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A livre ouvert.... Voyage au bout de la nuit.

20 Mars 2021 , Rédigé par niduab Publié dans #à livre ouvert

   

Après avoir vu les horreurs de son époque le docteur Louis-Ferdinand Destouches, publiait, en 1932, sous le nom de Céline son premier roman « Voyage au bout de la nuit » qui fut récompensé du prix Renaudot. Ce médecin des quartiers populaires inventait un style qui faisait passer les émotions par des mots courants teintés d'argot mais sans trop alourdir sa prose par trop de descriptions. Il ne raconte pas : il laisse parler ses personnages comme le faisait, depuis peu, le cinéma parlant. 

« Voyage au bout de la nuit » commence par une virulente dénonciation de la guerre, fondée sur les souvenirs des combats auxquels il a participé et au cours desquels il a été gravement blessé.
 Extraits pages 28 à 29 : Un messager perturbé porte une mauvaise nouvelle au colonel.... « L'homme arriva à sortir de sa bouche quelque chose d'articulé : Le maréchal des logis Barousse vient d'être tué, mon colonel, qu'il dit d'un trait.... Et alors? .....Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Étrapes, mon colonel! ....Et alors ? ...Il a été éclaté par un obus ! ....Et alors, nom de Dieu! ...Et voila! Mon colonel... C'est tout ? ....Oui, c'est tout mon colonel..... Et le pain ? demanda le colonel.... [...]... Après ça, rien que du feu, puis du bruit comme on ne croirait jamais qu'il en existe.... [...]...  j'ai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait d'éclater... [..]…. C'était une bonne nouvelle. Tant mieux ! ....:« C'est une bien grande charogne en moins dans le régiment ! Il avait voulu me faire passer en Conseil de guerre pour une boite de conserves. « Chacun sa guerre ! » que je me suis dit. De ce côté là, elle avait l'air de servir à quelque chose la guerre ! J'en connaissais bien encore trois ou quatre dans le régiment, de sacrées ordures que j'aurai aidé bien volontiers à trouver un obus comme Barousse.
 Quand  au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il était mort. Je ne le vis plus tout d'abord. C'est qu'il avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par l'explosion et projeté jusque dans les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils s'embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours, mais le cavalier n'avait plus sa tête, rien qu'une ouverture au dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ca avait du lui faire mal ce coup là au moment où c'était arrivé. Tant pis pour lui ! S'il était parti dès les premières balles, ça ne lui serait pas arrivé.
 Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble. Des obus éclataient encore à la droite et à la gauche de la scène. 
J’ai quitté ces lieux sans insister, joliment heureux d'avoir un aussi beau prétexte pour foutre le camp. J'en chantonnais même un brin, en titubant......»

