A livres ouverts…. La place du jazz dans les polars de Michael Connelly ( suite ).
Ce billet est la suite du précédent, publié il y a quatre jours, et qu’il convient bien évidement de lire en premier. Je continue à enquêter sur la place du jazz chez Harry Bosch, le héros principal de la plupart des romans de Michael Connelly. En fin de billet j’évoquerai sommairement les cinq romans (sur 27) où Bosch est totalement absent ; cinq romans où il y a aussi des références musicales, pas toutes de mauvais goût d’ailleurs, mais pas vraiment jazzy. Mais auparavant poursuivons l'enquête et replongeons nous dans les aventures d’Harry Bosch de « Lumière morte » (sorti en 2003) à « Ceux qui tombent » (2014).
« Lumière morte » : Harry Bosch a quitté la police et pris sa retraite…. C’est en tant que détective privé que l’ancien inspecteur des homicides qu’il cherche à élucider une affaire de meurtre non résolue sur laquelle il avait d’ailleurs travaillé jadis…. Mais dès qu’il s’attaque au dossier il se voit intimer l’ordre de renoncer……Raison de plus pour continuer… »
Extraits pages 43 à 49 «….Je retrouvai la table de ma salle à manger lorsque Art Pepper se mit à jouer You’d be so nice to come home to avec Jack Sheldon à la trompette. J’avais au moins deux ou trois versions de Pepper jouant ce standard de Cole Porter. Dans chacune d’elles il attaquait ce morceau comme pour s’en arracher les trippes. Il ne savait pas le jouer autrement....... Le ciel couvert me parut bien dans le ton lorsque Pepper prit sa clarinette pour accompagner Lee Konitz dans The Shadow of your smile…….. C’est High Jingo qu’on entendit ensuite. Art Pepper y accompagnait toujours Lee Konitz. Pepper devait mourir six mois après cet enregistrement. La coïncidence, c’était qu’au moment où j’étais entré dans la police, dans le langage de la vieille garde "high jingo" désignait une affaire qui présentait des risques politiques difficilement décelables…….»
Extraits pages 91 à 92, quand Harry prend des cours de saxo : « ….j’étais prêt à jouer. Je commençais toujours la leçon par Lullaby (*)…. Il s’agit d’une balade lente donc plus facile à jouer. C’est aussi un très beau morceau. Il ne dure même pas une minute et demie, mais il dit tout ce qu’il y a à savoir de la solitude en ce monde et il m’arrivait de penser que tout irait bien le jour où j’arriverai à le jouer…… Je tentai même de m’en prendre à Straight time (*) le standard d’Art Pepper, et travaillait la reprise de The sweet pot, le grand classique de Sugar Ray (**) . Le riff était complexe, mais je l’avais étudié chez moi parce que je voulais lui faire plaisir… » (*) Déjà évoqués et (**) le professeur d’Harry.
Page 257 et 261, références à Louis Armstrong et à ‘’ What a wonderfull world’’ (**)
Extraits p. 317 à 319 « Comme il aimait bien la musique de Billy Strayhorn et que moi aussi….Lush Life (*) était le dernier morceau que nos avions écoutés "J’adore cet air’’ dit Sugar Ray, ‘" Oui, moi aussi "… »
Extrait p 322 «…la seule chose que j’appréciai fut la musique, Cool Burnin de Chet Baker….»
« Los Angeles River » (2004) : A la demande de sa veuve l’ex-inspecteur Harry Bosch accepte de mettre de l’ordre dans les papiers de Terry McCaleb, récemment disparu. Quelques éléments et révélations lui laissent à penser que son ami pourrait avoir été assassiné. De son côté l’agent du FBI, Rachel Walling, reçoit des informations indiquant que le ‘’Poète’’ un tueur en série, est de retour… »
Peu de jazz dans ce roman hormis le récurrent Lullaby de Frank Morgan (*) page 343, mais une très jolie chanson mélodieuse et vaguement ‘’jazzie’’ (où est la frontière ?) page 106. «….Je remarquai que Terry avait une platine laser dans son bureau de fortune, mais sa petite collection de CD tournait essentiellement autour du blues et du rock and roll des années 70. Je mis un des derniers enregistrements de Lucinda Williams intitulé World without tears et je le trouvais tellement à mon goût que je ne cessais de le passer et le repasser pendant les six heures qui suivirent. Cette femme avait de longs voyages dans la voix et j’aimais bien… »
« Deuil interdit » (2005) : Après trois ans de retraite Harry accepte de reprendre du service au LAPD. Il rejoint le service des affaires non résolues que dirige son ancienne adjointe Kiz Rider. Comme cadeau de retour il hérite d’un dossier d’une jeune fille de 16 ans tuée d’une balle en pleine poitrine dix-sept ans plus tôt. Des résultats d’analyses ADN ouvrent de nouvelles pistes et l’enquête prend des allures de cauchemar ». Dans ce roman il n’y a pas trop de références ‘’jazz’’, mais ce peu est excellent.
