Idées & débat ….. Rousseau le visionnaire ?
C’est dans l’hebdomadaire « L’obs » du 18 juillet dernier que j’ai trouvé des articles particulièrement intéressants concernant Jean Jacques Rousseau, le philosophe des "Lumières" sans doute le plus à rebours de son temps. Peut-on pour autant en faire, plus de deux siècles après, un visionnaire des problèmes que rencontrent les civilisations développées d'aujourd'hui et ce notamment en France. Des problèmes qui sont listés en couverture de l’hebdo : Inégalité, démocratie, climat plus quelques points de suspension..... Je ne suis plus un lecteur systématique de cet hebdo qui se nommait avant le Nouvel Observateur et qui pouvait m’accompagner ou me rejoindre, par abonnement, jusqu’au bout du monde. Mais si ma fidélité avec le temps (Le "c’était mieux avant" thème éminemment rousseauiste), s’est réduite proportionnellement à la longueur du titre de l'hebdo, il n’empêche que chaque semaine je le feuillette et quand il y a au moins un sujet suffisamment étayé qui m’intéresse je l’achète ! Ce fut le cas le 18 juillet bien accroché que je fus par l’extrait proposé au sommaire : « Théoricien de l’égalité, de la souveraineté populaire et en même temps critique du progrès humain qui corrompt la nature, l’auteur du ‘’contrat social’’ est plus que jamais d’actualité. La philosophe Céline Spector nous fait découvrir la richesse et la complexité de sa réflexion politique. L’historien Antoine Liti analyse son rapport à la célébrité tandis que l’essayiste Raphaël Enthoven égratigne un philosophe qui selon lui, pense tout et son contraire ». Un extrait qui est l’introduction de l’article politique du rédacteur Sylvain Courage.
Voyons maintenant quelques extraits des penseurs d’aujourd’hui qui, dans l’Obs., ont donné leur avis sur Rousseau visionnaire (ou pas) de ce début de XIIe siècle.
Commençons par le texte de Raphael Enthoven qui est le plus caustique : «……Si vous êtes révolutionnaire et considérez que l’homme est capable de s’arracher à ses déterminations natives pour construire son avenir, alors vous êtes rousseauiste, et relisez avec plaisir les pages sur la ‘’perfectibilité’’ dans son ‘’Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes’’. Mais si vous êtes réactionnaire, et jugez que l’homme a tout perdu en oubliant ce qui était à la naissance, alors vous jubilerez en lisant dans le même texte que sa capacité d’arrachement est aussi ce qui fait de l’homme ‘’ le seul sujet à devenir imbécile’’. …..[…]… Si vous pensez que tout fout le camp (ça c’est moi) vous partagez avec Rousseau, l’incurable nostalgie d’un temps où la concurrence n’avait pas encore souillé la candeur. Si à l’inverse, vous êtes soucieux, d’ériger un ordre nouveau et de faire du passé table rase, vous êtes également rousseauiste, quoique mauvais lecteur du ‘’contrat social’’….»
Passons au texte de l’historien Antoine Liti où l’on apprend que Rousseau fut le premier intellectuel médiatique : «…. Tout avait commencé en 1751 lorsque le Genevois, âgé alors de 39 ans, connut un succès inattendu avec son "Discours sur les arts et les sciences''…… Avec une éloquence incomparable, Rousseau y alignait les paradoxes, à contre-courant de toutes les certitudes de l’époque. Voici un philosophe qui critiquait le progrès, qui affirmait que les sciences et les arts conduisaient à l’immoralité et à la décadence. De fait, pendant plusieurs années, la notoriété de Rousseau reposa d’abord sur son goût de la provocation, sons sens de la polémique et du scandale. Il choquait aussi par son attitude rompant ostensiblement avec toutes les normes habituelles qui réglaient la vie littéraire. Il se fâcha avec ses amis et protecteurs, refusa une pension du roi, décida de vivre chichement… […]... Il devint ainsi une figure intrigante, un personnage atypique qui captivait la curiosité du public, un étonnant mélange de misanthropie et de sensibilité.
