Saga guyanaise.........Deux ou trois choses qu’il faut savoir sur la Guyane
Je ne pensais pas que mon premier billet, de retour à la maison après un superbe voyage en Équateur, concernerait la Guyane, mon département et territoire de cœur. Finalement ça me laisse un peu de temps de réflexion avant de vanter les charmes équatoriens. Et puis nous avons été vite dans le coup de ce qui se passait à Cayenne quand nous avons débarqué à Orly vendredi soir : le car qui nous emmenait à l’hôtel d’Orly était plein de Guyanais qui téléphonaient à leur famille, indiquant que leur vol d’Air Caraïbe avait été annulé et qu’ils étaient dirigés vers des hôtels. J’ai bien peur qu’ils y soient encore !
Depuis la situation guyanaise fait la première partie des informations télévisées et des radios ce qui permet de faire une pause sur l’affaire Fillon… Enfin une pause toute relative dans la mesure où les différents candidats en parlent…. Et c’est là que je fus assez surpris d’entendre Emmanuel Macron évoquer, de Mayotte, la situation sur l’île. Ah ! Ça n’a pas tardé pour évoquer la "bourde de Macron".
Moi, je me suis dit ; "Ou tu es nul en géographie, ou tu as bu trop de punch pendant la tournée des îles de l’océan indien (La Réunion et Mayotte) ou, champion, tu connais trop bien la Guyane". C’est d’ailleurs peut-être un peu le mélange des trois hypothèses, sous réserve qu’il ait dans son équipe quelqu’un qui connaisse bien la Guyane. Sa mise au point de lundi, après son retour en métropole, est parfaitement exacte : « J'aimerais que nombre de mes détracteurs soient allés aussi souvent que moi en Guyane et l'aient autant aimée. Alors, bien sûr, je n'ai jamais pensé que la Guyane était une île, même si c'est aujourd'hui l'île de Cayenne qui est largement bloquée ».
L’île de Cayenne constitue une exception géologique de la côte amazonienne : elle est l’un des rares affleurements rocheux entre l’estuaire de l’Amazone et celui de l’Orénoque. Ponctuée de plages de sable et de monts rocailleux, elle offre des paysages remarquables caractérisés par une nature démonstrative et adaptée. Elle se trouve bordée à l’est par l'estuaire du Mahury, à l’ouest par la rivière de Cayenne, au sud par la rivière du Tour de l’île et au nord par l'océan Atlantique. C’est une ceinture fluviale qui lui vaut le nom d’île de Cayenne.
J’ai fait de nombreux billets sur la Guyane, du fait de mes nombreux séjours dans ce département ; d’abord des séjours professionnels puis ces dernières années des séjours de vacances. J’ai parcouru la Guyane de Saint Georges de l’Oyapock à Saint Laurent du Maroni sur la bande côtière habitable, mais aussi à l’intérieur par des remontées de fleuves en pirogue ou par avion pour atteindre Saul au cœur de l’Amazonie.
Mon premier séjour en Guyane remonte à 1969, j’y ai vécu 6 mois pour raisons professionnelles. A cette époque il y avait environ 50.000 habitants dans cette région contre plus de 250.000 aujourd’hui.
En 2017 la population guyanaise se compose ainsi : 40% de Créoles guyanais, 12% de Français originaire de métropole, 2% de Bushinengués (population d’origine africaine ayant fuit l’esclavage), 2% d’Amérindiens. Il apparaît que le reste de la population, soit environ 40%, est issu d’une immigration plus ou moins récente : Des Martiniquais (donc Français) après les éruptions de la Montagne Pelée (1902 et 1905) aux Haïtiens (Séisme de 2010) en passant par l’arrivée des Hmongs du Laos en 1976 (rescapés des boat-people), et les immigrations "fluviales" (familles vivant sur les rives du Maroni et de l’Oyapock) plus l’arrivée de nombreux Brésiliens du nord ou Surinamais, orpailleurs clandestins ou migrants économiques le plus souvent regroupés dans les bidonvilles de l’île de Cayenne.
L’île de Cayenne est passée de 30.000 habitants en 1969 à environ 110.000 habitants aujourd’hui. La ville de Cayenne a certes doublé sa population mais c’est surtout les villes périphériques Rémire-Montjoly (multiplié par 10) et Matoury (multiplié par 40) qui ont explosé.
Kourou est passée de 4.000 habitants en 1969 à 25.000 habitants aujourd’hui, mais en 1969 Kourou, en tant base spatiale, n’avait que quelques années d’existence et depuis une vingtaine d’années la population s'est stabilisée.
