Touche pas à mon rugby..... Un Midol de 80 ans toujours à la page..
Le Midol est le journal de ceux qui aiment le rugby ; certains l’appellent le jaune, mais moi je n’aime pas ce mot (vieux ressentiment syndicaliste ?) Son vrai nom est Midi Olympique, et peut-être qu’en septembre 1929 par le choix de ce nom les fondateurs militaient-ils pour un retour dans le cercle olympique d’où ce sport avait été retiré en 1924 après quatre participations en 1900, 1908, 1920 et 1924?
Je ne suis pas favorable à ce que le rugby soit présent dans le grand cirque olympique, je n’apprécie déjà pas trop l’esprit mercantile et un peu trop nationaliste de la coupe du monde et je regrette même que le rugby soit devenu « officiellement » professionnel.
Je sais que dans le domaine de mes passions, je suis un vieux con nostalgique, un réac de gauche, mais j’assume …. J’ai toujours la nostalgie des matchs commentés par Roger Couderc et corrigés par Pierre Albaladéjo. Ah ! Les France-Irlande ou France-Galles d’antan
J’entends dire que le rugby à sept pourrait faire son entrée aux Jeux Olympiques de 2016. Cà à la rigueur d'accord, car c’est un sport cousin mais différent qui, plus est, est complémentaire, intéressant et où le talent individuel prime.
J’en reviens au Midol qui est donc né à Toulouse le 2 septembre 1929 et qui est devenu progressivement la bible de tous les amateurs de rugby. Il parait le lundi et depuis quelques années le vendredi.
Je dois le lire régulièrement depuis près de quarante ans : Il m’a accompagné, par abonnement, au Zaïre (1973/76), reçu avec au moins un mois de retard, puis au Maroc (1976/1979) où je le recevais avec un décalage d'environ une semaine et ensuite au Cameroun (1983/1986) où je le trouvais en vente, à Yaoundé, sur réservation,dans le milieu de la semaine.
Cette semaine le Midol a sorti une remarquable édition spéciale pour fêter ses 80 berges.
Dans l’éditorial de la partie magazine, Jacques Verdier rend hommage aux équipes qui depuis sa création et durant huit décennies ont fait ce journal pour « informer, aimer et faire aimer … ».
Le président Jean Michel Baylet ajoute pour définir son journal : « Il ressemble au rugby….par imprégnation, Midol a les défauts et les qualités du sport dont il rend compte. » Soit, mais qu’en conclure pour son avenir ? Il faut lire la suite jusqu’à la conclusion que j'emprunte à Denis Lalanne.
Ce Midol anniversaire fait sa rétrospective : les 5 matchs les plus offensifs, Les 5 plus beaux combats, les 5 plus odieux, et enfin les 5 plus beaux loupés.
Pour moi, le plus offensif, et donc le plus beau, fut le match contre l’Australie à Sydney le 13 juin 1987 en demi-finale de la première coupe du monde avec l’essai de Blanco à la dernière minute qui envoya le XV de France en finale.
Cependant je ne peux pas ne pas rappeler aussi un moment historique : la remise de la coupe du monde 1995 par Nelson Mandela à Piennar le capitaine des Springboks vainqueurs des All blacks à Johannesburg. Mandela ovationné par 60000 spectateurs majoritairement blancs, quelques mois après la fin de l’apartheid. Quand le nationalisme sportif a, parfois malgré tout, quelques vertus.
Le plus beau combat fut le premier match que j’ai vu à la télévision, j’avais 14 ans et ma famille vivait dans l’Ariège, à Tarascon où la télévision n’est arrivée que fin 1960. Le 7 février 1961 se disputait à Colombes, France-Afrique du sud. Les Springboks finissaient une tournée triomphale en Grande Bretagne et arrivaient en France pour laver l’affront de la défaite que leur infligea, chez eux, au cours de l’été 58, le XV de Lucien Mias. L’équipe Springbok de 1961 était « monstrueuse ». Le pack français rendait près de 100 kg au pack Springbok et alignait même une seconde ligne, débutante en équipe de France, Saux et Bouguyon. La première entrée en mêlée, fut terrifiante : Roques, De Grégorio et Domenech déclaraient la guerre à Du Toit, Kuhn et Malan….. Score final 0 à 0 mais quel match !
