à Niort.
Après un peu plus de 4 heures d’un voyage, sans nous presser, nous étions à Saint Sulpice avant 18 h ce qui nous permettait de retrouver Guillaume et ses équipiers dans la librairie où il présentait le livre de souvenirs de son grand-père et participait à un mini débat sur la ‘’Retirada’’ dont Pilou prit aussi sa part.
Vers 20 h 30 nous avons rejoint la salle de spectacle qui fut rapidement pleine et nous avons assisté à un magnifique spectacle dans une salle conquise dès les premiers accords de guitare. Ci-après l'article de la Dépêche du midi du jour qui présentait ce spectacle.
« Guillaume Lopez-Vidal et son quartet redonnent vie à la musique des exilés. Vendredi 22 janvier, à 21h, salle René-Cassin, l'association Algorithme, en partenariat avec la Scène Nationale d'Albi, présente «Recuerdos» avec Guillaume Lopez-Vidal et son quartet. «Recuerdos», conte musical sur fond de performance picturale, donne la parole aux exilés, le récit du grand-père de Guillaume Lopez-Vidal servant de trame au spectacle.
Le 7 février 1939, Francesc Vidal quittait l'Espagne : un exilé parmi d'autres. Ils sont des milliers à franchir les Pyrénées, à pied, cet hiver-là. Abandonnant leur famille, leurs amis, leur maison, ils ont pris le risque de changer de vie afin de pouvoir simplement vivre. Soixante-seize ans plus tard, Guillaume Lopez-Vidal, petit-fils de Francesc Vidal, décide de raconter l'histoire de ses grands-parents. Il crée un spectacle musical, théâtral et visuel empreint de nostalgie mais aussi d'espoir, de liberté, de poésie, de fougue et de folie.
Par des chants espagnols emblématiques et des compositions originales, Guillaume Lopez-Vidal et son quartet redonnent vie à la musique des exilés. En fond de scène, sur une toile tendue, Bernard Cauhapé, plasticien, peintre, illustre et accompagne le concert par une performance dessinée et des projections parcourant l'univers de l'exil.
D'après le récit de Francesc Vidal. Chant, flûtes, sax, récit, direction artistique, Guillaume Lopez. Contrebasse, Lous Navarro. Guitare, Morgan Astruc. Percussions, Simon Portefaix. Illustrations et projections, Bernard Cauhapé. Son, Nicolas Panek. Lumière, Vincent Feron." »
Un spectacle qui alterne des chansons, de la musique, des poèmes, de l’humour, de la nostalgie comme d’entendre des enregistrements audio des deux grands pères de Guillaume. En attendant la sortie d’un prochain CD je fournis les liens qui permettent d’avoir un aperçu de deux moments très représentatifs du spectacle
https://www.youtube.com/watch?v=h_KY4vUgZSw
https://www.youtube.com/watch?v=Zb9TrZ87Lic
Il y aura encore d'autres concerts dans différentes villes de la région Toulousaine avec une dernière actuellement programmés à Carbone le 12 février prochain. En espérant pour plus tard une tournée élargie... le spectacle mérite incontestablement d'être vu bien au delà.
A Noël nous avons trouvé un remarquable livre '' L'Espagne , Passion française. 1936-1975. Guerres, exils, solidarité'' de Geneviève Dreyfus-Armand et Odette Martinez-Maler. Ne pouvant pas compléter ce billet par des extraits du livre du grand-père de Guillaume, dans la mesure où je l'ai déjà présenté sur ce blog en mai 2014, je choisis donc de compléter par des extraits de ce livre récent ; des témoignages choisis dans les chapîtres '' Sur les routes de l'éxode '' et '' Derrière les barbelés''.