Saint Laurent du Maroni, à la frontière du Surinam, serait passé d’environ 5.000 habitants en 1969 à plus de 40.000 aujourd’hui.
Saint Georges d’Oyapock, à la frontière du Brésil, a eu une évolution plus modérée, passant de 1.000 habitants en 1969 à environ 4.000 aujourd’hui.
De ce bilan démographique on comprend que les problèmes sociaux économiques se font surtout sentir dans l’île de Cayenne et à Saint Laurent du Maroni, les deux agglomérations ayant eu, ce jour de grève, les plus fortes manifestations. (12.000 manifestants à Cayenne, 4.000 à Saint Laurent du Maroni.
La Guyane est la région de France où la population croît le plus rapidement et pas seulement pour cause de migration mais aussi par le nombre élevé de naissances (plus de 3.5 enfants par femme pour 2 en métropole.). Les moins de 20 ans représentent 43% de la population (contre 24% en métropole). La moitié des jeunes de 15-24 ans ne font rien n’étant plus scolarisés ou étudiants sans pouvoir pour autant trouver un travail. Relativisons toutefois cet accroissement de population en mentionnant que la Guyane fait partie des 20 départements français les moins peuplés. Le problème est beaucoup plus grave à la Réunion (850.000 habitants). En Guyane il y a surtout un problème d'infrastructures pour mieux relier toutes les zones de vie pour un développement équilibré de zones économiques.
L'explosion démographique entraîne aussi d'une stagnation, voire une baisse, du PIB par habitant. En 2014, il s'établissait à 16.000 euros, soit moitié moins qu'en France métropolitaine (32.800 euros). Le PIB total de la Guyane s'élevant à 4 milliards d'euros. (2.250 pour la France entière)
La population guyanaise se caractérise également par sa précarité, supérieure à celle observée en métropole. 46.000 personnes n’ont pas d’accès direct à un service d’eau potable. Le taux de chômage est de 22% (10% en métropole). Le revenu annuel moyen guyanais est de 11.250 € contre 25.000 € en métropole. Quand on sait que les salaires des expatriés sont plus élevés ici qu’en métropole on ne s’étonnera pas de voir que le taux de pauvreté des locaux soit très fort : 44% contre 14% pour la France entière. On compte en ratio de la population près de quatre fois plus de bénéficiaires du RSA et de la CMU-C qu’en métropole.
Le pays restant commercialement très dépendant de la métropole les prix à la consommation y sont supérieurs de près de 12 % comme dans les autres DOM. C’est même plus pour ce qui concerne le prix des voitures et des carburants. Ca me semble plus contestable pour les denrées alimentaires. Les marchés locaux sont aujourd’hui bien achalandés ; l’installation des Hmongs y a été pour beaucoup. Il n’y a des supermarchés que dans l’île de Cayenne où les prix ne m’ont pas paru scandaleux par rapport à la métropole. Pour les autres villes de Guyane pour cause de distance c’est moins évident. Je me souviens d’un "Super U" à Saint Laurent du Maroni où ça décoiffe.
Pour les entreprises la nécessité de s’approvisionner en pièces de rechange en France pose des problèmes de délais. Je l'ai constaté pour les carrières de matériaux et pour les centrales à béton.
Il y a aussi des problèmes dans tous les domaines notamment pour la santé : 47 médecins généralistes pour 100.000 habitants contre 106 en métropole. 24 médecins spécialistes pour 100.000 habitants contre 94 en métropole. Sensiblement les mêmes différences de ratio pour les pharmaciens et dentistes.
Le département dispose de deux centres hospitaliers et de deux maternités, mais hors agglomérations de Cayenne et de Saint Laurent du Maroni les distances peuvent être importantes, jusqu’à 300 km. Les inégalités sont amplifiées par le mauvais état de nombreuses infrastructures routières et certaines communes sont inaccessibles par la route. (Hélicoptère)
La principale préoccupation de cette dernière décennie est l'insécurité, un problème majeur. Avec 42 homicides en 2016 (en majorité par armes à feu), la région est le territoire français le plus violent en valeur relative, c'est-à-dire au regard de sa population. Les vols ou tentatives de vols avec violence ou menaces sont beaucoup plus fréquents ; notamment sur l'île de Cayenne. Les effectifs de gendarmerie seraient en Guyane sensiblement au même niveau qu’en Martinique et qu’en Guadeloupe, mais c’est ça qui est un scandale car ils devraient être au moins du double. En Caraïbe les gendarmes n’ont pas à surveiller 1.000 km de frontière amazonienne. L'orpaillage illégal est en forte hausse - un fléau. Il a de lourdes conséquences sur l'environnement (déboisement, empoisonnement des rivières par le mercure déversé, etc.), l'économie et l'insécurité (agressions, prostitution, contrebande). Des bataillons de gendarmes ont en charge ce problème et du coup il n’y a plus assez de forces de l’ordre pour assurer la sécurité des zones urbaines sensibles.
