A livre ouvert... Jean Jaurès et la religion du socialisme.
Je fus vraiment surpris, intrigué même, lorsque j'ai commencé la lecture du livre de Vincent Peillon consacré à Jaurès ; intrigué en raison du thème choisi et clairement défini par le titre de l'ouvrage « Jean Jaurès et la religion du socialisme ». Pour moi Jaurès incarnait avant tout le rassemblement des socialistes au sein de la famille républicaine ; il symbolisait la paix, la tolérance, la laïcité, la morale, l'honnêteté … mais loin de moi l’idée d’en faire le porte-drapeau d’une forme de religiosité, fut-elle celle du socialisme. C’est un travers dont j’aurais plutôt fait grief aux communistes d’antan, ceux de l’époque stalinienne, de Duclos, de Thorez, selon les descriptions qu’en fit Philippe Robrieux dans sa très instructive « Histoire intérieur du parti communiste » ; mais voir en Jaurès une sorte de grand prêtre d'une religion socialiste il y avait, pour moi, quelque chose de choquant.
Je m’en étais ouvert à Vincent, lors d'un conseil national du PS de fin de premier semestre 2000, alors que je venais d'acheter le livre et que je n'en avais encore lu que quelques pages. Sympa, il m'avait répondu « Lis-le et après, si tu veux, nous en reparlerons.... ».
J’ai lu ; j’ai oublié pendant quelques temps Vincent l'ami, Vincent le socialiste réformateur, Peillon l'homme politique d'avenir, pour découvrir Vincent Peillon le philosophe. Certes, je savais qu’il avait déjà écrit plusieurs essais dont un livre sur Maurice Merleau Ponty « La tradition de l’esprit » mais je dois bien avouer que je ne suis pas, spontanément, attiré par ce type de littérature : Je n’avais pas fait l’effort de lire ni même d'ailleurs d'acheter ce livre. Merleau Ponty : connais pas….ça ne me semblait pas être d’actualité et ce n'était donc pas la peine que je m'impose un mal de tête.
Par contre Jaurès, là c’était autre chose et.... il me fallait faire l’effort de dépasser ma rudimentaire culture politico historique…..et essayer d’approfondir un peu ma connaissance de l’illustre personnage, de la légende du socialisme.
J’ai lu,…j'ai tout lu ; tous les chapitres même ceux, d’un abord assez difficile pour un modeste « griot bétonneux » , ceux où l’auteur compare, rapproche ou oppose Jaurès à Condorcet, Kant, Bergson, Nietzsche, Hegel ou Marx … Oh! bien sûr je ne peux pas jurer d'avoir tout compris, parfaitement tout assimilé et surtout tout retenu mais je me suis efforcé de suivre le cheminement, le développement de l’auteur…… et, très sincèrement, je ne le regrette pas ( même si quelques pages m'ont paru assez rébarbatives ) car j'ai découvert un Jaurès que je ne soupçonnais pas....
Vincent Peillon explique dans son introduction les raisons qui l’ont conduit à rédiger ce livre, à choisir cette approche originale :
D’abord l'auteur estime que si le socialisme français a fait de Jaurès une icône, il ne s’en est, dans les faits et au fil du temps, que très superficiellement approché :
« …Si la référence à Jaurès est devenue si mécanique, si convenue, si neutre c’est que dans le fond le socialisme français s’est finalement davantage inspiré de Jules Guesde que de lui, et que ne pouvant plus être une référence idéologique et politique, il est devenu, pour ne pas disparaître tout à fait, une référence morale, suffisamment vague pour que chacun puisse s’en recommander….».
L'auteur persiste quand il récuse l’idée d'un Jaurès ayant pu à un moment se convertir et prôner le collectivisme, l’étatisme voire même le matérialisme :
« page après page, discours après discours il place à l’origine et au terme, au fond et à la fin, l’individu, celui qui pense, qui délibère, qui choisit… »… « Pour lui les associations, les coopératives, les réseaux décentralisés font leur œuvre et contribuent mieux que l’Etat Léviathan à la réalisation de l’idéal socialiste. »…. « . C’est avec les dieux tout autant qu’avec les hommes que Jaurès dialogue, lui le petit paysan, qu’aucune transcendance n’inquiète ni ne dérange, lui qui ne connaît pas la haine et revendique nettement son idéalisme…. ».