 Revenu de la guerre mutilé dans sa chair et dans son esprit, Céline en a dénoncé la monstruosité, comme il dénoncera l’injustice de la colonisation à laquelle il a participé ensuite, dans la foret camerounaise de juin 2016 à Avril 1917.
Extrait pages 168 à 171 : Le directeur de la Compagnie Pordurière du Petit Congo cherchait, m'assura-t-on, un employé débutant pour tenir une de ses factoreries de brousse. J'allais sans plus tarder lui offrir mes incompétents mais empressés services. Ce ne fut pas une réception enchantée qu'il me réserva le directeur. Ce maniaque -- il faut l'appeler par son nom -- habitait un pavillon spacieux. Avant même de m'avoir regardé, il me posa quelques questions fort brutales sur mon passé, puis un peu calmé par mes réponses toutes naïves, son mépris à mon égard prit un tour assez indulgent. Cependant il ne jugea point convenable de me faire asseoir encore. -- D'après vos papiers vous savez un peu de médecine, remarqua-t-il. Je lui répondis qu'en effet j'avais entrepris quelques études de ce coté. -- Ca vous servira alors ! fit-il. Voulez-vous du whisky ? Je ne buvais pas;  Voulez-vous fumer ? » Je refusais encore. Cette abstinence le surprit. Il fit même la moue. Je n'aime guère les employés qui ne boivent ni ne fument... Êtes-vous pédéraste par hasard ? ... Non ? Tant pis ! Ces gens là nous volent moins que les autres... Voilà ce que j'ai noté par expérience... Ils s'attachent... Vous nous prouverez peut-être le contraire !... Et puis enchaînant : Vous avez chaud ?, hein ? Vous vous y ferez ! Il faudra vous y faire d'ailleurs ! Et le voyage ? « Désagréable.» lui répondis-je. Eh bien mon ami, vous n'avez encore tout vu, vous m'en direz des nouvelles du pays quand vous aurez passé un an à Bikomimbo, là où je vous envoie pour remplacer cet autre farceur...
Sa négresse, accroupie près de la table, se tripotait les pieds et se les récurait avec un petit bout de bois. -- Vas-t-en boudin ! lui lança son maître. Va me chercher le boy ! Et puis de la glace en même temps ! Le boy demandé arriva fort lentement. Le Directeur se levant alors, agacé ; d'une détente, il reçut le boy d'une formidable paire de gifles et de deux coups de pieds dans le bas ventre qui sonnèrent..... Ces gens-là me feront crever, voilà tout ! Prédit le Directeur en soupirant, et il se laissa retomber dans son fauteuil.... [..]...Et puis il s'arrêta de parler, il soupirait, grognant, répétant encore trois fois « Merde », s'épongea et reprenait la conversation : Là, où vous allez pour la Compagnie c'est la pleine forêt, c'est humide... C'est à dix jours d'ici ... la mer d'abord, et puis le fleuve... [...]... C'est peut-être pas la peine qu'on se revoie avant votre départ Bardamu ! Tout fatigue ici ! Enfin, j'irai peut-être vous surveiller aux hangars quand même avant votre départ ! On vous écrira quand vous serez là-bas... y a un courrier par mois... Il part d'ici le courrier... Allons bonne chance !

 Envoyé en mission aux États-Unis par la Société des nations, en visite aux usines Ford, Céline découvrira une autre forme d'esclavage, l'exploitation de l'homme par l'homme à l'aide de machines ; c'est le monde du prolétariat victime du capitaliste. 
Extrait pages 285 à 289 : Je suis arrivé devant les grands bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin, dans lesquelles on discernait des hommes à remuer, mais à remuer à peine, comme s'ils se débâtaient contre je ne sais quoi d'impossible. C'était ça Ford? Et puis tout autour et au-dessus jusqu'au ciel un bruit lourd et multiple d'un torrent d'appareils, l'entêtement des mécaniques à tourner, rouler, gémir, toujours prêtes à casser et ne cassant jamais. « C'est donc ici que je me suis dit... C'est pas excitant...». C'était même pire que tout le reste. Je me suis approché de plus près, jusqu'à la porte où c'était écrit sur une ardoise qu'on demandait du monde. J'étais pas seul à attendre.... Dans cette foule presque personne ne parlait l'anglais. Ils s'épiaient entre eux comme des bêtes sans confiance, souvent battues....... Il pleuvait sur notre petite foule. Les filles se tenaient comprimée sous les gouttières. C'est très compressible les gens qui cherchent un boulot. Ce qu'ils trouvaient bien chez Ford, que m'a expliqué un vieux Russe c'est qu'ils embauchaient n'importe qui et n'importe quoi. « Seulement, prend garde, qu'il a ajouté, pour ma gouverne, faut pas craner chez lui, parce que si tu cranes on te foutra à la porte en moins de deux et tu seras remplacé en moins de deux aussi par une des machines mécaniques qu'il a toujours prêtes et t'auras le bonsoir alors pour y retourner ! ».... C'est vrai ce qu'il m’expliqua qu'on prenait n'importe qui chez Ford. Il avait pas menti Je me méfiais quand même parce que les miteux ça délire facilement... [...]... A poil qu'on nous a mis pour commencer, bien entendu. La visite ça se passait dans une sorte de laboratoire. Nous défilions lentement. « Vous êtes mal foutu, qu'a constaté l'infirmier en me regardant d'abord, mais ça fait rien.» Ils avaient l'air d'être content de trouver des moches et des infirmes dans notre arrivage. --- Pour ce que vous ferez ici, ça n'a pas d'importance, comment vous être foutu ! m’a rassuré le médecin examinateur, tout de suite. --- Tant mieux que j'ai répondu mais vous savez monsieur, j'ai de l'instruction et même j'ai entrepris autrefois des études médicales...... Du coup, il m'a regardé d'un sale œil. J'ai senti que je venais de gaffer une fois de plus et à mon détriment. ---- Ca vous servira à rien vos études, mon garçon ! Vous n'êtes pas venu ici pour penser, mais pour faire les gestes qu'on vous commandera d'exécuter... Nous n'avons pas besoin d'imaginatif dans notre usine. C'est de chimpanzés dont nous avons besoin... Un conseil encore! Ne nous parlez plus jamais de votre intelligence ! On pensera pour vous mon ami ! Tenez-vous-le pour dit..... Il avait raison de me prévenir. Valait mieux que je sache à quoi m'en tenir sur les habitudes de la maison... [...]....Alors à force de renoncer, peu à peu, je suis devenu comme un autre... Un nouveau Ferdinand... Après quelques semaines. Tout de même l'envie de revoir des gens dehors me revint....

