A livre ouvert…. Les personnages de Lucky Luke et la véritable histoire de la conquête de l’Ouest.
Pour compléter mon précédent billet sur Lucky Luke, l’homme qui tire plus vite que son ombre, j’ai jugé nécessaire de présenter un superbe livre qui retrace l’histoire de la conquête de l’Ouest et comment Morris et ses scénaristes et en premier lieu Goscinny, s’en sont inspirés pour créer les planches et albums du pauvre cow-boy solitaire. Ce livre de 130 pages en format BD (30x20) est un hors série Historia Le Point sorti en juillet 2013. Il s’appuie sur 11 albums parmi les plus célèbres pour présenter les grands moments de l’histoire des Etats-Unis : l’annexion des terres indiennes, l’épopée du chemin de fer, la ruée vers l’or, l’opposition éleveurs et fermiers, la guerre de sécession, les transports en diligence et la mise en place du réseau télégraphique.
En sommaire il y a d’abord l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert : « extrait : …. Ce qui fait la gloire de Lucky Luke, c’est en plus de l’inventivité de ses créateurs, son caractère chevaleresque, un mélange de détermination et de douce désinvolture. Mais c’est aussi l’histoire que nous racontent les albums avec une érudition goguenarde, celle de la conquête de l’Ouest…. ». En pages 6 et 7 sont présentés les onze albums retenus et pour chaque le personnage qui eut, le plus souvent, maille à partir avec Lucky Luke. En pages 8 et 9 sont présentés les auteurs de l’ouvrage. Ils sont quinze dont neuf historiens spécialistes de l’histoire de l’Amérique du nord et des civilisations américaines. Les six autres auteurs sont aussi tout ce qu’il y a de plus sérieux, écrivains, voyageurs, journalistes.
Etant dans l’impossibilité de présenter tous les thèmes et albums évoqués dans l’ouvrage je fais le choix de ne suivre que les personnages qui ont existé et de vérifier que Morris et Goscinny n'aient pas trop bien traités ces salopards par leur ligne humoristique de BD pour la jeunesse en faisant exclusivement des westerns sans cadavre.
« Jesse James le faux héros : …… Goscinny aimait se moquer des faux héros, il prend donc un malin plaisir à abattre la statue de Jesse James…. C’est même toute la famille qui va pâtir du jeu de massacre, du frère Franck décrit comme un pédant et un hypocrite qui cité Shakespeare à tout bout de champs et souvent hors de propos, à leur cousin Cole Younger qui apparait comme mauvais plaisant à la limite de la débilité mentale. L’hypocrisie est le maître mot de ce que Goscinny semble vouloir dénoncer car ils font tout pour capter la confiance de la population afin de mieux la dépouiller ensuite….. Cependant, et peut-être parce que c’est difficile à traiter en BD, Morris et Goscinny mettent de côté l’un des aspects les plus antipathique de la de ces personnages : le racisme. Ce que l’on ne voit pas c’est que James et ses frères, issus d’une famille de fermiers esclavagistes du Missouri, ont fait leurs premières armes aux côté d’authentiques criminels de guerre sudistes et plus particulièrement William Quandrill chef de la terrible du sud les Bushwackers et son bras droit, Bloddy Anderson. Des bandes qui après la mort de leurs chefs se sont divisés en petits groupes de desesperados plus ou moins liés au Ku Klux Klan …… James n’a jamais renoncé au combat pour le ‘’vieux sud’’. Il a rendu son combat public en adressant de nombreuses lettres aux journaux locaux pour réaffirmer son attachement à l’ordre ancien.… »
« Calamity Jane, une féministe au Far West…… Pour sa première rencontre avec un authentique personnage féminin, Lucky Luke se trouve bien démuni face à Calamity Jane ; il est surpris, nu comme un vers, en train de barboter dans un lac, sans son Colt — qui est pour lui aussi important que son pantalon, puisqu’il demande à Calamity Jane de ne pas se retourner tant qu’il ne l’a pas attaché….. Les auteurs nous montrent clairement que les deux protagonistes se croisent pour la première fois. Quand le cow-boy décline son identité, Jane, étonnée, s’exclame comme le commun des mortels : ‘’le Lucky Luke’’, avant de lui broyer la main d’une manière bien peu féminine…. Avec Calamity Jane, le dessinateur et son scénariste campe un personnage assez proche de l’image que l’on a gardée de la plus célèbre aventurière de l’Ouest. Mais fort heureusement, ils prennent quand même quelques libertés avec la vérité historique.
