Saga Antillaise …… Mémoire de Guadeloupe….. 1848, Schoelcher et Perrinon
Information : Cet article a déjà été publié le 6 juin 2018. J'en propose une seconde publication, sans le moindre changement... Le lecteur pourra se reporter à l'introduction-du précédent article pour plus d'informations.
L’abolition de l’esclavage avait été déclarée par la convention le 16 pluviose de l'an II (14 février 1794), sauf que le contexte de l'époque ne permit pas d'accompagner et d’appliquer vraiment cette loi qui fut d’ailleurs abrogée par Napoléon Bonaparte le 20 mai 1802
Fin mai 2009, rentrant d’un séjour en Guadeloupe, j’ai proposé sur ce blog et à ce sujet, un billet intitulé « Mémoire de Guadeloupe... Le 27 mai : Delgrès ou Pélage ? », dont je recommande la lecture.
L’abolition de l’esclavage fut incontestablement la plus belle réussite de la IIe République, la seule du moins aboutie et c’est la raison pour laquelle je voulais évoquer cette histoire. Après « 1848, la révolution oubliée et l’apprentissage de la république » suivi de « La Révolution de 1848 dans les Deux-Sèvres » voici donc le dernier acte avec « Mémoire de Guadeloupe…1848, Schœlcher et Perrinon »
Fin 1847, ni le roi Louis-Philippe ni Guizot, son premier ministre, n’avaient envisagé d’abolir l’esclavage alors qu’un peu partout en Europe les esprits éclairés étaient préparés à cette évolution : Le Danemark avait montré la voie dès 1792, puis la Suède en 1824 puis enfin le Royaume-Uni en 1833… La monarchie de juillet poursuivait sa politique bourgeoise conservatrice….. quand une révolution inattendue la renversa. La République proclamée le 24 février 1848, ne perdit pas de temps et dès le 4 mars, elle créait une commission pour l’abolition immédiate de l’esclavage en affirmant qu’aucune terre française, aussi loin soit-elle, pouvait avoir d’esclaves. La commission constituée de Schœlcher, Perrinon, Mestre, Gatine, Wallon et Percin, se mit immédiatement au travail et décrétait l’abolition le 27 avril 1848.
La proclamation de la IIe République, connue aux Antilles avec quelques jours de retard, fut accueille avec joie en Guadeloupe. Comme en métropole, des arbres de la liberté furent plantés, et la majorité de la population attendait la fin de la servitude. Les propriétaires terriens bien évidemment craignaient eux cette révolution. Aux Antilles, l’agitation était telle qu’il n’était pas possible d’attendre l’arrivée du décret. A la Martinique il y eut des émeutes et 32 morts le 22 mai ce qui fit que le gouverneur proclama l’abolition dès le lendemain pour éviter la poursuite des troubles. En Guadeloupe, les choses se passèrent plus calmement, et c’est dans une atmosphère passionnée et enthousiaste que le gouverneur Layrie mit fin le 27 mai à deux siècles d’esclavage.
La liberté était acquise, restait à savoir ce qu’on allait en faire. Il fallait d’abord donner une identité complète à tous ceux qui venaient d’échapper à la servitude. Une commission d’état-civil fut constituée pour ouvrir de nouveaux registres, où les esclaves qui n’avaient qu’un prénom, furent dotés d’un nom. Beaucoup de nouveaux citoyens gardèrent ceux dont ils s’étaient servis jusque là se contentant d’y adjoindre un ou deux prénoms. Il y eut aussi recours à des surnoms ou sobriquets. Enfin certains prirent le nom de leur maître et ce d’autant qu’il pouvait y avoir quelques filiations officieuses.
Comment allaient vivre dorénavant ceux qui venaient d’être libérés de la servitude ? Beaucoup n’avaient guère le goût du travail de la canne qui leur rappelait trop la situation antérieure. Mais y avait-il d’autres alternatives ? Hormis le secteur sucrier, les activités industrielles étaient pratiquement inexistantes et l’artisanat ne jouait qu’un rôle très modeste. La façon de vivre des anciens esclaves ne pouvait pas être bouleversée du jour au lendemain. L’abolition ne provoqua pas d’importantes migrations des campagnes vers les villes par ailleurs de tailles modestes. L’île étant un espace clos il n’y eut finalement que peu de changements de lieu de vie. La plupart des familles restaient sur le domaine où elles avaient vécu et purent souvent conserver leur case et même un petit lopin de terre en guise de jardin à vivre à condition qu’ils travaillent sur la terre de leur patron.
