A livres ouverts ..... Le mythe de Barbe bleue chez Michel Tournier
L’écrivain Michel Tournier est mort le 18 janvier à l’âge de 91 ans. C’était sans aucun doute un grand écrivain qui remporta le Grand prix du roman de l Académie Française pour Vendredi ou les limbes du Pacifique en 1967 puis le Prix Goncourt pour Le Roi des Aulnes en 1970 à l’unanimité du jury. Respect ! Même si, comme le disait Brassens, la médaille ça ne pardonne pas. Très franchement, moi je ne l’ai pas beaucoup fréquenté. Je me rappelle quand même avoir lu ces deux livres récompensés.
Du coup je suis monté dans mon grenier où ce trouve une bibliothèque brinquebalante où je stocke, pour la stabiliser, tous mes vieux bouquins dont je ne peux pas me séparer. Mais, dans ce fatras, pas la moindre trace du Roi des Aulnes. Par contre j’y ai retrouvé Le coq de bruyère quasiment vierge et dont je n’ai pas le moindre souvenir, et un Vendredi la vie sauvage collection folio junior qui, lui, fut manifestement, abondamment feuilleté. J’étais pourtant sûr d’avoir lu le Goncourt : ce devait donc être pendant notre longue période africaine et probablement à Yaoundé dans les années 83/86 où nous allions en famille, tous les mercredis après-midi, emprunter des livres au centre culturel français.
Heureusement pour moi, quelques heures après l’annonce de la disparition du célèbre écrivain, l’ami Jérôme publiait sur sa page Face book un hommage sous la forme d’interviews de Michel Tournier. Je lis, toujours, avec beaucoup d’intérêt et de plaisir, les interviews fictives de Jérôme Pintoux et ce depuis son magnifique petit livre ''Interviews d’outre-tombe’’. J’ai déjà du consacrer trois ou quatre billets à ces originaux et particuliers entretiens. Je reparlerai en fin de billet de l’œuvre de l’ancien prof de lettres devenu écrivain et musicologue.
Grâce à ces pseudo-interviews et divers renseignements recueillis sur internet, j’ai eu envie d’en savoir un peu plus sur les deux livres qui semblent avoir en commun un personnage trouble, monstrueux ; des ogres soupçonnés d’être des tueur de femmes et d’enfants: Derrière les portraits d’Abel Tiffauges et de Gilles de Rais me semble pointer le mythe de Barbe bleue.
Mais reprenons le fil de l’histoire du moins la préparation de ce billet et ses différentes étapes. Après avoir reçu ces interviews je me suis précipité à la médiathèque de Niort pour me procurer les deux livres : pas de problème pour Le Roi des Aulnes mais pour ce qui concernait Gilles et Jeanne il fallait le faire venir d’une annexe d’une petite ville de la communauté d’agglomération, ce qui pouvait prendre un certain temps. Je l’ai donc commandé à la FNAC pour la modique somme de 7 euros.
Tout en me lançant dans la lecture du Roi des Aulnes je commençai à réfléchir à la façon dont j’allais structurer ce billet : Il me fallait retrouver au fil de ma lecture les réponses prêtées à l'écrivain dans le cadre de la prétendue interview. Le jeu habituel et toujours fort intéressant.
Interview de l’auteur pour Le Roi des Aulnes en 1970.
Michel Tournier, vous parlez d'un monstre…
« Monstre » vient de « montrer ».
Je vous prie de m'excuser, mais cette étymologie me semble tout à fait fantaisiste.
Benvéniste fait venir le mot de « moneo », « j'avertis ». « Monstrum » est un ancien supin. Un « monstre » serait donc un « avertissement » qu'enverraient les dieux... Pourtant le monstre est ce que l’on montre du doigt dans les fêtes foraines. Et donc plus un être est monstrueux, plus il doit être exhibé.
Parlons d’autre chose. Vous n’avez pas l’air d’apprécier les femmes ?
Certains m’écoutent le sourcil froncé, cherchant dans mes paroles ce qui peut être désobligeant pour elles.
Enfant, quels romans aimiez-vous ? Le Piège d’or, de James Oliver Curwood.
Le héros du récit, c’était Bram, un colosse sauvage, un métis d’Anglais, d’Indien et d’Eskimo, qui parcourait seul les effroyables déserts glacés avec un équipage de loups. Il hurlait avec les loups ?
