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Histoire de drame...... L'affaire Voulet-Chanoine

20 Novembre 2021 , Rédigé par niduab Publié dans #Histoire de rôles

Pour une fois je commence un article en mentionnant d'abord mes sources, ça me facilitera le travail. Je dois bien avouer que j'ai ce sujet en tête depuis près de 15 ans, quasiment depuis l'ouverture de ce blog. 
J'invite les lecteurs que l'histoire de l'Afrique et de la colonisation intéresse, de lire auparavant un billet que j'avais fait en octobre 2007 intitulé
Saga Africa & Co Le bon et brutal temps des colonies (en rajoutant aujourd'hui les truands pour rester fidèle à un titre de western). Mes plus anciens et fidèles lecteurs verront que j'ai fait, au fil du temps, un article pour presque tous les sujets évoqués, à l'exception toutefois de l'histoire de la Mission Voulet-Chanoine. Finalement c'est dans un billet ciné-cure intitulé Le retour que j'en ai peut-être le plus parlé. Mais il était grand temps que j'aborde enfin, plus sérieusement, cette histoire. 

Il a quelques années (au moins une dizaine et probablement un peu plus) j'ai trouvé et emprunté, au centre d'action culturelle, un livre « Histoire de l'Afrique » de Philippe Héduy avec un important et riche texte intitulé « Le Drame de la mission Voulet-Chanoine.» L'auteur de ce rapport, ou compte rendu, est le capitaine Joalland (1840-1940) l'un des personnages du drame. Il a écrit ce manuscrit en 1901, soit environ deux ans après le funeste drame, mais il ne l'a publié qu'en 1930 alors qu'il était devenu général et probablement en retraite. Je ne pouvais pas reprendre la totalité de son texte sur un blog, aussi me suis-je concentré sur la période dramatique du 10 juillet au 16 juillet 1899 en allégeant quelque peu les extraits qui étaient trop répétitifs. Par contre il me fallait aussi un texte court, un résumé complémentaire, pour évoquer l'ensemble de cette histoire. Parmi les bouquins que j'ai sur l'histoire de l'Afrique j'ai trouvé ce que je cherchais dans un livre de Jean-Paul Gourévitch, « La France en Afrique » (publié en 2006 chez Acropole) avec, page 173, un court chapitre explicite intitulé « Les bourreaux, l'affaire Voulet-Chanoine », que j'ai recopié intégralement ci-après pour éclairer le lecteur :

 En juin1898, une convention franco-britannique avait délimité le partage de la zone Niger-Tchad entre les deux pays. La mission Voulet-Chanoine, qui devait rejoindre Foureau et Gentil, comportait des étapes de désert sans point d'eau. Néanmoins, Voulet insiste pour qu'elle ait lieu, arrive au Sénégal en juillet 1898, avec Chanoine, fils d'un général ministre de la Guerre antidreyfusard, et part de Say, le poste français le plus avancé sur le Niger, le 1er janvier 1899, avec 6 Européens, 2000 Africains et 15 tonnes de matériel. Ils se dirigent vers Zinder, où le capitaine Cazemajou a été assassiné six mois plus tôt au cours d'une réception donnée par le sultan. Mais des porteurs s'enfuient, des tirailleurs se rebellent et les populations traversées manifestent de l'hostilité.
Pour restaurer la discipline et garder toutes leurs forces pour affronter Rabah, Voulet et Chanoine appliquent une politique de terreur dont les échos parviennent jusqu'à Paris. Le ministère demande une enquête et envoie sur place le lieutenant-colonel Klobb, que Voulet fait tuer à son arrivée. Finalement, Voulet et Chanoine sont mis à mort par leurs propres tirailleurs, leurs adjoints Joaland et Meynier prennent la tête de la colonne, capturent le sultan de Zinder, le font exécuter en représailles de l'assassinat de Cazemajou et rejoigne dans le Kanem la mission Lamy. Cette affaire largement répandue dans la presse et exploitée en pleine affaire Dreyfus reste comme une des taches sanglantes sur la mission civilisatrice de la colonisation française
.

Voici maintenant l'essentiel du compte rendu du capitaine Joalland, quelque peu retouché, du moins allégé.  

