Histoire de rôles…. La nuit du 4 août
Hier soir vendredi 4 août 2017, vers 22 h 45, les sénateurs se sont prononcés très largement (306 voix pour et 3 contre) en faveur du maintien de la réserve parlementaire, point de désaccord avec les députés, concernant le projet de loi organique sur la confiance dans la vie politique. Ce n’est pas très grave pour l’exécutif car les députés ont le dernier mot et devraient supprimer à nouveau cette réserve à l'occasion d'un dernier vote mercredi 9 août, ce qui marquera l'adoption définitive de ce texte. Ce retard présentera l'avantage d’empêcher une exploitation médiatique en faisant un rapprochement avec la nuit historique du 4 août 1789. Cette loi sera donc banalement celle du 9 août. Ouf ! Le petit feu de brindille contre les privilèges des députés d’août 2017, au demeurant important et nécessaire, ne pourra en rien être comparé à l’incendie institutionnel de la nuit du 4 août 1789.
La nuit du 4 août 1789 fut un évènement majeur de la révolution française. Une nuit de folie qui entraîna la suppression des privilèges féodaux par l’Assemblée nationale constituante. Après la prise de la Bastille, le 14 juillet, s’était développée un climat de violence dans de nombreuses, notamment celles qui avaient déjà eu de mauvaises récoltes les années précédentes. Les campagnes attestaient ainsi de l’hostilité des paysans envers les seigneurs et les charges qu’ils leur imposaient. La rumeur d’un complot hourdi par les aristocrates, monnayant des bandes de voyous pour détruire ou saccager les récoltes à venir, entraînait un déchainement de violence. Cette révolte populaire des campagnes fut appelée « La Grande Peur ». De nombreux châteaux et abbayes furent pillés et les registres où étaient consignés les droits seigneuriaux, que les paysans voulaient voir aboli, étaient détruits.
L’Assemblée nationale "Constituante'' réunie à Versailles était informée des évènements qui secouaient les provinces.
« Ce 4 août 1789 les députés s’étaient rassemblés vers 20h sous la présidence de l’avocat Isaac Le Chapelier député de Nantes. La parole fut d’abord donné à un autre avocat Guy Target député du tiers état qui présentait le projet d’arrêté discuté la veille : mettre fin au désordre régnant dans les campagnes. Le projet rappelle à tous les citoyens qu’ils doivent respecter la propriété, continuer à payer redevances et impôts. L’Assemblée s’apprêtait donc à condamner les revendications paysannes. A peine Target eut il fini de parler qu’un homme se leva précipitamment et prit la parole. C’était le vicomte de Noailles ; il faisait partie de la plus haute noblesse. Il déclara que si l’on entendait assurer la tranquillité publique, il fallait non seulement supprimer les privilèges fiscaux, mais aussi renoncer aux droits féodaux contre leur rachat par les paysans. Quant à toutes les servitudes personnelles, elles devaient purement et simplement être abolies. Forte impression dans la salle… Un autre député se levait alors. C’était monsieur le duc d’Aiguillon, duc et pair, immensément riche contrairement à Noailles qui était cadet de famille. Dans un superbe élan, tout en condamnant les excès, il évoqua « le malheureux cultivateur soumis au reste barbare des lois féodales » et la nécessité « d’établir cette égalité de droit qui doit exister entre tous les hommes ».
Les députés acclamèrent le duc. Qu’un si grand personnage propose à la noblesse un tel acte de générosité, voila qui était admirable. Mais l’intervention de ces deux nobles n’était peut-être pas aussi étonnante qu’il y paraît. En effet, il semble que le « club breton » s’était réuni la veille au soir autour de Le Chapelier et ait décidé de frapper un grand coup. Pour beaucoup, il était grand temps de mettre fin à l’édifice branlant de l’Ancien Régime et de proclamer haut et fort le principe d’égalité En outre cela allait permettre de désamorcer le mécontentement des paysans, que la répression n’aurait fait qu’accentuer alors que les moissons attendent. Pour cela, il fallait que l’impulsion vînt des privilégiés eux-mêmes. Si d’Aiguillon avait chiffré le rachat des droits féodaux à trente fois le revenu d’une année, c’est qu’il était hors de question que le principe de propriété soit mis en cause. Sur ce point, les nobles et les bourgeois étaient bien d’accord. Néanmoins le geste primait le calcul dans cette assemblée qui s’échauffait. Quelques instants plus tard, un député du Tiers breton, Le Guen de Kérangal, dénonçait « le monstre dévorant de la féodalité », décrit la misère et l’injustice séculaire subie par les paysans. Un autre intervenant fit frémir la salle en évoquant, non sans surenchères, les horreurs plus ou moins imaginaires des temps passés….
