L'invité .... Jean Jaurès...., ses derniers textes.
« L'HORRIBLE CAUCHEMAR » Dix jours avant qu'éclate le premier conflit mondial, Jaurès est à Vaise, dans l'agglomération lyonnaise. Venu soutenir un candidat SFIO dans une législative partielle, l'orateur annonce l'« énormité du désastre » et impute à la France une part des responsabilités du conflit. Cette prière pacifiste paraît dans le quotidien socialiste local, L'Avenir socialiste. Avec l'Union sacrée, ce texte devient cependant impubliable, en tout cas dans L'Humanité. Mais il est une référence pour les pacifistes socialistes pendant le conflit.
La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l'Autriche ont contribué à créer l'état de choses horrible où nous sommes. L'Europe se débat comme dans un cauchemar.
Eh bien ! Citoyens, dans l'obscurité qui nous environne, dans l'incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, j'espère encore malgré tout qu'en raison même de l'énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n'auront pas à frémir d'horreur à la pensée du cataclysme qu'entrainerait aujourd'hui pour les hommes une guerre européenne.
Vous avez vu la guerre des Balkans, une armée presque entière a succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d'hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent milles hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d'hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille hommes.
Songez à ce que serait le désastre pour l'Europe : ce serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d'hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie ! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l'orage est déjà sur nous, voila pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s'il nous reste quelque chose, s'il nous reste quelques heures, nous redoublerons d'efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans les Vorwârts, nos camarades socialistes d'Allemagne s'élèvent avec indignation contre la note de l'Autriche et je crois que notre bureau socialiste international est convoqué.
Quoi qu'il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n'y a plus, au moment où nous sommes menacé de meurtre et de sauvagerie, qu'une chance pour le maintient de la paix et de salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d'hommes de s'unir pour que le battement unanime de leur cœur écarte l'horrible cauchemar.
J'aurais honte de moi même, citoyens, s‘il n'y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d'une victoire électorale, si précieuse qu'elle puisse être, le drame des évènements. Mais j'ai le droit de vous dire que c'est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l'orage, la seule promesse d'une possibilité de paix ou d'un rétablissement de la paix.
Jean Jaurès. Justice d'abord !
« SANG FROID NECESSAIRE ». Au matin du 31 juillet 1914, L'Humanité publie sous ce titre le dernier éditorial de Jaurès. Pour empêcher la guerre, ce dernier compte sur l'« intelligence du peuple » afin de faire pression sur le gouvernement français par une campagne savamment orchestrée, dont il prévoit le point d'orgue le 9 août, avec le congrès de la IIe Internationale. Trop tard donc.... Le soir du 31 juillet, Raoul Villain interrompt tragiquement son œuvre.
Le plus grand danger à l'heure actuelle n'est pas, si je puis dire, dans les événements eux-mêmes. Il n'est même pas dans les dispositions réelles des chancelleries si coupables qu'elles puissent être ; il n'est pas dans la volonté réelle des peuples; il est dans l'énervement qui gagne, dans l'inquiétude qui se propage, dans les impulsions subites qui naissent de la peur, de l'incertitude aiguë, de l'anxiété prolongée. A ces paniques folles les foules peuvent céder et il n'est pas sûr que les gouvernements n'y cèdent pas. Ils passent leur tour (délicieux emploi) à s'effrayer les uns les autres et à se rassurer les uns les autres. Et cela, qu'on ne s'y trompe pas, peut durer des semaines. Ceux qui s'imagine que la crise diplomatique peut être et doit être résolue en quelques jours se trompent. De même que les batailles de la guerre moderne, se développant sur un front immense, durant sept ou huit jours, de même les batailles diplomatiques, mettant maintenant en jeu toute une Europe et un appareil formidable et multiple de nations puissantes, s'étendent nécessairement sur plusieurs semaines. Pour résister à l'épreuve, il faut aux hommes des nerfs d'acier ou plutôt il leur faut une raison ferme, claire et calme. C'est à l'intelligence du peuple, c'est à sa pensée que nous devons aujourd'hui faire appel si nous voulons qu'il puisse rester maître de soi, refouler les paniques, dominer les énervements et surveiller la marche des hommes et des choses, pour écarter de la race humaine l'horreur de la guerre.
Le péril est grand, mais il n'est pas invincible si nous gardons la clarté de l'esprit, la fermeté du vouloir, si nous savons avoir à la fois l'héroïsme de la patience et héroïsme de l'action. La vue nette du devoir nous donnera la force de le remplir.
Tous les militants socialistes inscrits à la Fédération de la Seine sont convoqués dimanche matin, salle Wagram, à une réunion où sera exposée la situation internationale, où sera définie l'action que l'Internationale attend ce nous. Des réunions multipliées tiendront en action la pensée e la volonté du prolétariat et prépareront la manifestation assurément magnifique qui préludera aux travaux du Congrès international. Ce qui importe avant tout, c'est la continuité de l'action, c'est le perpétuel éveil de la pensée et de conscience ouvrière. Là est la sauvegarde. Là est la garantie de l'avenir.
L’humanité 31 juillet 1914.
Source : Ces textes proviennent d'un Hors-série Le Monde, totalement consacré à Jean Jaurès. Il fut publié en Mars-Avril 2014. Parmi les 17 textes de Jaurès choisis j'ai retenu les deux dernies, ceux du désespoir pour essayer d'éviter la guerre et dont le dernier fini juste avant son assassinat.
Ce document précise qu'il s'agit du manuscrit de l'éditorial intitulé « Sang-froid » que Jaurès publie sans l'Humanité du 29 juillet 2014. Hors le texte choisi est référencé du 31 juillet. Il se pourrait que cet éditorial ait été publié deux fois, une fois avant la mort de Jaurès et une autre fois le lendemain de sa mort. On peut penser que le dernier paragraphe (couleur verte) qui est un appel au rassemblement des socialistes est un ajout.