Lettres à Didi..... Petites annonces : Vrais et faux mariages.
La dernière lettre de Roger à son frère Didi se terminait par un post-scriptum : « Dernière info, j'allais oublier : Albertine s'est mariée le samedi où nous arrivions à Civry. ».
Cette annonce a du troubler le jeune soldat en Allemagne car il mit peu de temps à écrire à la jeune fille et elle,
du tac au tac, de lui répondre. Cette lettre réponse je l'ai trouvée dans les archives que m'a laissées mon oncle. Une lettre directe, tendre et enjouée ce qui semblait être les traits de
caractère d'Albertine jeune fille aventureuse qui avait été arrêtée, avec Didi, par les allemands, le 8 juin 1944 pour avoir porté secours à un maquisard blessé. (Se reporter aux billets, Didi résistant).
Le 24 septembre 1945,
Mon cher André
C'est avec grand plaisir que j'ai reçu de tes nouvelles. Il y avait en effet bien longtemps que je n'en vais eu. J'ai donc été très heureuse de te savoir en bonne
santé et j'espère que cela continue. Je vois aussi avec plaisir que maintenant c'est enfin la planque. Pour toi aussi la quille doit approcher et je ne doute que, comme pour Jean
(son frère), elle soit attendue avec impatience. Il y a assez longtemps que vous avez quitté vos familles et vous
avez largement servi votre pays.
Quand à
moi ça va très, très bien. Je te remercie beaucoup de tes bons vœux de bonheur, mais je crois qu'ils sont un peu prématurés. En effet il n'est nullement question de mariage pour moi, pour le
moment. Je ne suis pas encore décidée à me mettre la corde au coup ; d'ailleurs la vie conjugale ne me tente pas du tout.
J'ai été éberluée hier en lisant ta lettre mais après réflexion j'ai cru
comprendre : Roger a certainement fait erreur : une demoiselle B... s'est mariée le mois dernier à Annoux, demoiselle au demeurant plus que mûre (mais c'est un détail) et j'en conclue
que la similitude de nom a entraîné une confusion.
Enfin Didi, pensais-tu vraiment que je t'aurais laissé dans l'ignorance d'un semblable événement ! Toi mon très cher ami ; parmi les camarades des mauvais jours,
tu aurais été le premier à être prévenu.
J'ai su par Thérèse qui est revenue à Civry avec ta grand-mère, que tu avais bien fait la noce en juillet. J'ai même vu des photos, très réussies. Nous pensions voir
les jeunes époux (mes parents) à leur venue mais ils n'en ont sûrement pas trouvé le
temps.
J'irai voir ta grand-mère
ces jours-ci.
Nous attendons une perm
pour Jean. Son régiment est revenu en France depuis huit jours ; il est à Montluçon.
Le village est toujours aussi calme. Seule la famille W... met du mouvement car voilà déjà deux baptêmes et un
mariage pour samedi.
Je te quitte pour cette fois et je t'embrasse bien
fort.
A très bientôt, j'espère.
Albertine.
Si ce n'est pas une déclaration ça ! .... Je me demande d'ailleurs si dans la lettre qu'il lui a envoyé Didi évoqua son récent (mais court) béguin.... celle que Roger appelait déjà, de façon très prématurée, sa future belle sœur.... ... vraiment mon père devait être très sentimental à 23 ans.... lui qui baignait dans un bonheur de jeune marié, il voulait marier tout le monde... Et d'ailleurs à lire ces lettres on sent, en ces premiers mois post armistice, un besoin de reconstruction des cellules familiales grâce à ce type de cérémonies.... Voici quelques passages d'une lettre que ma grand-mère Geneviève adressait à Didi :
Champigny le 18 septembre 1945
Mon petit fiston,
..... Le baptême de la petite Thérèse H. (une cousine au 2ème degré, fille d'André cousin de Roger et Didi) est fixé
au 30 septembre et c'est Raymonde qui est la marraine mais je ne sais pas qui est le parrain (en fait ça aurait du être Didi mais comme il n'a pas eu de
permission ce fut Roger par délégation). Si tu pouvais nous faire la même surprise que pour la première communion de Bernadette ça serait gentil.
Ton copain Dédé est là, lui, il a eut une perm (sous entendu tu ne fais pas d'effort pour rentrer......et pourtant elle semble se réjouir de quelques déboires
amoureux de son fils). Nous allons bien et espérons qu'il en est de même pour toi surtout côté petit cœur, j'espère que tu te consoles du départ de
ta petite marraine.....