 Il était temps pour Ferdinand Bardamu de rentrer chez lui où il pourra côtoyer une autre misère humaine quotidienne mais de proximité et quasiment familiale. Il retourne donc en France pour terminer ses études de médecine et devenir médecin des pauvres. Il exerce alors dans la banlieue parisienne, où il rencontre la même détresse qu'en Afrique ou dans les tranchées de la Première Guerre mondiale.
Extraits pages 303 à 304: C'est pas le tout d'être rentré de l'Autre Monde ! On retrouve le fil des jours comme on l'a laissé à traîner par ici, poisseux, précaire. Il vous attend. J'ai tourné encore pendant des semaines et des mois tout autour de la place Clichy, d'où j'étais parti, et aux environs aussi, à faire des petits métiers pour vivre, du côté des Batignolles. Pas racontables! Sous la pluie ou dans la chaleur des autos, juin venu, celle qui vous brûle la gorge et le fond du nez, presque comme chez Ford. Je les regardais passer et passer encore, pour me distraire, les gens filant vers leur théâtre ou le Bois, le soir. Toujours plus ou moins seul pendant les heures libres je mijotais avec des bouquins et des journaux et puis aussi avec toutes les choses que j'avais vues. Mes études, une fois reprises, les examens je les ai franchis, à hue à dia, tout en gagnant ma croute. Elle est bien défendue la Science, je vous le dit, la Faculté c'est une armoire bien fermée. Des pots en masse, peu de confiture. Quand j'ai eu tout de même terminé mes cinq ou six années de tribulation académiques, je l'avais mon titre, bien ronflant. Alors j'ai été m'accrocher en banlieue, mon genre, à la Garenne-Rancy, dès qu'on sort de Paris, tout de suite après la porte Briançon. Je n'avais pas de prétention moi, ni d'ambition non plus, rien que seulement l'envie de souffler un peu et de mieux bouffer un peu. Ayant posé ma plaque à ma porte, j'attendis. Les gens du quartier sont venus la regarder ma plaque, soupçonneux. Ils ont même été demander au Commissariat de Police si j'étais bien un vrai médecin. Oui, qu'on leur a répondu. Il a déposé son diplôme, c'en est un. Alors il fut répété dans tout Rancy qu'il venait de s'installer un vrai médecin en plus des autres. « Y gagnera pas son bifteck ! a prédit tout de suite ma concierge. Il y a bien trop de médecins ici ! » Et c'était exactement observé.   

 Je vois que je j'ai choisi quatre extraits du roman, un extrait pour chacune des quatre grandes parties, mais sans mentionner une seule fois Léon Robinson qui est présent dans chaque partie ; Barmadu et Robinson furent compagnon de guerre, un temps ami puisqu'ils partageaient les dégouts, puis il d'avéra au fil des rencontres que le Léon était quelque peu douteux, passablement  intrigant, et trop collant. Je vais donc sommairement corriger cet oubli par quelques extraits complémentaires

 Dans l'épisode de la guerre (page 60) : Robinson que je me suis dit ! C'est mon nom Robinson -- Robinson Léon -- C'est maintenant ou jamais qu'il faut que tu les mettes que je me suis dit !... Pas vrai ? J'ai donc pris le long du petit bois et puis là, figure-toi que j'ai rencontré notre capitaine...Il était appuyé à un arbre, bien amoché ... En train de crever qu'il était... Il se tenait la culotte à deux mains... Il saignait de partout en roulant des yeux....Y avait personne avec lui... Il avait son compte... Maman, maman ! Qu’il pleurnichait en crevant.

