A livre ouvert ... Une autre approche d'une Histoire d'Afrique.
Tout est dit dans le titre : c’est la même Histoire de l’Afrique Sahélienne que le précédent billet mais centrée, cette fois, sur la ville de Tombouctou, et établie à partir d’un seul livre de référence: « Tombouctou » que j’ai déjà présenté dans un billet de juin 2010 consacré à René Caillé. De ce livre édité par le Comité de Jumelage Saintes-Tombouctou je présente cette fois un extrait de la préface de Léopold Sédar Senghor et un résumé dont divers extraits d’une l’Histoire de la ville, un travail collectif des membres du Comité de rédaction, bien trop nombreux pour être présentés. Ce magnifique ouvrage fut édité en décembre 1986.
« Extraits de la préface de Léopold Sedar Senghor : ….
......Il est temps d’arriver aux fameux empires soudanais qu’on enseigne maintenant, dans les écoles du Mali, du Niger et du Sénégal, alors que, dans les années 1920, on nous enseignait ‘’ Nos ancêtres les gaulois’’….
L’empire du Ghâna, qui s’étendait, non pas sur le pays qui porte aujourd’hui ce nom, mais sur une partie des pays qui ont noms Mauritanie, Sénégal et Mali, fut fondé au IVesiècle, par les Berbères. Un guerrier mandingue, Cissé, Le Kaya Maga ou ‘’ Maître d’or’’, renversa la dynastie berbère au VIIIesiècle. C’est sous les Mandings que le Ghâna resplendit, à en croire les voyageurs arabes. C’est alors que les Almoravides, convertis à l’Islam, renversèrent la dynastie Mandingue.
Et le pays fut soumis à l’empire du Mali. Ce dernier avait à peu près l’étendue de la République actuelle du Mali. Au XIIIesiècle le Mandingue Soundiata Keita, l’étendit de l’Atlantique au fleuve Niger. L’empire musulman du Mali, qui contrôlait en même temps l’exploitation et la route de l’or, atteignit sa splendeur sous le règne de Kankou Mansa. Il réalisait alors un modèle exemplaire : un modèle biologique et culturel presque parfait entre Berbères, Nilotiques et Soudanais, entre Animistes et Musulmans…..…
….Quant au dernier empire soudanais, le Sonraï ou Songhay, il s’étendait sur la boucle du Niger. Royaume fondé au VIIesiècle, le Sonraï, comme les deux précédents, Ghâna et Mali, présentait un peuple métis, mais à dominante sonraïe, où l’on trouvait des Mandingues, des Peuls et des Touaregs. Soumis au Mali au XIIIesiècle le Sonraï retrouvera la plénitude de son indépendance au XVesiècle, sous Mohamed Touré qui fonda la dynastie des Askias.
Ce n’est pas un hasard si le Sonraï, avec Tombouctou sa principale ville, réalisa en définitive la civilisation africaine la plus riche, sinon la plus brillante, parce que la plus humaine. Elle était faite, en effet, des apports symbiotiques, parce que complémentaires, du nord et du sud, de l’ouest et de l’est de l’Afrique-Mère. Et il s’y était ajouté, avec la langue arabe et la religion musulmane les apports majeurs du Proche-Orient…… »
Ou l’on voit comment un simple campement de nomades se change en ‘’ Perle noir du Désert ‘’….. et ce qu’il en advint.
Selon les légendes véhiculées tout au long des siècles par les griots, des chameliers berbères nomadisaient régulièrement dans cette région de la vallée du Niger ; ils finirent par y installer un campement fixe sur le site actuel de Tombouctou, laissant des vivres, effets, matériels sous la garde d'une vieille femme nommée ‘’Bouctou’’ qui était entourée de quelques esclaves et de vieux méharistes que les déplacements fatiguaient, plus quelques jeunes guerriers pour assurer la sécurité. «Tin’’Bouctou selon l’étymologie ‘’lieu de Bouctou’’ était née.» Ce modeste campement-relais sur la route des caravanes entre Ouatala et Gao n’émergera qu’avec la montée en puissance de l’empire du Mali et la prédominance du fleuve Niger comme principal axe d’échanges. On ne sait pas exactement quand le campement fit sa mue en marché puis en ville ; probablement dès la fin du XIIIesiècle.
