A livres ouverts... c'est du polar ou du ronchon
Je n'ai vraiment apprécié les polars que tardivement et progressivement, entre la quarantaine rugissante et la cinquantaine
hurlante (adjectifs d'ambiance), ce qui fait, malgré tout, déjà un bon bail..... Bien sûr j'avais lu, en vrac, des romans policiers de toutes sortes, des bons, des moins bons, des
« Agatha Christie » ou des « Simenon » désuets ou ringards, les sombres et trop complexes intrigues de « James Ellroy » et quelques excellents romans de très mauvais goût
de « Donald Westlake » ou encore, plus récemment, les livres de « Fred Varga » ou de « Thierry Jonquet » nouvelles vagues, dans lesquels, frileux, j'ai un peu de mal
à entrer.... j'en passe des pires ou des meilleurs.... Mais les polars que je préfère sont ceux qui forment un cycle avec un héros récurrent, un héros souvent fatigué, un
héros sur le retour.
Bien sûr il faut que ces romans soient bien écrits, que les héros soient de bons enquêteurs, que l'intrigue et le dénouement tiennent la route, mais ce qu'il faut avant tout c'est que
la personnalité du flic ou du détective soit complexe, qu'il soit plein de défauts et de manies, d'abord bourru, parfois bourré. Plus torturé par les aléas de la vie il est
, plus ce personnage est grincheux, râleur, et meilleur est le roman ; surtout lorsque la trame de l'histoire se déroule (du moins pour ceux que j'aime) dans
un environnement social très marqué.
Les personnages des polars que j'affectionne sont donc tous d'authentiques ronchons plus ou moins anars et moi, lecteur, je m'y retrouve et je les suis fidèlement. Je n'ai
qu'une peur quand je partage leurs aventures c'est que la parution se raréfie ou pire que le cycle se termine..... car le plus grand risque que courent ces flics courageux, ces
mecs sympas c'est bien d'être éliminé par leur auteur, ce criminel potentiel. Trop souvent il se lasse de son personnage et, in fine, décide de le supprimer en toute impunité. Salauds de
romanciers.
Ainsi l'histoire de Lorraine Page : jolie fille, lieutenant de police, excellent flic, mais pocharde invétérée, un soir, saoule pendant son service elle descend un jeune voyou non armé.... Virée de la police, c'est pour elle la descente aux enfers et puis le temps de trois romans elle refait progressivement surface, se reconstruisant en tant que détective privé. Des enquêtes intéressantes mais surtout un portait de femme à la reconquête d'elle-même. Trois magnifiques romans.... « Coup de froid, Sang froid et Cœur de pierre » jusqu'à ce que l'auteur Lynda La Plante décide brutalement de tuer son héroïne .... Ah ! La salope..... J'ai bien essayé de lire d'autres romans de cet écrivain mais, à l'exception de « Suspect n°1 » antérieur au cycle Lorraine Page, ça ne vaut pas la peine de perdre son temps.
Arrêt brutal aussi pour un excellent auteur français, Jean Claude Izzo, et son personnage Fabio Montale..... mais cette fois c'est l'auteur qui nous a lâché. Izzo est décédé en 2000. Sa trilogie marseillaise est magnifique « Total Khéops, Chourmo et Solea », magnifique et bien pensante ; normal pour un militant de gauche qui fut emprisonné comme objecteur de conscience. Le coup de grâce sera posthume, par la télévision, qui fit jouer le flic gauchissant par un Alain Delon vieillissant (pour être honnête je dois avouer ne pas avoir regardé ces téléfilms par respect pour Izzo).
Il me faut présenter quelques flics qui meublent mes insomnies matinales
et parler un peu de ceux qui les ont conçus.
Aujourd'hui (demain ça en sera un autre) mon préféré c'est Charlie Resnick un flic anglais d'origine polonaise, qui vit et
travaille à Nottingham, ville miroir de l'Angleterre post thatchérienne, avec ses différences sociales et ethniques. C'est un grand amateur de jazz, de sandwichs et de café. Il aime les
chats et des femmes qui ne lui rendent pas : Un cycle de dix romans de « cœurs solitaires à Derniers sacrements » en passant par
« Les années perdues et Proie facile » magnifiquement peint par le talentueux John Harvey
«... Resnick avait
opté pour un itinéraire passant par le sud....il avait une thermos de café sur le siège près de lui, des sandwichs emballés qu'il avait acheté chez le traiteur.... avec de l'emmenthal du jambon
de Parme, un gros cornichon et quatre petites cerises ....Sortant maladroitement, d'une seule main, une cassette de sa boîte, il la glissa dans le lecteur et monta le volume. L'orchestre de Count
Basie, première période, à son summum en 1940. Un tourbillon de riffs sollicités par le piano du chef d'orchestre, les solistes lancent leurs notes et décollent, le dernier d'entre eux, Lester
prenant appui sur la section rythmique.... Lester Young.... En tournée avec l'orchestre il avait échappé à l'incorporation jusqu'en 1944 puis....... ......Qu'est ce qui les
a poussé à s'emparer d'un homme qui, en dépit de sa maladie et des doutes qui le rongent est capable de créer une telle splendeur, un noir de trente quatre ans pour le jeter dans une
prison militaire au fin fond de la Georgie en lui déniant tous ses droits ? Qu'est ce qui les pousse à s'emparer d'une fillette blonde aux yeux d'un bleu porcelaine, pour briser son
corps et l'enfouir dans des sacs poubelles dans l'obscurité d'un terrain vague ? ....» extrait de « Off Miror ».
