Invités ...... Jérôme Pintoux et ses nouvelles interviews d'outre tombe.... Guy de Maupassant.
J'ai fait connaissance avec ce livre et son auteur en février 2012, à la librairie des Halles à Niort où Jérôme Pintoux était venu présenter son ouvrage. Pendant qu'il discutait avec quelques personnes j'ai feuilleté le livre et notamment lu sa préface dont voici quelques extraits : « Des interviews fictives ? Qu'est-ce que c'est donc. C'est un ouvrage à la fois ludique et pédagogiques, une véritable initiation à la littérature française et à l'histoire littéraire, si oubliée....[..]... j’ai fait semblant de rencontrer des grands hommes du passé et je leur ai posé des questions qui me seraient venues à l'esprit si j'avais vraiment eu la chance de les côtoyer...[..]... Le but, c'est surtout de faire lire tous ces auteurs ou de les faire relire, d'inciter le lecteur à se plonger dans leurs œuvres...[..]... Interviews fictives, le genre peut paraître original mais, en fait, il n'est pas nouveau. Je n'ai fait que continuer une longue tradition tomber en désuétude, les dialogues des morts. » J'avais un coup de cœur pour ce bouquin et une heure plus tard je quittai la librairie après une très intéressante discussion avec le professeur Pintoux et une sympathique dédicace plus un échange de mails.
Au fil du temps nous eûmes des échanges enrichissants qui se sont poursuivis sur Face-book, mais j'en parlerai un peu plus, en fin de billet. Il est temps de parler de ses dernières interviews de Guy de Maupassant. C'est un recueil de 52 entretiens, plus 14 autres textes le concernant de près ou de loin un ensemble que les lecteurs gourmands ou impatients pourront trouver directement à l'adresse suivante : https://www.amis-flaubert-maupassant.fr/guy-de-maupassant/…/. Il s'agit du site d'une très sympathique association des amis de Flaubert et de Maupassant.
Mais pour les curieux ou indécis qui veulent en savoir un peu plus sur ces interviews avant de cliquer sur le lien je leur propose de découvrir, si après, trois entretiens choisis parmi les livres les plus connus de Maupassant.
n°7. Nouvelle interview de Guy de Maupassant, pour La Maison Tellier, en 1881.
Guy de Maupassant, les hommes qui fréquentaient la maison Tellier, ce n’étaient pas spécialement des débauchés ?
Non, ce n’étaient pas des noceurs, mais des hommes honorables, des commerçants, des jeunes gens de la ville ; et l’on prenait sa chartreuse en lutinant quelque peu les filles, ou bien on causait sérieusement avec Madame, que tout le monde respectait.
C’était une maison close de Fécamp ?
Oui. La maison était familiale, toute petite, peinte en jaune, à l’encoignure d’une rue derrière l’église Saint-Etienne ; et, par les fenêtres, on apercevait le bassin plein de navires qu’on déchargeait, le grand marais salant appelé « la Retenue" et, derrière, la côte de la Vierge avec sa vieille chapelle toute grise.
La mère maquerelle, c’était une Normande ?
Madame était issue d’une bonne famille de paysans du département de l’Eure. Elle avait accepté cette profession absolument comme elle serait devenue modiste ou lingère. Le préjugé du déshonneur attaché à la prostitution, si violent et si vivace dans les villes, n’existe pas dans la campagne normande. Le paysan dit : « C’est un bon métier » ; et il envoie son enfant tenir un harem de filles comme il l’enverrait diriger un pensionnat de demoiselles.
Madame Tellier était un peu snob et élitiste ?
Oui, un peu. Disons qu’elle était fière. Les gros mots la choquaient toujours un peu. Elle avait l’âme délicate et, bien que traitant ses femmes en amies, elle répétait volontiers qu’elles « n’étaient point du même panier ».
Elle était toujours très sérieuse ?
Oui. Sa conversation grave faisait diversion aux propos sans suite des trois femmes ; elle était comme un repos dans le badinage polisson des particuliers ventrus qui se livraient chaque soir à cette débauche honnête et médiocre de boire un verre de liqueur en compagnie de filles publiques. L’une des prostituées,
Raphaëlle, avait un côté exotique ?
