Souvenirs en vrac.......... Kaifa assbaho asdikai ?
Je ne pourrais pas tenir la promesse faite à mon très bon ami Lakmi en février 2008. Je ne retournerai pas au Maroc cette année.... .Il y eut le Sud Marocain en février 2007, il y eut le circuit Rabat Moulay Idriss, Meknès et Fez en février 2008.... Il n'y aura pas de Maroc en février ou même un autre mois en 2009 .... Le planning des projets, des engagements, des impératifs est trop chargé.... Mais j'espère du fond du cœur que cela n'est que partie remise.... A l'année prochaine.... Inch Allah.
Malgré toutes les merveilles visitées le moment le plus fort du séjour 2008 fût sans conteste mes retrouvailles 32 ans plus tard avec Lakmi. J'ai décrit ce grand moment d'émotion dans le billet intitulé « Un site de verdure redux... ».
Quelques mois plus tard, début juin, un petit groupe d'anciens de l'entreprise Campenon a organisé, en Languedoc, au prieuré Saint-Michel de Grandmont près de Lodève., les AL Massirades, joli nom pour ce rassemblement de ceux qui se sont connus pendant la construction de cet emblématique barrage marocain. J'ai aussi consacré un billet à ce beau week-end ; un billet dont le titre était « Que sont mes amis devenus..... ». C'est sans doute l'histoire de ce Prieuré fondé au XIIème siècle qui m'a conduit à emprunter ce titre au poète Rutebeuf.
Je fus très heureux de revoir tous ces amis qui purent faire le déplacement mais ça m'a aussi confirmé que mes bons souvenirs de cette époque n'étaient pas uniquement attachés aux européens, Suisses et Français, mais qu'il y en avait beaucoup de liés aux Marocains qui, à une exception près, un copain vivant en France, étaient les absents du week-end languedocien. Il m'a semblé nécessaire de faire travailler ma mémoire et de laisser remonter à la surface quelques souvenirs avec des amis marocains....
Pour ce billet je garde le même titre, mais en arabe « Kaïfa assbaho asdikaï » (J'espère avoir bien transcrit la traduction qui m'a été proposée par le courtois Loutfi)
J'ai tellement de souvenirs en vrac que je ne sais pas trop par lesquels commencer : par l'enfance bien sûr et voici un rapide portrait de l'incomparable Farid qui, du haut de ses 4 - 5 ans, ne s'en laissait pas compter.
Les parents de Farid étaient Ajdir et Véronika. Ajdir était Marocain et Véronika était allemande. Ils s'étaient connus à Berlin lorsque Ajdir y étudiait. Nous étions voisins et comme ils n'avaient pas de voiture nous avions le plaisir, Pilou ou moi, d'emmener et d'aller chercher, avec nos enfants, Farid à l'école. C'était fabuleux de voir ce môme parler à sa mère en allemand, à son père et ses amis en arabe, à ses grands-parents en berbère et à la maîtresse et ses petits copains en français. Parfois il y avait de légers loupés mais ainsi va l'apprentissage des langues.
Cependant un jour je me suis aperçu qu'il y avait quelque chose qui clochait, quand je le déposais devant chez lui le midi. Pourtant je le raccompagnais jusqu'à la porte de sa maison en lui disant gentiment « Bon appétit Farid... à tout à l'heure...».
Je voyais bien que ça ne lui plaisait pas.... Il ne disait rien et ne se confiait même pas à sa copine, ma fille Cécile, ni même à son père.... Et puis un jour ce fut plus fort que lui, il se tourna vers moi rageur et me rétorqua « Farid n'est pas petit Farid est un grand garçon qui va à l'école.». Je lui expliquais immédiatement la confusion et nous redevenions amis.
J'ai aussi un très beau souvenir d'un dimanche où nos amis nous avaient invités chez les parents d'Ajdir à Marrakech.... Et puis les balades dans les souks de la Médina et même d'une journée mémorable de ski et de luge, un hiver à Oukaïmenden.......... Je ne sais ce que sont devenus l'incomparable Farid et ses parents, Farid qui devrait avoir aujourd'hui 34 ou 35 ans, sensiblement l'âge de son père à l'époque.
Autres souvenirs : L'éloquent Balir me semblait être une parfaite synthèse entre modernité et tradition. Il aimait beaucoup la région du moyen Atlas dont il était originaire et plus particulièrement Béni-Mellal dont son père devait être un notable. C'était un remarquable joueur d'échecs et s'il acceptait de jouer parfois avec moi, il préférait se confronter avec mon fils Eric qui à 8/9 ans était déjà un excellent joueur. Il affectionnait aussi le débat d'idées. Il estimait notamment qu'il était tout à fait possible de tendre vers une démocratie avancée dans un cadre monarchique. Je ne contestais nullement cette possibilité fréquente en Europe et qui semblait être ce qui se dessinait, ces années là, en Espagne après la mort de Franco.
Il aimait, aussi, parler religion et n'avait de cesse de me convaincre, me démontrer que les chrétiens, juifs et musulmans adoraient tous à leur manière le même Dieu et que les trois religions avaient le même tronc commun, et que Jésus et la Vierge étaient vénérés par les musulmans. Moi qui suis et qui étais déjà parfaitement agnostique et qui n'adore que la paix et le respect des autres, je l'écoutais et discutais avec lui avec plaisir. Je le revois encore me faire des comparaisons, paragraphe par paragraphe, des livres saints pour des épisodes comme le Déluge ou l'Exode
Le sérieux de ces discutions n'empêchait pas Balir d'être jeune et mûr, moderne et sincère, respectueux mais ironique avec parfois de l'impertinence et d'énormes contradictions dans ses goûts et son comportement.....d'ailleurs s'il parlait beaucoup, il ne refusait jamais de trinquer à l'amitié ........
