L'invité du Blog........... Michel Rocard
Longtemps, au sein du PS, j'ai été étiqueté « rocardien ». Cela me convenait car je trouvais que cet homme avait du talent, mais dans le fond ce n'était peut-être pas si sûr et d'ailleurs, à partir de 1994, je me suis trouvé beaucoup plus de convergences avec Vincent Peillon.
Si je me suis senti assez proche de Rocard pendant une dizaine d'années (1984/1994) c'est essentiellement pour deux raisons :
1/ Dans son courant politique il y avait des hommes que j'admirais parce qu'ils portaient une attention toute particulière à l'Afrique ; des gens sérieux et compétents comme Edgard Pisani, Gérard Fuchs, Jean Pierre Cot... sans oublier Rocard lui même
2/ ll était une alternative au mitterrandisme ainsi qu’à la pratique opportuniste du Parti Socialiste qui consiste à tenir un discours très à gauche pour gagner des élections et gérer ensuite et heureusement de façon très pragmatique sans jamais vouloir avouer une ligne réformiste. Rocard se situait lui plutôt dans une filiation Mendès France, dans le parler vrai pour exprimer ses convictions, ses certitudes et…..parfois ses hésitations ou ses craintes.
Et puis, ensuite, j'ai pris mes distances avec Rocard et toujours pour deux raisons même si celles là sont plus concomitantes :
1/ Si j’étais très réservé, vis-à-vis d'une trop forte implication de l'état dans l'économie, reconnaissant sans le moindre doute les mérites de l'économie de marché, j'ai ressenti très nettement, en retrouvant en 1987 le monde du travail de la France dont j'étais éloigné depuis une quinzaine d’années, l’évolution socio-économique du pays, conséquence de la montée en puissance du libéralisme et de la mondialisation. Je finis par trouver que la social-démocratie européenne ne répondait plus assez à l'urgence sociale.
2/ J'ai été aussi d'abord réservé puis je suis devenu très critique vis-à-vis de la construction européenne. L'Europe que l'on mettait en place sans exigence, sans convergence sociale et avec un élargissement précipité certes lié à la chute du communisme, s’éloignait des espoirs de régulation ou même de protection contre les excès et dégâts de la mondialisation libérale. L'Europe faisant plutôt office de cheval de Troie du libéralisme triomphant.
Michel Rocard m'a alors quelque peu déçu par ce que je percevais être des hésitations, des contradictions : ainsi l'ai-je entendu dire un jour que l'indépendance de la banque centrale était une erreur et puis exactement le contraire quelques jours plus tard lors d'une séance de rattrapage. La déception s’est accentuée quand il fut un éphémère secrétaire national du PS.
Je connais trois ex-proches de Michel Rocard, oserai-je dire trois héritiers ... Non ! Car s'ils sont toujours tous les trois des membres influents du PS, aujourd'hui que la rocardie n'existe plus, ils sont tous les trois sur des positionnements assez éloignées qui font douter d'un possible héritage : il s'agit de Manuel Valls, Benoît Hamon et Pierre Larrouturou .... Et le pire c'est que je les aime bien tous les trois.... Bien que ce soit Pierre et ses analyses que j'ai le plus de plaisir à lire ...et c'est d'ailleurs en découvrant la préface de Michel Rocard dans son « Livre Noir du Libéralisme » (Publié fin 2007 un an avant la grande crise, un an avant l'implosion de la bulle des subprimes) que j'ai redécouvert un Rocard que je n'attendais plus.
« ... La science économique a dérivé et s'est recroquevillée pour n'être plus qu'une science de la circulation de l'argent. L'être humain, qui en était le cœur pour les fondateurs en a été chassé. Il n'est plus qu'un solde....
..... Le résultat de cette attitude c'est que le fléau majeur des sociétés développées du début du XXIe siècle, la précarité du travail, ne fait l'objet ni d'évaluation quantifiées ni de commentaires. Or c'est de là, parce que toutes les classes sociales moyennes sont concernées, que viendra la colère sociale qui pourrait devenir dévastatrice si la crise s'aggravait...
.... La menace la plus grave que comporte le système tel qu'il fonctionne aujourd'hui tient aux déséquilibres financiers... »
Evoquant une nouvelle fois l’ami Pierre je me dois de mentionner le blog « Que fait l’Europe contre la crise» qu’il partage en bonne intelligence avec un économiste de droite
Christian Saint Etienne ancien proche de Bayrou aujourd’hui recentré majorité présidentielle.
http://crise-europe.blog.lemonde.fr/. A consulter d’autant que Pierre Larrouturou est de loin le plus prolixe.