Le 10 juillet au matin la colonne de combat, sous les ordres des capitaines Chanoine, Pallier, Joalland, se trouve à Guidam Boultou où  arrive ensuite Voulet avec le Docteur Henric. Bouthel est resté campé à 4 km à l'ouest, à El-Hasan, avec le convoi d'animaux. Laury et Tourot  sont installés dans les villages situés au nord et à l'Est de Guidam Boultou. Rien de particulier dans l'état général ; quoique n'ayant  jamais eu la moindre discussion avec Voulet, Pallier et moi ne nous sentons plus en confiance avec lui. On devine dans  sa manière d'être vis à vis de nous une hostilité incompressible. Chanoine au contraire, depuis Tibiri, est devenu un excellent camarade : gai, affable, on ne trouve plus en lui le chef insupportable et hargneux des bords du Niger et de konni. Toujours exigeant pour le service, et on ne peut que le louer, il est d'une humeur charmante dans la vie commune. A 4 h 30 en soirée, la colonne de combat (Chanoine, Pallier, et moi) quittait Guidam Boultou. A 6 h, nous arrivions à Saketou, petit village situé à 8 km au sud de Guidam Boultou. Le cantonnement fut établi comme d'habitude et après le repas du soir, Chanoine fit sonner l'appel et nous donna l'ordre du départ pour le lendemain  matin ; réveil à 4 h, départ à 5 h. 
Le diner fut particulièrement gai : on vint à parler du commandant de la Mission et, voyant Chanoine bien disposé à m'entendre, je lui fis part du changement que je remarquais chez Voulet. Depuis Konni, notre chef était plus nerveux et surexcité qu'auparavant. Chanoine en convint en attribuant cet état neurasthénique à la chaleur et aux tracas de la conduite d'une aussi grosse colonne. 
A 2h du matin, mon domestique vint me réveiller en m'annonçant que Chanoine était déjà à cheval avec cinq cavaliers et causait avec Pallier : « Voulet, me dit-il, vient de recevoir des nouvelles de la mission Foureau-Lamy ; il me rappelle auprès de lui pour en conférer, vous restez ici, je reviendrai ce soir ». Nous le laissons partir sans nous en étonner outre mesure ; nous trouvions seulement singulier que Chanoine n'ait pas attendu le petit jour pour rejoindre Voulet, mais habitués à ne jamais recevoir la moindre confidence de nos chefs, Pallier et moi nous nous serrons la main, et nous allons continuer à dormir. Que s'était-il passé ?
Trois heures après notre départ, c'est à dire vers 7h. Bouthel qui était campé à El-Hassan, voit arriver à son campement quatre tirailleurs réguliers, porteurs d'un courrier du lieutenant-colonel Klobb. Avant d'aller plus loin, il est nécessaire de revenir un peu en arrière et d'expliquer la venue du colonel. 
Sur les bords du Niger, à Sansanné Haousa, Voulet avait exercé une violente répression contre les habitants d'un village où, deux de nos tirailleurs avaient été tués et atrocement mutilés. Cette répression fut vite connue dans le Soudan. Les habitants avaient bien raconté les exécutions faites par Voulet, mais avaient soigneusement oublié d'en énoncer les causes. 
Un fait plus grave, s'était passé à la Mission. Un tirailleur régulier, c'est à dire un soldat jouissant de tous les droits d'un français sous les armes, avait été fusillé sur ordre de Voulet, sans avoir été traduit devant un Conseil de guerre. Ce tirailleur n'avait eu qu'un tort, c'est d'avoir brûlé ou perdu 120 cartouches.
Quand on prête le flanc aux médisances par de tels actes, les langues marchent vîtes et les exécutions de prisonniers faites entre Sorbo et Say prirent dans la bouche des indigènes, des proportions de massacres journaliers. Le mauvais hasard voulut que plusieurs villages fussent incendiés par accident et de là a faire courir le bruit que Voulet incendiait tout derrière lui, il n'y avait pas loin. 
Dans ces conditions, que pouvait faire le gouvernement ? Il envoya un officier supérieur pour faire sur les lieux une enquête. Il était logique d'ajouter que si, par hasard, les faits reprochés à Voulet étaient conformes, le colonel devait prendre le commandement de la Mission.