Ce que les historiens savent avec certitude c’est que lors du passage de Kankan Moussa à Tombouctou en 1325, au retour d'un pèlerinage à la Mecque, le richissime souverain du Mali dota la cité d'une mosquée et d'un palais : la mosquée de Djinguereber et le palais du Madougou.
« Il ramenait avec lui le poète architecte andalou Es Saheli, de nombreux lettrés et commerçants qui s’installèrent dans la cité.. Profitant de la paix mandingue, la ville va s’épanouir. Elle est mentionnée pour la première fois par Ibn Battuta, célèbre globe-trotter de l’époque, qui la visite en 1353…… Devenue poste militaire commandant toute la boucle du du Niger, elle forme avec sa région, une province ayant à sa tête un gouverneur, le ‘’Farin’’ représentant le ‘’Mansa’’, c'est-à-dire l’Empereur. ….. Elle a vu affluer une population nombreuse et cosmopolite…….. Elle devient également un centre de lettrés et de religieux. Toutefois, son activité principale demeure le commerce…. »
Le XVesiècle voit disparaître la domination mandingue dans la partie orientale de l’empire et Tombouctou retombait sous la coupe de ses fondateurs, les Touareg qui contrôlaient les voies transsahariennes. « Mohamed Naddi, chef de la ville sous la domination mandingue se voit remettre l’autorité du ‘’Farin’’ par les nouveaux occupants : il détient alors tous les pouvoirs et gouverne en véritable roi, les Touareg se contentant de percevoir un tribut annuel d’ailleurs fort modeste, reconnaissance symbolique de leur autorité….. La ville croit, son commerce prospère….. »
Le successeur de Mohamed Naddi, son fils Ammar n’arriva pas à conserver de bonnes relations avec les Touareg et face à leur hostilité et aux nombreux pillages et exactions qu'ils faisaient, il appela au secours, son voisin de Gao le souverain-fondateur de l’empire Sonraï : Sonni Ali qui saisit l’occasion, après avoir chassé les Touareg, de conquérir la ville.
Tombouctou resta 27 ans sous domination de l’empire Sonraï, cette période reste dans la mémoire de Tombouctou comme ayant été la plus exécrable et « quand Mohamed Touré, lieutenant et neveu de Sonni, s’empare du pouvoir et fonde la dynastie des Askia en 1493, il a trouvé un appui inconditionnel chez les ulémas de Tombouctou.» A l’inverse de Sonni, Mohamed Touré était un musulman dévot qui fit le pèlerinage de la Mecque pour affermir son pouvoir. « Avec l’Askia Mohamed, Tombouctou tient sa revanche : sous son règne , la ville retrouve la paix et la sérénité propices à son développement. Mais l’apogée de l’empire et de la cité qui en est la véritable capitale économique, politique et intellectuelle, se situe sous le règne de l’Askia Daoud (1549-1582) : c’est alors qu’elle mérita le nom de ‘’ Perle noire du désert’’.»
Au XVIesiècle Tombouctou est une grande ville réunissant probablement plus de cent mille habitants ; une population bigarrée où toutes les races soudanaises et arabo-berbères se trouvent réunies pour le négoce et pour l’étude. L’activité commerciale est intense et florissante « et plus spécialement celle du livre et du papier : à Tombouctou, l’on tire de la vente de manuscrits de Berbérie plus de bénéfices que de tout le reste de marchandises dira Léon l’Africain qui y fit deux séjours ». C’est aussi un centre de finance et d’agiotage. On y négocie des traites tirées sur Fez, Kairouan, Le Caire, Venise et Genève.