Il nous parlait aussi beaucoup de sa famille, de sa région .... « Un prochain week-end il faudrait que vous veniez à Béni-Mellal je serais tellement heureux de vous présenter à ma famille et elle serait très contente de vous recevoir... »
Il nous fit plusieurs fois cette proposition sans vraiment formaliser une invitation. Un soir qu'il soupait à la maison, Pilou et moi, nous lui avions répondu que nous étions intéressés par cette suggestion.... et une gêne s'est installée..... Quelques jours plus tard il s'en expliqua tout en formulant une invitation en bonne et due forme....:
« Mes chers amis j'espère que je ne vais pas trop vous décevoir, mais vous n'allez pas me reconnaître au sein de ma famille : je parle très peu et seulement quand mon père m'y autorise. Vous ne me verrez même pas fumer devant mon père. J'ai très peur de beaucoup vous décevoir. »
Nous l'avons rassuré en lui disant que nous trouvions natuel et très bien ce respect des parents. Il fut libéré par notre réponse et s'en suivit quelques jours plus tard une excellente journée chez des gens très aimables, très sympathiques, très attentionnés. Tout c'est passé à merveille et je me rappelle encore cette épaule d'agneau cuite à la vapeur que nous avait préparée la maman de Balir.... Il est vrai que ce jour-la j'ai connu une autre facette de mon ami.... Il ne fut guère bavard mais dès le lendemain.....l'éloquent Balir renaissait.
J'ai travaillé près de deux ans avec lui et jamais ce fidèle équipier ne m'a déçu... notamment ses rapports avec les ouvriers du chantiers étaient irréprochables.
J'ai encore dans la tête son rire moqueur.... Comment avons pu nous quitter en juillet 1979 sans échanger des adresses, les avons-nous égarés ?... Je ne sais plus .... Balir est un de ces bons amis dont j'ai parlé l'an dernier avec Lakmi, mais lui aussi n'avait plus jamais eu de nouvelle..... Il est vrai que c'est un grand pays très peuplé le Maroc.
Karim était le prédécesseur de Balir. Marié, sa femme ayant une bonne situation et père de 3 enfants il ne pouvait pas rester trop longtemps sur un grand chantier. Il a quand même participé à la construction de l'ouvrage pendant un peu plus d'une année et puis il a demandé à être remplacé. Par certains côtés Balir et lui se ressemblaient ? Tous les deux étaient très généreux et rayonnaient de la même joie de vivre. Karim intellectualisait moins et je ne me souviens pas d'avoir passer du temps avec lui à débattre de quoique ce soit... nous discutions... mais il n'y avait nullement besoin de convaincre ou d'instruire.
Karim son truc c'était le football et plus particulièrement les « Verts » dont il était supporter. Pas de chance et un peu comme ce fut le cas ensuite avec Balir pour la religion, je n'étais sans doute pas l'interlocuteur idéal : je pouvais parler rugby pendant des heures mais pas trop football... Karim savait tout des Rocheteau, Larqué, Révelli, Santini, Janvion....il me racontait la finale de coupe d'Europe de 1976, phase par phase minute par minute. Son idole était Sarramagna ... j'essayais d'être bon patriote et de soutenir un club français au moins autant qu'un marocain..... mais j'avais une excuse à présenter car en 76 j'étais au Zaïre depuis 3 ans et je n'avais pas la télévision.
Sa femme Jamila et ses enfants venaient, pendant les vacances scolaires, le rejoindre pendant quelques jours.... Et naturellement notre porte leur était grande ouverte.
Avant de quitter définitivement le chantier il nous a invités à une grande fête chez lui à Casablanca. Cette fête avait un rapport avec ses enfants. Je ne me souviens plus trop si c'était une fête « institutionnelle » comme l'Achoura ou un anniversaire. Ce jour là, Karim et son épouse Jamila m'ont subjugué, époustouflé. D'abord leur appartement dans un bel immeuble situé dans une rue adjacente au boulevard Mohamed V, était grand, joliment meublé et décoré.
Jamila non seulement était très élégante mais en plus, tout au long de cette journée, elle a du changer 5 ou 6 fois de tenue avec des ensembles de plus en plus somptueux. Une tradition nous a-t-on dit.
Il y avait du monde, de la famille certainement, mais je m'aperçus aussi que Karim ne connaissait pas très bien tout le monde : il y avait tous les voisins, ceux connus de longue date et d'autres bien moins connus. Mais ça aussi c'était une tradition au Maroc, quitte à faire la fête et à faire du bruit il fallait que tout le monde en profite : sympa ! Il y avait aussi leur famille, notamment les sœurs de Jamila, qui l'aidaient à se changer régulièrement, puis des collègues de travail (dont nous et un autre couple lui aussi français). Il y avait un groupe musical traditionnel, des danseuses et..... des serveurs qui nous présentaient les plateaux de fruits, sucreries, dattes, gâteaux par centaines, qui passaient sans jamais repasser... des boissons type Coca-cola, des jus de fruits, du thé, du café....
Une magnifique réception, au faste quelque peu inattendue pour une après midi dédiée aux enfants mais pourquoi pas. Le généreux Karim et la resplendissante Jamila savaient recevoir..... et les nombreux enfants, les leurs, les nôtres et tous les autres présents ont passé une journée de rêve, une journée digne des contes des milles et une merveilles .... pour les parents aussi.
(A suivre)