Il était bientôt 23 heures et pour beaucoup, la séance devait s’achever là : égalité fiscale, rachat des droits pesant sur les biens et abolition surtout de ceux qui étaient les plus vexatoires et qui portent sur les personnes. On demanda de passer au vote.
Mais un député noble du Périgord, le marquis de Lardimalie s’y opposa. Il s’agissait d’un de ces hobereaux qui se sont toujours irrités des avantages dont bénéficiaient les grands qui vivaient à Paris et à la Cour. Il avait, dit-il, des abus bien plus criants encore : tous ces courtisans avides qui bénéficiaient de fonctions aussi inutiles que coûteuses à l’État devaient être les premiers à se sacrifier. Il fut applaudi à tout rompre. Chacun semblait désormais rivaliser d’audace et de générosité. Les esprits chagrins ne manqueraient pas de remarquer que les députés avaient une tendance à sacrifier ce qui appartenait aux autres.
Puis ce fut au tour de l’évêque de Chartres Monseigneur Lubersac, de proposer le sacrifice du droit de chasse, un droit honni des paysans. Les députés de la noblesse que cela concernait, approuvèrent chaleureusement. Ceux du Tiers se levèrent et acclamèrent frénétiquement : pendant quelques minutes l’Assemblée n’était plus qu’une vaste clameur. Un peu plus tard un ecclésiastique se leva pour renoncer au casuel. Un noble lui répondit par l’offre d’augmenter les revenus du bas clergé. Redoublement d’enthousiasme sur les bancs !Cottin député du tiers Breton demanda l'extinction des justices seigneuriales ainsi que celle de « tous les débris du régime féodal qui écrase l'agriculture ». De Richier député de la noblesse complétait ce point en demandant la gratuité de la justice dans tout le royaume. Le duc du Châtelet allait encore plus loin en demandant le rachat de la dîme, très impopulaire, et sa transformation en taxe. Cris d’approbation ! Après quoi furent proposés, notamment par le vicomte de Beauharnais élu par le baillage de Blois, l’égalité des peines, l’égalité d’accès aux emplois publics, l’extinction des mainmortes.
C’est alors que les députés du Dauphiné, rivalisant d’audace, firent un pas de plus en annonçant qu’ils étaient prêts à renoncer à tous les privilèges de leur province. Car il y avait en France autant de statuts différents que de provinces ou de villes. Chacune avait ses droits propres. Cette proposition était contraire au mandat des députés. Mais peu importe ! Si les Français sont égaux et libres, il ne peut y avoir qu’une seule France, une seule Nation.
Il était alors plus de minuit et c’était alors le délire général. Dans un désordre croissant, les députés imitèrent le Dauphinois, depuis ceux du Languedoc à ceux de l’Artois, et des strasbourgeois aux Bordelais. C’était la cohue devant le bureau de la présidence où chacun inscrit le détail de ses sacrifices sur un registre. Le duc de la Rochefoucauld-Liancourt proposa la frappe d’une médaille pour éterniser la mémoire de l’union sincère de tous les ordres, de l’abandon des privilèges.
Il était près de 2 heures du matin lorsque Lally-Tollendal engagea l’Assemblée à proclamer Louis XVI restaurateur de la Liberté française. Vive le roi ! La séance pouvait s’achever. Le président Le Chatelier procéda à la lecture des principaux acquis de cette nuit quelque extraordinaire, une impressionnante liste qui rejetait dans le passé la France de la veille. Bien entendu tout cela n’était pas exempt de calculs. Mais cette nuit consacra la victoire d’un grand principe qui porte en lui des germes inépuisables : l’égalité de tous les Français.
