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A livre ouvert...... La promesse de l'aube

29 Janvier 2018 , Rédigé par niduab Publié dans #à livre ouvert

Fin décembre j’ai fait un billet pour parler d’un très beau film que je venais de voir, « Les Gardiennes » de Xavier Beauvois et j’en ai profité pour évoquer très largement le roman éponyme d’Ernest Pérochon dont était tiré le film. J’ai préféré classer ce billet dans la rubrique « ciné-cure » car  j’avais déjà consacré un billet « A livre ouvert » à « Nène » un autre roman de Pérochon. En relisant le roman j’ai trouvé que  malgré quelques libertés nécessaires prises par le réalisateur, l’essentiel de l’histoire était présent dans le film.

La semaine dernière je suis allé voir le film d’Eric Barbier « La promesse de l’aube » d’après le récit autobiographique de Romain Gary et cette fois je fais le choix inverse en classant le billet dans la rubrique « A livre ouvert » pour la même analyse mais avec résultat inverse :  je n’avais encore jamais fait de billet sur l’œuvre de Gary, même s’il m’est arrivé d’en parler un peu dans un billet de souvenirs. Cette fois aussi j’ai relu le livre après avoir vu le film et manifestement le texte est beaucoup plus riche et ce parce que c’est un récit et non un roman ; un récit qui court sur une vingtaine d’années, de l’enfance en Pologne au retour chez lui du combattant de la seconde guerre mondiale. Quand il écrit ce livre Romain Gary a plus de 40 ans et même 46 ans quand il est publié. Le texte est enrichi par de nombreuses impressions, de jugements voire des informations du temps de l’écriture et non de l’époque du récit, ce qui ne peut-être traduit par le film, aussi beau et réussi soit-il.

Je vais donc parler plus du livre que du film mais commençons par ce dernier : c’est le sixième film d’Eric Barbier après notamment « Le brasier » en 1991  et « Le serpent » en 2007 ; Charlotte Gainsbourg est Mina Kacew la mère possessive de Romain, Gary et Pierre Niney  tient le rôle de Roman Kacew adulte (le nom réel de Gary). Pawel Puchalski  et Nemo Schiffman sont respectivement Roman enfant et Roman adolescent. On trouve aussi, au générique, Jean Pierre Daroussin et Didier Bourdon et d’autres dans des rôles très secondaires.

Je reprends la critique du magazine Studio que je complèterai ensuite : « Eric Barbier renoue avec un cinéma français romanesque. De la Pologne des années 30 aux combats aériens de la Seconde Guerre mondiale, on assiste ici à l’enfance puis à la jeunesse de Romain Gary. Barbier a réalisé un magnifique travail d’adaptation, même si on regrette l’utilisation de « retour en arrière » qui coupe le récit dans son élan, mettant en valeur cette mère à l’amour dévorant et à l’ambition démesurée pour son enfant. Charlotte Gainsbourg l’anime d’une force incandescente et l’on se prend à rêver pour elle du César de la meilleure actrice. Pierre Nimey interprète le fils, jeune adulte qui oscille avec subtilité entre embarras et la soumission. On sort du film avec l’envie de (re)plonger dans la prose de Gary et d’embrasser sa mère »

 Pierre Niney et Charlotte Gainsbourg sont magnifiques et l’on ne peut que regretter que la fidélité au récit fasse qu’ils ne soient ensemble que pour un quart du film. Les scènes de guerre ne valorise pas vraiment le jeu de Niney alors Charlotte Gainsbourg, est magnifique en mère possessive que ce soit avec Roman enfant, Roman adolescent, et Roman jeune adulte. D’ailleurs la plus belle scène du film est l’arrivée de Mina en taxi à l’école de l’air à Salon de Provence. Cette scène sert d’introduction au récit de Romain Gay et se trouve en ouverture de la bande annonce du film :

« Je l’ai vu descendre du taxi, devant la cantine, la canne à la main, une gauloise aux lèvres et, sous le regard goguenard des troufions, elle m’ouvrit ses bras d’un geste théâtral, attendant que son fils s’y jeta, selon la meilleure tradition….[…]….Je l’embrassais avec toute la froideur amusée dont j’étais capable et tentais en vain de la manœuvrer habilement afin de la dérober  aux regards mais elle fit simplement un pas en arrière pour mieux m’admirer...[…]… et s’exclama d’une voix que tout le monde entendit, et avec un fort accent russe :

Guynemer ! Tu seras un second Guynemer ! Tu verras ta mère à toujours raison !

Je sentis le sang me brûler la figure, j’entendis les rires derrière mon dos et, déjà, avec un geste menaçant de la canne vers la soldatesque  hilare, étalée devant le café, elle proclamait sur le mode inspiré :

Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d’Annunzio, Ambassadeur de France --- tous ces voyous ne savent pas qui tu es !

