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A livres ouverts... En attendant le vote des bêtes sauvages.

7 Mars 2009 , Rédigé par daniel Publié dans #à livre ouvert

 J'aime la littérature africaine et pourtant je ne l'ai découverte qu'après mes années africaines.... Pendant cette période (1973-1986), je me suis surtout intéressé aux aspects  historiques et politiques de l'Afrique et j'ai d'ailleurs beaucoup appris grâce aux livres de Cornevin, Julien, Biarnès, Dumon, Bayart... et Joseph Ki Zerbo (Ouf ! un africain....). J'ai commencé à approcher la littérature africaine au Cameroun à la fin des années 80 d'abord avec Mongo Béti « Mission terminée » (Prix Sainte Beuve 1958 ) puis Nga Ndongo « Les puces » mais j'avoue être quelque peu passé à côté de ces deux romans... il me faudra y revenir.

 Mes premiers coups de cœur sont sans doute liés à mon retour en France et à la nostalgie de l'Afrique ; il y eut d'abord « Amkoullel l'enfant Peul » et « Oui mon commandant ! » du Malien Hampâté Bâ: Deux œuvres publiés après le décès de l'auteur.

 Hambâté Bâ un écrivain « diplômé de la grande université de la Parole enseignée à l'ombre des baobabs » qui déclara en 1960 à une tribune de l'UNESCO « En Afrique quand un vieillard meurt c'est une bibliothèque qui brûle ».Hampâté Bâ qui fut pour moi la découverte du griot scribe, « l'oralité couchée sur le papier »...

.... Et puis, plus récemment, j'ai fait connaissance avec l'Ivoirien Ahmadou Kourouma et le Congolais Emmanuel Boundzeki Dongala et là je suis devenu accro.....

  Kourouma s'est lui-même révélé sur le tard puisque son premier roman ne fut publié qu'en 1970, alors qu'il avait déjà 44 ans, puis le second ne sorti que vingt ans plus tard et lorsqu'il décéda en décembre 2003 à 76 ans il n'avait écrit que 4 romans le dernier publié d'ailleurs après sa mort.

 Dongala n'est pas beaucoup plus prolixe car à ce jour il n'a fait paraître que 5 romans mais comme il est un peu plus jeune (67 ans quand même), j'espère qu'il aura encore le temps de nous proposer d'autres chefs d'œuvre.

  Ce premier billet hommage à la littérature africaine je le consacre à Ahmadou Kourouma et plus précisément à son oeuvre maîtresse, le monumental « En attendant le vote des bêtes sauvages ».

 Comment ai-je découvert ce roman et cet auteur ? Sûrement par la radio, France Info ou France Inter : ce livre ayant obtenu le prix Inter 1999. Probablement qu'un chroniqueur a mentionné qu'il s'agissait d'une satire de la dictature d'Eyadéma le dirigeant du Togo.... Et comme je suis particulièrement documenté sur le sujet pour cause de jumelage coopération entre Niort et Atakpamé...ça a fait tilt...

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 Ce roman est à la fois jubilatoire, historique, militant et avant tout ....très, très, très africain. L'auteur très attaché à sa culture malinké, narre cette histoire à la manière d'un griot... et c'est d'ailleurs par le personnage d'un griot (ou sora), l'impertinent Bingo, qu'il conte l'histoire de Koyaba, président dictateur de république du Golfe. Le griot à lui-même comme répondeur un cordoua, bouffon simpliste, Tiécoura qui relance en toute impunité là où ça devrait faire mal au dictateur.... Mais un conteur et un bouffon ont tous pouvoirs dans la tradition africaine même face à un tyran sanguinaire.... et surtout quand cette brute épaisse ne saisit pas, comme le lecteur averti, l'ironie des fausses flatteries.

 Tout est dit en six veillées de la vie du président Koyaba (Eyadéma). Il faut être africain pour pouvoir écrire que l'ethnie qui vit dans les montagnes de la république du Golfe (Togo), montagnes paléos, est celle des hommes nus ou des paléonigritiques.... Il fallait oser.

Tous les personnages de la veillée n°2 sont identifiables :   Fricassa Santos est Sylvanus Olympio le 1er chef d'état après l'indépendance qui fut assassiné par Gnassingbé Eyadéma le 13 janvier 1962. S'ensuivit un partage du pouvoir entre Koyaba-Eyadéma qui devint chef des armées et un métis Crunet (en réalité Nicolas Grunitzky) nommé président de la république. Quatre ans plus tard nouveau coup d'état, toujours un 13 janvier et Koyaba-Eyadéma prend le pouvoir et Crunet éliminé (en exil pour le vrai, Grunitzky).  

  Le clou du roman est sans conteste la veillée n°4 où le griot nous raconte comment le nouveau maître apprend son métier de dictateur en faisant une tournée initiatique de ses pairs, chefs d'état de l'Afrique liberticide.