 Dans l'épisode africain c'est une courte rencontre incertaine lors d'une nuit à Bikomimbo (page 218 à 221) : Comment vous appelez-vous? N'est ce pas Robinson ? Lui demandai-je. Il était en train de me répéter que les indigènes dans ces parages souffraient jusqu'au marasme de toutes les maladies attrapables et qu'ils n'étaient point, ces miteux, en état de se livrer à un commerce quelconque.... La figure de ce Robinson m'apparut encore une fois avant que j'éteignisse, voilée par cette résille d'insectes. C'est pour cela peut-être que ses traits s'imposèrent plus subtilement à ma mémoire alors qu'auparavant ils ne me rappelaient rien de précis et puis.... Tout est revenu, des années venaient de passer d'un coup. A présent que je l'avais repéré je ne pouvais m'empêcher d'avoir peur, m'avait-il reconnu lui ? En tout cas il pouvait compter sur mon silence et ma complicité. : Robinson ! Robinson ! l’appelais-je, gaillard, comme pour lui annoncer une bonne nouvelle. Hé mon vieux ! Hé Robinson ! Aucune réponse..... J'attendis le jour... Plus de Robinson. Enfin moi c'est la caisse surtout que je regrettais surtout dans cette histoire... Cette circonstance me fit présumer que Robinson renoncerait à revenir rien que pour m'assassiner. 

 Dans l'épisode américain c'est dans un tramway que se firent les retrouvailles (page 296 à 298) : Une nuit je descendais d'un tramway quand j'ai attendu qu'on l'appelait par mon prénom Ferdinand ! Hé Ferdinand ! En me retournant je l'ai reconnu toute suite Léon. En chuchotant il m'a retrouvé et on s'est expliqué. Je lui ai parlé du coup de galère à San Tapeta. Mais il ne comprenait pas ce que ça voulait dire. Lui travaillait à nettoyer les bureaux. C'est tout ce qu'il avait trouvé comme combine. Il aurait bien essayé de se placer chez Ford mais ces papiers vraiment trop faux pour oser les montrer, l'arrêtaient. A deux ou trois reprises on s'est retrouvé avec Robinson. Il avait bien mauvaise mine. Un déserteur français qui fabriquait des liqueurs en fraude lui avait laissé un petit coin de son « business.»..... Je veux rentrer en France que je lui dis....

Dans le dernier épisode, l'épisode banlieusard (page 303 à 632) soit plus de la moitié du roman Robinson est forcément présent. Des la page 343 il pointe son nez : On me retirera difficilement de l'idée que si ça m'a repris, ça n'est pas surtout à cause de Robinson.... et j'ai recommencé à dormir encore plus mal que d'habitude. De le rencontrer à nouveau, Robinson, ça m'avait donné un coup et comme une espèce de maladie qui me reprenait. Avec sa gueule toute barbouillée de peine, ça me faisait comme un sale rêve qu'il me ramenait et dont je n'arrivais à me délivrer depuis trop d'années déjà. J'en bafouillais. Il était venu retomber là, devant moi. Je n’en finirais pas. Sûrement qu'il m'avait cherché par ici. J'essayais pas d'aller le revoir moi, bien sûr.... A la page 437 Léon Robinson quitte Rancy pour Toulouse où il rencontre Madelon.........mais ils reviendront et la fin de l'histoire sera dramatique.

Sources : J'ai lu « Voyage au bout de la nuit » il y a bien longtemps, je devais avoir la trentaine pour voir ce qu'un auteur maudit (présenté comme antisémite et futur collabo) pouvait écrire pour son premier roman publié en 1932. Je dois bien avouer que j'ai aimé, même si je trouve que l'épisode banlieusard est un peu lourdingue. Quand j'ai ouvert ce blog je savais qu'il faudrait que je fasse un billet sur ce roman. J'ai mis du temps.... En février 2011 j'ai acheté le Magazine littéraire qui mettait Céline en couverture, puis en juillet 2014 je me suis procuré le Hors série Le Monde, une vie, une œuvre : Céline entre génie et provocation. En plus de m'instruire j'ai surtout retenu le plan de travail de ce dernier magazine. Par contre je n'ai pas reporté leurs extraits de textes mais ceux qui m'avaient le plus marqué.

 

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