On sait aujourd’hui, par exemple, que ce n’est seulement son côté garçon manqué et sa soif d’aventure qui ont poussé Calamity Jane, à partir vers l’Ouest, contrée si dangereuse et si peu fréquentée par les femmes. Fille de mormons elle a fui à la mort de ses parents, abandonnant ses frères et ses sœurs, pour échapper au mariage polygame auquel la communauté voulait la contraindre. On sait aussi que, si elle a bien été guide pour la cavalerie, elle ne l’a pas été sous sa véritable identit », sinon travestie en garçon. Quand à son mariage avec Wild Bill Hickcock ? Si elle l’a toujours revendiqué, il n’en existe aucune trace légale…. La Calamty Jane que l’on voit ici est que l’on appelait alors une ‘’pétroleuse’’, une femme qui n’hésite pas à recourir à une brutalité bien peu féminine pour se faire respecter par les hommes, par exemple lorsqu’elle s’impose dans le saloon ‘’interdit aux femmes. Dès lors outre l’enquête minutieuse que mène Lucky Luke, le vrai thème de l’album se fait jour : la place de la femme dans ce monde d’hommes qu’est l’Ouest….. »
« Billy le Kid, le sale gosse.… C’est le vingtième album des aventures de Lucky Luke et c’est l’un des albums les plus provocateur et les plus pessimiste de Morris et Goscinny. Il met en scène Lucky Luke arrivant dans, une petite ville du Texas. Lucky Luke est surpris par le calme de cette bourgade qu’il connait bien. Il se souvient d’une ville animée, vivante et il se retrouve à traverser une ville morte, presque fantôme……. De fait, si la ville est déserte, c’est parce que depuis quelques semaines, elle est terrorisée dominée et mise en coupe réglée par Billy le Kid. Dynamitant le mythe du desesperado, Morris et Goscinny nous dépeignent le jeune William H. Bonney, comme un préadolescent pleurnichard et capricieux, à qui son inconscience tient lieu de courage…. En reprenant le vocabulaire psychologique à la mode, on peut dire que, dans cet album, Billy le Kid cherche ‘’ les limites ‘’. C’est un enfant qui transgresse. Loin du jeune homme à la cavale tragique, le personnage réel aurait aujourd’hui semé la terreur dans les cages d’escalier d’une barre d’immeuble de banlieue. Ici, au Texas, ce sale gosse tient tous les adultes en respect en jouant sur leur seule poltronnerie. Morris s’amuse visiblement beaucoup à dessiner cette humanité rampante que la peur fait passer sans cesse du blanc à un verdâtre maladif….. Dans ce panorama humain peu flatteur, seul surnage à peu près le directeur du journal local, mais il n’est pas un homme d’action et ne peut agir seul. L’arrivée de Lucky Luke lui apparait comme un don du ciel : il a désormais un allié de poids….. Mais le Kid s’est pris d’affection pour le cow-boy le seul qui ose lui tenir tête. Heureusement, ce dernier a l’idée de le prendre à son propre jeu en faisant semblant d’être pire que lui, et ce pour que, atteint dans sa vanité puérile, le gamin se décide à le défier. C’est l’idée géniale de Goscinny de nous donner à voir un Lucky Luke méchant….
Cette action n’a pourtant pas porté ses fruits : Billy se montre toujours aussi colérique et insupportable après sa défaite contre Lucky Luke. On peut en juger à la fin de l’album, où, au pénitencier, son sale caractère est redouté même des Dalton, qui préfèrent rester à distance….. Luke, lui, n’a pas changé d’avis sur Billy qui n’est à ses yeux qu’un sale gosse relevant, de temps en temps, d’une bonne fessée pour le ramener au calme, sinon dans le droit chemin.
« Ma Dalton, toute la tendresse d’une mère…. Avec son pépin au manche de canard, sa coiffe blanche, ses lorgnons, son châle, son cabas et sa silhouette voûtée, la maman des Dalton a tout d’une petite pensionnée ordinaire…….Lucky Luke, ce boy-scout en Stetson, aide l’ancêtre à traverser la rue à Cactus Jonction. Il ne la reconnait pas. Pourtant elle a les traits jumeaux des fameux Dalton : nez en patate, mèche brune, menton en galoche. ‘’ Je n’aurais jamais cru que les Dalton avait une mère ‘’ s’exclame même le cow-boy, quand l’évidence lui est enfin rendue. Instruite (elle écrit à ses enfants), tireuse d’élite (elle exécute un crotale à dix pas) affectueuse (‘’couvrez-vous si vous vous évadez’’ écrit-elle à ses fils), elle est à se point intégrée dans la société qu’on lui laisse ‘’dévaliser’’ les commerçant. Elle fait partie du folklore local et fréquente même parfois des clubs de dames patronnesses. Attachante et valeureuse, elle a du élever seule ses quatre turbulents gamins tout en passant son temps à faire évader son mari, avant qu’il ne meure au champs d’honneur des truands : les armes à la main. ‘’ Le pauvre ! ‘’ dit-elle avec compassion.