Tout d'abord il rencontra Tiekoroni, (Humphouët Boigny: Le maître de la République des Ebènes, avait pour totem le caïman. C'était un petit vieillard rusé qu'on appelait l'homme au chapeau mou et qui se faisait appeler dans son fief le Bélier de Fasso et le sage de l'Afrique......un des trois conseils de Tiekoroni à Koyaba fut celui-ci :

«  Un président, chef du parti unique, père de la nation a beaucoup d'adversaires politiques et très peu de sincères amis. Les adversaires politiques sont des ennemis. Avec eux, les choses sont simples et claires.....il ne peut y avoir deux hippopotames mâles dans un seul bief. On leur applique le traitement qu'ils méritent : on les torture, les bannit ou les assassine. Mais comment se comporter avec les amis sincères ou les proches parents ? Comment les traiter ? Ou encore comment distinguer les vrais des faux ? C'est une règle universellement connue qu'on ne peut être trahi que par un ami ou un proche. Il faut prévenir la trahison ; débusquer le faux ami, le jaloux parent, le traître avant qu'il inocule son venin. C'est une opération aussi complexe que de nettoyer l'anus d'une hyène..... »

  Bonne transition avant de rencontrer Bossouma (Bokassa) l'homme au totem hyène, empereur du pays aux Deux fleuves.... Képi de maréchal, sourire de filou, l'homme au poitrail caparaçonné de décorations......parce qu'il était le seul dictateur à être parvenu à se faire proclamer empereur, était moins menteur et hypocrite que les autres chefs d'état des républiques :

« C'est par perfidie, hypocrisie que les autres présidents africains font commencer la présentation de leur République par l'Assemblée nationale ou une école. La principale institution, dans tout gouvernement avec parti unique, est la prison. C'est par la prison que je fais débuter la visite de l'Empire affirma l'homme au totem hyène. »

  Je passe rapidement sur la suite du périple de compagnonnage : il rencontrera encore l'homme au totem de léopard (Inongo-Mobutu) président de la république du Grand Fleuve qui prendra en toute simplicité le nom de Président Soleil, Génie du Grand fleuve, Stratège, Sauveur, Père de la nation, Unificateur et Pacificateur...etc.. Il était méfiant, prudent l'homme au totem de léopard : il ne quittait jamais son pays sans tout le trésor du pays et toutes les personnalités de sa République. C'est une ruse qui s'est révélée efficace et a fait échouer déjà trois complots ....la perspective de se trouver en cas de réussite, devant les caisses totalement vides les décourageait...

 Enfin la dernière visite initiatique fut pour un pays musulman du nord de l'Afrique, le pays du potentat au totem de chacal du désert....

  Mais il me faut aussi mentionner la veillée n°3 qui suit l'itinéraire d'un autre personnage Maclédio, l'âme damnée de Koyaba, avec un portrait qui permet de balayer en un chapitre l'ensemble des dictatures africaines et les vraies rivalités et grandes détestations faussement liées aux idéologies et à la guerre froide. C'est dans ce chapitre que Kourouma nous parle de Nkoutigui Fondio (Sékou Touré), l'homme au totem de lévrier, dictateur de la République des Monts qui avec verve vibra sur la dignité de l'Afrique et de l'homme noir et hurla, devant l'univers  et en face du chef général de Gaulle un non catégorique. Non à la communauté ! Non à la France ! Non au néocolonialisme !...

Nkoutigui Fondio ne se connaissait sur tout le vaste continent africain qu'un seul adversaire de taille : Tiékonroni (Humphouët Boigny). En réalité les deux potentats tout en étant différents dans la forme étaient ceux qui se ressemblaient le plus dans la façon d'agir.... Qu'est ce qui en définitive, qui distinguait les deux pères de la nation, présidents du parti unique ? C'était la foi en la parole et l'homme .....

 ....L'homme au calot et boubou blanc croyait aux paroles, aux hommes et au Nègre. Et gérer l'indépendance pour Nkoutigui signifiait remplacer à tous les niveaux, tout Blanc (technicien ou pas) par n'importe quel Nègre. Le rusé et aristocratique Tiékoroni, ne croyait pas aux paroles, à l'homme et surtout au Nègre.... Et gérer une république indépendante africaine pour lui consistait à confier les responsabilités aux blancs, tenir le Nègre en laisse pour donner des coups de temps en temps aux compatriotes qui levaient la tête.

  Voilà, c'est du Kourouma dans le texte (kourouma signifie guerrier en malinké) avec sa prose politiquement incorrecte, ses mots crus, assortis de proverbes africains et d'humour noir « Nègre ». Un livre incontournable pour ceux qui aiment l'Afrique et qui veulent comprendre ce qui s'est passé pendant ce demi-siècle d'indépendance et de néo-colonialisme.

 Ahmadou Kourouma a aussi publié en 1970 « Le soleil des indépendances » que je n'ai pas lu ;  puis en 1990 « Monné, outrages et défis » que j'ai lu mais avant « En attendant le vote des bêtes sauvages » et dont je n'avais sans doute pas bien compris, à l'époque, le ton caustique : il me faudra relire ce livre. Et enfin son dernier livre en 2000 le magnifique « Allah n'est pas obligé » prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens. Ce roman qui raconte comment un enfant orphelin devint enfant soldat au Libéria me servira de lien avec un très prochain billet qui sera consacré à Emmanuel Dongala dont le dernier livre, « Johnny chien méchant », traite du même sujet.

 A suivre.

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