N'oublions pas aussi que la Guyane est un territoire riche qui fait envie à ses voisins du continent et que par ses richesses et notamment Kourou, la base spatiale la mieux située sur notre planète, (On y lance maintenant des fusées Soyouz) .... mais aussi, l'or, le bois et très probablement du pétrole, il est inconcevable que nos gouvernements et les politiciens locaux, l'élite créole, ne fassent pas le nécessaire pour sécuriser ce territoire qui est un vrai trésor.
Dans le Monde d’aujourd’hui il y a une intéressante interview du géographe Hervé Théry. Il est directeur de recherche émérite au CNRS, où il a dirigé l'Observatoire ''hommes-milieux'' en Oyapock (en Guyane française). Il est professeur invité à l'université de Sao Paulo (USP).
La grève générale votée en Guyane française, qui a débuté le 27 mars, vous surprend-elle ?
Oui, car ça ne me paraît pas très astucieux de déclencher un mouvement revendicatif auprès d'un gouvernement en toute fin de mandat. Mais sur le fond, il y a de fait une situation plus que tendue. Bien que cette Amazonie française ait des atouts évidents en termes de ressources naturelles, elle présente aussi des faiblesses non moins -évidentes, démographiques et économiques principalement.
Sa gouvernance est compliquée en raison du nombre des acteurs qui se la disputent (préfecture, collectivités locales, centre spatial), et, surtout, la Guyane doit de plus en plus compter avec des forces qui l'intègrent, bon gré mal gré, au continent sud-américain. Que ce soit par la tension de conflits frontaliers ou par le développement de coopérations transfrontalières, dont le pont sur l'Oyapock, qui a attendu six ans son inauguration, est le symbole le plus visible et le plus ambigu.
Le traitement politique de la crise par l'envoi d'une mission interministérielle vous semble-t-il convenir ?
A priori oui, d'autant que les membres de la mission ont tous une bonne expérience de la Guyane. Mais elle semble pourtant mal engagée puisque les meneurs du mouvement ne veulent traiter qu'avec la ministre. Mais qu'attendre d'une ministre dont on peut dire, sans lui faire injure, qu'elle n'est pas une personnalité de premier plan, et même d'un président qui n'a que quelques semaines de mandat devant lui ?
La Guyane est-elle à vos yeux un territoire oublié de la République ?
Non, car la Guyane est très soutenue par la métropole, au point que son économie est très fortement dépendante des transferts venus de celle-ci. Les activités productives de la Guyane restent très limitées, elle importe pratiquement tout, nourriture comprise. Mais elle se trouve dans une situation globale bien meilleure que ses voisins, il suffit pour s'en convaincre de comparer sa situation à celle des deux autres Guyanes, le Suriname (ex-Guyane hollandaise) et le Guyana (ex-Guyane -britannique).
Que répondre à Marine Le Pen, qui prétend que l'immigration clandestine est responsable de la crise ?
Les causes principales sont autres, elles résident dans cette dépendance historique envers la métropole. Depuis le XVIIe siècle, toutes les tentatives menées pour doter la colonie, puis le département, d'une économie viable ont échoué.
L'immigration clandestine pourrait seulement expliquer un aspect de la crise actuelle : l'insécurité qui frappe la Guyane française. Et il faut encore ajouter que cette violence, si elle est en partie importée, notamment par les chercheurs d'or brésiliens, a aussi des causes endogènes. En Guyane française, le recours aux armes reste répandu en cas de conflit, comme ailleurs sur tout le continent américain. Malgré tout, la violence y est moins élevée que chez ses voisins.
Que faudrait-il faire selon vous pour remédier aux maux dont souffre la Guyane ?
Ce serait prétentieux de ma part de vouloir résoudre un problème sur lequel tout le monde s'est jusqu'à présent cassé les dents. Mais il est évident qu'il faudra réduire, outre le problème économique, celui de la division sociale et ethnique de la Guyane.
Les " créoles " (Français autochtones, en général descendants métissés des colons français et de leurs esclaves africains), sont la communauté la plus nombreuse (même si le poids relatif de ce groupe ne cesse de décliner). Ils représentaient 75 % de la population dans les années 1970, ils ne sont plus désormais que la plus nombreuse des minorités qui forment la Guyane.
