Idées/ Débat : Evolution démographique de l’Afrique
En tant qu’africain de cœur je lis toujours avec beaucoup d’intérêt tout ce qui concerne ce continent et cet été j’ai trouvé quelques dossiers fort intéressants notamment dans « Le Monde ». Avant de proposer quelques extraits d’articles, je fais en guise d’introduction quelques éléments de réflexions ou de constats personnels.
Quand je suis allé travailler sur un chantier de barrage au Zaïre de fin 1973 à mi-1976, ce pays grand comme 4.3 fois la France métropolitaine avait une population de l’ordre de 22 millions d’habitants. Il serait aujourd’hui sous le nom de Congo démocratique peuplé d’environ 81 millions d’habitants : 3.7 fois plus en 42 ans.
Entre mi-1976 et mi-1979 j’ai fait un parcours équivalent mais cette fois au Maroc, un pays qui hors zone désertique a une superficie représentant sensiblement 80% de la superficie de la France métropolitaine. Sa population était alors de l’ordre de 18 millions d’habitants contre 35 millions aujourd’hui, (2 fois plus en 39 ans)
Après diverses missions de plus courte durée, dont la Guinée en 1982, j’ai retrouvé l’Afrique avec un séjour professionnel au Cameroun de septembre 1983 à août 1986. Ce pays a une superficie d’environ 85% de la France métropolitaine et avait alors une population de l’ordre de 10 millions d’habitants : en 2017 elle serait de 24 millions. (2.5 fois plus en 32 ans).
Si on retient qu’en France métropolitaine il y avait 53 millions d’habitants en 1977 puis 57 millions en 1987 et 67 millions en 2017 soit une augmentation de 26% sur 40 ans et de 17% sur 30 ans. on constate des différence d'évolution assez nettes Et encore la France est le pays d’Europe qui a la démographie la plus soutenue.
Un autre point que je veux mentionner c’est l’urbanisation de population. Je ne peux parler de ce sujet que pour le Cameroun. C’est le seul pays où nous avons vécu en ville, dans la capitale à Yaoundé. Dans les pays africains les européens sont tenus d’avoir du personnel de maison. Nous avions un gardien de nuit qui était salarié de la société pour laquelle je travaillais et nous avions un ‘’boy’’ pour les travaux quotidiens que nous rémunérions selon les règles sociales du pays avec déclarations et bulletins de salaires en toute conformité. L’un de mes collègues compatriotes me proposa d’embaucher le jeune frère de son ‘’boy’’ ce qui était une façon de le former pour ce qui était l’un des postes les plus recherchés par les gens qui n’ont pas fait d’études supérieures…. Et pourtant Pierre, c’était son nom, un jeune homme attachant, était instituteur. Mais il avait été muté dans une école de brousse loin de Yaoundé, loin de sa famille et comme les conditions sanitaires dans ce village n'étaient pas satisfaisantes il était parti seul pour ce village, laissant sa femme et son bébé chez ses parents. Nous avions quelque peu mauvaise conscience tant ce pays avait besoin d’enseignants et d’éducateurs, mais nous n’étions pas là pour porter un jugement sur le choix du jeune homme…. Quant il nous a dit que son salaire n’était pas versé régulièrement, parfois avec plusieurs mois de retard et sans compter ces difficultés pour rentrer chez lui au moins une fois par mois nous avons décidé d'embaucher Pierre.... Nous ne l’avons pas regretté ; En espérant que lui ne l’ai pas regretté plus tard, après notre départ. Un matin il nous a demandé de l’accompagner à l'hôpital pour son bébé qui avait de fortes fièvres. Il fallait payer l’hospitalisation et les médicaments. L’enfant a guéri et Pierre, rien que pour ça, nous a longtemps remercié de l’avoir pris à notre service. Je sais que c’est paternaliste et un tantinet colonialiste, mais c’était aussi un peu ça l’Afrique dans les années 80…. Et je doute que ça ait beaucoup changé….