Raphaële, une Marseillaise, roulure des ports de mer, jouait le rôle indispensable de la belle Juive, maigre, avec des pommettes saillantes plâtrées de rouge. Ses cheveux noirs, lustrés à la moelle de bœuf, formaient des crochets sur ses tempes. Son nez arqué tombait sur une mâchoire accentuée où deux dents neuves, en haut, faisaient tache à côté de celles du bas qui avaient pris en vieillissant une teinte foncée comme les bois anciens.
Une autre catin, Rosa la Rosse, semblait plus gaie et plus joyeuse ?
Rosa la Rosse, une petite boule de chair tout en ventre avec des jambes minuscules, chantait du matin au soir, d’une voix éraillée, des couplets alternativement grivois ou sentimentaux, racontait des histoires interminables et insignifiantes, ne cessait de parler que pour manger et de manger que pour parler, remuait toujours, souple comme un écureuil malgré sa graisse et l’exiguïté de ses pattes ; et son rire, une cascade de cris aigus, éclatait sans cesse, de-ci, de-là, dans une chambre, au grenier, dans le café, partout, à propos de rien.
Les filles du rez-de-chaussée paraissaient encore plus vulgaires ?
Oui… Elles avaient l’air de filles de cuisine habillées pour un carnaval.
Certaines pièces de la maison sacrifiaient à la mythologie gréco-romaine ?
Le salon de Jupiter, où se réunissaient les bourgeois de l’endroit, était tapissé de papier bleu et agrémenté d’un grand dessin représentant Léda étendue sous un cygne. On parvenait dans ce lieu au moyen d’un escalier tournant terminé par une porte étroite, humble d’apparence, donnant sur la rue, et au-dessus de laquelle brillait toute la nuit, derrière un treillage, une petite lanterne comme celles qu’on allume encore en certaines villes aux pieds des madones encastrées dans les murs.
n° 29. Nouvelle interview de Guy de Maupassant pour Bel-Ami, en 1885.
Guy de Maupassant, dans Bel-Ami, Georges Duroy semblait sûr de lui : il savait qu’il était beau garçon ?
Comme il portait beau, par nature et par pose d’ancien officier, il cambrait sa taille, frisait sa moustache d’un geste militaire et familier, et jetait sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s’étendent comme des coups d’épervier.
C’était un ancien militaire ?
Oui. Les chasseurs d’Afrique… Il marchait ainsi qu’au temps où il portait l’uniforme des hussards, la poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes comme s’il venait de descendre de cheval ; et il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route. Il inclinait légèrement sur l’oreille son chapeau à haut de forme assez défraîchi, et battait le pavé de son talon. Il avait l’air de toujours défier quelqu’un, les passants, les maisons, la ville entière, par chic de beau soldat tombé dans le civil.
Il avait un côté un peu voyou ?
Grand, bien fait, blond, d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d’une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.
Durois était devenu journaliste ?
Oui. Il avait connu les coulisses des théâtres et celles de la politique, les corridors et les vestibules des hommes d’Etat et de la Chambre des députés, les figures importantes des attachés de cabinet et les mines renfrognées des huissiers endormis. Il était devenu en peu de temps un remarquable reporter, sûr de ses informations, rusé, rapide, subtil, une vraie valeur pour le journal, comme disait le père Walter, qui s’y connaissait en rédacteurs.
Monsieur Walter l’appréciait ?
Oui. Il lui avait confié les Échos, qui sont, disait-il, la moelle du journal. C’est par eux qu’on lance les nouvelles, qu’on fait courir les bruits, qu’on agit sur le public et sur la rente. Entre deux soirées mondaines, il faut savoir glisser, sans avoir l’air de rien, la chose importante, plutôt insinuée que dite. Il faut penser à tout et à tous, à tous les mondes, à toutes les professions, à Paris et à la Province, à l’Armée et aux Peintres, au Clergé et à l’Université, aux Magistrats et aux Courtisanes.