Page 207 : «… Chemin faisant il alluma le lecteur CD. Il y avait déjà un CD dedans et bientôt il entendit Boz Scaggs chanter For all we know… »
Page 385 : «… Bosch arrêta Miles Davis en plein milieu de Freddie the Freeloader et, les mains dans les poches, alla se planter devant les portes coulissantes…. »
« Echo Park» (2007) : Le district attorney informe Bosch qu’un suspect de plusieurs meurtres est prêt à passer aux aveux en échange d’un plaider coupable qui lui évitera la peine de mort. Parmi ces meurtres il y en a un vieux de 13 ans, celui d’une jeune fille dont s’était occupé Harry. Il lui indique, aussi, avoir relevé une erreur capitale dans le dossier qui avait, alors, empêché de confondre l’assassin….
Extraits pages 274 et 282: «…. Il savait qu’il avait déjà mis l’album John Coltrane Thelonious Monk enregistré au Carnegie Hall dans la machine. Celle-ci était en mode aléatoire : la première piste qui s’afficha s’intitulant ‘’La preuve’’ il y vit un bon signe…… Il regagna la chaîne stéréo et y glissa le chef d’œuvre de Milles Davis, kind of blue ; Ce morceau ne manquait jamais de l’électriser. All blues était le premier titre qui passa, c’était son air favori…. »
« A genoux » (2008) : Harry Bosch se retrouve confronté, non seulement à un homicide mais aussi et c’est plus grave à un vol de matière radioactive. Le FBI panse au complot terroriste et devant le risque d’être dessaisi de l’affaire Bosch n’a que quelques heures devant lui….
Pas grand-chose de neuf, question jazz, dans ce roman ; dès la 1ère page on repique du All blues : « … ‘’ Harry vous êtes debout ?’’...‘’Oui’’…’’ C’est quoi la musique ? ‘’…’’Frank Morgan, en direct du Jazz Standard de New York. Le type qu’on entend au piano est George Cables’’… ‘’On dirait All Blues’’…’’ En plein dans le mille’’…»
Et page 126 c’est ‘’Wondertfull World’’ une version au saxophone … Connelly fait dans le minimal syndical. Mais au moins Harry y retrouve Rachel Walling.
« Verdict de plomb. » (2009) : Dans cette histoire Harry Bosch apparaît en tant que personnage secondaire. Il enquête sur la mort d'un avocat dont Mickey Haller prend la succession en héritant d’une énorme affaire. Pour la première fois Bosch et Haller vont devoir travailler ensemble…. Voire plus et là, la touche ‘’jazz’’ est particulièrement bien exploité.