En 2100, 40 % de l'humanité sera africaine
A la fin du siècle, la part du continent dans la démographie mondiale sera comparable à celle de l'Asie, selon l'ONU
Un jeune Terrien sur trois âgé de 15 à 29 ans vivra en Afrique en 2050. C'est probablement la donnée la plus marquante de l'évolution de la démographie mondiale telle que la prévoient désormais les Nations unies.
Le tableau global est connu. De 7,5 milliards d'individus, la population de la planète passera à 9,8 milliards en 2050 pour atteindre, probablement, 11,2 milliards à la fin du XXIe siècle. Les deux géants resteront la Chine et l'Inde, qui comptent aujourd'hui respectivement 1,4 milliard et 1,3 milliard d'habitants, soit, à eux deux, plus du tiers de la population mondiale. Dès 2024, le classement s'inversera, l'Inde dépassant alors la Chine.
Mais c'est en Afrique que la population va croître le plus. Le seul Nigeria sera passé de quelque 191 millions d'habitants à plus de 410 millions en 2030, délogeant de la sorte les États-Unis de la troisième place mondiale….. [….]… L'Afrique, qui compte aujourd'hui 1,3 milliard d'habitants représentant 17 % de la population mondiale, en totalisera près de 4,5 milliards à l'horizon 2100, soit 40 % de l'humanité. Elle aura alors quasiment rejoint l'Asie, qui aura régressé de 60 % à 43 % de la population planétaire (4,8 milliards d'habitants contre 4,5 milliards actuellement). En cause, le ralentissement de la démographie chinoise, puis son lent déclin dans la deuxième moitié du siècle…. [….]…La transition démographique se fait par deux phénomènes conjugués, l'amélioration des conditions de vie, qui se traduit par un allongement de sa durée, et la diminution de la fécondité par le contrôle des naissances. On passe d'une natalité et d'une mortalité importantes qui se contrebalancent à un nouvel équilibre, avec moins de naissances et moins de décès. Dans cette période de transition, précise le démographe, il peut exister un décalage entre les deux tendances, avec des naissances toujours nombreuses alors que la mortalité régresse….. [….]….L'évolution se fait aussi du point de vue de l'éducation, en particulier celle des jeunes filles. Une scolarisation plus importante de celles-ci se traduit par un mariage et une entrée dans la " vie féconde " plus tardifs. Les problématiques sanitaires jouent également un rôle important dans la transition démographique. Enfin, l'urbanisation galopante – un milliard d'Africains devraient vivre en ville dans les vingt prochaines années – pourrait se traduire par une limitation de la fécondité, la taille des familles ayant tendance à se réduire…. […]…
Rémi Barroux. Le Monde 7 Aout 2017
« .Un milliard de citadins dans vingt ans : l’Afrique est-elle prête ?