Le plus odieux, du moins celui qui m’a le plus impressionné par le sang sur les maillots, fut un match du challenge Du Manoir au stade Charléty, un quart de final, Dax -Toulon et ça devait être en mai 1965. J’avais joué en levée de rideau un match de sélection junior Ile de France et il devait y avoir aussi 3 ou 4 copains de l’ESV, Nine, Charly et Jacky. Après notre match nous avons pris vite une douche pour revenir voir jouer ses deux grands clubs et la pléthore d’internationaux…. Le combat d’avants, de tranchée, touches après touches, mêlées après mêlées, fut une vraie boucherie…
Dans l’horrible encore cette terrible information d'un Midol de juillet 93 : Armand Vaquerin, le magnifique pilier de Béziers, 10 fois champion de France et 26 sélections en équipe nationale, s’est tué, connement à 42 ans, en jouant à roulette russe
Le plus beau loupé…. Et surtout ses effets, l’interception en fin de match par l’ailier gallois Stuart Watkins de la longue passe sautée de Jean Gachassin vers Christian Darrouy. La France qui menait à Cardiff 8-6 fut battue 9-8. On ne revit plus les frères Boniface en équipe de France et peu Gachassin….. Le rugby champagne n’était plus en odeur de sainteté.
Le Midol a aussi invité des écrivains amoureux du Rugby à s’exprimer sur l’évolution du rugby et de leur journal.
Michel Serres, le philosophe de la science, comme on pouvait s’y attendre, au titre de son dernier ouvrage « Ecrivains, savants et philosophes font le tour du monde », s’intéresse surtout paradoxalement au rugby du terroir : « Que je courre en Amérique, dans l’hémisphère Sud, au Japon ou à Landerneau, je crois n’avoir jamais vécu un soir de dimanche – l’heure dépendait du décalage horaire - sans téléphoner, haletant, à quelqu’un de la famille ou à un ami proche, restés au pays, pour leur poser la même question : Agen a-t-il gagné ? ». Que je comprends cette frustration !…. Moi j’ai passé presque 7 ans entre 1973 et 1979 (sur des chantiers au Zaïre puis au Maroc) où je n’avais même pas la possibilité de téléphoner d’où les longues attentes de l’arrivée du Midol ; et comme l’abonnement était partagé, au Zaïre avec Christian, et au Maroc avec Claude, quand le journal arrivait enfin, je ne pouvais le lire le premier qu’une fois sur deux… ce qui pouvait entraîner des sentiments barbares vis-à-vis de mon co-abonné lorsque je devrais encore patienter 2 ou 3 jours de plus.
Jean Lacouture Journaliste et historien à qui le Midol a demandé de raconter le rugby d’avant-guerre, évoque le premier match auquel il ait assisté et, curieusement, c’est le même que Michel Serres (ils ont le même âge... se connaissaient-il à cette époque ?) et c’est un match du SU Agen au cours duquel les joueurs portaient un brassard noir en deuil d’un jeune ailier mort d’un plaquage au cou. Lacouture évoque, comme Serres, le grand arrière Marius Guiral mais aucun ne se souvient contre quelle équipe jouait Agen, et l’un situe le match en 1930 et l’autre en 1931…. Mémoires du rugby…. Lacouture prend aussi le temps d’évoquer Max Rousié un très grand joueur d’avant-guerre
René Mauriès, grand reporter et écrivain, Prix Albert Londres en 1956, eut la chance de suivre l’épopée du XV de France en 1958 au pays des springboks. « Pendant six semaines le XV de France a affiné sa personnalité et trouvé là le sens essentiellement collectif du rugby, d’abord l’effacement des vedettes devant l’anonymat de la communauté, la richesse de l’effort solidaire, le dépassement de soi par la prise de conscience des responsabilités ». Une approche différente de celle de Lacouture et Serres qui s’enthousiasment plus pour le talent des artistes du rugby.
Ces grands observateurs portent-ils le deuil d’un certain rugby ? Jacques Julliard à son tour parle de « brassard noir » en se penchant avec nostalgie sur les années 60, décennie charnière entre le rugby champagne et le jeu pour la gagne avant tout, et il conclut par un avertissement : « Ou bien le rugby n’est plus rien qu’un obscur affrontement de brutes lancées aveuglement les uns contre les autres, ou bien il reste cet impossible miracle en équilibre instable entre le réel et l’idéal, qui nous permet encore à l’occasion d’aimer ce que l’on ne verra jamais deux fois »
J’aime beaucoup la réflexion d’André Boniface qui osait dire qu’il avait préféré la finale perdue de 1959 à celle gagnée de 1963. J’aime beaucoup car en 1959 il avait en face de lui comme trois-quart aile du Racing mon ami et ancien capitaine de l' E.S.Villiers, Alain Chappuis.
