L’invité… L’Anjca pour présenter et tirer un bilan de trente ans de jumelage coopération.
Il s’agit là de mon septième billet sur ce blog concernant l’association ANJCA dont je suis membre. Les précédents billets peuvent être consultés par les liens suivants : 1, 2, 3, 4. 5, 6. En fin billet je mentionnerai les modalités de réalisation de cette interview, mais entrons vite dans le vif du sujet.
« Question - Voilà exactement 30 ans que la ville de Niort est en coopération avec la ville de Atakpamé au Togo, une ville 86 000 habitants aujourd’hui, André Pineau, Conseiller municipal de René Gaillard en 1986, vous êtes à l’origine, et toujours au cœur du dispositif, quelles sont les principales leçons que vous pouvez en dégagez ?
Réponse - Durée et continuité sont deux aspects indiscutables de notre démarche. Ils sont indispensables pour avoir des résultats qui comptent vraiment dans la vie d’une collectivité locale de cette importance. Oui, vraiment depuis 30 ans cette coopération n’a jamais cessé. Nous avons eu des périodes d’interrogation en particulier au moment des terribles évènements de 1991 où nos partenaires ont été un long moment dans la clandestinité, puis en 2005, suite aux contestations des résultats de l’élection présidentielle avec une forte répression à Atakpamé qui a fait une cinquantaine de morts ! Y compris dans ces moments difficiles, nous avons maintenu le cap de cette coopération et donc notre réel soutien aux projets qui se réalisaient.
Q - Quelles sont les autres particularités de cette coopération ?
R- Dès les premières années nous avons compris que la mise en œuvre d’une coopération au service du développement local devait se faire par les acteurs locaux eux-mêmes, avec leurs compétences enracinées dans le milieu et que n’avions donc pas à nous substituer aux entreprises locales ni non plus aux techniciens de la collectivité. Ainsi la réalisation des projets fait l’objet d’appels d’offre.
Une fois le projet réalisé, nous n’intervenons pas non plus dans son fonctionnement, sa gestion, ou son animation. Ce serait mettre le doigt dans une logique ancienne. Ainsi par exemple la bibliothèque municipale, que cette coopération a cofinancée, est animée par des salariés de la Mairie d’Atakpamé. Sa gestion est municipale. Il en va ainsi des marchés municipaux spécialisés dans les céréales, ou les fruits, ou les légumes ou encore les poissons…. qui sont tous animés et gérés par des groupements de femmes très bien organisés avec un système de taxes municipales.
Une fois un investissement réalisé il est indispensable qu’il puisse fonctionner en toute autonomie locale et sous l’entière responsabilité de la collectivité qui en assure la gestion et l’entretien.
Q – Avez-vous le sentiment que la coopération décentralisée peut aussi servir au développement de la démocratie ?
R- Bon, il faut sans aucun doute rester très modeste et dans des pays où la décentralisation n’est pas effective, le contexte reste difficile. Cependant dans un pays comme le Togo où les « Délégations Spéciales » qui ne devaient durer que quelques mois en 2001 et sont encore en vigueur aujourd’hui, nous avons su provoquer, par cette coopération, et avec l’association du jumelage-coopération de leur ville, une démocratie locale au travers du choix des projets avec la participation des Conseils de développement des quartiers et des groupements professionnels qui expriment régulièrement leurs priorités à la commune pour tel point d’eau, une école, un marché ou l’assainissement… Bien entendu, et comme chez nous, ce n’est pas parfait, loin s’en faut. Mais il s’agit cependant d’une contribution non négligeable. Cette démarche est maintenant assez enracinée.
Q – Et pourquoi avez-vous ouvert votre coopération à une autre ville au Bénin ?
R- Effectivement, voilà bientôt 10 ans que la Commune de Cové, 51 000 habitants, au Bénin participe à cette coopération. Pour nous ce fut une démarche volontariste d’associer deux collectivités du Sud pour des échanges entre elles et dépasser quelque peu le Nord-Sud qui a aussi ses limites. Il fallait donc une collectivité proche mais différente. Le Bénin voisin permet ces échanges assez facilement entre Cové et Atakpamé. Le Bénin connait des alternances politiques au niveau national ainsi que des collectivités locales élues avec plus d’autonomie qu’au Togo. Tout cela n’est pas sans intérêt dans ce type d’échanges. »
Q – Après 30 ans vous continuez comme tout au début ?
R- Bien entendu que non, de part et d’autre nous n’en sommes plus au stade des découvertes enthousiastes des premières années. Nous avons énormément évolué. Nous sommes rigoureux en terme de gestion, d’échanges….nous avons mis au point une méthodologie qui peut servir à d’autres communes petites ou grandes.
D’ailleurs depuis deux ans nous sommes surpris d’apprendre que des délégations municipales se déplacent à Atakpamé, non pour y faire du tourisme, mais pour voir et comprendre les pratiques de cette coopération décentralisée. Ainsi des délégations sont venues de communes du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Congo, du Gabon, du Tchad, du Mali, du Bénin, mais aussi du Togo : Bassar, Sokodé, Kpalimé, Kara Tohoun ! Toutes ces communes sont à la recherche d’outils pour leu propre développement et elles espèrent aussi que la coopération décentralisée pourra jouer un rôle. La commune d’Atakpamé est devenue un point de référence dans cette grande région.
Nos partenaires en sont évidemment très fiers. Peut-être que nous ici à Niort nous n’en avons pas pleinement pris conscience et que nous ne sommes pas forcément à la hauteur des enjeux ? Mais il est peut-être sain finalement que cet indicateur nous arrive plutôt de l’Ouest africain.
Q – Et pour conclure ?
R- Attention, cette coopération n’est pas parfaite, ni exemplaire. Après 30 ans de coopération décentralisée, ce n’est pas une fin. C’est un carrefour, c’est la rencontre, c’est la complémentarité de l’action associative citoyenne et de l’action municipale institutionnelle. Les deux sont indispensables et complémentaires : c’est la rencontre de citoyens et de collectivités de villes du Sud et du Nord. D’un côté dans une Afrique qui a connu l’esclavage, la colonisation, le pillage des matières premières et encore aujourd’hui… et de l’autre d’une Europe bien imparfaite, mais avec ses valeurs de démocratie, de liberté et ses institutions sociales.
Dans ces périodes de graves turbulences sur le plan de la sécurité, des idéologies fanatiques, des restrictions financières, d’un important chômage…. Notre mission est donc loin d’être terminée. Ce n’est pas le moment de baisser les bras et d’être pessimiste. Nous avons besoin au contraire de plus d’énergie et de prises d’initiatives. C’est dans les durs moments qu’il faut savoir rebondir. C’est vital.
C’est donc le moment de faire preuve d’ouverture d’esprit et de recherche. Et non pas de se replier sur nos petits problèmes. Les collectivités des pays africains ont des défis autrement plus redoutables que bous à relever. Poursuivons notre route. Elle est difficile certes, mais n’est-elle pas passionnantes ?
Ce très beau texte je l’ai trouvé dans le journal de l’ANJCA (Le n° 132 du printemps 2016) que reçoivent tous les adhérents de cette association dont je suis membre dès sa création, il y a donc 30 ans (et alors que je n’étais niortais que depuis quelques semaines après avoir travaillé et vécu longtemps en Afrique.)
Il s’agit en fait d’une interview de l’ami André Pineau Président de l’association, par le site de relations internationales ‘‘Global local forum’’, un site qui mène des actions pour promouvoir des formes innovantes de coopérations décentralisées, en plaçant l’économie au service des hommes, dans le dialogue des territoires car il estime que cette dimension est une composante essentielle du développement.