Sources : L'essentiel de ce chapitre est tiré de « Chroniques de la Révolution » édité en 1989 par Jacques Legrand S.A. en 1989 (pages 116 et 117). Avec divers compléments trouvés par internet dans des encyclopédies, dont Wikipédia.
1/ Assemblée à Versailles 2/ Le Chapelier assurait la présidence de l'Assemblée le 4 aout 3/ Guy Target député du Tiers breton chargé de présenté le projet d'arreté 4/ Viconte de Noailles député de la noblesse 5/ Le duc d'Aiguillon député de la noblesse 6/ Le Guen de Kérandal député du Tiers breton 7/ Marquis Foucauld Laedimanie député de la noblesse...8/ Monseigneur Lubersac évèque de Chartres 9/ Collin député du tiers Etat 10/ Le duc de Chatelet député de la noblesse 11/, 12/, 13/ Trois tableaux évocquant la nuits du 4 août ...14/ le vicomte de Lauarnais....15/ Le duc de la Rochefoucauld-Liancourt député de la noblesse 16/ Médaille momémorative. 17/Lally-Tollendal 18/ Bas relief place de la république.
Je propose pour terminer ce billet le jugement de l'historien Michel Vovelle tel qui l'exprime dans le tome 1 de la Nouvelle histoire de la France contemporaine : La chute de la monarchie. 1787-1792. (pages 133 à 134).
..[...].. L'apparente table rase s'achève dans l'enthousiasme d'une nuit blanche. Au matin on fit les comptes, et du 5 au 11 août c'est dans le cadre d'un âpre marchandage que furent rédigés les décrets définitifs. On ne revient pas sur le principe puisqu'on déclare d'entrée : « L'Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal.» Mais dans la fixation des modalités d'application les aristocrates trouvent chez certaines têtes du parti patriote (Sieyès et Mirabeau) des appuis apparemment inattendus. Les clauses du rachat des droits réels ne sont pas faites pour le faciliter : le seigneur n'a pas à faire la preuve de ses titres, l'unanimité doit être réalisée chez tous les membres de la communauté paysanne pour que l'émancipation ait lieu.... Puis le clergé défend âprement la dîme, sans succès d'ailleurs; enfin la suppression des corporations prématurément proposées, disparaît de la rédaction définitive.
La déception la plus lourde affecte les paysans : marché de dupes, penseront-ils, que cette abolition qui se solde par un rachat onéreux, voire impraticable. Mais la pratique commence à corriger l'inachèvement du nouveau droit et dès lors se dessine un mouvement de refus collectif d'acquitter les prestations anciennes.
Quelles que soit les limites de sa portée, la nuit du 4 août conserve une importance majeure dans le déroulement de la Révolution et plus largement dans l'histoire de la France moderne. Dans leur complexité, les stratifications institutionnelles qui faisaient de la France une nation incomplète, inachevée, s'effacent d'un coup. L'ancien régime social d'une société d'ordres fait place a l'égalité civile appelée par la philosophie des Lumières. L'essor du capitalisme au XIXe siècle trouve dans la libération juridique de l'individu une des conditions formelles qui lui était indispensable; à ce titre, au-delà même de la conscience immédiate qu'elle a pu en avoir, c'est la bourgeoisie qui triomphe au 4 août. La paysannerie, initiale demanderesse dans l'affrontement, y trouve également son compte : la physionomie originale d'une France de petits propriétaires émancipés de séquelles du féodalisme s'en trouvera façonnée pour plus d'un siècle. Sans aller aussi loin dans la prospective, la marche de la Révolution bourgeoise ou celle des paysans, il y aura sans doute des discordances majeurs, voire des incompréhensions radicales, mais pour la majorité de la paysannerie, la nuit du 4 août cimente un engagement irréversible dans le nouveau régime..[...]...