Boisrenard ne faisait plus l’affaire ?
Cette fonction avait été remplie jusque-là par le secrétaire de la rédaction, M. Boisrenard, un vieux journaliste correct, ponctuel et méticuleux comme un employé. Ce journaliste, qui avait pour lui une longue pratique, manquait de maîtrise et de chic ; il manquait surtout de la rouerie native qu’il fallait pour pressentir chaque jour les idées secrètes du patron. Duroy devait faire l’affaire en perfection, et il complétait admirablement la rédaction de cette feuille « qui naviguait sur les fonds de l’Etat et sur les bas-fonds de la politique », selon l’expression de Norbert de Varenne.
Il y avait aussi des pages culturelles ?
Oui. Afin de donner au journal une allure littéraire et parisienne, on y avait attaché deux écrivains célèbres en des genres différents, Jacques Rival, chroniqueur d’actualité, et Norbert de Varenne, poète et chroniqueur fantaisiste, ou plutôt conteur, suivant la nouvelle école.
Norbert de Varenne avait écrit un recueil de poèmes ?
Oui. Soleils morts.
n°43. Nouvelle interview de Guy de Maupassant, pour Le Horla, en 1887.
Guy de Maupassant, le héros du Horla avait profondément aimé sa Normandie natale ?
Oui. Il avait aimé ce pays, et il avait aimé y vivre parce qu’il y avait ses racines, ces profondes et délicates racines qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui même.
Rouen non plus ne l’avait pas laissé indifférent ?
Rouen… La vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées, jetant leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d’airain que la brise apporte.
Parfois ce personnage se sentait bizarrement dépressif ?
Oui… On dirait que l’air, l’air invisible est plein d’inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Soudain, après une courte promenade, il rentrait désolé, comme si quelque malheur l’avait attendu chez lui…
Nos sens sont terriblement imparfaits ?
Nos sens sont misérables… Nos yeux ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d’une étoile, ni les habitants d’une goutte d’eau… Notre odorat est plus faible que celui du chien… Notre goût peut à peine discerner l’âge d’un vin !
Ce personnage étrange avait une maladie nerveuse ? Il était allé voir son médecin ?
Il était allé consulter son médecin, car il ne pouvait plus dormir. Il lui avait trouvé le pouls rapide, l’œil dilaté, les nerfs vibrants, mais sans aucun symptôme alarmant. Il avait dû se soumettre aux douches et boire du bromure de potassium.
La nuit l’angoissait et l’avait rendu à moitié fou ?
A mesure qu’approchait le soir, une inquiétude incompréhensible l’envahissait, comme si la nuit cachait pour lui une menace terrible.
Ses cauchemars l’avaient vraiment accablé ?
Il avait senti que quelqu’un s’était approché de lui, l’avait regardé, l’avait palpé, était monté sur son lit, s’était agenouillé sur sa poitrine, lui avait pris le cou entre ses mains et avait serré… serré… de toute sa force pour l’étrangler.
Le Horla, c’est une histoire de double ?
Oui, de double maléfique.
Remarques : J'ai assez souvent repris sur ce blog les interviews de Jérôme Pintoux, dont le premier pour vanter les mérites du livre juste une semaine après l'avoir acheté à la librairie des halles et le dernier en juillet 2017 intitulé « brèves de lettres.... Qui c'est. » où je racontais comment Jérôme avait lancé sur Facebook un jeu nouveau en proposant des interviews fictives sans dire qui était le personnage interviewé. A ses amis de trouver ! C'était super ludique et presque tout autant pédagogique.
Dans ce billet je liste aussi la plupart des entretiens et des livres que j'ai empruntés pour le plaisir et nourrir culturellement le blog. Encore merci Jérôme !
Et dans l'attente de futures interviews de Flaubert, sans doute l'an prochain pour son bicentenaire.
Et n'oublions pas que Jérome Pintoux, professeur-écrivain est aussi un spécialiste reconnu de musiques diverses : notamment chanteurs français et groupes Britanniques dont son dernier livre qui concerne l'évolution du groupe Soft Machine.