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Didi soldat.........Lettres à un troufion.

7 Mars 2008 , Rédigé par daniel Publié dans #Didi

Certains de mes plus fidèles lecteurs (ma famille pour tout dire) m’ont demandé de revenir aux fondamentaux de ce blog à savoir « les devoirs de mémoire ». Ma sœur Annie, notamment, trouve que je parle trop du présent, de voyages et de politique, et elle souhaite que je reprenne au plus vite l’histoire de notre lignée : Message reçu cinq sur cinq comme dirait "Black-out".    
J’ai laissé Didi début janvier 1944, après la terrible bataille de Michelbach, alors qu’il avait été hospitalisé à Belfort et qu’il retrouvait son bon copain Marius, le lieutenant Marius Berry. Celui-ci, qui veillait sur son jeune ami depuis son évasion de geôles allemandes d’Auxerre, réussit, en mettant en avant ses compétences en mécanique et carrosserie,  à le faire affecter dans son service de maintenance des véhicules.
Que d’expériences en 6 mois pour le gamin de Civry, le gavroche de Champigny ! La résistance à 18 ans, les combats dans l’Yonne, dont la forêt d’Annoux et la blessure de Charly, le courage de Didi qui s’est porté au secours de son camarade, puis son arrestation avec la gentille Albertine, la geôle, l’attente du peloton d’exécution ou de manière plus expéditive, la peur d’être abattu dans un fossé comme Charly, puis la résurrection, l’évasion, la bataille d’Auxerre fin août 1944, la volonté de retrouver des forces pour continuer à se battre, la formation militaire à Joigny, l’engagement au 1er RVY, la croix de guerre à 18.5 ans, la guerre comme soldat chargé avec son régiment de réduire les poches allemandes entre Belfort et Mulhouse, le rôle d’agent de liaison… et enfin la sanglante bataille de Michelbach …… Le dégoût, la peur sans doute…. et puis la main tendue de Marius pour sortir de cet enfer pour un poste à l’arrière… au début il en eut un peu honte, c’est ce qu’il a écrit à ses parents pour Noël…. Mais il n’a pas 19 ans, du moins les aura-t-il le 6 février, et l’enthousiasme et l’exaltation sont un peu passés… et puis les lettres de la mère : « Didi, je t’en supplie, mon chéri, sois prudent ne t’expose pas… ».

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 Charly (Louis) blessé lors des combats à Annoux le 8/6/44 et achevé le soir dans un fossé.
 



  Didi après son évasion début septembre 1944 en 2 mois de geôle il avait perdu plus de 10 kg.
                                                                                  
   
  En début d’année 1945 Didi recevait encore une lettre du même genre mais de son père Marcel cette fois :
Mon cher André : Puisque ta mère t’a mis au courant de notre nouvelle vie je n’y reviens pas mais je vois dans tes dernières lettres que tu es un grand patriote et je t’en félicite mais rappelle toi que les français de l’arrière n’ont aucun égard pour ceux qui les protègent…. et quand tu reviendras, la maison que tu aimais tant sera vendue pour que les embusqués se l’octroient pour assouvir leurs grossiers appétits. Aussi je ne saurais jamais trop te dire prudence et de rester le plus longtemps possible à l’hôpital afin de gagner du temps….
 
Depuis la terrible bataille de Michelbach où il a vu tant de copains tomber, Didi a pris sa décision : il a pris trop de risques irréfléchis au cours des 8 derniers mois, un miracle qu’il soit encore en vie, maintenant il lui faut penser à rentrer entier à la maison.
De janvier à mars il enfilera plus souvent le bleu de travail que le treillis de soldat…… et il reprendra le goût de vivre normalement par ce travail d’atelier qu’il aime tant…. d’ailleurs à cette époque il écrira peu à ses parents et les quelques lettres qu’il enverra ne seront pas conservées. Je n’ai retrouvé que les lettres qu’il a reçues et qui fournissent aussi des informations intéressantes sur la famille, et sur la vie dans la France outragée mais libérée de ce début 1945.
 