Cette ‘’ mère à chat ‘’, capable d’agir comme une chef de gang, va réussir à faire peur à Lucky Luke dans une scène d’anthologie, celle du duel à la fin de l’album. Là encore c’est un cliché du western qui est tourné en dérision : le sempiternel affrontement entre le héros et le méchant à la fin du récit. Ma Dalton est bien résolue à abattre l’ennemi de ses fils. La scène, qui se déroule dans la Grand Rue, prendrait un tour dramatique si les banderoles qui la surplombent n’affichait ces slogans désarmants : ‘’ Rien n’est plus doux qu’une maman’’, ‘’A nos tendres mères, Joyeuse fêtes des mères ‘’ ….
Je n’ai emprunté jusque là que des extraits des analyses des albums de Lucky Luke. Certaines analyses sont relativement bien argumentées sur le plan historique, c’est le cas pour Jesse James et Calamity Jane mais ce n’est pas le cas pour les histoires de Billy le Kid et Ma Dalton. Il faut certes rappeler que l’ouvrage offre pour chaque chapitre une excellente étude historique des évènements et des personnages qui ont existés référencés. Ne voulant pas être trop long je ne retiens qu’une seule étude et c’est celle de Ma Dalton. Pour ce qui concerne Billy le Kid il y a encore en suspens des zones d’ombre, notamment sur la mort du Kid. Pendant de nombreuses années, les circonstances et l'histoire de la mort de Billy the Kid n'ont eu pour source que le livre de Pat Garrett, The Authentic Life of Billy the Kid. Cette seule source controversée a alimenté des hypothèses selon lesquelles Billy the Kid n'aurait pas été tué par Pat Garrett. Ces hypothèses sont étayées par le fait que certaines personnes n'ont pas reconnu le corps du défunt celui-ci présentant en particulier une forte pilosité, alors que le "Kid" était quasiment imberbe. John Poe, l'un des adjoints du shérif, était persuadé que Garrett avait tué la mauvaise personne et qu’il est le seul à avoir certifié que le corps de la personne abattue était celui de Billy the Kid. Certaines personnes ont prétendu par la suite avoir vu ou avoir été en contact avec Billy the Kid après la date de sa mort et sans compter que Garrett n’a jamais réclamé la prime promise et que Garrett et le Kid avaient été amis.
Le portrait historique d’Adeline Dalton est plus intéressant parce qu’il embrasse toute sa famille dont ses fils mais aussi ces neveux Younger qui firent aussi parti de la bande des frères James.
« Adeline Dalton, sainte mère des diables : ‘’ Que Dieu leur pardonne !’’ C’est en prononçant ces paroles qu’Adeline Dalton, les larmes aux yeux et le cœur serré, s’éloigne du cimetière d’Elmwood, à Coffeyville, dans le Kansas. En ce 6 octobre 1892, elle vient d’enterrer deux de ses fils, tués la veille à la suite d’une tentative de hold-up. Une épreuve de plus pour cette femme, que la vie n’a pas épargnée. Et dont la l’histoire personnelle n’est en rien banale.
Fille d’un modeste fermier, elle nait le 15 septembre 1835 à Jackson dans le Missouri…. Pourtant curieuse des choses de l’esprit elle reçoit une instruction rudimentaire. Dès l’adolescence, elle s’affaire aux travaux des champs aux côté de ses parents, dont les relations orageuses nuisent à la gestion de la ferme. ;… Bientôt, la jeune fille aspire à fonder une famille. Contre l’avis de ses parents, elle arrête son choix sur Lewis Dalton, un tenancier de bar à Kansas City qu’elle a rencontré en fréquentant les offices religieux. Leur union est célébrée le 12 mars 1851. Elle n’a pas 16 ans. Suivant les usages d’époque le couple aura une très abondante progéniture. Quinze enfants, dix garçons et cinq filles ! Trois d’entre eux décéderont en bas âge. Adeline mène de front ses devoirs d’épouse et de mère. Elle s’efforce d’insuffler à ses enfants le goût du travail et le sens de l’éthique. Elle met un point d’honneur de les conduire chaque dimanche à l’église pour leur inculquer les préceptes de la morale chrétienne.