Autour de trois grandes mosquées, gravitent de nombreux lettrés et religieux. Au milieu du XVIe siècle la ville dispose de 180 écoles coraniques rassemblant au moins 25.000 étudiants. « A l’égal de Fez, Damas et Le Caire, Tombouctou devient un haut lieu de la culture islamique. Des savants et poètes maures chassés d’Espagne viennent s’y réfugier, apportant avec eux les valeurs spirituelles Al Andalous »
Mais cet âge d’or n’a duré qu’un siècle ! La décadence fut rapide et les élites de Tombouctou, par leurs choix politiques, en seront à la fois les principaux responsables et les victimes : La succession de Daoud souverain de l’empire Sonra se passe très mal entre ses fils. Es Sadeq, Balama (Commandant militaire) de Tombouctou usurpa le pouvoir et appuyé par des chefs de grandes villes de l’empire et les Touareg, à la tête d’une armée de 6000 hommes il marcha sur Gao dont l’Askia était son frère Mohamed Bani. Ce dernier mourut de façon mystérieuse et ce fut un autre frère Ishaq II qui lui succéda et qui, à la tête des troupes Sonraï de Gao infligea une sévère défaite au Balama Es Saleq. Les représailles sur les vaincus furent terribles et plus particulièrement à Tombouctou. Les vaincus en appelèrent alors au souverain marocain, Al Mansour qui n’attendait qu’un prétexte pour pouvoir annexer le territoire Sonraï.
Le souverain marocain prit son temps car l'intervention ne fut effectuée que début 1591, par une petite troupe, mélange de soldats marocains d'aventuriers et mercenaires, équiipée de fusils et canons et dirigée par le pacha Djouder, un renégat espagnol. L’affrontement eut lieu à Tondibi le 12 mars 1591 avec la cuisante défaite d’une armée sonraïe qui était, pourtant, près de dix fois plus imposante. Une seconde bataille près de Bamba en octobre 1591 sonna définitivement la fin de la dynastie Askia. Pacha Djouder avait été, entre temps destitué par Al Mansour et remplacé par Pacha Ben Zarqun.
«… La mission de Zarqun était d’en finir avec le sonraï et de drainer ses richesses vers le Maroc. L’achèvement de la conquête supposait non seulement de défaire les troupes de l’Askia mais également de juguler les forces politiques existantes, notamment les lettrés de Tombouctou, pierre angulaire du pouvoir….. Une répression terrible s’abattit sur les hommes de savoir qui sont arrêtés, emprisonnés, dépouillés de leurs biens puis déportés à Marrakech…… Tombouctou devint alors un corps sans âme……. » Toutefois le Maroc ne profita pas longtemps de ces richesses ; Pacha Djouder était réapparu reprenant l’armée de mercenaires en main et assassinant Pacha Ben Zarqun et faisant systématiquement disparaître les 3 ou 4 remplaçants qu’envoyait à Tombouctou le sultan du Maroc. A partir du décès d’Al Mansour en 1612 l’ex-empire Sonraï devenu système Pachalik n’avait plus guère de liens avec le royaume marocain.
« Dans les faits la ville fonctionnait comme une capitale autonome d’un état, retourné dès la seconde moitié du XVIIesiècle à son cadre naturel soudano-nigérien » Cette évolution coïncide avec l’arrivée au pouvoir des premiers pachas né au Soudan.
A Tombouctou, comme dans les autres sièges de qasba, les Marocains ont fait souches dans le Sonraï. Ils sont désignés sous le nom d’Arma. Livrés à eux-mêmes, les Armas s’affrontent dans la course aux honneurs ; les qasba contestent à Tombouctou son titre de capitale et, hormis la période où le pacha nommant l’Amin, rares seront les époques où il pourra se faire obéir de ses subalternes, lesquels se feront rapidement désigner par leurs propres soldats…. »
Au milieu du XVIIIesiècle Tombouctou connaît de véritables guerres civiles entre groupes, grandes familles. Il existe de longues périodes de vacance de pouvoir dont une très longue entre 1773 et 1776. Les Arma non seulement se battent entre eux mais doivent aussi se retrouver pour se défendre, en ces temps anarchiques contre leurs voisins Sonraï de Gao, Peuls et surtout pour contenir des tribus Touareg nouvellement arrivés dans la boucle du Niger.
C’est ce Tombouctou incertain et dangereux que René Caillé découvrit en 1828, mais son séjour fut trop court pour lui permettre de saisir tous les aspects de la vie de la cité. « Avec le XIXesiècle s’amorce la colonisation de l’Afrique. Les Européens, après s’être contentés de leurs escales côtières, vont pénétrer dans ‘’ le pays des monstres et des prodiges » ». Tombouctou, au nom mythique est un point à atteindre.»