Ernest Urzainqui se réfugia en France le 15 février 1939. « Devant nous la France, le pays de la liberté, que nous pensions si accueillant et démocrate et aussi ami de la République espagnole…(…) Que la réalité est différente de ce que nous espérions de la France et des Français. Les premiers contacts avec eux sont très mauvais, un véritable désastre…. Les gendarmes, la garde mobile et les Noirs sénégalais nous enregistrent comme si nous étions des malfaiteurs. Ils nous prennent tout, nos rasoirs, nos petits couteaux de poche…. Pour eux tout est du matériel de guerre, tout est interdit. Les premiers jours sont les plus pénibles..(…). Le lendemain nous partons vers un nouveau camp. Les gens fuient en nous voyant arriver, ils doivent nous prendre pour le diable en personne, ils s’enferment dans leur maison et nous observent par les fenêtres. Quelques heures plus tard nous arrivons à Arles-sur-Tech où nous sommes parqués dans un pré et un terrain de football comme des bêtes…. »
Lluis franchit la frontière le 13 février 1939. «…..Soudain, nous nous trouvons face à face avec un groupe de gendarmes. Premier contrôle. Avec politesse ils nous invitent à passer l’un après l’autre et à laisser les armes et munitions sur des monticules de ferrailles, où ceux qui nous ont précédés ont déjà déposé les leurs ..(..). Adieu l'illusion de regagner notre pays pour aider ceux qui continuent à se battre. Un jeune capitaine qui ne comprend pas, rouspète, crie, jure qu’il ne donnera jamais son pistolet. Un des gendarmes s’approche de lui, pose une main sur son épaule et d’une voix rude, qui contraste avec la douceur du geste, lui donne l’ordre, dans un castillan impeccable, de laisser l’arme comme tout le monde. D’un geste vif, il prend le pistolet, le place sur une grosse pierre et ramassant une autre pierre qui se trouve à sa portée, frappe, frappe comme un fou….. Puis, doublement vaincu, lentement les eux plein de larmes, il jette les débris d’une espérance déjà lointaine…. Le gendarme l’a laissé faire, puis le pousse doucement et lui fait regagner la file qui continue son chemin en silence.»
Manuel avait 9 ans quand il se réfugia en France avec sa mère : « C’est au début de l’hiver que nous franchîmes la frontière française. Nous passâmes en France en gravissant la montagne jusqu’à Enveigt. Nous étions des centaines à marcher dans la neige, accablés par la défaite, chacun avançant, conscient qu’il fallait arriver quelque part et poser enfin sa couverture pour s’installer. Les adultes désemparés, les enfants fatigués et perdus.
La police et l’armée nous attendaient. On nous vaccina et on nous donna à manger. Alors ce fut le drame. Tous les garçons de plus de 14 ans furent séparés de leur mère. J’entends encore les pleurs et les sanglots des femmes et des adolescents essayant de s’échapper, ils hurlaient, les militaires les tiraient par un bras, les militaires les tiraient de l’autre. On les mit dans ces wagons et ils disparurent. Mon frère et moi nous étions trop jeunes, nous n’étions pas concernés mais l’angoisse nous serrait la gorge et nous nous serrions contre notre mère..(...). Nous passâmes la nuit à la Tour-de-Carol dans une gare. Le lendemain un nouveau voyage commença…(…) Résigné chacun espérait la fin du cauchemar tout en craignant le pire. Dans un petit village du Loir-et-Cher nous prîmes possession d’une vieille école désaffectée.»
Maria Luisa état âgée de 5 ans quand, en février 1939, elle quitte Figueras, avec sa mère et son frère, pour rejoindre Cerbère d’abord en camion puis à pied : « Il faisait froid, nous avions faim, mais pour ma mère quel soulagement ! Nous serions bientôt, en France, à l’abri, sauvé. Bientôt nous reviendrions. Là, persistent deux images contradictoires : celle d’abord d’un camion français qui nous distribua des boites de sardines à l’huile et du pain blanc, choses qui nous parurent merveilleuses ; le pain blanc surtout me semblait comme du gâteau. L’autre image, elle, était sombre : on n’acceptait de laisser passer que les femmes et les enfants. Les gendarmes refoulaient impitoyablement les hommes ; c’étaient les instructions et ils les appliquaient…… »
La ville d’Oloron-Sainte-Marie a pratiqué un accueil hospitalier des réfugiés espagnols. Mais en septembre 1939, elle souhaite leur départ comme en témoigne cette lettre adressée au maire. « Au début du mois de février 1939 nous recevions à Oloron plus de 800 espagnols, femmes enfants et vieillards, fuyant devant la guerre civile de leur pays. Arrivés dans notre ville dans l’état de dénuement le plus complet, votre conseil municipal s’est efforcé , avec le concours de la population, de donner le nécessaire à ces misérables et de leur faire oublier les heures terribles de trois années de guerre. Aucun ne s’est refusé à ce devoir humanitaire, bien au contraire, c’est de grand cœur que nous avons fait cela.