Le colonel Klobb fut désigné pour procéder à cette enquête. Après une marche extraordinairement rapide de Kayes à Say, il arrive à ce poste le 1er juin. En passant à Bamba, il s'était adjoint le lieutenant Meynier qu'il avait eu sous ses ordres, pendant de longs mois, et dont il appréciait les hautes qualités d'intelligence et dévouement. A Say, le colonel et Meynier ont organisé leur petite colonne, et, avec l'escorte de trente tirailleurs, ils prirent la route de l'est  le 14 juin. Déjà le colonel avait recueilli des renseignements plus complets sur les faits reprochés à Voulet le long du Niger. Je pense que si après ces critiques orales, aucun fait grave n'avait été relevé, le colonel n'aurait pas décidé de prendre le commandement de la Mission. Mais à partir de Konni, les traces de notre passage parlaient d'elles mêmes : à Tibiri les pendus décharnés étaient là attestant des moyens violents employés par nos chefs : en conséquence, le colonel allait devoir prendre le commandement quand il nous rencontrerait. Sa marche fut rapide. Le 10 juillet il était à katiatia et les quatre tirailleurs qu'il avait expédiés en avant à notre recherche arrivèrent à 7h du soir à El Hasan, porteurs d'un ordre pour Voulet. Dans cet ordre rédigé sous forme de note de service, il annonçait à Voulet son arrivé et lui ordonnait de l'attendre. 
J'en arrive alors aux évènements : Bouthel monte à cheval et vient lui même porter à Voulet la note du colonel. Aussitôt, l'agitation du capitaine devient extrême : il renvoie Bouthel à El Hassan en lui défendant expressément de communiquer avec Henric, Laury, et Tourot. C'est alors qu'il envoie chercher Chanoine qui était à SareKou avec nous. Pendant toute la journée du 11, les capitaines Voulet et Chanoine et l'interprète Mahmadou Coloubaly confèrent entre eux. Plus de sonnerie, plus de bruit, plus de revues, plus d'exercices, le camp semble bouleversé comme après une catastrophe. 
Dans la matinée du 11. Chanoine nous a envoyé à Pallier et moi, l'ordre de nous porter sur Dankori. Le lendemain matin, Chanoine nous y rejoignait. Donc le 12, la situation est la suivante : à Dankori, Chanoine, Pallier et Joalland, à Issaouane Voulet qui s'y est transporté depuis la veille avec Henric et trois sous-officiers. 
En arrivant au campement, Chanoine est accompagné des sections de réguliers, qui sont ordinairement sous les ordres directs de Voulet. Il parait souffrant et rentre aussitôt dans sa tente, sans nous parler ni de la Mission Foureau-Lamy ni de ce qui peut se passer à l'arrière. Comme je l'ai déjà dit  nous ne sommes pas habitués à recevoir les confidences de nos chefs, toutes les allées et venues de sections nous sont familières. Nous ne nous étonnons donc pas de ce qui se passe. 
A Issouanne, Voulet devient de plus en plus nerveux. Il prend des mesures extraordinaires : il fait lâcher des dans la brousse plus de 300 bœufs ou vache, il fait enfouir des outils, libère des prisonniers etc... A-t-il eu à ce moment l'idée de s'alléger et de fuir devant le colonel ? C'est pourtant peu probable, car le soir de ce jour il réunit à table les sous-officiers et à mot peu couvert, il fait comprendre l'idée criminelle qui prend naissance dans son cerveau. 
Le 13 au matin Voulet et les sous-officiers sont à Dankori; Chanoine, Pallier et moi, nous sommes à Nafouta. Dans l'après midi quelle n'est pas notre stupéfaction de voir arriver tout le convoi avec les trois sous-officiers. Ce sont eux qui nous racontent les excentricités de Voulet la veille à Issouanne, et ils nous remettent deux petites bouteilles de champagne pour fêter le 14 juillet. Quant à l'arrivée du colonel Klobb pas un mot. 
Donc le 14 au matin, à 6h, Voulet est à Dankori avec Dr Henric et 80 hommes environ. Chanoine avec tout le reste de la Mission est à Saymé-Koura. A 7h30 Bamba le sergent régulier vient me prévenir qu'il a entendu des feux de salve dans la direction de l'Ouest. Comme Tessoua se trouvait dans cette direction je crus que Voulet était allé attaquer cette ville. J'allais aussitôt dans la tente de Chanoine, qui paraissait pris de fièvre. Je lui dis en plaisantant que Voulet n'était pas gentil de s'être offert, sans nous, la prise de Tessaoua « Oui, me répondit Chanoine c'est probablement à Tessaoua que l'on a tiré, ou d'ailleurs. »
A 11h Pallier et moi nous nous mettons sous un arbre et nous déjeunons gaiement en buvant une petite bouteille de champagne. A midi nous voyons arriver Voulet à cheval. 
« Bonjour, mon capitaine », lui dis-je en lui tendant la main avant qu'il ne fut descendu de cheval. 