Au cours des années 1790, la célébrité de Rousseau prit une nouvelle tournure. Le succès foudroyant de son roman ‘’Julie ou la Nouvelle Héloïse.‘’ fit de lui le maître de la nouvelle sentimentalité ; De nombreux lecteurs firent de Jean-Jacques un ami imaginaire qu’ils étaient toujours prêts à défendre… […].. .. Rousseau eut à peine le temps de profiter de son succès. L’année suivante la publication d’Émile et du Contrat social créa un nouveau scandale. Les livres furent condamnés ; le voici obligé de fuir la France, puis Genève. Après s’être réfugié en Angleterre, il se fâcha avec le philosophe écossais David Hume qui l’avait pris sous son aile. Dans toute l’Europe, les journaux racontaient ses moindres faits et gestes, chroniquaient son errance européenne. Le public était divisé. Ses admirateurs le plaignaient….. D’autres doutaient de sa sincérité. . […].. A bien des égards Rousseau se trouvait piégé par sa célébrité, par le succès du personnage public qu’il avait contribué à créer et dont il ne pouvait se détacher…. [..]…»
J’aborde maintenant le texte le plus important et le plus instructif pour ce qui me concerne : La philosophe Céline Spector répond aux questions de Sylvain Courage. Je ne retiens que 10 séries de questions / réponses (extraits) sur un total de 19.
Q/R n°2. Quelle est l’originalité de sa conception de la "souveraineté populaire’’ qui a ressurgi dans notre actualité politique à la faveur du mouvement des gilets jaunes.
Pour Rousseau, la souveraineté ne peut revenir qu’au peuple et ne peut rester qu’entre ses mains. Le contrat social ne saurait prendre la forme d’une délégation, sinon la liberté serait perdue… [….] Cette souveraineté populaire est une, indivisible, inaliénable, irreprésentable et absolue.
Q/R n°3; Qu’est-ce qui caractérise une certaine conception de la démocratie directe…
Tandis que Montesquieu et tous les libéraux considèrent que le gouvernement représentatif est la seule forme politique qui convienne aux peuples modernes, Rousseau explique comment la représentation produit une élite de la politique qui va s’autonomiser et fonctionner par esprit de corps. Avec la représentation, analyse-t-il, un processus de corruption et de d’usurpation s’enclenche. Le gouvernement prétendument représentatif travaille contre la souveraineté. […]
Q/R n°6, Rousseau préconise-t-il l’abolition de la propriété ?
Pour lui, un retour à l’état de nature, antérieur à l’appropriation, n’est ni possible, ni souhaitable. Rousseau soutient que la propriété est sacrée mais elle reste conditionnelle et doit être légitimée par un droit. Autrement dit, le riche ne peut jouir de la propriété et de l’héritage qu’à condition de payer sa dette à la société. Chez Rousseau, la propriété de chacun est subordonnée au fait que les besoins de tous seront satisfaits… […]
Q/R n°7, Comment riches et pauvres peuvent-il s’entendre sur le paiement de la dette sociale.
Rousseau ne fait pas confiance aux riches pour établir un pacte social. A ses yeux les plus fortunés ne peuvent proposer qu’un pacte de dupe. Par leur rhétorique ingénieuse, ils bernent le peuple en lui faisant adopter un pseudo-contrat….[…] Aux yeux de Rousseau, le seul contrat qui vaille est celui qui établit un État où nul ne peut se vendre et nul ne peut acheter personne… […]
Q/R n°8, En quoi Rousseau peut-il être considéré comme un critique du libéralisme économique ?
La théorie du libéralisme économique n’est pas encore formulée à l’époque de Rousseau… [….]… Mais il ne croit pas que la prospérité puisse provenir du fait que des propriétaires poursuivent leur intérêt particulier. Il ne voit que des contradictions dans le système social fondé sur l’exploitation des uns par les autres. Selon lui, la société concurrentielle ne produit pas la prospérité commune. Il faut que la puissance publique s’implique pour prévenir l’accroissement des inégalités et pour que tous les leviers de l’État ne tombent aux mains de quelques puissants.
Q/R n°9, Cet ‘’état égalitaire’’ n’est-il pas utopique ?
Non, Rousseau n’est pas un utopiste. Il critique au contraire l’idéalisme des physiocrates qui considère l’homme comme un être rationnel régi par ses intérêts Rousseau leur oppose le fait que l’homme est régi par ses passions, et l’idée que leur système économique ne vaut pas pour les enfants d’Adam… […]
Q/R n°12, Quel est selon Rousseau la principale menace qui pèse sur la démocratie ?