Extrait page 172 « L’inspecteur Bosch écoutait sa musique en m’attendant. Il avait les mains dans les poches et l’air pensif, voire un rien contrarié. J’étais assez sûr que nous n’avions pas rendez vous et je me demandai ce qui l’ennuyait. Peut-être était-ce sa musique. Il sortit les écouteurs de ses oreilles et les rangea tandis que j’approchais…. ‘’ Qui écoutiez vous ?’’…’’Frank Morgan’’…’’Le saxophoniste ? Je connais’’….Il parut surpris, ‘’ Vous connaissez répéta-t-il du ton de celui qui n’y croit pas’’ ….’’ Oui je passe souvent lui dire bonjour quand il joue au Catalina ou à la Jazz Bakery. Mon père adorait le jazz et dans les années cinquante et soixante, c’était son avocat. Frank s’est beaucoup foutu dans la merde avant de rentrer dans le droit chemin. Il a fini par jouer à San Quentin ave Art Pepper, vous …connaissez non ? Lorsque que j’ai fait sa connaissance, il n’avait plus besoin d’un avocat de la défense. Il s’en sortait bien’’….. Il lui fallut un moment pour se remettre de sa surprise : que je connaisse Frank Morgan, le très obscur héritier de Charlie Parker, qui, deux décennies durant, avait dissipé cet héritage en se défonçant à l’héro. Ca alors ! …. » Hailer n’a pas encore compris la surprise de Bosch. Le dénouement n’arrivera qu’en toute fin de l’histoire: Ils avaient le même père, ce que savait déjà Harry. Extrait page 454 «…’’Hier soir, j’avais décidé de vous demander quelque chose la prochaine fois que vous viendrez’’…’’Ah, ouais ? Et c’est quoi ?’’… Je réfléchis un instant, puis je hochai la tête…’’ Le pile et la face de la même montagne…dis-je. Vous savez que vous ressemblez beaucoup à votre père ?...’’ Et vous avez compris ça quand ? me demanda-t-il… ‘’Techniquement parlant, hier soir en regardant de vieilles photos avec ma fille. Nous regardions des photos de mon père. Ca n’arrêtait pas de me rappeler quelqu’un et tout d’un coup, j’ai compris que ce quelqu’un c’était vous’’… »
« Les neuf dragons. » (2011) : Harry Bosch enquête suite à un meurtre dans le quartier chinois de Los Angeles. Il soupçonne des activités de racket des triades locales…. Sa fille Madeline qui vit à Hong Kong avec sa mère a été enlevée et il doit s’y rendre de toute urgence pour essayer de la sauver.
Extrait page 112 : « … Harry écouta le morceau Step to Heaven dans l’album Dear Miles de Ron Carter….. ».
Extrait page 134 : «… Soul of Things passa sur le lecteur de CD, Bosch ne pouvait s’empêcher de penser que Miles lui-même aurait reconnu, mais à contrecœur, le talent de Thomasz Stanko….. »
« Volte-Face » (2012) : Dans ce roman le personnage principal est l’avocat Mickey Haller qui doit plaider pour l’accusation. Dans cette affaire il prend Harry Bosch comme enquêteur….. J’ai eu beau feuilleter ce livre, je n’ai trouvé aucune trace de jazz. Harry n’est pas tout à fait chez lui dans ce roman.
« Ceux qui tombent » (2014) : Harry Bosch, réintégré à l’unité des Affaires non résolues, après une tentative de semi retraite couplée à un job d’enquêteur indépendant, se voit confier une affaire de viol suivi de meurtre remontant à 1989. Une analyse ADN ouvre une nouvelle piste, sauf que le préjugé coupable n’avait que 8 ans au moment des faits. Autre affaire embarrassante, un homme tombé du 7ème étage d’un hôtel. Son père exige que soit Bosch qui mène l’enquête. Le problème est ce puissant demandeur qui a de grandes ambitions politiques a été pendant des décennies, dans la hiérarchie du LAPD, le pire ennemi d’Harry ….
