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Blog à part........................40 ans de mise en boite

1 Décembre 2007 , Rédigé par daniel Publié dans #Blog à part

Le temps mène la vie dure à ceux qui veulent le tuer. (Jacques Prévert « Fracas »).
 
Au-delà du bon mot du poète dialoguiste, il me semble que la formule est assez juste. Ceux qui ont la chance d’être bien, voire très bien, dans leur job, ceux qui n’ont jamais connu l’angoisse du chômage et des fins de mois trop difficiles ; ceux qui ont eu de vraies satisfactions, obtenu une certaine reconnaissance, enfin, bref, tous ceux pour qui le mot travail n’est pas un cauchemar…..et bien tous ceux là sont des veinards, en quelque sorte des privilégiés, et j’en suis. J’ajoute même à cette liste, ceux qui ont su utiliser les difficultés rencontrées, les injustices combattues pour en faire des moteurs de lutte. Le travail, me semble t-il, c’est d’ailleurs avant tout ça : la lutte…… et quand il s’agit de luttes d’équipe, de luttes collectives pour la réussite d’un projet, d’un ouvrage que l’on bâtit, des luttes pour créer ou maintenir des emplois ou pour obtenir une juste répartition des résultats c’est encore plus beau. Bien sûr il y a aussi, dans la famille lutteur, les luttes individuelles au détriment des autres ou des luttes trop corporatistes, c’est le revers de la médaille mais il faut faire avec. Ceux qui sont mal au travail sont le plus souvent ceux qui refusent ou renoncent à se battre.
Un constat toutefois un peu amer au bout du chemin des luttes : putain que 40 ans de vie professionnelle, ça passe vite, trop vite…..mais si on regarde autour de soi et qu’on a une pensée pour ceux pour qui le travail ou l’absence de travail n’est qu’angoisse ou galère….n’est-ce pas finalement un moindre mal ?  
 
Vendredi 1er décembre 1967, il y a 40 ans, aujourd’hui : Je devais me présenter à 8 H 30 au 1er étage de ce grand bâtiment parisien du B.I.B.T.P. (Bureau d’Ingénierie du Bâtiment et des Travaux Publics.) au service Sol Recherche où je venais d’être embauché. J’étais, sans doute, un peu en avance et ne voyant personne dans les bureaux, j’ai poussé la porte du laboratoire. Devant un établi il y avait un vieux monsieur très occupé ; m’apercevant, il m’a demandé, d’une voix nasillarde et avec un fort accent parigot, si j’étais bien le nouveau qui était annoncé. Lui ayant répondu par l’affirmatif, le père Cantet me régla mon compte d’une tirade vacharde que j’ai gardée en mémoire : « Ben, le môme, tu dois être du genre vachement courageux pour commencer ta semaine un vendredi ».
J’étais lancé dans le grand bain, dans une société où je suis encore 40 ans plus tard.
J’avais 21 ans, et après des études peu glorieuses dans une branche où j’avais été orienté par « mémoire filiale » et donc par erreur (le plus cocasse étant que j’avais passé un concours  pour entrer en seconde de lycée technique,  brillamment réussi). Les semaines en lycée technique étaient terriblement ennuyeuses et d’une longueur monotone entre les dimanches "obsessionnellement" consacrés au rugby. Le BTS mécanique n’était décidemment pas fait pour moi, et moi sûrement pas fait pour lui.
 
La période fin 66 et début 67 fut tout aussi ennuyeuse car j'avais eu un vague boulot de dessinateur industriel : L’horreur absolue ; je regrettais alors le job de déménageur que je faisais occasionnellement, avec mon pote Dudule, pendant les vacances scolaires ; le soir on avait mal au dos mais au moins on savait pourquoi. Penché sur ma planche à dessin je plantais rageusement la pointe de mon compas dans des calques où je faisais des cercles et des petits trous…. des petits trous, toujours des petits trous (air connu) pour tuer le temps, en attendant d’être appelé sous les drapeaux. Début septembre 1967 j’étais, enfin, incorporé pas très loin de chez moi, grâce à un bon coup de piston de mon club de rugby, et je m’apprêtais, cette fois en apprenant à me servir d’une arme, à tuer……le temps pendant 16 mois. ….Un coup de bol extraordinaire, cette année là nous étions beaucoup trop nombreux et au bout de quelques jours, ou semaines, je fus "dispensé de service", comme plus de 30% de la classe d’âge. N’importe quel prétexte était bon. Moi j’avais eu une fracture du bras, quelques années plus tôt, ce fut suffisant. Divine surprise.
 