La collusion entre la volonté générale et les intérêts privés… […]… Rousseau est un penseur béat de la démocratie. Il est conscient des difficultés que peu poser la faisabilité d’un régime fondé sur la volonté générale. Dès qu’elle est corrompue, la démocratie devient un gouvernement sans gouvernement. Cette réflexion aussi a des échos contemporains.
Q/R n°13, Il y a une phrase inquiétante dans le "Contra social’’’ : ‘’ Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps’’ : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on forcera d’être libre’’… Est-il l’inspirateur du totalitarisme comme on l’en a continûment accusé ?
En isolant un moment d’une pensée complexe et paradoxale, le libéralisme antitotalitaire des années 1950 à 1971 a fait de Rousseau un précurseur du stalinisme… […]…D’un côté, il est le philosophe de l’autonomie : l’homme ne peut-être libre qu’à condition de se donner à lui-même ses lois. Et de l’autre, il considère que l’individu doit être dénaturé pour devenir citoyen et préférer l’intérêt général à son intérêt particulier. Cela peut conduire aux pires formes d’oppression quand l’État devient l’interprète de ce qui convient à l’individu. Ce paradoxe de la liberté, Rousseau l’incarne mieux que quiconque.
Q/R n°15, Dans quelle mesure Rousseau peut-il être considéré comme un critique de la modernité ?
[…]…. Il prend pour acquise la révolution scientifique. Mais il a conscience des périls autant que des promesses de la modernité et du progrès… […]… Certes les inventions de la métallurgie et de l’agriculture ont civilisé le genre humain, nous explique-t-il, mais en même temps elles l’ont corrompu de manière irréversible….. Avec la division du travail, les individus devienne dépendants les uns des autres pour subvenir à leur besoins. Ces rapports de production ont produit une forme de corruption, le début de la domination et le cortège des vices de l’amour propre. Progrès scientifique et progrès moral ne sont pas corrélés… […]
Q/R n°16, En quoi Rousseau anticipe-t-il la pensée des écologistes
Tout vient dans sa réponse à Voltaire sur le tremblement de terre de Lisbonne. Tandis que l’auteur de "Candide’’ ironise sur le "meilleur des mondes possibles", Rousseau considère que les hommes sont responsables du cataclysme. Quel besoin avaient-ils de construire autant de bâtiments de cinq à six étages dans un endroit aussi dangereux ? Pour Rousseau l’homme est responsable des maux qu’il subit et qui l’affligent…. […]
Pour terminer ce billet déjà très long je vais revenir à l’article introductif de Sylvain Courage dont j’ai utilisé le premier chapitre comme introduction et auquel j’emprunte le dernier pour la conclusion : « En même temps progressiste et conservateur, social et asocial, universel et intime, Rousseau s’est rendu indispensable. Prétendant se peindre "dans toute la vérité de sa nature.’’, l’auteur des "confessions‘’ décrit notre malaise dans la civilisation. Complexes, névroses, perversions, paranoïa et même complotisme… Il a exploré toutes les failles narcissiques, qui sont aussi les nôtres jusqu’au vertige d’une célébrité qu’il a recherchée et détestée. Mais il est aussi à nos yeux ce marcheur contemplatif qui reprend goût à la vie en se connectant à la nature. Un été avec Rousseau ? Relire ‘’Les rêverie du promeneur solitaire’’…… » Chiche ! …
Et merci pour cette très agréable et instructive étude dont on ne peut nier un certain lien avec le mouvement des gilets jaunes. Du coup j'en conclue, en bon républicain social-démocrate & écolo, que je ne suis pas très rousseauiste malgré mes fréquents "c'était mieux avant" qui ne concernent toutefois que des domaines culturels particuliers, à la papa. Pardon à la papy.
Des domaines qui servent souvent de sujet à mes textes et qui sont répartis sur ce blog en une bonne douzaine de catégories sur les 18 affichées. (Et la catégorie rugby est très concernée..... depuis que ce sport s'est professionnalisé à outrance dans la ligne du détestable football.)