9 janvier 1945 : Geneviève écrit à son fils pour lui annoncer le décès de sa grande tante Lucie, une vieille tante de la famille Prieux qui vivait à Civry, la belle sœur de la grand-mère (donc de mon arrière grand-mère). Marcel était parti en train pour les funérailles. « Ton papa rentrera certainement demain vendredi, s’il n’est pas bloqué par la neige car cette nuit il en est tombé 20 cm et ce matin j'ai du aller à Paris avec ton oncle Maurice pour porter de la marchandise à M. Lépy et ce n'était pas drôle de pousser le diable avec 67 kg de camelote dessus, et dans la neige.»
Dans cette lettre ma grand-mère Geneviève parle aussi d’Emilienne la « servante » de tante Lucie, une personne qui fut toute sa vie dévouée à la famille et restera de 1945 à 1955 à Champigny auprès de mon arrière grand mère Marie Mathilde Jeanne et dont la bizarre démarche hante encore ma mémoire (elle était petite mais elle avait les mêmes dimensions verticales et horizontales ; très pieuse elle a sûrement rejoint le paradis auprès de tous les Prieux qu'elle a servi si paradis il y a ..... 
 
 Didi recevra aussi une lettre datée du 11 janvier 1945 de la gentille Albertine d’Annoux:
Mon cher André
J’avais eu ton adresse par ta maman et je me proposais de t’écrire une lettre de sottises, quand hier j’ai reçu enfin ta gentille lettre. Je ne veux pas tarder plus longtemps pour venir te donner de mes nouvelles.
Je suis bien contente de te savoir en meilleure santé et surtout je vois avec plaisir que le moral reste excellent ; pour un militaire c’est l’essentiel.
« …. » J’ai eu la semaine dernière des nouvelles de tes parents, ils s’inquiètent beaucoup pour leurs deux fils et pour eux la vie ne s’est pas beaucoup améliorée puisqu’ils manquent de presque tout comme avant.
Depuis octobre mon frère Jean est également en Alsace avec la 6ème compagnie ; il est actuellement à Wesserling. Il est toujours en 1ère ligne ou en soutien… cependant malgré son beau courage, il commence à en avoir marre et aspire au repos et à la permission.
Cette nouvelle vie change beaucoup de celle du maquis mais elle est aussi, me semble-t-il, beaucoup plus dangereuse….. avec ces satanés boches on n’est jamais assez prudent. . Si tu peux en attraper un ne te gêne pas, fais lui payer tout ce que nous avons pris : tu te souviens de leur façon de nous caresser avec tout ce qu’ils avaient sous la main, et les coups de talon sur la tête et les coups de crosse… tu as le choix.
 « ….. » J’ai su aussi par ta maman que tu avais eu la croix de guerre avec citation. C’est très bien et je ne doute pas qu’elle ait été courageusement gagnée : Je t’en félicite de tout cœur, bien que tu n’ai pas cru utile de m’en parler.
Je t’embrasse bien fort, ta camarade tôlarde, ta fidèle amie, Albertine.
 
Didi recevra la semaine suivante une lettre de sa mère datée du 19 janvier
 Mon petit Didi
Bien reçu ce matin ta lettre du 14, je suis bien contente de te savoir toujours au Parc Auto car pendant les jours de froid que nous avons passés j’ai souvent pensé à toi. Je me demandais si tu couchais dans un bon lit ou si tu étais à la belle étoile ; enfin je suis rassurée, reste là le plus longtemps possible. Je vois aussi par ta lettre que ton ami le lieutenant Marius te nourrit bien, dont du chocolat…. Pourrais tu t’en procurer et en envoyer à ta grand-mère. Je te demande ça car j’en ai trouvé à acheter au marché noir, du chocolat américain à 110 F les 8 petits carrés Calbury. Il est cher mais il est si bon que je ne regrette pas mes sous. Alors si tu pouvais en acheter aux américains tu en ferais un petit paquet que tu remettrais à la poste de Belfort.
Je ne sais pas quoi t’envoyer car ici sur Paris on ne trouve rien : c’est pénible de ne pas pouvoir gâter son petit soldat.
Tu nous dit que tu as reçu le colis contenant le chandail…. mais tu ne parles pas du mandat de 500 F qui était parti en même temps.
Merci pour le sachet de café, c’était un délice mais c’est une chance que nous l’ayons reçu car ta lettre était ouverte.
Je te quitte mon cher petit en t’embrassant bien affectueusement. Papa et Grand-mère t’envoient de grosses bises. Ta petite mère.
 