Il fallait continuer à cultiver la canne et promouvoir pour cela de nouvelles relations entre les travailleurs et les colons. On eut recours à différents systèmes. Le salariat était souvent mal perçu dans l’île où les numéraires avaient toujours été rares. On décida d’avoir recours à l’association, les travailleurs signant avec le planteur un contrat où ils s’engageaient à cultiver ses champs de cannes. Les bénéfices de la vente de sucre devaient ensuite partagés en parts. Une part allait au propriétaire, d’autres aux contremaîtres et le reste partagé entre les ouvriers. Beaucoup de travailleurs s’estimèrent lésés en fin de contrat. Ils n’avaient d’ailleurs aucun moyen de contrôler les chiffres que leur avançaient le propriétaire et perdirent confiance dans ce système qui disparut assez vite.
On recourut alors au colonage partiaire. Les libérés recevaient une petite exploitation pour cultiver les cannes, puis ils apportaient leur récolte au propriétaire ou à l’usine et il était payé proportionnellement à sa production. Ce type de contrat fut le plus communément adopté car il présentait l’avantage d’accorder aux travailleurs une certaine indépendance, ruinant d’ailleurs certains propriétaires malgré les indemnités accordées pour la suppression de l’esclavage. Beaucoup furent obligés de vendre leurs terres à des entreprises métropolitaines qui voyaient les choses de beaucoup plus loin que ceux qui détenaient séculairement le sol de la colonie.
Toute une transformation sociale était en marche et elle allait profondément marquer la colonie. L’aristocratie des planteurs avait été durement touchée par l’évolution économique et sociale ; elle ne cessait de décliner. Une petite paysannerie noire se créait à la périphérie des grands domaines sucriers. Vouée surtout aux cultures vivrières, elle constituait un élément nouveau dans le paysage social antillais. Entre les grands colons déclinants et la masse des ouvriers agricoles, un groupe social était en formation avec lequel il fallait désormais compter. Enfin le personnage de l’usinier prenait chaque jour une importance croissante.
Sur le plan politique, la deuxième république avait apporté bien des changements : le suffrage universel, l’élection des députés, la liberté de la presse et le droit de réunion. La Guadeloupe, tout comme la Martinique, avait obtenu le droit d’élire à l’Assemblée trois députés et deux suppléants. Un commissaire de la République allait remplacer le gouverneur pour représenter le gouvernement au plan local. Adolphe Gatine, qui avait fait partie de la commission d’abolition, fut nommé à ce poste à la Guadeloupe et rejoignit son poste le 12 juin 1848 où il fut accueilli très favorablement. Auguste Perrinon, né en Martinique était désigné, commissaire de la République pour son île.
Les nouvelles institutions se mettaient en place. Les jurys cantonaux, constitués par des entrepreneurs, des propriétaires et des ouvriers tirés au sort, rendaient la justice aux côtés des juges de paix. Ils durent assez souvent intervenir au sujet des cases des anciens esclaves que les colons refusaient de laisser à ceux qui refusaient de travailler pour eux.
Il fallait aussi élire les représentants de l’île à l’Assemblée Constituante qui avait été désignée le 23 avril 1848 avec la victoire des républicains modérés. De nombreux journaux, vivifiés par la liberté de la presse, allaient y participer. L’Avenir et le Journal Commercial représentaient les colons. Ils disposaient d’une large audience. Pour les hommes de couleur, La Réforme défendait les idées nouvelles. De nombreux clubs s’ouvrirent comme en France. Ils jouèrent un rôle important dans la désignation des deux candidats à la députation : Schœlcher et Perrinon.