Après un onzième
livre, Now's the time, qui est un recueil de nouvelles, super bonus jazzy, autour des enquêtes de Resnick, John Harvey a laissé tomber son
héros.... en lui donnant une promotion et en le transformant en bureaucrate. Triste fin.
John
Harvey : « Après dix livres, j'ai trouvé que la série perdait en énergie et que je devenais paresseux ; c'était trop confortable pour
moi en tant qu'écrivain. »... et Harvey est reparti avec un nouveau flic Frank Elder, aussi tourmenté, aussi malheureux en amour que Charly mais plus vieux, moins jazzy
et donc moins sexy. Déjà deux romans : il faut reconnaitre que ce n'est pas mal mais à confirmer avant de trop s'y attacher.
Aujourd'hui mon préféré serait donc Charly Resnick mais hier c'était, peut-être, Harry Bosch de Michael Connelly. De son vrai prénom Hieronymus un peintre flamand, Harry est le fils d'une prostituée assassinée alors qu'il était encore enfant. Il a grandi dans divers foyers avant de s'engager dans l'armée et de participer à la guerre du Vietnam, après quoi il devint inspecteur de la police criminel de Los Angeles.

C'est à ce titre qu'il est amené dans Le Dernier Coyote à élucider trente ans après le meurtre de sa mère. (Coup de
chapeau au Dahlia Noir d'Ellroy....hommage renvoyé par Michael Mann dans son film Collatéral avec la simple traversée d'un coyote devant le taxi une nuit à Los
Angeles).
« ...Bosch
débarrassa tout le courrier et les manuels de menuiserie qui traînaient sur la table de la salle à manger pour y déposer le classeur et le carnet. Puis il s'approcha de la chaîne hi fi et
introduisit un CD dans le lecteur :Clifford Brown with Strings. Il alla encore chercher un cendrier dans la cuisine, puis revint enfin s'asseoir devant le gros classeur bleu, le couleur
réservée aux affaires d'homicide.... Un souvenir lui vint et occupa son esprit : un garçon de onze ans dans une piscine. Le garçon a peur, il est seul.... Bosch tira sur l'élastique ...et
hésita encore un court instant avant d'ouvrir le classeur... » Extrait du « Dernier Coyote».
Harry a lui aussi de gros soucis, dont des démélés avec sa hiérarchie et
ses collègues. Il a aussi un passé qui le hante et des affaires de coeur qui le perturbent....
Michael Connelly, ex-journaliste, a écrit treize romans, Des égouts de L.A. à Echo park en passant par La Blonde en béton et autres, avec Harry Bosch comme
héros ; trois romans avec l'agent du FBI Terry Mc Caleb dont Créance de sang (porté à l'écran par Clint Eastwood) et deux romans
où Terry partage la vedette avec Bosch dont le remarquable Oiseau des ténèbres. Enfin pour le plus célèbre roman de Connelly Le Poète son personnage central est son double, un journaliste, Sean Mc Evoy.
Connelly fait mourir Terry Mc Caleb dans « Los Angeles River » et dans le même livre il a bien essayé
de se débarrasser de Bosch en lui faisant prendre sa retraite puis en introduisant de nouveaux personnages, (dont Mickey Haller, avocat et probable demi frère d'Harry, dans la Défense Lincoln) mais on ne se débarrasse pas d'Harry Bosch comme ça et il lui a fallu le sortir de sa retraite dans son dernier livre.