Café et chocolat les gourmandises de la famille Baudin-Prieux. Des souvenirs de ma plus tendre enfance me reviennent en mémoire avec Emilienne qui nous préparait, à mon frère et moi, nos goûters chocolatés, dans cette salle à manger bourgeoise du pavillon du bord de marne.
 
La lettre suivante fut écrite par le père le 27 janvier, une lettre moins bien tournée car Marcel n’a pas eu l’instruction bourgeoise de Geneviève.
 
Mon André
Cette fois c’est moi, qui réponds à ta dernière lettre du 21 janvier. Pour te parler d’ici, tout est arrêté et depuis un mois nous sommes restreint en gaz et surtout en électricité. Les usines ne travaillent plus sauf la nuit et uniquement celles qui sont nécessaires pour la guerre.
Comme il y a plus de garde voie ton oncle Maurice est au chômage et maintenant il travaille avec moi.
Dimanche dernier en lisant les journaux nous avons eu la surprise de lire qu’on pouvait à nouveau correspondre avec les déportés. Ta mère et moi nous avons fait une longue lettre à Roger en lui donnant tous les détails de ce qui s’est passé depuis 6 mois sauf pour toi ,où nous racontions que tu étais employé comme tôlier au garage Gribier de Civry ,car je ne pouvais pas dire que tu étais engagé dans l’armée pour foutre la pâtée aux boches. Tu sais ce que c’est un « gribier » ? Un pauvre type…. je pense que ton frère aurait compris l’astuce. ….mais de toute manière cette lettre n’a pas été acceptée par la poste car l’information des journaux était fausse, tu imagines notre désillusion. Il va falloir attendre que les russes lessivent les boches et qu’ils arrivent à Berlin pour qu’on puisse revoir nos prisonniers et déportés.
Quand à toi mon garçon, fais tout ce que tu peux pour rester affecté à la GRH pour qu’ici nous n’ayons plus le soucis de te savoir en danger. Nous t’embrassons tous. Marcel.
 
Nouvelle lettre de Geneviève du 16 février
Mon petit Didi  Voilà deux grandes semaines que nous n’avons pas de lettre de toi et ça nous semble bien long. Je vais t’apprendre une grande nouvelle qui va te faire plaisir : les affaires de ton père s’arrangent, l'amende du fisc sera moins forte et on va pouvoir garder le pavillon. Alors voilà on va re-déménager et retourner chez nous ………… »
 
Grande nouvelle confirmée par une autre lettre du 21 février.
Mon cher petit …..Nous déménageons jeudi 1er mars….je ne sais si je t’ai dit que l’on garde le logement pour Roger, bien repeint et retapissé il fera un beau petit lit pour jeunes mariés, ce n’est pas très grand, juste ce qu’il faut pour deux. Il plait beaucoup à Raymonde.
Quelle joie quand on sera tous réunis. J’ai envie d’en pleurer rien qu'en y pensant. Ce bon temps approche et j’espère que notre Roger sera bientôt de retour, car j’ai entendu à la radio que les camps de Trèves avaient été repliés au nord de Coblence et ce n’est pas tellement loin de la frontière…..
Geneviève a du donner des idées par transmission de pensée à mon père Roger car c’est sensiblement à cette époque qu’il s’est évadé et qu’il a réussi à regagner la France et rejoindre fin mars le pavillon tout juste redevenu familial.
 
Un triste mot de Didi du 26 février que reçurent ses parents :
« Je vais vous apprendre une bien mauvaise nouvelle, notre bon Marius Berry est mort. Il s’est tué accidentellement il y a quelques jours avec une grenade. Mon pauvre ami n’a pas souffert. Nous l’avons enterré avant-hier à Belfort….. »
 
 
(A suivre)
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