En août 1986, de retour en France, après 3 années camerounaises, on m’a proposé le chantier du Pont de l’Ile de Ré. Moi, je me faisais une joie de m’installer à La Rochelle, mais j’appris, peu après, que j’avais pour mission concomitante de relancer l’agence de Niort éteinte, depuis 3 ans, faute d’activité …..
« Vous connaissez Niort ? » me demanda mon patron.
« Pas vraiment, j’y suis passé une fois il y a 5 ou 6 ans... » Ai je répondu,
Il poursuivit, alors, mon instruction : « C’est la capitale des mutuelles, une place financière importante. Cette ville est située au centre d’une région riche de villes régionales dynamiques comme Poitiers, La Rochelle, Angoulême et Saintes: Il y a de grands projets dont une centrale nucléaire à Civaux, des autoroutes, le TGV…il n’est donc pas normal qu’un bureau d’Ingénierie BTP, comme le nôtre n’ait pas réussi à s’implanter là-bas. C’est votre mission de réussir cet ancrage, et le chantier du pont de l’île de Ré est une opportunité……».
Je suis arrivé à Niort le lundi 25 août 1986. Durant les premières semaines, le premier mois, je devais remettre l’agence et le laboratoire en état et trouver du personnel pour commencer, en partenariat avec un ingénieur de Bouygues, les études de bétons nécessaires au démarrage du chantier prévu début février 1987. J’avais donc, en cette fin d’été, un peu de temps devant moi, que j’ai consacré à faire plus ample connaissance avec la région, et notamment découvrir Niort et les Deux-Sèvres.
J’ai rapidement corrigé l’impression négative, trop hâtive, de 1981. J’ai eu immédiatement un vrai coup de foudre pour le Marais Poitevin, Coulon, Magné, Arçais….tout est magnifique dans ce marais il n’y a rien à jeter.
Pour la ville de Niort j’étais un peu plus réservé : était-ce une ville pudique qui ne se découvrait que très progressivement.
Certes il y avait la Sèvre indolente, le Donjon balafré, les Halles accrocheuses, le Pilori perdu, et beaucoup d’églises ou temples dans cette ville laïque….mais il y avait aussi cet immonde parking aérien.
Pour moi la Brèche, n’était pas une ouverture comme son nom pouvait le laisser espérer, ce n’était pas une vitrine de la ville à la croisée de toutes les routes, mais une espèce de verrue plantée au cœur de la ville.
La ville semblait, d’ailleurs être un très gros bourg vieillissant relié, on ne comprenait pas trop bien comment, à plusieurs petits bourgs encore plus vieillissants. Une ville à la campagne refusant l’urbanité, refoulant son statut de ville de près de 60000 habitants. C’était assez surprenant au premier abord, pas forcément gênant pour moi, personnellement ….mais quelque peu inquiétant, quand même, pour un projet d’implantation professionnelle.
J’appris que cette ville était initialement plus modeste et qu’elle s’était surtout développée dans les années 50 à 80 en englobant progressivement les villages périphériques, d’abord Souché, puis Sainte Pezenne, Saint Florent et enfin St Liguaire,
Bien sûr je savais aussi que cet essor était lié aux mutuelles : La MAIF avait été créée juste avant guerre puis la MAAF à la libération, plus récemment la MACIF (vers 1960) puis la SMACL et IMA et sans oublier le siège et les entrepôts de la CAMIF chère aux enseignants. A Niort il y avait, incontestablement, une culture originale de par la présence de plusieurs milliers (6 ou 7000) emplois liés à l’économie solidaire.
Cette ville avait-elle encore d’autres charmes cachés, d’autres trésors enfouis ? Je savais qu’elle était de gauche et c’était un bon point, qui devrait faciliter notre éventuelle intégration. J’appris aussi qu'elle était à l’avant-garde du mouvement associatif et ça aussi me plaisait bien....
J’hésitais encore pour la perspective d’une installation familiale…..Nous avions une maison à côté de Nîmes ; allions-nous quitter le Languedoc « mistralisé » pour le Poitou « embrumé »? Eric était entré en terminale et Cécile en seconde à Nîmes, en ce mois de septembre 1986, il faudrait donc, de toute façon, attendre la fin d’année scolaire. Le temps de voir venir et….. ???