Pour Bram, hurler avec les loups n’était pas une figure de style.
A ce cri sauvage répondaient les hurlements du vent du nord.
Dans Le roi des Aulnes, un personnage secondaire est somnambule ?
Oui, le somnambule du dortoir, car chaque dortoir a le sien, comme chaque château écossais son fantôme.
Vous aimez le son de l’orgue dans les églises ?
Que le bon Dieu me pardonne, mais chaque fois que son instrument de musique officiel, l’orgue, fait entendre sa voix solennelle et dorée, c’est sur les chevaux de bois de la fête foraine de Gournay-en-Bray que je me retrouve.
J’ai assez facilement retrouvé dans le livre, les réponses aux questions ; elles sont toutes concentrées dans le premier tiers du livre, dans le chapitre «Ecrits sinistres d’Abel Tiffauges». Par ailleurs j’ai particulièrement aimé la question sur le somnambule car j’ai eu ce type de problème quand j’étais gamin vers 13/14 ans. Un soir que je me baladais la nuit dans le dortoir du lycée de Foix où j’étais pensionnaire, il y eut un barouf parce que pendant que je déambulais un autre môme s’était installé dans mon lit. Avec le tapage, le pion de service avait allumé la lumière et est venu à la rescousse, sauf que je n’étais plus dans le dortoir des quatrièmes situé à l’étage mais dans celui des sixièmes situé au rez-de-chaussée.
Nouvelle interview de l’auteur, pour Gilles et Jeanne , en 1983.
Michel Tournier, Gilles de Rais faisait-il partie de l’entourage du roi de France ?
Gilles de Rais faisait partie de ces hobereaux bretons et vendéens qui ont pris fait et cause pour le dauphin Charles, bousculé par l’armée anglaise.
A Chinon, la cour semblait assez terne ?
A Chinon, on parlait beaucoup, on agissait peu. Ces politiques et ces militaires abreuvés d’échecs et de défaites croyaient-ils encore à la cause qu’ils défendaient ?
Une société brillante mais sans âme clabaudait, cancanait et jasait sous les plafonds à caissons de la salle du trône qu’illuminait une immense cheminée.
L’arrivée de Jeanne d’Arc ne passa pas inaperçue ?
C’est alors qu’on annonça une étrange visite. La cour s’en promettait quelque divertissement. Une jeune fille de seize ans, d’origine paysanne, venue des Marches de Lorraine, se disait envoyée par le Roi du Ciel pour sauver le royaume de France. Le Dauphin avait décidé de la recevoir. Pour les courtisans, cette extravagance était bienvenue : les distractions se faisaient rares en cette mauvaise saison d’exil. Mais Charles, angoissé, harcelé de sinistres nouvelles, environné de sombres présages, nourrissait sans doute un faible espoir, comme un malade abandonné par les médecins qui se serait tourné vers un guérisseur.
Elle était déterminée et elle avait un certain charisme ?
A cette heure tardive, on se pressa dans la salle du trône. Plus de cinq cents chevaliers éclairés par une forêt ardente de torches s’immobilisèrent soudain et regardèrent vers la porte. Ils virent survenir à pas décidés un petit page dont l’habit noir et gris de gros drap contrastait rudement avec leurs brocarts, leurs fourrures d’argent et d’hermine, leurs tuniques de soie brodée. Des yeux verts et lumineux, un visage osseux aux pommettes hautes, un casque de cheveux sombres coupés au bol, et cette démarche souple, presque animale que donne l’habitude de marcher pieds nus…
Un petit animal sauvage au milieu des oies et des canards ?
En vérité cet être-là venait d’ailleurs et jurait au milieu des courtisans, comme un jeune faon parmi les dindons, les paons et les pintades d’une basse-cour.
Elle a reconnu le roi malgré son déguisement ? Comment l’a-t-elle reconnu ?
A son nez lourd, à sa bouche tombante, à son crâne rasé, à ses jambes cagneuses
Gilles de Rais admirait-il Jeanne d’Arc ?
Il avait vu la pureté qui émanait de son visage, de tout son corps. Il y avait une innocence de toute sa chair qui décourageait absolument les paroles grivoises et les gestes de privauté.