Sept mois se sont écoulés…(…). Ce qui est arrivé aux Espagnols, durant la guerre civile se produit aujourd’hui pour les français en face de la barbarie germanique… (…) Croyez vous qu’il soit tolérable, alors que nous sommes assujettis aux restrictions, de voir l’argent français servir à nourrir des étrangers alors que notre pays et ses nationaux en auraient tant besoin…(…). Nous demandons le renvoi en Espagne de tous ces réfugiés, à l’exception, toutefois des familles de ceux qui contracteraient un engagement dans l’armée française. »
Après avoir été regroupés dans les camps, non aménagés, de Prats-de-Mollo et d'Arles-sur-Tech, Ernest Urzainqui et ses compagnons sont conduits à celui de Barcarès. « Nous sommes rapidement conduits au camp de concentration, construit spécialement pour nous, de Barcarès. (....). Nous sommes entourés d'eau de toutes parts. Nous espérions trouver des baraques plus ou moins acceptables, mais notre désillusion est grande : ce sont des huttes immondes qui ressemblent plus à des nids à rats qu'à des habitations pour êtres humains, elles sont en laine et en forme de triangles.(...). Il est impossible de se tenir debout, il faut marcher plié en deux, elles font huit ou dix mètres de long et ont une seule ouverture à une extrémité. Nous sommes entassés comme des sardines, cinquante hommes, c'est une véritable porcherie. Au sol il y a un peu de paille déjà à moitié pourrie à cause de l'humidité et du sable et les poux pullulent par milliers. »
Antonio Soriano.« On nous mis dans un train pour Bram, où nous attendait un camp de concentration appelé '' camp modèle ''. Là, on nous donna de la paille et de l'eau. (....) Rapidement, on vint nous importuner, pour nous intimider, passant un par un devant des fonctionnaires pour des interrogatoires persistants : L'Espagne ou la Légion. L'immense majorité répondit : ni l'un, ni l'autre. Nous nous considérons comme des réfugiés politiques, pas comme des mercenaires. Soldats toujours mercenaires. Soldats toujours, mercenaires jamais. Quelques uns d'entre nous s'engagèrent avec la promesse de libérer leurs proches des camps, mais tout se passa mal.»
Lieutenant-colonel Henri Morel, attaché militaire auprès de l'ambassade de France à Madrid. « Je pense que la plage d'Argelès est une solution provisoire. Pour les cadres, je me suis efforcé d'obtenir que quelques officiers supérieurs et généraux (82 exactement) échappent à la boule de pain et à la belle étoile. Les autres restent dans des conditions précaires. Leur courtoisie espagnole leur interdit toute plainte. (...) Il faut que l'esprit partisan ait troublé toutes les notions de bons sens pour qu'on traite en suspects et qu'on soumette à des vexations policières des officiers qui ont eu le tort de ne pas s'être révoltés, d'avoir combattu contre des Italiens et des Allemands et d'avoir été vaincus. Vous m'avez fait l'honneur de me confier la mission de représenter l'armée française en Espagne, je croirais manquer à mon devoir si je ne disais pas , avec toute la discrètion que doit garder un soldat, ce que je pense de la façon dont on conçoit l'hospitalité à l'égard d'une armée dont j'ai éprouvé longuement et au milieu des pires circonstances, la constante courtoisie. »