« Attendez, ne me touchez pas avant d'avoir entendu, dit il d'une voix ferme, en mettant pied à terre. Le colonel Klobb, venait pour nous faire tous passer en conseil d'enquête; il venait pour me voler mon commandement. Je l'ai sommé de faire demi-tour. Il ne m'a pas écouté. Je l'ai tué. Il a reçu trois balles dans la tête et deux dans la poitrine. Le lieutenant Meynier qui l'accompagnait  est blessé légèrement à la cuisse. Vous n'y êtes pour rien. Je vous ai, volontairement, laissé dans l'ignorance la plus complète de cette affaire. Je vous donnerai d'ailleurs à ce sujet toutes les décharges possibles »
Et alors son calme disparu et avec une grande exaltation d'apôtre, il s'écria : « D'ailleurs, je ne regrette rien de ce que j'ai fait. Si c'était à refaire je le referais. Maintenant, je suis hors la loi, je renie ma famille, mon pays, je ne suis plus français je suis un chef noir, l'Afrique est grande. J'ai un canon des munissions, 600 hommes qui me sont dévoués corps et âmes. Nous allons nous créer un empire en Afrique, un empire fort, imprenable que j'entourerai d'une grande brousse sans eau ; pour me prendre il faudra 10.000 hommes et 20 millions. Jamais on n’osera venir m'attaquer. Quand, plus tard, la France voudra traiter avec nous, il faudra qu'elle nous paie cher. Et, en somme ce que je viens de faire ce n'est qu'un coup d'Etat..[....]... Cet homme voulait me voler mon œuvre de deux années. Encore une fois je ne regrette rien. »
Puis se tournant vars Chanoine : « D'ailleurs toi, tu es encore plus compromis que moi. J'ai lu tous les papiers du colonel; on t'avais encore plus chargé que nous tous.» Chanoine qui depuis le commencement, était devenu d'une pâleur affreuse, blêmit encore davantage et d'une voix creuse, fêlée s'écria « moi, je prends la brousse, je te suis, vive la liberté ! » Et pendant que Voulet continuait à nous parler, Chanoine eut le cynisme d'aller haranguer les sergents indigènes qui étaient rassemblés à 20 m de nous et de leur faire l'apologie de l'assassinat du colonel. Voulet nous indiqua que si nous ne voulions pas le suivre, il nous donnerait une escorte de tirailleurs pour rentrer au Soudan.......
Il remit à chacun un exemplaire signé de la déclaration suivante : « Je soussigne Voulet capitaine de marine déclare en mon âme et conscience être seul responsable de la mort de Monsieur le colonel Klobb tué le 14 juillet 1899 à 7 h 1/2 du matin, aux environs du village de Dankori d'un feu de salve dirigé par mon ordre sur la troupe commandés par cet officier supérieur.»  
« Au moment de l'action M. le Dr Henric, non prévenu, non consulté se trouvait à 8 kilomètres au sud du village de Dankori. A ce même moment, MM le capitaine Chanoine, les lieutenants Pallier, Joalland, le sergent-major Laury, le sergent Bouthel, et le maréchal des logis Tourot, non prévenus ni consultés, se trouvaient au bivouac de Saymé-Kaoura à 18 km au sud du lieu où a péri le colonel Klobb.
».....[..
....Mais Voulet et Chanoine ont été terriblement maladroits quand ils haranguèrent la troupe des tirailleurs réguliers, des soldats jouissant de tous les droits de français sous les armes. Que pouvaient ils attendre d'un empire noir dirigé par deux blancs qui s'opposerait à l'armée française....]....Tout s'est passé avec une telle discrétion que les interprètes n'ont rien vu... C'est quand les cavaliers d'escorte amenèrent les chevaux aux deux hommes qu'ils les préviennent d'une probable rébellion des tirailleurs. Chanoine monte sur son cheval, sort du village et se précipite au devant des tirailleurs en criant « France ! France !» mais un coup de fusil part, et Il tombe mort. Des coups de fusil partent aussi vers le village où se trouve Voulet. Celui-ci monte à cheval et se sauve dans une autre direction. Il se cache pendant deux jours pour coucher le dernier soir à à Tessaoua. Le 16 juillet au petit matin il se présente devant une sentinelle qui ne le laisse pas partir. Voulet sortit son révolver et tire sur l'homme qui riposte et le tue.  Les sous-officiers Tourot et Bouthel inhumèrent leurs anciens chefs, côte à côte, à Noufeta à l'endroit où Chanoine était tombé le 15 juillet. A 9h30, toute la Mission était réunie à Nafouta. Le commandement normal reprenait don droit.....  

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