Pour cette interview fictive on retrouve encore toutes les réponses aux questions dans le premier chapitre de ce petit livre (150 pages). Contrairement au Roi des Aulnes où le ton était grave dès le long premier chapitre, pour Gilles et Jeanne le premier chapitre est tout à fait gentillet dans le style ‘’images d’Epinal’’ ce qui surprend quand on sait que le seigneur de Rais fut un ignoble monstre qui dans les traditions folkloriques fut assimilé à Barbe Bleue. La rupture de ton survient à la fin du chapitre où Gilles assiste impuissant au supplice de Jeanne sur le bucher. « Vaincu, brisé, il va se terrer trois années dans ses forteresses vendéennes. Il va devenir chenille dans son cocon. Puis la métamorphose maligne accomplie, il en sortira, et c’est un ange infernal qui déploiera ses ailes »
Pendant plus de cinq ans le baron de Rais, qui avait été élevé à la dignité de maréchal de France en 1429 lors du sacre de Charles VII, laissa exploser, en pays de Loire, sa folie meurtrière. En octobre 1440, Gilles de Rais fut jugé par la cour de Nantes pour hérésie, sodomie et meurtres de plus de cent quarante enfants. Il fut condamné au bûcher neuf ans après celle qu’il avait adoré « J’atteste que la foi de mon enfance est demeurée pure et inébranlable. J’ai rencontré une sainte. Je l’ai accompagné e dans sa gloire. Puis elle a été condamnée par l’Inquisition comme sorcière, et moi je suis devenu le plus grand pêcheur de tous les temps et le pire homme qui ne fût jamais. »
Il faut bien avouer que ce petit livre est assez décevant surtout dans le cadre d’une comparaison avec Le Roi des Aulnes ce monument au style flamboyant, parfois ambigu comme en témoigne cet extrait du dernier chapitre l’Astrophore. «Tiffauges ne rencontra jamais l’une de ces colonnes provenant des usines de la mort, des mines et des carrières, des ghettos ou des camps de concentration de l’Est qu’il fallait évacuer en catastrophe devant l’armée rouge. Un jour pourtant qu’une affaire l’avait fait remonter au nord jusqu’à Angerburg, il arrêta Barbe-Bleue pour découvrir un corps caché dans le fossé bordier sous une cape de berger. C’était le cadavre d’un être sans sexe et sans âge, impossible à identifier, sinon par un numéro tatoué sur le poignet gauche, et par un J jaune se détachant sur une étoile de David rougeâtre cousue au côté gauche. Il remonta à cheval, mais ce fut pour s’arrêter encore, deux kilomètres plus loin, devant un paquet de toiles de sacs appuyé à une borne. Il s’agissait cette fois d’un enfant, coiffé d’un bonnet formé de trois pièces de feutre cousues ensemble. Il respirait, il vivait encore. Tiffauges le secoua doucement, voulut en tirer des réponses. Vainement. Il était plongé dans une torpeur qui paraissait proche de la mort…….. ». Mais l’enfant, Ephraïm, vivra, sauvé par le monstre, l’ogre de Kalterborn, qui s’était mis au service des nazis et qui ,lui, disparaitra dans les marécages.
Voila où j’en étais en début de semaine dernière. J’hésitais encore à publier ce billet que je trouvais incomplet voire prétentieux dans la mesure où je parlais de deux livres d’un écrivain récemment disparu que je connaissais si peu. J’hésitais quand, en me rendant, comme presque chaque jour, sur un blog ami pour lequel j’ai mis un lien, le blog d’Argoul, j’ai trouvé une brillante analyse du Roi des Aulnes.
J’ai pensé emprunter quelques lignes en les référençant pour que les lecteurs puissent se rendre sur le blog d’Argoul, mais en faisant ainsi je ne respecterais plus l’équilibre souhaité entre les deux bouquins de Tournier. Je me suis alors imposé un défi : Si dans les jours ou les semaines qui viennent Argoul fait aussi l’analyse de Gilles et Jeanne je piocherai quelques infos de façon équilibrée. N’était-ce d’ailleurs pas le genre de vœux que formulait Abel Tiffauges lorsqu’il était dans le pétrin. Ce fut ainsi avec l’incendie du collège lorsqu’il devait passer en conseil de discipline ou encore de la déclaration de guerre (et l’incendie d’une école) lorsqu’il fut accusé, à tort, du viol d’une gamine. Le juge préféra qu’il aille faire son devoir et être éventuellement tué au front plutôt que d’être un parasite en prison.