Ils ont acquis le pouvoir politique de manière presque exclusive, alors que le pouvoir administratif, militaire et technique reste largement entre les mains des " métros " (Français venus de métropole pour un séjour de quelques années).
Les relations entre les uns et les autres sont souvent tendues, les créoles entretenant des relations ambiguës d'amour et de haine avec la métropole dont ils attendent beaucoup, notamment sur le plan- -financier. De leur point de vue, ces -demandes sont justifiées en tant que réparation du préjudice subi par leurs ancêtres du temps de l'esclavage, même s'ils ressentent assez mal leur dépendance envers Paris.
Ajout du jeudi 30 mars.
Voici le point de vue de Bernard Lama l’ancien gardien de but de l’équipe de France de football. Retourné dans son pays natal, il y dirige une entreprise. Pour Les Echos, il analyse les raisons de la colère des habitants de la plus grande collectivité territoriale d'Outre-mer..
Extraits [….]….La situation est très tendue depuis des années. Ces derniers temps, nous connaissons une montée de l'insécurité. En Guyane, on peut se faire attaquer dans la rue pour une chaîne en or. C'est au départ pour lutter contre cette insécurité qu'est né le collectif des 500 frères, mais il y a tellement d'autres problèmes qu'ils ont étendu leurs revendications.
En matière de santé notamment, nos hôpitaux sont surendettés et d'une qualité médiocre. Au fur et à mesure, ils sont devenus des mouroirs. On manque de soins mais aussi d'écoles. Chez nous, 2.000 à 3.000 enfants ne sont pas scolarisés faute de classes et d'enseignants suffisants. Voilà des années que les pouvoirs publics anticipent une explosion démographique. Aujourd'hui nous sommes 250.000 habitants et aucune infrastructure n'a été adaptée à cette croissance. Certaines zones du pays sont à peine desservies par des routes et encore moins par des réseaux de téléphonie. Avec l'agence spatiale à Kourou on envoie des satellites dans l'espace. Mais nous sommes les derniers à avoir accès à internet !
À cela s'ajoutent le chômage, de bas salaires et un coût de la vie nettement plus élevé qu'en métropole. En temps normal, les Guyanais sont pacifistes et recherchent toujours le consensus, ils ne s'opposent pas. Mais la colère qui s'exprime ces derniers jours est le fruit de dizaines d'années de frustrations….[….]
Depuis les années 1950, le pouvoir français a en quelque sorte "fonctionnarisé" les mentalités. Nous vivons sous la tutelle des aides, mais nous ne disposons d'aucun levier de développement économique alors que nous sommes un territoire riche. Nous avons de l'or, du pétrole, de la bauxite, du phosphore... On a une biodiversité incroyable mais nous n'avons rien pour exploiter toutes ces ressources. Même le tourisme ne peut pas se développer….. Comment pourrait-on avoir de l'estime pour ce qui est dit ? Nous avons été ignorés par plusieurs gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche ne change rien à nos yeux. Que les grèves se déroulent pendant la campagne nous offre une plus grande visibilité, cela sensibilise les Français à notre cause mais on ne se fait pas d'illusions…[.....].....
Chez nous la violence est portée par le manque de moyens alloués à l'éducation au fort taux de chômage chez les jeunes….. [….]... Avec de bas salaires et de hauts prix, le marché guyanais n'est pas florissant et la concurrence y est rude. De grands groupes trustent les places et proposent des produits importés. Ils ne paient pas les mêmes taxes que les petites entreprises et peuvent donc faire baisser leur prix là où c'est impossible pour les producteurs locaux.
Mon entreprise, Dilo, compte 10 salariés et se porte bien mais ma chance, c'est qu'en créant la seule unité de production d'eau locale, les Guyanais se la sont appropriée. C'est un symbole d'identité collective. La difficulté pour les entreprises locales, c'est aussi de trouver du personnel qualifié. Les jeunes guyanais partent pour la métropole dès qu'ils en ont l'occasion, et fuite des cerveaux oblige, ils sont rares à revenir.
Pour finir ce billet je conseille à mes visiteurs la lecture d’un roman policier, un polar ethnologique « Au-delà de la Mangrove » dont l’action se déroule en Guyane. C’est un livre de François Robin imprimé en 2011 aux éditions Orphie.
J’ai beaucoup aimé ce roman et j’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur chez un ami commun. Un type très sympa qui aime la Guyane autant que moi. Je lui ai déjà consacré un billet pour un autre livre « Le résident d’Uvéa »
Il n’y a pas mieux qu’un polar pour ressentir des problèmes sociaux, c’est ce que j’ai découvert en me gavant de polars américains.