Il est temps de faire une pause pour présenter ces deux éminentes personnalités :
Victor Schœlcher est né en 1804 à Paris dans une famille catholique ; il fit de courtes études au lycée Condorcet. Jeune adulte il intégra l’entreprise de son père, une usine de porcelaine comme représentant commercial. C’est à ce titre qu’il se rendit en Amérique et à Cuba entre 1828 et 1830. Ce voyage lui ouvrit les yeux sur les horreurs de l’esclavage. Rentré en France il quittait l’entreprise familiale pour se lancer dans le journalisme. Il se politisa rapidement et adhéra à la franc-maçonnerie. En 1833, il publiait un premier ouvrage : De l'esclavage des Noirs et de la législation coloniale. Ce livre était un réquisitoire contre l'esclavage et pour son abolition, qu'il renvoyait à un futur proche, qu’il appelait de ses vœux. Mais après un nouveau voyage aux Antilles en 1840, il se prononçait pour une abolition immédiate et complète, et se consacra désormais entièrement à cette cause. En 1845, à l'occasion du débat parlementaire sur des lois d’humanisation de l’esclavage, il publiait de nombreux articles dans divers journaux et revues. En 1847 il regroupait ces articles dans un ouvrage intitulé Histoire de l’esclavage pendant ces deux dernières années. Dans lequel il déclare que « Le seul, l'unique remède aux maux incalculables de la servitude c'est la liberté. Il est impossible d'introduire l'humanité dans l'esclavage. Il n'existe qu'un moyen d'améliorer réellement le sort des nègres, c'est de prononcer l'émancipation complète et immédiate ».
Nommé sous-secrétaire d’État à la Marine et aux colonies dans Le gouvernement provisoire de 1848, il contribua à faire adopter le décret sur l'abolition de l'esclavage dans les Colonies. Ce décret signé par tous les membres du gouvernement parût au Moniteur le 5 mars.
Auguste-François Perrinon est né en août 1812 à Saint-Pierre en Martinique. Sa mère Rose était une esclave affranchie sous le Consulat. Elle se maria en 1826 avec un commerçant blanc prospère de Saint-Pierre qui reconnut ses enfants, dont François-Auguste. Celui-ci fut envoyé en France, où il devint élève de l'École polytechnique (promotion X 1832) et se spécialisa dans l'artillerie de Marine à Paris. En 1842 il faisait partie de la garnison de la Guadeloupe. Il était également franc-maçon et anti-esclavagiste. En 1847, dans une brochure intitulée Résultats d'expérience sur le travail des esclaves il s'emploie à démontrer que le travail libre était possible. Il écrivit que « moralement insoutenable, l'esclavage est économiquement une aberration ».
En 1848 Perrinon fait partie de la Commission d'abolition de l'esclavage, à l'invitation de Victor Schœlcher; à la suite du décret d'abolition de l'esclavage, il est envoyé comme commissaire général à la Martinique.
Les élections étaient programmées aux Antilles pour le 22 août 1848. Les colons présentèrent l’un d’eux : Charles Dain, avocat de Basse-Terre, issu d’une vieille famille de l’île considéré comme relativement modéré. Perrinon proposa de choisir comme suppléants Henri Wallon professeur à la Sorbonne et membre de la commission d’abolition de l’esclavage et Louisy Mathieu, un noir nouvellement affranchi.
Le 22 août les résultats des élections donnaient : Perrinon 19.233 voix, Schoelcher 16.038, Dain 10.196, Schœlcher avait été aussi élu à la Martinique et décida de représenter cette île, laissant sa place à Louisy Mathieu qui devenait le premier esclave libéré à siéger à l’Assemblée.
Mais pendant ce temps-là en métropole l’atmosphère avait changé ; si la France des terroirs avait élu une assemblée constituante relativement modérée, les journées de juin à Paris avec les révoltes ouvrières avaient épouvanté tous ceux qui se croyaient menacés par les idées socialistes. Comme en France métropolitaine les préfets retrouvaient leurs prérogatives, dans les colonies les commissaires de la république étaient remplacés par des gouverneurs. En Guadeloupe le colonel Fiéron succédait au civil Adolphe Gatine et une nouvelle période s’ouvrait pour la colonie. On se décida à recenser la population, ce qui permettait de ficher les nouveaux libres. La constitution du 12 novembre 1848 plaçait les colonies sous un régime des lois particulières qui les différenciaient de la métropole. Le procureur général Bayle Mouillard, qui s’était prononcé contre les prétentions des colons fut destitué. L'église aussi faisait le ménage : l’abbé Dugoujon qui avait déplu à la population d’origine européenne et qu’on accusait de démagogie fut renvoyé en France.
Le 10 décembre, en France métropolitaine, Louis Napoléon était élu Président de la République dès le 1er tour avec 74.3% des voix.
