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Blog à part...........Au théatre d'instance

20 Janvier 2008 , Rédigé par daniel Publié dans #Blog à part

De deux choses Lune, l’autre c’est le Soleil. (Jacques Prévert).
 
C’est par une journée froide d’hiver mais radieusement ensoleillée que je me rendais ce lundi 20 janvier 2003 à Rambouillet. J’étais furieux de perdre cette journée à cause de mes patrons…. « Dis donc, camarade Soleil, tu ne trouves pas que c’est un peu con de donner une journée pareille à un patron ». Ah non pour moi ce n’était pas pour flemmarder, bien au contraire j’avais déjà été obligé de bosser la veille, un dimanche, pour faire un rapport ultra urgent afin de ne pas arrêter un chantier….. eh oui ! A cause de ces nocs je devais me présenter ce lundi au Tribunal de police de Rambouillet alors que j’avais mille choses à faire…. dans le cadre de mon boulot.
Tout avait commencé le 23 octobre 2002 ; en rentrant déjeuner à la maison je trouvai un huissier de justice qui m’attendait et me délivrait une convocation. J’étais assigné, en tant que délégué du personnel au Comité d’entreprise, à comparaître le 18 novembre 2002. En fait la séance fut repoussée au 20 janvier 2003.
Je ne comprenais rien à cette histoire. J’étais, certes, syndiqué depuis 1986, depuis mon retour d’Afrique et j’avais accepté, faute d’autre cadre syndiqué, de porter les couleurs de la CFDT lors des élections du personnel. Ça devait être ça la vie dans une entreprise à la fin du XXème siècle début du XXIème, le dialogue social participatif, hors lutte des classes. La plupart des syndiqués (une vingtaine pour 700 salariés, c’est loin d’être brillant comme performance) étaient en poste au siège parisien et nous ne devions être que trois à représenter les agences de province, et moi le seul cadre et, a fortiori, le seul chef de service. Cela ne m’avait pas attiré que des avantages… mais en 2003 j’avais déjà 35 ans d’ancienneté, alors……
Depuis les années 1995/96 ma société avait été rachetée par un groupe, aux méthodes plutôt brutales, qui cherchait, manifestement, pour arriver à ses fins, à remettre au goût du jour la vraie lutte des classes. N’avait-on pas lu, en ce début janvier 2003, dans un journal économique renommé une interview de notre PDG dans laquelle il affichait un ton  «méprisant» pour le personnel, ses salariés, les ayatollahs de la technique qui refusaient d'adorer les nouveaux dieux, Profits, Marges Nettes et Rentabilités ….. Quand les patrons n’ont plus de conscience professionnelle on peut se demander si l’économie de marché marche vraiment dans le bon sens……..
Aussi, même si je trouvais que ce rôle de délégué devenait un peu lourd à porter depuis 1996 ce n’était pas le moment de lâcher mes camarades. Je m’efforçais de participer au maximum de réunions du Comité d’entreprise, de suivre l’évolution des restructurations, mais je dois bien avouer que de ma lointaine province (à l’époque je dirigeais 2 agences distantes de 150 km), je n’étais pas trop concerné par l’activité syndicale très parisienne. Je n’avais même pas vu passer le tract qui provoquait la furie de la direction.
 