Arrivent ensuite les années 70 où comme tout un chacun et comme Denis Tillinac, je me suis enthousiasmé pour le rugby ordonné et gagnant joué par A.S. Béziers et le XV de France de Fouroux sans pressentir qu’il commençait à sonner le glas du rugby que j’aimais vraiment.
Les derniers écrivains qui témoignent, relatent de façon plus ou moins critique (plus que moins) l’évolution du rugby des dernières décennies, un rugby devenu professionnel et mondialisé.
Pour Philippe Labro « c’est une banalité d’écrire que les années 80 auront été les dernières du rugby dit "amateur". C’était encore un jeu, c’est devenu un métier, une profession. Coaching, transferts, loi de l’argent, recrutement à l’étranger ;…. Masse musculaire différente, des corps différents donc des hommes différents, de nouvelles règles, donc de nouvelles constructions de jeu. Rien n’est pareil, rien. Tout a changé, avec l’époque, la télévision, les nouvelles tendances sociétales et culturelles d’une France en pleine mutation. Il ne sert à rien d’exprimer nostalgie ou regrets sur le passé et sur un jeu autre, car, de toutes manières, ce rugby là ne reviendra jamais. Le rugby d’aujourd’hui a gagné en force et en méthode ce qu’il a perdu en grâce et en improvisation. C’est ainsi. Ne pleurons pas mais espérons que les fondamentaux survivront…. »
C’est Jean-Paul Dubois, écrivain, Prix Fémina 2004 pour une Vie française qui en évoquant les années 90 signe la plus belle charge contre le rugby moderne. Une charge que je pourrais qualifier de Chabalesque puisque que Chabal est le plus bel exemple de cette évolution, car malgré un talent indéniable, il se voit manifestement moins concurrencé pour la première place sur les panneaux publicitaires que comme titulaire en deuxième ou troisième ligne du XV de France. « … Et ce fut un monde nouveau. D’apparence familière mais en réalité foncièrement différent. Carnassier aussi. Un univers porteur d’une autre logique, d’un ordre inversé comme il en naît souvent des bouleversements. ; L’ancien régime avec ses codes ancestraux, sans doute fatigué de mentir, de tricher, usé jusqu’à la corde disparut en une journée sans la moindre histoire…. Et donc en ce 26 août 1995, date charnière et fondatrice, le rugby sport singulier jusque là réputé passe-temps désintéressé, s’autoproclama spectacle de plein air salarié, usant désormais d’employés Urssafés et appointés…..
A partir du 25 août de l’an 95, plus rien ne fut pareil. Dans le but permanent d’attirer les péquins et les sequins on ne cessa de réglementer à courte vue, tâtonnant à tout va, recommandant ainsi d’écrouler un maul en mai avant de verbaliser la même action dès l’automne…..
C’est ainsi que dans les années 90 le rugby changea d’essence et de nature. Quinze années plus tard l’innovation continue. Sous l’amicale pression du numérique et les recommandation de l’hertzien, les cardinaux du Board ravivent toujours la couleur des enseignes, bricolant par-ci la ligne de hors jeu, l’alignement en touche, dérégulant par-là les écroulements, dégagements, et autres règlement. Que suivent sans broncher et syndicalement les professionnels de la profession.
Denis Lalanne qui en a tant vu et tant écrit est de la même veine avec un regard désabusé sur la décennie 2000. « Le joueur tombé avec le ballon n’est plus un mulet, il est au contraire le parangon du jeu à plat ventre…… et pour l’attaquant dans l’embarras, le coup de pied en chandelle est le génial succédané du dégagement en touche… » . Le chantre du beau jeu n’en fait cependant pas trop et après avoir juste écrit trois ou quatre lignes contre Laporte et ses imprécations, lignes que j’apprécie d’autant plus que ce guignol a été ministre sarkoziste des sports ; il conclut même d’une façon optimiste et réaliste : « Le miracle est que le rugby baigne toujours dans le cœur de ceux qui se disent fâchés avec lui. Ils s’émerveillent aux fabuleux essais du Stade Toulousains de Novès, aux trois titres en cinq ans du Biarritz Olympique de Betsen, Dimitri, Imanol, et voici Perpignan qui recolle à son tour à sa légende, aux envolés que l’on croyait perdues. Ca s’appelle Mermoz et ça donne des ailes à la nostalgie »
( A suivre )