Il me fallait maintenant passer aux choses sérieuses : tout d’abord et puisqu’on n'était qu’en octobre je pouvais m’inscrire au CNAM en maths générales. Ensuite il me fallait éplucher les petites annonces et postuler rapidement à tout ce qui pouvait traîner et si possible m’intéresser. Tout est allé très vite : d’abord les cours ,3 soirs par semaines, arrêt métro Poissonnière, et la préparation d’un CV « gonflé » et des courriers enthousiastes. Oh temps heureux où il n’y avait pas de chômage, où les journaux avaient 4 à 6 pages de petites annonces, dont le Monde et c’est là que j’ai trouvé celle du BIBTP.  
 
Dès fin octobre et début novembre j’eus des réponses et j’étais convoqué à des entretiens. Je m’étais donc, et entre autres, présenté au BIBTP où j’avais été reçu par un espèce de professeur Tournesol, monsieur Yves L. qui sut me « vanter » ce poste de technicien avec une partie labo qui m’intéressait beaucoup.
Les réponses arrivèrent mi novembre et je me souviens que le jour où j’ai eu celle du BIBTP j’en avais aussi deux autres favorables. Le problème était que ces deux autres offraient un salaire, sans être mirobolant, un chouïa plus sympathique, mais ces postes exigeaient une partie de travail de dessin, mon cauchemar. Je penchais donc de plus en plus en faveur du BIBTP. L’élément qui fut vraiment déterminant, pour lever mes dernières hésitations (notamment salariales : 800 F/mois sur 14 mois alors que les 2 autres dépassaient les 1000 F mensuels.) ce fut la présentation de la lettre avec un bandeau en bas de page où étaient indiquées toutes les villes où cette société avait des agences : il y avait, Bordeaux, Marseille, Montpellier, Toulouse, Lyon, Nantes etc……mais aussi et surtout Dakar, Abidjan, Casablanca, Yaoundé, Lomé, Libreville, Brazza etc…….Mon rêve de globe-trotter que partageait Pilou. Il n’y avait plus à hésiter….je signai heureux et désireux de réussir.
 
Malgré la fraîche réception du père Cantet, ouvrier d'entretien du matériel, qui s'avéra, au demeurant, être un très brave homme, je fus très bien accueilli dans ce service sol recherche où je me suis fait de bons copains dont certains sont restés de fidèles amis comme Djelal et Chris. Dans ce service on faisait des expérimentations sur modèles réduits pour vérifier la validité les hypothèses géotechniques en fondations profondes et poussées butées sur les murs de soutènement. Un boulot super sympa et comme les exigences de productivité à l’époque étaient loin d’être ce qu’elles sont devenues depuis, c’était extra, comme chantait à l’époque Léo. Et puis il y avait un côté très physique, à manœuvrer les maquettes et à déplacer le matériel d'enregistrement, qui m'allait très bien.
 Début 68 il y avait quand même une chose qui me chiffonnait un peu : 6 ou 7 semaines étaient passées et je n’avais toujours pas rencontré le chef de service, une sommité de la géotechnique, dont tout le monde parlait en l’imitant car c’était un « chinetoque ». Un jour les techniciens, mes collègues, étaient embêtés car dans leur expérimentation, les résultats obtenus ne correspondaient pas à ce qui était attendu et ils mettaient en doute une équation qu’un ingénieur leur avait fournie. J’étais en train de leur démontrer au tableau noir qu’il n’y avait pas d’anomalie…..quand « Chinetoque » est entré dans le labo ; il a regardé le tableau et il m’a dit sans autre forme de présentation ou vœux de bonne année ou de bonne intégration ou même tout simplement bonjour : « Vous n’êtes pas trop con pour un déménageur ». Je savais enfin pourquoi ma candidature avait été retenue……
 
Je suis resté près d’une année dans ce service et c’est là que je me suis plus particulièrement lié avec Chris. (A cette époque il avait quelques problèmes d’argent et moi je m’installais ; il m’a vendu, pour un bon prix, un de ses cadeaux de mariage qui l’encombrait : 2 fauteuils scandinaves. Je les lui ai rendus 20 ans plus tard.)
Je suis ensuite passé au service Route, puis en 1969 je partais en Guyane. A mon retour, 7 mois plus tard, j’appris que Chris avait quitté la société ; il était parti vers le midi.
En 1970, j’ai demandé une affectation en province pour 2 raisons : d’abord, la prochaine naissance d’Eric et puis je m’étais lancé dans une formation, sur 2 années, de conducteur de travaux routiers avec des stages réguliers qui excluaient, dans l’immédiat, tout nouveau départ outre-mer.
Je me suis retrouvé à Fos sur Mer où un certain jour de 1971 j’eus la surprise de retrouver, sur un chantier, mon Chris qui travaillait comme laborantin béton. Françoise et lui habitaient Avignon, Pilou et moi nous étions sur Arles  et nous nous retrouvions un peu par hasard. 40 ans plus tard nous continuons à nous voir régulièrement, au moins, 1 ou 2 fois l'an soit à Niort, chez nous, soit à Villefranche de Rouergue chez eux.
 