Simone B.
(c'est ma tante Simone la sœur de Raymonde) se marie samedi à Chaudes-aigues dans le Cantal, mais le repas
de noce aura lieu ici, mais quand ?
Papa
se joint à moi pour t'embrasser bien, bien fort.
Maman.
Le 6 octobre Didi recevait un mot de Roger qui manifestement répondait à un petit coup de gueule du à l'annonce du mariage d'Albertine.
Mon petit frangin,
Bien reçu ta lettre du 2 octobre 1945 ; en effet je crois que pour une gaffe c'est une gaffe : féliciter une jeune fille d'un soi-disant mariage ça la fout
mal, mais que veux-tu à Civry, on a vu plusieurs personnes qui nous ont dit qu'Albertine se mariait. Le lendemain, Thérèse qui descendait d'Annoux a dit qu'il y avait une belle noce ! Alors
qui c'est qui débloque ?
Enfin peu
importe, j'accepte tes excuses et n'en parlons plus. Bonjour l'ambiance entre les frangins !
Autres nouvelles du même genre : Jojo qui avait déjà un pied
pris ( ?), c'est fait prendre le second et même le cou ; encore une belle corde !
L'oncle Raymond parle aussi mariage ....
Raymonde se joint à moi pour t'envoyer nos plus
affectueux baisers.
Il
me faut revenir sur l'oncle Raymond qui vient d'avoir un coup de foudre et pour cela je dois revenir à une lettre de mon père du 25 septembre ; à peine une semaine plus tôt.
Raymond était le frère de mon grand-père Ernest, mais si Ernest né en 1893 était l'aîné de la fratrie, Raymond né en 1916 était le dernier. Il n'avait d'ailleurs que huit ans de plus que Raymonde
et six ans de plus que Roger.
...... Dimanche dernier Raymonde était heureuse et moi je bichais un peu ! Nous avons fait notre premier petit
gueuleton. D'abord samedi soir c'était la java des casseroles et marmites et le lendemain ce fut la java des mandibules.
Nous avions invité Papa et Maman, Beau-papa, Jojo et Aline, Mimile et Gilberte, Oncle Raymond et Louisette. Ce
petit gueuleton était à deux fins : d'abord faire notre première réception ensuite présenter Raymond à Louisette, qui est une jeune fille que tu as du voir à la noce. (Louisette
était une amie de Raymonde ; elles étaient trois copines des bords de Marne à travailler ensemble : Louisette, Gilberte, qui fut ma marraine et Raymonde.) Depuis le mariage, Raymond roucoulait dans son coin tandis que Louisette en faisait autant de son côté. Conclusion comme dirait un pote qui travaille à l'ordinaire :
« Ils se sont mirés les chasses, ils gambergent pour le palpitant, mais nib pour la jactance.»
Alors on s'est enquillé huîtres, radis au beurre, jardinière mayonnaise, rôti, purée, salade, fromages tarte au
moka, glace, café, fruits. Ouf ! Cézigue découd sa sous-ventrière.
Le soir on est, tous, allé au ciné,... et dans l'ombre propice, Raymond et Louisette qui...
que....enfin...bref !
Pendant ce
temps là, le samedi, Belle-maman à Chaudes-aigues, conduisait sa deuxième (Simone) à l'hôtel, pardon je veux dire l'autel, même si c'est par le
premier cité que ça se terminera ! Et on s'attend à voir remonter la nouvelle smala à Paris et faire la connaissance du nouveau beauf (encore un
André).
Je te quitte en t'embrassant
affectueusement. Démerdes-toi maintenant pour revenir. Ton frangin. Roger.
A la lecture de ces deux lettres de mon père on relève que pour Raymond et Louisette ce fut un vrai coup de foudre... une semaine après leur premier baiser au cinéma ils parlaient déjà mariage.... qui eut lieu quelques mois plus tard.... Ils étaient pressés à la libération..... et nous, ensuite, on a été ce qu'on a d'abord appelé le baby boom puis maintenant le papy boom. Je suis de 4 mois plus âgé que mon cousin Michel né de cette union. Michel que j'ai revu avec beaucoup de plaisir cet été, en Provence, après que nous nous soyons perdus de vue trop longtemps.... pour cause de vie de tous les jours avec ses contraintes familiales, professionnelles, géographiques..... et nous étions vraiment très contents de nous revoir.
(A suivre)