Sur le plan professionnel je me demandais si l’implantation d’une agence était jouable : Les précédentes tentatives avaient échoué à une époque où la ville était plus en expansion. En cette année 1986 Niort semblait comme endormie. Etait-ce seulement une courte pause pour souffler ? Je ne voyais pas beaucoup de chantiers en ville, aucune grue visible de loin, pour égayer le paysage (sic). Et puis j’apprenais que des entreprises, des industries anciennes disparaissaient petit à petit; laissant place nette aux seuls services. Est ce qu’une agence serait viable, installée ici, car il fallait un minimum d’activités locales même si je pouvais aussi compter sur le dynamisme régional. J’appris, cependant une bonne nouvelle, le siège technique régional des ASF était à Gript, près de Niort….tout n’était, donc, pas perdu d’avance.
Je m’intéressais aussi à d’autres aspects de la ville ; sur le plan social ce n’était pas trop mal, encore que le potentiel fiscal, traduisant en moyenne une ville « riche », cachait d’assez fortes disparités. Sur le plan culturel ça me paraissait bien…….peut–être un peu bo-bo.
Et puis j’ai fait connaissance avec les gloires locales : Ernest Pérochon (auteur de « Nène » Prix Goncourt 1920, « Le creux des maisons », « Les gardiennes »). J’appris aussi que Clouzot était Niortais et que le film « Les diaboliques » avait été tourné à Niort. Que n’y avait-il pas un festival Clouzot à Niort, pour récompenser de jeunes metteurs en scène francophones. Le réalisateur du « Salaire de la peur », de « Quai des orfèvres » « Le corbeau » était pourtant une belle référence.
Je sus assez vite que René Caillé, le 1er européen à être entré à Tombouctou en 1828, était de Mauzé sur Mignon (à 20 km de Niort sur la route de La Rochelle), mais je n’ai appris que plus tard que Jean Victor Largeau grand explorateur de l’Afrique et proche de Savorgnan de Brazza était né à Niort. Son fils le Général Largeau, autre grande figure de la colonisation, a servi au Tchad (Fort Largeau) au début du 20ème siècle.
D’une manière générale je n’apprécie pas trop les quotidiens régionaux, quels qu’ils soient, et ceux d’ici ne font pas exception. Ils sont nombrilistes comme les autres ; ainsi ne donnent-ils aucune information sur le sud de notre région ; il n’y a rien concernant les départements Charentais, rien sur La Rochelle, Rochefort ou Angoulême nos villes voisines. Et pourtant c’est quand même en les parcourant que je sus un jour de septembre 1986 qu’il avait une réunion concernant un jumelage entre Niort et Atakpamé une ville du Togo. Je m’y suis rendu et ce jour là j’ai su que Niort était, aussi, ouvert au monde et que j’ai, vraiment, commencé à m’intéresser, à m’attacher à cette ville ; ce fut le vrai déclic.
A cette réunion, j’ai fait la connaissance d’André P., j’ai beaucoup écouté et j’ai aussi probablement, par moment étalé ma science, ma connaissance de l’Afrique….mais ça n’a pas du, trop choquer puisse qu’en fin de réunion on a continué à se parler. L’enthousiasme de ces militants associatifs et notamment d’André, était communicatif, et j’ai compris que ces gens avaient un vrai projet, certes un peu utopique mais avec une approche très pragmatique et ça, ça me plaisait beaucoup. Je ne connaissais pas encore, alors, la notion de Jumelage Coopération, mais après qu’André m’ait expliqué le montage et l’organisation je sus que c’était exactement ce qu’il fallait pour l’Afrique et que c’était tout à l’honneur de Niort d’être précurseur dans le domaine. Je reviendrai à l’occasion d’un autre article sur les résultats exemplaires, de cette expérience à l’époque unique en France. Aujourd’hui je veux seulement souligner que si j’ai décidé, de prendre ce virage, de tenter cette expérience niortaise, c’est en très grande partie grâce (ou à cause ? selon les humeurs, les plaisirs, les joies ou quelques regrets) à l’ANJCA.
(A suivre)