Saga Africa & Co ....... L'effet papillon
Dans cette rubrique, Saga Africa, cet article sera & Co puisqu’il
s’agit d’une aventure guyanaise. Quand nous sommes allés en Guyane, Pilou avait 20 ans et moi j’allais avoir mes 23 ans en cours de séjour. J’étais missionné dans le cadre d’une étude routière
pour effectuer des reconnaissances et investigations géotechniques dans une zone du bassin Inini entre Cayenne et Kourou et plus exactement entre Tonnégrande et Tonate. Cette mission a
duré 5 mois entre Juin et Octobre 1969 ; c’est avec enthousiasme que je l’avais acceptée, ne rêvant à l’époque que de voyages et d’exotisme. Pour nous c’était comme un magnifique voyage
de noce, décalé d’un an et qui, plus est, n’était pas trop mal payé, par rapport à ce que je touchais, alors, comme salaire….au retour on pourrait même se payer une voiture, pensait-on …
(ce fut une Diane d’occasion).
J’étais détaché comme technicien auprès d’un bureau d’études routières d’outre-mer (le Berom) et j’allais
faire équipe, pendant 5 mois, avec un curieux bonhomme dont je n’ai jamais su grand-chose, tant il était discret. M. Joutes, André de son prénom, était un ancien des colonies et
principalement d’Afrique francophone, dont il avait fait, sans doute, tous les pays. Moi qui rêvait d’Afrique je le harcelais de questions et je me heurtais, presque toujours, à un mur
de « ouais, bof ! » ; désabusé qu’il était le mec. Si A. Joutes n’était pas disert, ce n’était pas le cas du chef de mission M. Trophée (ça se prononçait comme ça
mais je ne suis pas sûr de l’orthographe), mais lui n’a passé que 5 semaines avec nous ; 2 semaines fin juin en début de mission et un peu plus de 3 semaines, fin août début septembre.
Notre équipe avait fière allure sur le papier, avec Joutes et Trophée, c’était de bon augure, pour pénétrer en forêt amazonienne. Notre mission consistait, donc, à chercher des matériaux de
terrassement pour aménager une route que nous appelions, à l’époque, la route des militaires ou la route de l’intérieur.
En 1969 le site de Kourou n’était pas encore ce qu’il est devenu depuis, mais déjà des fusées « Eldo»
étaient testées. G. Pompidou venait d’être élu président de la république, et la conquête spatiale française allait, bientôt, prendre son essor. Pour le développement du site, il
fallait relier Cayenne à Kourou et 2 projets étaient en balance, soit construire de grands ponts sur la route du littoral, la R.N 1 pour remplacer les bacs, soit rendre
circulable, par des poids lourds, la route intérieure. Nous étions sur le second projet. En nous basant sur des photos aériennes, nous devions prospecter une vaste zone de collines
susceptibles de fournir des matériaux pour être mis en remblais.
Pour former notre équipe nous avions recruté du personnel originaire de la zone du Maroni : Des
Saramacas pour l’essentiel, ethnie de noirs marrons descendant d’esclaves en fuite, qui vivaient, loin de la côte, de part et d’autre du fleuve Maroni, entre Surinam et Guyane. Ils étaient une
dizaine et leur chef d’équipe était un colosse du nom de Méda qui avec sa machette pouvait couper un tronc d’arbre amazonien de 20 cm de diamètre en seulement 3 ou 4 coups. En forêt nous étions
guidés par un indien qui se faisait appelé Charlot et un autre noir marron Soisso qui lui devait être un Boshe ou un Bony car il restait à l’écart de l’équipe de Méda. Nous avons travaillé et
vécu ensemble pendant près de 3 mois. Après avoir étudié le dossier, programmé les recherches et organisé l’équipe, nous avons débuté les investigations et commencé à crapahuter en forêt à
partir de mi-juillet 1969. Quelques jours plus tard un certain Amstrong allait poser le pied sur la lune; moi, plus prosaïquement mais aussi très impressionné, je faisais mes 1ers pas
en forêt amazonienne. Peut être pas un grand pas pour l’humanité mais, quand même une grande émotion pour moi. Je sortais d’une saison de rugby et je n’avais donc pas trop de poignées d’amour à
cette époque (et on ne savait pas encore les retoucher sur les photos) mais au cours de ces 3 mois dans « l’enfer vert » j’ai perdu 7 ou 8 kg.