Extraits pages 333 à 335 : « …. Il reconnut vite la trompette de Chet Baker. L’air de Night Bird montait du CD. Bosch n’avait vu Baker jouer ce morceau qu’une seule fois, dans un club d’O Farrell Street à San Francisco en 1982. A ce moment-là, la beauté de cover-boy et l’attitude cool typique de la West Coast qu’il avait lui avait été ravis et par la drogue et par la vie, mais ça cela ne l’empêchait pas de jouer comme si sa trompette était une voix humaine au cœur de la nuit. Six ans plus tard, Chet Baker trouvait la mort en tombant d’une fenêtre d’hôtel à Amsterdam…… Bosch regarda sa fille.."C’est toi qui as mis ça dans le lecteur ?.....Elle leva le nez.. " Quoi, le Cher Baker ? Oui je voulais l’écouter à cause de ton affaire et du poème dans le couloir’’….. Bosch se leva et passa dans le couloir de la chambre. Dans un cadre accroché au mur se trouvait un poème d’une page. Presque vingt ans plus tôt, il s’était retrouvé dans un restaurant de Venice Beach et le hasard avait voulu que l’auteur du poème, John Harvey y fasse une lecture. Il avait l’impression qu’aucune des personnes présentes ne savait qui était Chet Baker. Mais Harry, lui, le savait et il avait aimé ce que ce poème avait résonné en lui. Il s’était levé et avait demandé à Harvey s’il pouvait lui acheter un exemplaire. Harvey lui avait donné sa feuille…. »
J’aime particulièrement ce paragraphe, ce coup de chapeau de Michael Connelly à son confrère britannique John Harvey, un autre de mes auteurs préférés de polar. (Dans ma biblio j’en ai 18 romans). Harvey et son commissaire Charles Resnick un personnage très attachant amateur de sandwiches, de jazz et de chats (il en a quatre, chacun nommés en l'honneur de jazzmen célèbres : Bud, Pepper, Dizzy et Miles) qui vit à Nottingham. Harvey fait de cette ville le miroir du Royaume-Uni: une ville où chômage, misère, violence, exclusion, racisme, délinquance sont l'expression des bouleversements résultant de la casse industrielle initiée par le gouvernement conservateur Thatcher. Je suis content de terminer ce tour d’horizon des aventures d’Harry Bosch avec cette passerelle vers Charles Resnick et d’autres bulles de jazz champagne …. Mais pour plus tard, dans quelques mois. (J’ai d’ailleurs déjà fait un billet sur Harvey-Resnick : Cold in hand. Air de jazz bien connu)
Mais pour aujourd’hui il me faut terminer ce billet en présentant sommairement les quelques romans de Michael Connelly dont Harry Bosch est absent…. Et il y en a de très, très bon même sans jazz.
Les plus célèbre sont incontestablement les deux qui furent portés à l’écran : Mentionnons d’abord « Créance de Sang » réalisé par et avec Clint Eastwood qui tient le rôle de Terry McCaleb. Un grand roman (de 1999) et un très bon film (de 2002). Dans le roman on trouve des références à Jimi Hendrix, Bob Dylan, les Rolling Stones mais surtout au chanteur et guitariste de blues, Howlin Wolf. Dans le film c’est un fidèle de Clint Eastwood, Lennie Niehaus, un saxophoniste représentant du jazz West Coast, qui a composé la musique.
Ensuite « La défense Lincoln » Un film de Brad Furman avec Matthew McConaughey dans le rôle de Mickey Haller. Dans le roman (2006) on trouve de nombreuses références au rappeur Tupas Shakur alors que dans le film (2001) la musique tendance rock est composée par Cliff Martinez.
L’un des romans les plus célèbres de Connelly est « Le poète » (1997) dont le personnage principal est le journaliste Jack McEvoy où apparait aussi Rachel Walling. On retrouvera les même protagonistes dans « L’épouvantail » une des suites du Poète mais aussi Créance de sang et Los Angeles River . Alors que dans ‘’Le poète’’ il n’y a, me semble-t-il, aucune référence musicale on en trouve plusieurs dans ‘’L’épouvantail’’ notamment avec " Les Doors’’.
« La lune noire »(2002) qui est le seul roman de Connelly où le personnage principal, Cassie Black, est non seulement une femme mais aussi une criminelle et « Darling Lilly » (2002) un polar où Connelly met en scène Henry Pierce, un grand chercheur en matière d'électronique moléculaire. Dans le premier, Cassie Black semble apprécier Luncida Williams (page 83) alors que son adversaire Jack Karch, le responsable de la sécurité du casino était troublé par Summer Wind de Frank Sinatra (page 272). Quand au second, j’ai eu beau cherché Lilly, page par page, avec Henry Pierce, je n’ai rien trouvé.
Enfin et pour finir « Le cinquième témoin »(2013), un roman du cycle Mickey Haller dans lequel Bosch fait une brève apparition. Page 206 on apprend que Mickey apprécie particulièrement le guitariste compositeur chanteur Ry Cooder, interprète de la musique traditionnelle des États-Unis, créateur de musiques de film et explorateur des musiques du monde avec dans le texte Teardrops will Falls et Poor man’s shangri-là.