Aujourd'hui 6 juillet c'est la promotion Rocard : Il a été désigné par Sarkozy, en compagnie d'Alain Juppé, pour diriger une mission chargée de réfléchir sur les secteurs stratégiques vers lesquels l'Etat, par le biais du futur emprunt national, doit investir en priorité.
Je ne suis pas choqué que Rocard ait accepté ce job, pas plus que je n'ai été choqué que Mauroy, Védrine, Attali et Lang aient, eux aussi, participé à des missions d'étude.... Rocard avait aussi, récemment assumé la présidence d'une commission d'experts sur la taxe carbone et avait été, auparavant, chargé des négociations internationales sur les pôles.... Et après tout c'est bien la moindre des choses en démocratie..... et ça n'a rien à voir avec ce qu'on appelle aujourd'hui des prises de guerre et qui ne sont que des misérables ralliements pour un maroquin.
Michel Rocard a d'ailleurs, avant l'annonce, marqué son territoire par une tribune dans le Monde de cet après midi où il rappelle que «la crise a tragiquement donné raison à la social-démocratie sur la nécessité de réguler économie et finance et de lutter fiscalement contre les inégalités.. »
Ci après des extraits de cette tribune : ceux que je préfère bien sûr.
« Il y a quelque chose d'étonnant dans l'état actuel du débat sur la situation économique. Chacun admet qu'il y a crise. Le débat porte sur le fait de savoir si on a touché le fond et s'organise autour de la date probable d'une éventuelle reprise...
.... Il semble qu'au total on s'oriente vers une légère (?) mise à distance des paradis fiscaux, vers des discours symboliques sur les rémunérations et vers le statu quo.... Si c'est finalement le cas, on aura maintenu le système en préservant aussi ces lourds facteurs d'instabilité.
Le détonateur financier pourra sauter une nouvelle fois dans quelques années. Après tout, cela fait quelques vingt ans que le monde connaît une crise financière grave tous les cinq ans... de là à essayer de réduire le volume insensé de l'activité financière par rapport à celui de la production .... Il y a un pas que l'on se garde bien de franchir....et on recommence.
.... Mais il n'est pas sûr que le plus grave soit là...... Plus qu'une récession, qui peut être brève, c'est la situation du chômage qui justifie l'emploi généralisé du mot crise. Or dans ce domaine les rythmes actuels d'augmentation sont effrayants et les perspectives sont fort inquiétantes.
.... En sortir n'est pas facile. Relancer exclusivement la consommation n'a guère de sens... c'est par l'investissement que le cycle vertueux doit être réamorcé, et surtout par l'investissement dans les énergies renouvelables, les techniques et produits bio. C'est ce démarrage qui pourra ensuite entraîner pouvoir d'achat et consommation vers la hausse.
.... Une reprise économique n'est donc guère probable à court ou moyen terme. Les facteurs en sont absents. La sortie de crise suppose, après le redémarrage par l'investissement, de retrouver un mécanisme liant les salaires aux gains de productivité. Dans ces conditions le pronostic devient celui d'une stabilisation entre 5 % et 10 % en dessous du niveau de production atteint précédemment, puis d'une croissance à peu près nulle ou extrêmement lente pour les trois ou quatre prochaines années. Cela veut dire mise à mal de la cohésion sociale, fragilité des gouvernements, montée du populisme. Si le détonateur financier – puisqu'on est en train de préserver le système bancaire y compris ses facteurs de déséquilibre – re-explose dans peu d'années, il frappera des économies encore plus fragiles et anémiées.
Il y a du souci à se faire, je suis désolé de ne pas savoir m'en cacher. En trente ans, c'est une révolution intra capitaliste qui s'est faite, et pour le pire…... On veut du gain en capital, quitte à broyer les logiques d'entreprise.…..
En votant partout conservateur, pour les forces qui nous ont amenés à la crise, les électeurs ont montré leur attachement au modèle du capitalisme financiarisé. Le résultat ne laisse guère espérer un traitement politique sérieux de l'anémie économique actuelle. Combien faudra-t-il de crises pour convaincre les peuples ? En tout cas, le mécanisme de leur répétition paraît enclenché.
Un dernier mot pour dire que je suis allé cet après-midi sur le site de l'Express et que j'ai regardé
l'édito vidéo de Christophe Barbier consacré au destin de Michel Rocard. Je n'arrive pas à comprendre qu'un journaliste aussi avisé puisse envisager que Rocard, qui est né le 23 août
1930, et qui aura donc 82 ans en 2012, puisse avoir des ambitions pour les prochaines présidentielles. Extravagant.
A suivre.