« Enfer vert », le terme est un peu fort même si j’ai fait des rencontres, pour le moins,
inquiétantes dont je parlerai dans d’autres articles….mais j’ai vu aussi des paysages somptueux et une flore magnifique. Ce qui, au début, m’a le plus époustouflé, ce sont les
papillons ; une multitude de papillons d’une beauté à couper le souffle…. Des morphos de couleur bleue striée et dont les écailles laissent passer la lumière de façon
différenciée. Joutes parlait peu, mais un jour il me donna un conseil surprenant « Essayes de les attraper avec ton paquet de clopes ». Je fumais à l’époque des gitanes bout filtre et
il est vrai que la couleur du paquet était « approchante » de celle de ces beaux spécimens…et ça a marché : Quand un morpho était posé sur une branche, j’agitais devant lui le
paquet de cigarettes, il refermait ses ailes et je pouvais le prendre, délicatement, entre 2 doigts. Le conseil n’était pas du tout fumeux, mais Joutes de renchérir « Tu peux devenir
riche, les écailles de Morphos entrent dans la préparation du Dollar ». Ca par contre c'était une légende et, là, Joutes se fichait de ma tronche.
Beaucoup cherchaient à devenir riches en Guyane, à commencer par les chercheurs d’or….mais ce n’était
pas de l’or que nous, nous cherchions ; aussi s’écartait-on des cours d’eau, qui grouillaient, d’ailleurs, plus de bestioles peu fréquentables que de pépites à ramasser, pour aller
sur les collines où nous devions trouver les matériaux nécessaires aux travaux. Le soir je rapportais les échantillons à Kourou, au laboratoire des T.P, pour analyses. Joutes
restait parfois à dormir en forêt avec une partie des Saramacas. Moi, plus jeune et plus sportif, je préférais crapahuter en sens inverse, généralement accompagné par Charlot ou Soisso et
quelques porteurs, pour rejoindre notre véhicule ; soit environ 1 heure, ou un peu plus, de marche dans les layons et ensuite 1 heure de route pour rentrer à Kourou. J’ai du coucher 3 ou 4
fois en forêt dans un hamac ; d’une part ce n’est guère confortable et d’autre part les bruits de la nuit profonde sont super impressionnants….Par contre le levé du jour est une féerie et rien
que pour ça il faut l’avoir fait au moins une fois.
Notre mission avançait bien et nous devions nous rapprocher des dernières collines proches de la rivière Tonnégrande ou petit Inini (je ne me souviens plus trop..) quand un jour Charlot m’appela en urgence. Craignant un
accident ou une morsure de serpent, je me précipitai et qu’est ce que je vis dans le layon que Charlot et Méda étaient en train d’ouvrir ? Un w.c ! Je crois que si j’avais trouvé une
entrée de métro je n’aurais guère été plus étonné. Joutes me rejoignit et pour une fois il ne resta pas sans voix et de façon assez appropriée. « Merde alors …c’est quoi ce
truc là ?». Un w.c. à la turque, incontestablement un « chiotte », un vrai en béton. Certes il est difficile d’imaginer que ce socle ait pu être un lieu d’aisance compte tenu
de la faune environnante mais c’était bel et bien un w.c, un vrai de vrai, en dur, en solide et ne datant pas d’hier. On a fait dégagé la zone de la colline par l’équipe et on a trouvé
d’autres vestiges d’une présence humaine : un four, sans doute un four à pain et les restes d’une
paillasse.