D'ici vingt ans, un milliard d'Africains vivront dans des villes au développement anarchique….. [….]….En vingt ans, la population urbaine du continent a été multipliée par deux (472 millions d'habitants en 2015, selon les Nations unies), et elle devrait encore presque doubler au cours des vingt prochaines années, pour frôler le milliard d'habitants. L'urbanisation accompagne la transformation des économies, avec le passage de sociétés rurales peu productives à des systèmes plus complexes dans lesquels les industries et les services prennent progressivement une place prépondérante….. […]… Les villes africaines se gonflent avant tout de leur propre croissance : l'exode rural n'est responsable que pour un tiers de ces cohortes de nouveaux citadins à qui il faut donner un accès au travail, au logement, à l'école, à la santé… Les nouveaux métiers, hier promesse d'une vie meilleure pour les migrants, ne concernent pour l'instant qu'une minorité, rangée dans la catégorie de " la nouvelle classe moyenne "….. [….]… Les bidonvilles progressent au rythme de cette poussée démographique que les États et les collectivités locales dépourvues de moyens suffisants se trouvent dans l'incapacité de réguler. Aujourd'hui, plus de 60 % des urbains vivent dans des abris insalubres. … […]….Pénuries d'eau, manque d'accès à l'électricité, absence de systèmes d'assainissement, congestion des transports… Cette litanie se retrouve dans toutes les villes africaines… […]…Faute de planification urbaine, les villes s'étalent. Kampala, la -capitale de l'Ouganda, dont la croissance est l'une des plus rapides du continent, a vu son emprise passer de 71 km² à 386 km² entre 1989 et 2010. Les experts prévoient qu'à ce rythme, elle atteindra 1 000 km² en 2030, avec le risque de voir disparaître forêts et zones humides….. [….]….Cette course anarchique à l'espace est d'autant plus inquiétante que l'Afrique est particulièrement exposée aux conséquences du changement climatique. Parmi les dix pays les plus vulnérables au réchauffement, sept sont africains : la Centrafrique, l'Érythrée, l'Éthiopie, le Nigeria, la Sierra Leone, le Tchad et le Soudan. La destruction des littoraux, la déforestation, l'artificialisation des sols accroissent les conséquences des inondations auxquelles sont exposées, plus que d'autres, ces villes tropicales. Les îlots de chaleur urbains s'annoncent comme un problème grandissant. Selon l'OCDE, d'ici à 2080, plus de 900 000 personnes par an pourraient mourir en raison de ce stress thermique. »
Laurence Caramel. 30 juillet 2017. »
J’ai aussi trouvé sur internet un article plus ancien qui m’a beaucoup intéressé et dont je reporte ci après d’assez longs extraits
L’Afrique, énigme démographique. Le Monde Diplomatique novembre 2015.
D’ici à 2050, la population de l’Afrique pourrait doubler, atteignant ainsi 2,4 milliards de personnes, avant de s’établir à 4 milliards vers 2100. Inattendues, ces projections démographiques établies par l’Organisation des Nations unies bouleversent les perspectives de développement du continent, en particulier si on les met en rapport avec les chiffres de la croissance économique.
Le dernier rapport de la Banque africaine de développement, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur l’avenir économique de l’Afrique prévoit en effet que le taux de croissance moyen du produit intérieur brut (PIB) de 4,5 % observé au cours des quatre dernières années se maintiendra en 2015 et 2016. …[…]… Toutefois, si l’on s’intéresse au PIB par habitant, le tableau se dégrade: la croissance de la richesse par habitant est ramenée à 1,6 % en Afrique subsaharienne ; [….]…. En d’autres termes, la croissance démographique africaine pourrait ralentir fortement l’amélioration des conditions de vie des populations locales au cours des prochaines décennies. Cette perspective devrait conduire à envisager des mesures d’urgence; or elle suscite peu de réactions.
Actuellement, la population africaine croît de 2,5 % par an, pour une moyenne mondiale de 1,2 %.... […]… Dans le grand mouvement de la transition démographique (qui voit la mortalité et la natalité baisser toutes les deux), l’Afrique resterait donc en retrait. Mais s’agit-il d’un simple retard ? En effet, il arrive fréquemment que, au cours de la transition, la mortalité diminue avant la fécondité. S’ouvre alors une phase de forte croissance démographique, que l’on peut considérer comme une période instable de la transition. Plus cette période dure, plus la population augmente…. [….]…Mais cette croissance de la population s’explique aussi en partie par la baisse de la mortalité. L’espérance de vie sur le continent, bien qu’encore éloignée de la moyenne mondiale (70,5 ans en 2010-2015), a gagné plus de vingt ans depuis 1950, passant de 36 à 57 ans. La baisse du taux de mortalité a donc compensé la faible baisse de la fécondité. Cette évolution contribue encore à déconcerter l’observateur. Souvent, une réduction de la mortalité, surtout infantile ou juvénile, induit une baisse de la fécondité, fût-ce avec retard, les familles constatant qu’un plus grand nombre d’enfants survivent. De fait, depuis 1950, la mortalité juvénile (entre 0 et 5 ans) a été divisée par trois au sud du Sahara, passant de 30 % à 10 % ; mais cela n’a pas encore eu d’effet sur la fécondité.