Après Fos ma carrière s’est poursuivie dans cette société au gré des grands chantiers : tunnel en Savoie, barrage au Zaïre, barrage au Maroc, barrage en Alsace, études pour un projet de barrage en Guinée avec Yves L. qui m’avait embauché en 1967, autoroute à Bourg en Bresse, formation de techniciens au laboratoire central de Yaoundé (ou je retrouvai Djelal), pont de l’Ile de Ré, de Rochefort etc….20 ans qui sont passés trop vite sans maîtrise du temps qui filait ……mais à faire un super boulot, de magnifiques ouvrages, parfois à lutter contre les éléments, toujours avec le plaisir de bâtir.
 
A partir de 1988 ce fut autre chose : encore des chantiers, des études mais surtout la direction d’une agence régionale, avec en complément un rôle d’expert certification. Un travail de gestion et management dans une société qui changeait de structure et devenait l’élément central d’un groupe soumis aux cotations boursières avec les contraintes financières et la pression sur les salaires et les exigences de productivité abérrantes et surtout contre-productives qui en découlent.
 
Dès 1992, j’ai poussé mon goût de la lutte en étant à la fois responsable d’agence et délégué du personnel : le grand écart. Mais si, dans le secteur privé où le taux de syndicalisation est ridiculement bas, ce ne sont pas ceux qui sont quelque peu protégés, grâce à leur ancienneté, qui montent en 1ère ligne, qui le fera ? J’étais alors le seul cadre syndiqué (CFDT) de ma société ….(Au BIBTP environ 20 syndiqués pour 600 salariés : pas très courageux les collègues !) …..ce qui imposait, comme exigence pour être crédible, d'ëtre professionnellement irréprochable. C’était  mon cas car dans mon agence de 7 à 8 personnes nous avons toujours obtenu de très bons résultats. J’étais seulement « écoeuré» de voir le peu de reconnaissance de la direction pour le personnel avec des conséquences de turn-over et les difficultés ensuite à remplacer de jeunes ingénieurs que j'avais formés et devoir........ encore et encore, reprendre les cycles de la  formation..... 
  Pour reprendre en conclusion une autre formule de Prévert : « Avec leur salaire on se payait leur tête ». On ne peut pas à la fois récompenser les salariés, notamment les plus motivés et nourrir la cupidité des actionnaires. Depuis les choses ont quelque peu bougées et de vagues clauses d’intéressement ont été mises en place. ( !) J’ai bien peur, cependant, que ce soit encore du foutage de gueule. Pour moi, la vraie rémunération d’un travail doit rester, avant toute chose, le salaire.
Former de jeunes gens à un métier qu’on aime est une tâche magnifique….et puis se battre en équipe pour ses valeurs est aussi enthousiasmant. 
   Avec mes camarades du Comité d’entreprise on a quand même eu un procès avec la direction, pour des peccadilles ….bien sûr on a gagné, ils ont perdu, d’abord au T.G.I. puis une 2ème fois en cour d’appel…..une belle victoire, un grand moment que je raconterai peut être un jour.
 
J’ai pris ma retraite après 40 ans de bons et loyaux services, 40 années dans la même boîte, même si ce terme de boîte parait un peu réducteur au regard des espaces que mon métier m'a permis de parcourir en repoussant les horizons lointains mais en accélérant aussi, me semble t-il, le rythme du temps……
    Je n’ai pas pu,  je n’ai pas voulu décrocher complètement. Après 6 mois d’abstinence, comme la loi, l’impose, j’ai repris mon poste d’expert certification béton, à raison de 5 jours de travail par mois, et toujours dans le parfait respect de la législation,…. ça me fait du bien et mon expérience dans ce domaine aide grandement mes jeunes collègues….Bien sûr je ne m’occupe plus du tout de gestion, ni de management,  juste un poste technique, avec probablement, en prime quelques missions outre mer à venir….que du bonheur......et peut-être, qu'à défaut de pouvoir ralentir l'horloge, on peut essayer de rester jeune plus longtemps, en continuant à travailler un peu......(volontairement et avec modération comme pour toutes les bonnes choses)
     
(A suivre)
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