Ce n’est que le lendemain que nous avons trouvé, à quelques centaines de mètres, un cimetière. Il y avait une
bonne vingtaine de pierres tombales presque toutes endommagées ou cassées par des chutes d’arbres. Nous vîmes que les inscriptions étaient en « chinois » et que les décès dataient des années
30.
Au bord de la route près du petit pont qui enjambait la rivière Tonnégrande (ou petit Inini), 2 anciens
militaires en retraite tenaient une paillote où ils faisaient buvette pour les rares passants, voire restaurant pour les copains qui n’étaient pas pressés ni trop regardant sur le menu qui
était fonction de la chasse ou de la pêche. Ils étaient aussi un peu chercheurs d’or mais ne semblaient pas être sur le point de faire fortune. Joutes et moi nous sommes allés les voir pour
savoir (assez discrètement selon le souhait de Joutes) si ils n’avaient pas entendu parler d’installations en forêt à quelques kilomètres de leur paillote. L’un d’eux chassait et allait souvent
dans la région dont nous parlions, mais il n’avait jamais rien vu de particulier. Que devait-on faire ? Avertir les autorités ? Joutes jugea qu’il était urgent d’attendre : on
était fin août et le chef de mission M. Trophée allait bientôt revenir.
Celui-ci arriva effectivement quelques jours plus tard avec dans ses bagages un livre qui était en train de
faire fureur en France : « Papillon ». Informé de notre découverte, il en fut tout excité :
« C’est extraordinaire que vous soyez tombés sur ce camp indochinois dont justement Papillon parle dans
son livre dans le chapitre qui concerne sa deuxième évasion » nous dit-il. (C’est dans le chapitre intitulé «Couic Couic » page 400 à 440).
Dès le lendemain nous abandonnions, provisoirement, l’objet de notre mission, pour tenter de retrouver les
cellules décrites dans le livre. En partant du cimetière nous avons quitté la zone des collines pour nous rapprocher de la rivière et assez rapidement nous sommes tombés sur les cellules. Nous
avons, ensuite, retrouvé toutes les structures, de ce qui s’appelle maintenant le Camp Crique Anguille ou bagne des Annamites, dont l’étroite ligne de chemin de fer décrite par Henri Charrière où
les indochinois poussaient des wagonnets. Nous avons même trouvé le marécage qu’il traversa en suivant un cochon…nous, nous n’avons pas eu besoin de cochon. Je sais qu’il a été reproché à
Charrière d’avoir compilé dans l’histoire de Papillon, les aventures de plusieurs de ses compagnons de Bagne. C’est probable, mais pour ce qui concerne la cavale du camp Inini avec Couic-Couic,
l’exactitude de la description du site me convainc qu’il a, très probablement, vécu cette aventure.
Internet est un merveilleux outil. Quand j’ai voulu écrire cet article je suis allé voir s’il y avait des
informations et si depuis 1969 le silence de l’administration pénitentiaire persistait. En faisant sur Google, Camp Inini j’ai trouvé plein de choses (*) et je vois que maintenant le camp est
ouvert, parfaitement accessible, pour ne pas dire touristique. Effet Papillon ? M. Trophée a certainement, assorti son rapport d’étude d’une information sur ce bagne,
réveillant ainsi un dossier enfoui. Ça me donne envie de refaire, 38 ans après, un voyage en Guyane. (*) Voir, entre autres, un article d’une universitaire Danielle Donen-Vincent « Les
bagnes des indochinois en Guyane ».
Ces découvertes je les ai, bien évidemment, faites partager à Pilou et à un couple d’amis, Bernard et Vony
qui vivent maintenant du côté de Monaco. Nous y sommes retournés 2 fois, fin septembre 1969, les derniers dimanches avant la fin de la mission, tant que l’équipe était encore sur place. Charlot
l’indien énigmatique, Méda le colosse débroussailleur, et petit Soisso, furent heureux de se faire un peu d’argent en acceptant de nous escorter.
A suivre….
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