Renseignements pris auprès de mon amie Liliane, déléguée syndicale de l’entreprise, je me suis rappelé les évènements de juillet et août 2002 : Au cours de cet été et pour satisfaire les actionnaires, la direction avait mis en place un concours pour pousser à la productivité en ces mois traditionnellement moins performants ; c’était déjà du genre travailler plus pour gagner plus. Travailler plus pour mieux rémunérer les actionnaires devrais-je dire : Des primes devaient, certes, être accordées aux salariés des 3 centres de profits (le nouveau nom des agences :quelle belle terminologie !) qui sur les 2 mois d’été feraient les meilleurs résultats, mais les charges de ces primes seraient affectées au bilan des agences ou services qui feraient les plus mauvais résultats (autrement dit c'était mettre la tête sous l’eau aux plus fragiles…. sans doute pour pouvoir plus facilement élaguer ensuite dans leur effectif). Le tract à juste titre dénonçait ces méthodes de management que l’on aurait pu croire d’un autre âge, d'un autre siècle, le XIXème.... le retour aux sources du capitalisme.
Malheureusement à la même période une équipe avait eu un accident, un matin, en se rendant sur un chantier : 2 morts… alors que ces techniciens n’avaient aucune raison de se trouver sur la route, avec un véhicule de service, à une heure aussi matinale.
Le tract faisait, sans doute à tort, un amalgame entre le concours et le tragique accident. A tort car, d’une part je connaissais le chef de service, c’était loin d’être un réac… et puis cela aurait pu m‘arriver car les techniciens de mon service, lorsqu’ils étaient sur des chantiers situés à plus de 50 km pour lesquels ils avaient droit à des frais de déplacement,  préfèraient souvent rentrer chez eux et repartir tôt le lendemain matin, plutôt que d’aller à l’hôtel ; ce qui ne les empèchait pas, en fin de mois, de déclarer les frais de déplacement, pour mettre du beurre dans les épinards, et compenser des heures supplémentaires toujours sujettes à justifications ….  je fermais les yeux sur ces pratiques comme la plupart de mes collègues chefs d’agence.
Bref j’en étais là…. et je me rendais ce 20 janvier à Rambouillet. Certes, après que j’eus reçu la convocation, et poussé une mémorable gueulante auprès de mon directeur régional, le big-little chef, directeur national, m’avait appelé pour me dire que je n’étais pas directement visé, mais qu’ils (lui et la joyeuse compagnie de la direction) ne pouvaient pas faire autrement car ils devaient assigner l’ensemble du comité, à savoir 10 personnes, sans distinction. C’était, soit disant, pour laver l’honneur de la société. Moi toujours très diplomate je n’ai rien trouvé d’autre à lui dire que ce n’était qu’une bande d’imbéciles, et que je restais à leur disposition pour leur donner des cours de management. Après tout, ne venais-je pas, grâce à mon ancienneté, de recevoir la médaille d’or du Travail. Difficile à virer….… ils n’avaient pas pensé à ça. C’était donc combatif et particulièrement remonté que je me rendais à Rambouillet.
Arrivé au tribunal d’Instance Liliane m’a présenté à nos avocats Tiennot et Roger  : « Tu vas voir ce sont de sacrées pointures, ce sont les défenseurs attitrés de la CFDT et de la CGT.»
En nous tenant un peu à l’écart elle dit à Tiennot que j’étais copain avec Filoche…. je compris donc que Tiennot était un ancien soixante-huitard. Elle m’ajouta « C’est le neveu de Mendes-France ». Bigre du beau monde pour une affaire aussi ridicule…… enfin pas si ridicule que ça, car si on perdait, on pouvait tous être, individuellement, condamnés à une amende de plus de 10.000 euros, sans compter les répercussions…. professionnelles.
En arrivant j’avais croisé, un des directeurs du groupe, M. Legrand ; il ne venait que très peu dans notre filiale et j’étais le seul à le connaître….  Je l’avais d'ailleurs salué en arrivant bien qu'il fasse partie des 6 plaignants. Je l’avais aussi, furtivement, désigné à Tiennot.
La présidente du tribunal vint nous dire que nous ne passerions qu’à partir de 15 heures, le temps de désengorger la salle d’autres prévenus pour des affaires tout-venant. Nous eûmes donc droit à une heure de spectacles peu réjouissants : des suppressions de permis de conduire, des amendes pour pensions alimentaires non payées etc…. ça tombait comme à Gravelotte….. et ceux qui attendaient leur tour, savaient à l’avance ce qui les attendait. Chaque cas était traité, sans avocat, en moins de 5 minutes, une bonne douzaine à l’heure...... et ce fut enfin notre tour. Ce que j’avais vu et entendu, pendant cette heure, commençait à me faire douter de notre victoire.
Un greffier fit l’appel ; tous les dix nous étions là, y compris les 3 provinciaux (un de Marseille, un autre de Lyon et moi ). Elle appela les 6 plaignants : personne ne répondit présent, pas même M. Legrand qui se trouvait 2 rangs derrière nous…. il n’est pas sorti grandi de cette affaire le monsieur.
On entendit un bien laborieux plaidoyer de l’avocat de la direction qui ne semblait même pas croire ce qu’il disait ; et puis Tiennot est rentré en lice « Moi qui ait été licencié de Citroën, avant d’être licencié en droit….je connais la classe ouvrière…. » facile, démago mais efficace et impressionnant….. et pour finir après 20 minutes de harangue par un solennel « ….et je dirai au représentant de la direction… » en désignant le pauvre Legrand, blanc, tremblant et se recroquevillant sur son banc pour se faire tout petit…. « Vous qui n’avez pas eu le courage de vous présenter lors de l’appel, sachez que si après cette lourde défaite que vous allez subir, vous avez le toupet de faire appel…. On sortira les grands moyens et cette fois ça fera mal à votre image. ». J’ai eu peur que Legrand nous fasse une attaque….. mais je n’ai pas eu le temps de m’apitoyer sur son sort car l’inimaginable s’est alors produit. Dans ce palais de justice où le public attendait déjà depuis près de 3 heures, chacun en attente de sa propre affaire ; pour la plupart., ces pauvres gens savaient ce qui les attendait à savoir un remake de la 1ère heure … et bien tous ces  spectateurs imprévus, comme au théâtre, se sont levés pour applaudir Tiennot, pour nous applaudir. Tout n’est donc pas foutu avec ce peuple sensible. La classe ouvrière ira au paradis si..…. Et les patrons ? Gérard Filoche dirait « Le diable est dans les détails »
 
On avait gagné... et de belle manière … et bien malgré tout, ces nocs... ils ont fait appel.
La dernière séance s’est tenue le vendredi 12 septembre 2003 à la cours d’appel de Versailles. Le bâtiment est bien plus majestueux qu’à Rambouillet mais l’ambiance fut moins populaire … puisqu’il n’y avait pas de public. Il n’ y avait, ce jour-là, personne de la direction, pour soutenir leur avocat, toujours aussi peu convaincu. Tiennot fut moins emphatique, concentrant sa plaidoirie sur l’incompétence de nos dirigeants qui ne savaient même pas faire la différence entre des délégués du personnel élus et une section syndicale « militante » qui a publié un tract d’ailleurs bien anodin ….. et sachant que 3 prévenus « provinciaux » n’étaient pas membres de la section syndicale parisienne.....C.Q.F.D.
La direction fut déboutée. Fin de l’histoire…. J’ai salué Tiennot avant de partir et comme il savait que j’étais socialo, donc à ses yeux, sans doute un peu suspect de compromission avec le patronat, il m’a dit « Alors Papy tu l’as ton brevet d’ancien combattant, de bon travailleur victime du patronat. Tu pourras le montrer à tes petits enfants…..».
 
(À suivre)
 
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