En Afrique, où la plupart des naissances ont lieu au sein des mariages — ou de toute autre forme d’union reconnue—, l’évolution de l’âge lors de la première union peut jouer un rôle. Son augmentation a, par exemple, fortement contribué à la baisse de la fécondité dans un pays comme la Tunisie. Or une étude réalisée en 2003 dans trente pays d’Afrique subsaharienne a montré que le mariage y restait très précoce. Plus de la moitié des femmes entre 20 et 25 ans qui ont été interrogées avaient été mariées avant 20 ans dans les deux tiers de ces pays, et plus de 75 % dans sept pays. Une étude publiée en 2013, comparant les résultats des deux enquêtes les plus récentes dans 34 pays d’Afrique subsaharienne, a montré une augmentation moyenne de 0,3 année en cinq ans. L’élévation de l’âge du mariage est donc très lente, voire inexistante dans certains pays.
Souvent, la fécondité effective d’un pays se révèle proche du nombre d’enfants désirés par la population. Hors situation de contrainte, comme en Chine ou en Inde, la première condition pour avoir peu d’enfants est donc d’en vouloir peu. Dans la plupart des pays en développement, le nombre d’enfants désirés a chuté: entre 2 et 3. Mais, en Afrique, il demeure très élevé. […]…En outre, même lorsqu’on souhaite limiter sa descendance, encore faut-il disposer des moyens appropriés ; et la contraception reste peu répandue en Afrique….[….]….Dans l’enquête périodique réalisée par la division de la population des Nations unies, toutes les administrations d’Afrique occidentale, y compris celles du Mali et du Niger, déclarent souhaiter une diminution du taux de fécondité, en apportant notamment un « soutien direct » à la planification familiale….[…]…Les choses commencent cependant à bouger lentement. En 2011, neuf gouvernements d’Afrique de l’Ouest, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), l’Agence française de développement et plusieurs grandes fondations privées ont signé un accord, dit « partenariat de Ouagadougou », destiné à favoriser la planification familiale. Il existe aussi des initiatives locales. ….]..
Mais, en matière démographique, l’inertie est forte. C’est la raison pour laquelle les prévisions à l’horizon 2050 semblent assez solides. Les chiffres cités plus haut sont ceux de l’hypothèse moyenne dans les dernières projections des Nations unies ; celle-ci implique une forte diminution de la fécondité, le nombre moyen d’enfants devant passer de 5 à 3 en à peine plus d’une génération. Si l’on parvenait à aller encore plus vite (2,6 enfants en 2050 dans l’hypothèse basse des Nations unies), la population de l’Afrique atteindrait 2,2 milliards en 2050, soit seulement 10 % de moins que l’hypothèse centrale. A l’horizon 2100, toutefois, la baisse serait beaucoup plus substantielle: 40 %. Une fois encore, ce calcul montre que, pour obtenir un changement significatif à long terme, il est impératif de modifier très tôt les comportements…. [….]… Le meilleur levier reste toutefois une mobilisation directe des femmes. A cet égard, et même si l’effet n’est pas universel, on considère généralement qu’une élévation du niveau d’éducation des filles est indispensable. Or, en Afrique de l’Ouest par exemple, en 2010, environ 46 % des femmes de 20 à 39 ans n’avaient reçu aucune éducation (contre 31 % des hommes).
Les populations africaines aspirent légitimement à une amélioration de leurs conditions de vie, que la diminution du rythme de croissance démographique ne pourrait que favoriser. Investir dans l’éducation et améliorer le statut des femmes pourrait provoquer une « révolution contraceptive » dont les bénéfices couvriraient d’ailleurs de larges domaines de la santé, bien au-delà de la limitation des naissances.
Henri Leridon
Directeur de recherche émérite à l’Institut national d’études démographiques (INED), Paris.