Je crois que jamais un fils n’a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là. Mais alors que j’essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu’elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l’Armée de l’Air, ses lèvres se mirent à trembler et j’entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports  Alors tu as honte de ta vieille mère. »

 

Je ne peux fermer la porte cinématographique sans évoquer une dernière fois la performance de Charlotte Gainsbourg et j'emprunte encore un extrait de l'interview qu'elle a accordé à Sophie Benamon du magazine Studio Ciné live :

« .... J'avais peur, je vous l'avoue, d'être gonflante ! Mina est castratrice, omniprésente et folle. Il y a plusieurs scènes où elle embarrasse son fils : devant les militaire, sur la plage.... L'amour qu'elle lui porte est démesurée, toxique d'une certaine manière. En même temps, il faut la comprendre, car elle fait office de père....... Par cet aspect-là, La promesse de l'aube n'est pas un film comme un autre. »  

Je vais terminer ce billet en reportant quelques extraits choisis dans les paragraphes qui s'écartent de la ligne strictement autobiographique de la jeunesse de l'auteur ; des confidences en quelque sorte !

«... si tous mes livres sont pleins d'appels à la dignité, à la justice, si l'on y parle tellement et si haut de l'honneur d'être un homme, c'est peut-être parce que j'ai vécu jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, du travail d'une vieille femme malade et surmenée. Je lui en veux beaucoup.» ( Page 204.)

«... J'étais bête et je le suis demeuré, bête à tuer, bête à vivre, bête à espérer, bête à triompher. Plus la situation militaire devenait grave et plus ma bêtise s'exaltait à n'y voire qu'une occasion à notre mesure et j'attendais que le génie de la patrie s'incarnât soudain dans la figure de chef selon nos meilleures traditions...[...]... Jusqu'au bout, je n'ai cessé de faire mon marché, toujours trompé et toujours preneur, et à chaque fois qu'un grand homme me claquait entre les doigts, je passais au suivant avec une confiance redoublée. J'ai donc cru successivement au général Gamelin, au général Georges, au général Weygand..... J'ai cru au général Huntziger, au général Blanchard, au général Noguès, à l'amiral Darlan et, ai-je besoin de le dire, au maréchal Pétain. C'est ainsi que j'aboutis tout naturellement au général de Gaulle, le petit doigt sur la couture du pantalon. et sans jamais le saluer. On image mon soulagement lorsque ma bêtise congénitale et mon inaptitude au désespoir trouvèrent soudain à qui parler et lorsque des profondeurs de l'abîme, exactement comme je m'y attendais, surgit enfin une extraordinaire figure de chef qui non seulement trouvait dans les événements sa mesure mais encore portait un nom bien de chez nous. Chaque fois que je trouve devant de Gaulle, je sens que ma mère ne m'avait pas trompé et qu'elle savait tout de même de quoi elle parlait.» ( Page 274)

Et puis parmi ces confidences il y en a de particulièrement sympathiques comme sa rupture avec Adèle la charcutière : «... quant à ma charcutière, son point de vue était très simple : je devais l'épouser. Elle accompagna sa mise en demeure d'un des arguments les plus étranges qu'il m'eût été donné d'entendre, dans le genre fille-mère abandonnée : Il m'a fait lire du Proust, du Tolstoï et du Dostoïevski, déclara la malheureuse avec un regard à vous fendre le cœur. Maintenant, qu'est-ce que je vais devenir ?

Je dois dire que ma mère fut très frappée par cette preuve flagrante de mes intentions et me jeta un coup d'œil peiné. J'étais manifestement allé trop loin. Je me sentais moi-même assez embarrassé, car il était exact que j'avais fait ingurgiter à Adèle tout Proust, coup sur coup, et pour elle, c'était en somme, comme si elle eût cousu sa robe de mariée. Dieu me pardonne ! Je lui avais même fait apprendre par cœur des passages d' Ainsi parlait Zarathoustra et je pouvais évidemment plus songer à me retirer sur la pointe des pieds..... Elle n'était pas, à proprement parler enceinte de mes œuvres, mais les œuvres l'avaient tout de même mise dans un état intéressant.....» (Page 206)

 

Il y a encore, entre des centaines d'anecdotes, la rencontre avec un grand romancier connu (mais dont il ne cite pas le nom) chez qui il se rend pour lui apporter en tant que jeune livreur tri-cycliste des plats fins cuisinés.

«... Mon petit, me dit-il, rappelez-vous ceci : toutes les femmes sont des garces. J'aurais du le savoir. J'ai écrit sept romans là-dessus.  Il fixait avec dégout le caviar, le champagne et le poulet en gelée. Il soupira.

Vous avez une maitresse?

Non, lui répondis-je. Je suis fauché.

Il parût favorablement impressionné. Vous êtes bien jeune, dit-il, mais vous paraissez connaître les femmes.

Et le jeune Romain entra dans le jeu du vieil écrivain misogyne en espérant se faire inviter à partager le repas.

Maître, lui dis-je, en détournant avec effort mes yeux du poulet. j'ai  été cocu, maître, affreusement cocu. Les deux femmes que j'ai aimées d'amour m'ont plaqué pour suivre des hommes de cinquante ans, que dis-je, cinquante ? l'un d'eux avait la soixantaine, bien sonnée.

Non. Dit-il, avec une satisfaction évidente. Racontez-nous ça. Tenez asseyez-vous. Autant se débarrasser de ce maudit repas. Le plus tôt il disparaîtra, le mieux ça vaudra.

Je me ruai sur le caviar. Je ne fis qu'une bouchée du foie gras et du poulet en gelée. Lorsque je mange, je mange. Je ne fignole pas. Je ne tourne pas autour du pot......etc ..  » (Page 222).......

A livre ouvert...... La promesse de l'aube
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