Et Peillon d’avancer que, finalement, cette méconnaissance de Jaurès arrange tout le monde puisqu’elle n’est, aucunement, en contradiction avec la légende…. Car dès le lendemain de son assassinat tous se sont disputés son héritage, tous ont pris une part de la légende, celle qui les arrangeait, car Jaurès symbolisait le rassemblement des socialistes.... aussi dans l'émiettement à venir chacun allait trouver, sans contrainte, son Jaurès, le martyre de son socialisme.
J’avoue, quand même, avoir eu un peu de mal à suivre la démonstration de l’auteur, notamment, quand il dit que c’est avec les dieux tout autant qu’avec les hommes que Jaurès dialogue et j’ai eu, à ce moment là, du mal à saisir ce que pouvait être cette religion du socialisme. C’est à cette partie du livre que j’ai failli décrocher.... avant de comprendre le sens profond que Jaurès donnait au mot religion : Il rejetait le christianisme tel que l'église l'enseignait tout en retrouvant Dieu dans tout ce qui existe. Jaurès était panthéiste, Dieu est tout ce qui nous entoure et pour vivre en harmonie sur cette terre il faut mettre en oeuvre une politique socialiste. Sa religion ( personnellement j'aimerais mieux dire sa croyance ou sa foi mais....) socialiste pour un monde meilleur est une sorte de réceptacle de notions morales et d'idées de liberté, de justice, de fraternité, de liens générationnels et de liant entre les hommes pour qu’ils puissent se rassembler dans une république démocratique et sociale.
Pour Jaurès l’idée socialiste n’est pas une rupture avec le passé mais une continuité avec l’histoire : la continuité du christianisme qui a failli puis celle des lumières, et encore celle de la révolution, malgré ses années terribles et enfin celle de la république qui balbutie ses premiers pas...
« Il ne s’agit pas pour l’homme laïc, de se prendre pour ce qu’il n’est pas, de venir occuper et usurper la place encore chaude du Dieu mort.
Le socialisme républicain de Jaurès propose bien une révolution religieuse, mais à travers celle-ci il ne s’agit pas d’un échange de rôles ou de place entre la créature et le créateur, il ne s’agit pas, ce qui est justement aux yeux de Jaurès, la faiblesse principale du marxisme, de remplacer une religion par une autre, avec dogme, rites, prélats et clergés mais d’édifier sur les ruines d’une religion qui n’était pas conforme à l’essence du religieux, la religion vraie et à partir de cette dernière de fonder la société juste, la République sociale… »
.. et c’est pourquoi le socialisme de Jaurès n’est pas une rupture pour créer un nouveau monde, une nouvelle société s’appuyant sur une dictature fut-elle celle du prolétariat mais un prolongement de la république (Le socialisme c’est la république jusqu’au bout) …. et tout reste lié religieusement ; le socialisme avec la république, la démocratie, mais aussi avec la nation, le développement, le progrès ….. et pour boucler la boucle tout doit se fédérer par des principes indispensables comme la laïcité, les besoins d’instruction, de morale, d’équilibre entre droits et devoirs, de démocratie sociale, de liberté d’opinion, de raison, de développement des sciences et techniques….
Et c’est la raison pour laquelle Jean Jaurès pouvait prétendre que « les vrais croyants étaient ceux qui voulaient abolir l’exploitation de l’homme par l’homme » …et c’est cette analyse qui a conduit le républicain social Jean Jaurès, professeur et philosophe, témoin des injustices et de la misère des mineurs de Carmaux à rejoindre le mouvement socialiste.
Pour Vincent Peillon « Cette conception de la politique est sans doute ce qu’il y a de plus original chez Jaurès, et elle explique en grande partie la stature unique qui est la sienne parmi la cohorte des grands hommes politiques puisque à aucun moment il n’accepte de séparer la politique comme engagement, choix, action, combat d’une réflexion sur l’homme, la nature, la justice, la raison ou la liberté. »
Merci Vincent de m'avoir fait mieux comprendre Jaurès.
A lire aussi le Jean Jaurès de Jean Pierre Rioux qui vient de sortir en version poche pour le 150ème anniversaire de la naissance de Jaurès, et notamment le chapitre « Le métaphysicien » où il cite Jaurès :
« C'est Dieu qui se disperse dans les forces et les consciences par une sublime recherche de perfection qui est la perfection elle même.....et Dieu est l'unité achevée....». .. mais aussi sa résolution dilatoire ... «...nous ne chercherons pas le secret profond de la vie tant que les salariés, tous les écrasés ne pourront le chercher librement avec nous. Nous ne voulons pas dissiper en des rêves hautains et vagues sur l'univers ou la destinée notre énergie de combat. .....»
( (A suivre)