De nouvelles élections législatives devaient être organisées. La loi du 15 mars 1849 donnaient deux députés à élire, à la Guadeloupe et à la Martinique. Le 9 juin, la Martinique votait avec les résultats suivants : sur 29.841 votants Bissette obtenait 16.357 suffrages, Pécoul 13.482, Schœlcher 3.627 et Pory-Papy 556. Schœlcher, député sortant, était battu, ce qui montrait le reflux des idées révolutionnaires. François Pécoul était un colon blanc propriétaire. Cyrille Bissette était un riche mulâtre mais fervent abolitionniste :
Cyrille Charles Auguste Bissette est né en 1795 à Fort de France. Son père Charles Bissette était un homme de couleur libre et sa mère Elisabeth était la fille naturelle affranchie de Joseph de la Pagerie, père de Joséphine de Beauharnais, la première femme de Napoléon Bonaparte. Bien qu'appartenant à une famille riche Cyrille Bissette milita très tôt pour l'abolition de l'esclavage. En décembre 1823, circule à la Martinique un opuscule manuscrit intitulé De la situation des gens de couleur libres aux Antilles françaises. Le texte a été attribuée à Cyrille Bissette qui fut arrêté et lourdement condamné à la prison à Brest puis après un pourvoi au bannissement pour dix ans des colonies françaises. De France il reprit la lutte contre l'esclavage : en 1834, il créait une « Société des hommes de couleur », puis la « Revue des Colonies. Recueil mensuel de la politique, de l'administration, de la justice, de l'instruction et des mœurs coloniales par une Société d'hommes de couleur », dont il assure la direction. Quand la commission d'abolition de l'esclavage est créée, Bissette souhaitait en faire parti mais Schœlcher ne le retint pas. Pire, pour l'élection d'aout 1848, Cyrille Bissette posait sa candidature pour la Martinique mais il était battu par.......Schœlcher. En mars 1849, il entamait une campagne en Martinique pour les élections législatives. Il se voulait rassembleur et en appela à toutes les composantes de la population. Un béké, Auguste Pécoul, devenait son colistier. Largement soutenu par les nouveaux et anciens affranchis, les Blancs créoles et ses propres réseaux maçonniques, Cyrille Bissette fut très confortablement élu, battant largement Schœlcher qui avait fait campagne à minima de Paris. Battu en Martinique, Schœlcher pouvait se rattraper en Guadeloupe au côté de son ami Perrinon. Les planteurs guadeloupéens demandèrent à Bissette de se présenter chez eux en duo avec Richard leur candidat local.
Le 25 juin 1849, lors des élections de graves incidents éclatèrent à Marie-Galante où le maire soutenait Bissette. Une fusillade fit de nombreuses victimes. Pourtant les résultats montrèrent bien quels étaient les vœux des électeurs : Schœlcher obtenait 14.098 voix, Perrinon 14.093 alors que Bissete ne disposait que de 4.220 suffrages et Richard 4.214.
Après le coup d'état du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte : Victor Schœlcher s'exila à l'étranger, comme Victor Hugo, jusqu'à la fin du second empire. Après l'abdication de Napoléon III en 1870, il est réélu député de la Martinique à l'Assemblée nationale de mars 1871 à décembre 1875. Le , il est élu Sénateur inamovible, toujours référencé à gauche. Victor Schœlcher est mort le à l'âge de 89 ans. Il fut transféré au Panthéon en 1949 en même temps que les restes du Guyanais Félix Eboué.
Après le coup d'état de Bonaparte, Auguste François Perrinon quitta les affaires publique et s'installa à Saint Martin où il mourut en janvier 1861.
Pour faire ce billet je me suis, en grande partie inspiré d'un livre de Lucien René Abenon intitulé « Petite histoire de la Guadeloupe.» des éditions L'harmattan. Les paragraphes ou phrases en bleu sont particulièrement concernés mais reportés librement ; Je précise aussi que le chapitre " L'abolition de l'esclavage et la seconde république à la Guadeloupe " de ce livre de 215 pages est relativement court (pages 127 à 135). J'ai aussi emprunté des informations trouvées sur internet concernant Victor Schœlcher, Auguste-François Perrinon, Cyrille Charles Auguste Bissette, Louisy Mathieu mais aussi Gatine, et Wallon .... etc. Des informations reportées librement et en ne retenant que l'essentiel.