De 1826 à 1865, Tombouctou est au cœur de la lutte d’influence opposant trois entités musulmanes : l’empire Peuls du Macina, le clan marabout des Kunta et l’empire Toucouleur d’El Hadj Omar.
Les Peuls islamisés et sédentarisés ont fondé l’empire voisin du Macina. En 1826 les notables de Tombouctou et les Touareg font allégeance au nouvel empereur Shaykou Amadou. Ce nouveau maître impose des règles de vie ascétiques qui sont incompatibles avec une ville marchande et sont une entrave à bonne marche des affaires.
« Aussi commerçant et notables proposent-ils aux Kunta de venir s’installer dans la ville, et encouragés par la présence, dès 1832 du cheik Muktar al Saghir, les Arma entre en révolte ouverte contre l’occupant obligé alors dr s’imposé militairement : c’est la bataille de Diré (octobre 1833) où plus de 400 Arma trouvent la mort. Cette bataille met définitivement fin à la prépondérance des Marocains… »
Le rigorisme Peuls restant une contrainte néfaste au commerce, de nouvelles révoltes eurent lieu dont une grande bataille à Toya en 1844 où une alliance Kunda, Touareg et survivants Arma prirent leur revanche ; mais les Peuls organisèrent alors un blocus de la cité qui ruina Tombouctou. Au bout de trois ans le cheik kunta Sidi el Bekkai nouveau maître de Tombouctou se rendit auprès de Amladou Cheikou qui avait succédé à son père ; « en dépit d’un incontestable sentiment de supériorité raciale et culturelle, le chef kunta, en diplomate avisé adopta et conservera ensuite une attitude conciliante avec le roi du Macina….. »
Ce fut ensuite l’occupation de la région par les Toucouleurs de El Hadj Omar, Cheik et Khaliphe de la Tidjania, qui avaiy pour ambition d’établir un puissant empire islamique. « La djihad qu’il proclame en 1852 vise aussi bien les peuples animiste tels les Bambara que l’ordre musulman établi comme les Peuls et les Kunta » En 1863 les Toucouleurs prennent Hamdallay puis Tombouctou. Sidi el Bekkay fin diplomate quant il le peut mais qui craint pour son prestige et ses finances se transforma alors en chef de guerre et s’alliant aux Touareg et au Peuls se lance dans reconquête pour chasser El Hadj Omar. Grandi par ce succès Sidi el Bekkay le Kunta devint le maître sans partage de Tombouctou, mais il mourut en avril 1865, laissant sa ville sous la tutelle des Touareg. Ceux-ci, nomades n’ont jamais administré une ville aussi est-ce une suzeraineté virtuelle reconnue par le seul versement d’un tribut prélevé par le chef de la cité s’appuyant sur le conseil des Anciens. Ce chef pendant une trentaine d’années fut un Arma d’une famille d’anciens pachas, du nom d’Al Kaya, auquel succéda son fils Yahia. Cette situation était pour cette famille pécuniairement intéressante malgré le tribut : ils étaient les seuls détenteur du pouvoir et percevait les taxes sur le commerce, par contre impuissants devant les pillages de certaines tribus, ils appelaient au secours les Touareg qui venaient mettre de l’ordre avant de se retirer. « D’ailleurs c’est d’eux que viendra la principale résistance au futur nouvel occupant.
Ville à vocation uniquement commerciale, même enrichie par son rôle culturel et religieux Tombouctou qui est passé par des hauts et des bas, d’une tyrannie à l’autre, qui fut tour à tour Touareg, Mandingue, Sonraï, Marocaine, Pachalik, Peuls, Kunta, Toucouleur et à nouveau Touareg, arriva à digérer toutes ces influences et à survivre…… Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure la dernière occupation, la colonisation française, se rattache à cette analyse ou au contraire s’en distingue …… et au-delà l’indépendance ! Mais cela est une autre histoire qui pourrait faire l’objet d’un nouveau billet dans ……. quelques temps !
(A suivre. )