Eh bien hier Argoul a fait un billet sur « Gilles et Jeanne. ». Bingo ! Je me lance :
Extraits (allégés) du billet d’Argoul sur le Roi des Aulnes …. Abel Tiffauges, dont le nom est celui du fief du violeur en série Gilles de Rais, fut un enfant martyr de ses camarades de pension, puis devenu grand et même géant il s’établit mécanicien faute de capacités intellectuelles et voyeur photographe pour capturer la beauté d’enfance à laquelle il est resté accroché. S’il échappe au renvoi du collège à cause d’un incendie, il échappe à la prison pour un viol de fillette, qu’il na pas consommé, à cause de la déclaration de guerre. Pension, armée française, camp de prisonnier allemand, il est remarqué par un garde-chasse de Goering puis envoyé à la forteresse de Kaltenborn aux confins de la Prusse orientale où sont dressés à l’art militaire en Napola l’élite aryenne du Reich entre 12 et 18 ans. Abel est chargé de recruter d’autres 11 à 13 ans aux alentours sur son grand cheval noir qu’il a nommé Barbe Bleue. Il joue au Roi des Aulnes, du poème de Goethe, qui ensorcelle et s’empare des enfants pour en jouir……. (Retrouver le texte intégral par ce lien)
Extrait du billet d’Argoul sur Gilles et Jeanne :….. Le récit se présente comme une suite de notes chronologiques, mal reliées en courts chapitres. Ce n’est pas un roman mais un canevas, un scénario, un synopsis, rien de plus. Lui manque la profondeur, la description, l’essai de comprendre, les dialogues, la réflexion, ce qui fait beaucoup de manques. Il n’y a rien dans ‘’Gilles et Jeanne’’, qu’une mauvaise recension pour magazine de faits divers, une compilation de travaux. La thèse tirée par les cheveux selon laquelle Gilles se serait converti à l’inversion par Jeanne, la suivant sur l’androgynie, la sorcellerie et le bûcher est sommaire et n’est pas étayée. Quelques rares phrases parfois, quelques pages enlevées font regrettées l’œuvre qui aurait pu être si l’auteur avait daigné s’y intéresser… (Retrouver le texte intégral par ce lien)
J’ai aussi commencé à lire Le Coq de Bruyère un recueil de contes de Michel Tournier et forcément j’ai choisi d'abord «La fugue du petit Poucet » un joli conte de Noël. Monsieur Logre dans ce conte n’est pas un méchant monstre mais un gentil géant blond avec une barbe dorée annelée soyeuse et des yeux bleus et tendres. Rien à voir donc avec Barbe Bleue. Avec sa femme et ses filles il vit en forêt et c’est une espèce d’hippie sympa et écolo qui donna de bons conseils au petit Poucet.
Voilà pour ce billet auquel j’ai consacré beaucoup de temps, notamment bien sûr pour la lecture, relecture, du Roi des aulnes. Merci à Argoul qui, alors que je commençais à m’embourber, m’a permis de conclure cette histoire par ses analyses concises que je partage mais que je n’aurais su exprimer aussi bien. Merci au prof Jérôme qui sait éveiller ma curiosité avec ses interviews originales. Jérôme Pintoux un ami face-book qui a aussi un blog que l’on peut trouver en cliquant sur ''links'' dans la colonne de droite de ce billet.
Je dois aussi rappeler que Jérôme Pintoux a publié « Vinyle Vintage » et un « Dictionnaire de Bob Dylan ». .On peut aussi trouver des recueils d’interviews aux éditions publie.net, notamment pour Jules Verne et Honoré de Balzac.
Enfin Jérôme à sorti récemment deux nouveaux ouvrages dont « Chanteurs et groupes des années 80, du côté des branchés » et « Les chanteurs des années 60 : du côté de chez les yéyés et sur la rive gauche ». Edition Camion blanc.
Voilà qui me conduit à proposer une chute humoristique, à ce billet assez bizarre et que devrait apprécier Jérôme : Eddy Mitchell interprétant « Barbe Bleu»