Et si finalement mon personnage récurrent préféré n'était autre que Kurt Wallander brave flic du commissariat d'Ystad en Scanie dans le sud de la Suède. Flic grincheux qui a des problèmes de santé, de régime, et qui a des soucis avec son père, sa fille, son ex-femme, sa maîtresse qui vit en Lettonie et que l'on ne croise que deux fois, de façon assez platonique, en dix romans..... L'auteur Henning Mankell, qui partage sa vie entre la Suède et le Mozambique, rapporte avec minutie et détails les conditions de travail au sein d'un commissariat et dépeint les états d'âme, les réflexions et des angoisses de son héros. Des Chiens de Riga aux Morts de la Saint Jean ou la Lionne Blanche (une adaptation sur Arte Dimanche 20 avril en soirée), on s'attache à ce flic curieux, têtu, tendre et bourru :
Alors Mankell finira-il par liquider Wallander ?
Et demain ou après, avec qui aurai-je envie de passer mes matinales ? Sans doute avec Dave Robicheaux personnage des bayous de Louisiane créé par James Lee Burke. Dave, ex-grand buveur, ex-bringueur, ancien du Vietnam revenu tourmenté et après avoir connu une vie des plus chaotiques, s'est refait une conduite auprès de sa femme Bootsie et s'est transformé en un justicier humaniste. Burke est peut être de tous ces auteurs de polar celui dont le style est le plus flamboyant : lire notamment Prisonniers du ciel, Black Cherry Blues et Dans la brume électrique avec les morts confédérés que Bertrand Tavernier est en train d'adapter pour le cinéma, en Louisiane, avec Tommy Lee Jones dans le rôle de Robicheaux.
«....J'enfilai une chemise de jean avant de sortir sous les pacaniers dans le crépuscule qui allait s'obscurcissant. De l'autre côté de la route, le marais était violacé
sous la brume et étincellait de lucioles. Un gamin noir en pirogue pêchait à la ligne en bordure des nénuphars sur le bayou. Sa peau sombre donnait l'impression de rougeoyer sous les derniers
feux du couchant. Son corps, sa canne à pêche étaient absolument immobiles et il ne quittait pas l'eau des yeux, son regard rivé au bouchon. Le soir tombant était tellement paisible, d'une
langueur telle avec ce jeune garçon pétrifié par sa concentration que j'aurai pu être en train d'admirer une toile de peintre.....Je pris alors conscience, avec un noeud au coeur, que
quelque chose ne cadrait pas : il n'y avait pas le moindre bruit....»
Quel talent, quel beau personnage avec plus de dix romans à lire dans l'ordre chronologique.... et puis patatras James Lee Burke semble vouloir l'abandonner pour maintenant
s'intéresser à un attorney texan Billy Bob Holland. ok, Heartwood, ce n'est pas trop mal, mais le Texas du coté de Huston, quand on a connu
la poésie des bayous..... ça devient quelconque. A boycotter pour que Burke se réconcilie vite avec Robicheaux.
Et puis il y a tous les autres tel John Rebus le flic écossais qui nous entraîne dans les bas-fonds d'Edimbourg. En plus d'élucider des affaires tordues, il a des
problèmes avec son frère en prison, sa fille qui se drogue, sa femme qui l'a quitté. C'est encore un personnage ronchon porté sur la bouteille et il passe son temps à écouter les
Rolling Stone (quelle faute de goût) et à picoler de la bière et du whisky. L'auteur Ian Rankin ne le gâte pas en accentuant au fil des romans de l'Etrangleur d'Edimbourg à La Colline des chagrins son problème avec l'alcool.
Je devrais aussi parler de Tony Hillerman et de ses personnages, séparés ou en duo, Joe Leaphorn et Jim Chee de la police tribale Navajos entre Arizona et Nouveau Mexique.
Le peuple de l'ombre, le premier aigle ou l'homme squelette
Mentionner Dennis Lehane et son couple de détectives Patrick Kenzie et Angela Gennaro : Un dernier verre avant la guerre et Gone baby
gone. Les personnages, sont cependant un peu fades et ils sont
d'ailleurs absents du meilleur roman de Lehane, Mystic River qui fut porté à l'écran par Clint Eastwood.
Enfin j'en suis encore à découvrir un écrivain que m'avait conseillé Gérard Filoche, grand amateur de polars, il s'agit de Georges Pélécanos, écrivain américain d'origine grecque,
et ses équipes d'enquêteurs «poivre et sel » qui arpentent les quartiers populaires de Washington. J'aimais beaucoup le duo Derek Strange et
Terry Quinn dans Blanc comme neige, tout se paye et Soul Circus, mais dans ce dernier roman ce salaud de Pélécanos a déjà fait flinguer Terry, le visage pâle. J'espère qu'il continuera à faire
vivre d'autres aventures à Derek, le black, grand fan de films noirs de série B et de soul music notamment d'Otis Redding..... sinon....j'irai voir
ailleurs.
(A suivre)