En avril 1861, la guerre de Sécession éclate. Par tradition familiale les Dalton n’hésitent pas à embrasser la cause du sud. …. Farouche sécessionniste, Adeline redouble de zèle en apprenant en juillet 1862, la disparition brutale de son frère cadet, Henry Youger, lâchement assassiné au seuil de sa porte par une patrouille nordiste qui tentait d’incendier sa propriété.… Bien que se tenant éloignés de la scène publique, les Dalton voient d’un œil complaisant la formation de sociétés secrètes destinées à promouvoir le principe de la suprématie de la race blanche et à entretenir le mythe de la cause perdue. Adeline est la tante des frères Younger lesquels forment avec Jesse et Franck James, leurs cousins éloignés, la bande de hors la loi la plus recherchée du pays.
En 1880 Lewis Dalton décide de quitter le Missouri et achète une ferme dans le sud du Kansas à quelques kilomètres de la bourgade de Coffeyville. Deux ans plus tard il acquiert une nouvelle propriété en territoire indien, dans l’actuel Oklahoma. Dure à la tâche la famille se consacre à l’élevage et à la culture. Sans pour autant prospérer, elle finit par accumuler un pécule suffisant pour vivre à l’abri du besoin. En raison des absences répétées de son époux, Adeline Dalton règne en véritable matriarche sur l’étendue de la concession. Ses enfants lui sont dévoués…. Pour son grand bonheur, l’amour qu’elle leur porte et le soin qu’elle a pris pour les éduquer lui sont payés de retour. Ses deux ainés Benjamin et Cole, sortent diplômés de l’université. En 1884 Franck, son fils favori, porte l’étoile de marshal adjoint fédéral dans l’Arkansas ; Quand à Bill, il devient un entrepreneur si prospère en Californie qu’une carrière politique lui tend les bras. Au comble de la fierté Adeline envisage l’avenir sous les meilleurs auspices…..
Des évènements inattendus viennent contrecarrer ce projet. Obsédé par son désir de faire fortune Lewis Dalton fait de mauvais placements et contracte d’importantes dettes… Un jour il disparait sans laisser de trace. Adeline aidée de ses fils, s’attelle aux travaux agricoles et n’hésite pas à se rendre en personne dans les marchés à bestiaux des environs pour vendre son cheptel. C’est grâce à sa gestion des affaires que les Dalton parviennent à rembourser les dettes de leur père. Malheureusement l’embellie n’est que passagère. En novembre 1987, Franck, l’enfant modèle, est tué alors qu’il tente d’interpeller des trafiquants de whisky opérant aux confins du territoire indien. Sa mère remonte avec d’autant plus de peine sa douleur que le défunt avait pris l’habitude, au cours des dernières années, de canaliser le caractère turbulent de ses cadets et leur imposer le respect de la morale. ‘’ Je reste persuadé, expliquera plus tard Emmet, que s’il avait été là, le blason des Dalton serait demeuré sans tâche. C’était lui notre vrai chef, notre modèle, et sombres faits qui se sont produits par la suite résultent directement de sa mort.’’
La triste équipée des frères Dalton (Grattan, Emmett et Bob) prend don envol. Adeline prie pour que ses fils échappent aux représentants de l’ordre…. et reviennent dans le droit chemin. Peine perdue…. De l’été 1890 à l’automne 1892 ce ne sera qu’une longue suite d’attaques de trains et de banques. Plus rien ne semble les arrêter. Ils sont en passe d’éclipser les exploits des frères James, ces héros de leur jeunesse. Le 5 octobre 1892 le braquage simultané de deux banques, chez eux à Coffeyville, tourne au bain de sang. Huit morts dont Bob et Grattan et trois blessés dont Emmett. Adeline se fait un devoir d’organiser les funérailles de ses deux fils tués. Elle supportera une nouvelle avanie deux ans plus tard, lorsqu’un autre de ses fils, Bill Dalton, est abattu lors d’une échauffourée avec les forces de l’ordre. Lui aussi avait choisi la voie criminelle alors qu’un brillant avenir se dessinait pour lui en Californie. Adeline finit ses jours avec un motif de satisfaction. Emmett, qui a survécu à ses blessures, échappe à la réclusion à perpétué. Il est libéré pour bonne conduite après quatorze années d’emprisonnement au pénitencier du Kansas. A sa sortie de prison, il est transformé. Convaincu que ‘’le crime ne paie pas ‘’, il se repentit de ses actions passées et mène une brillante carrière d’agent immobilier, d’écrivain, de scénariste et d’acteur….. Adeline meurt le 24 janvier 1825, à Kingfisher dans l’Oklahoma. Elle avait presque 90 ans.»
Triste aventure de cette famille Dalton qui fut un temps à deux doigts de réussir le grand bon vers la réussite selon le mythe américain avant de sombrer dans le malheur. On est bien loin finalement des Dalton '' plus bêtes que méchants '' des histoires de Lucky Luke.
( A suivre )