Blog à part... le malheur, au malheur ressemble et choses banales.
Comment écrire aujourd’hui un billet souvenir, critique ou caustique, quand l'actualité étouffe sous les terribles images provenant d'Haïti..... J'avais plusieurs thèmes en tête, plusieurs sujets en préparation mais tout cela devient tellement banal, dérisoire, absurde à côté du drame, du chaos haïtien… je suis incapable d’écrire quoi que ce soit sans avoir d'abord, le plus sobrement possible, parlé un peu de la tragédie d'un pays où je ne suis jamais allé mais qui fut français, qui est francophone et qui est géographiquement et culturellement si proche de la Guadeloupe et de la Martinique.
Ce fut un tremblement de terre d’une extrême violence ; ce séisme dévastateur de magnitude 7.3 sur l’échelle de Richter, est dû à une faille d'une longueur d'environ 500 km qui traverse la région et passe par l’île au niveau de Port-au-Prince. Une faille d'affrontement entre la plaque tectonique caraïbe et la plaque nord américaine qui n’avait pas bougé depuis près de 300 ans faisant presque « oublier » la sismicité de la région et ce d’autant qu’il n’y eut aucun signe annonciateur. (Elle passe aussi par la Martinique et Guadeloupe !!!)
Aujourd’hui, 3 jours après le séisme, les premiers bilans de la Croix rouge font état de plus de 40 000 victimes et trois millions de sinistrés ; le 1er ministre haïtien évoque un possible bilan final de plus de 200 000 morts…. Des milliers de personnes ne pourront être dégagés et vont mourir de la façon la plus atroce après avoir attendu pendant des jours et des jours un impossible, un improbable sauvetage… L’horreur, le chaos.
Que dire de plus ? Les malheureux rescapés s’en remettent au divin et on ne peut certainement pas les en blâmer ; quand il n’y a plus d’espoir ça doit faire du bien de parler à Dieu, de psalmodier. L’agnostique que je suis ne sait pas prier, ni chanter de cantique, mais par le détour d’une poésie je peux essayer de traduire mon émotion.
Dès que j’ai pris connaissance de ce nouveau drame qui touchait l’un des pays les plus pauvres j’ai pensé, immédiatement, à ce poème d’Aragon, si joliment mis en musique et chanté par Jean Ferrat : J'entends, j'entends. Pourquoi ? Peut-être à cause de quelques mots de quelques vers qui font de ce poème, de cette chanson une prière laïque.
« J’en ai tant vu qui s’en allèrent, ils ne demandaient que du feu,
Ils se contentaient de si peu, ils avaient si peu de colère
J’entends leurs pas, j’entends leurs voix, qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal, comme on en dit le soir chez soi
Ce qu’on fait de vous hommes, femmes O pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées, vous regarder m’arrache l’âme
Les choses vont comme elles vont, de temps en temps la terre tremble,
Le malheur au malheur ressemble il est profond, profond, profond,
Vous voudriez au ciel bleu croire, je le connais ce sentiment,
J’y crois aussi moi par moment, comme l’alouette au miroir
J’y crois parfois je vous l’avoue, à n’en plus croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil, Ah je suis bien pareil à vous
A vous comme les grains de sable comme le sang toujours versé,
Comme les doigts toujours blessés, Ah je suis bien votre semblable
J’aurais tant voulu vous aider, vous qui semblez autres moi-même,
Mais les mots qu’au vent noir je sème, qui sait si vous les entendez
Tout se perd et rien ne vous touche, ni mes paroles, ni mes mains
Et vous passez votre chemin sans savoir ce que dit ma bouche
Votre enfer est pourtant le mien nous vivons sous le même règne,
Et lorsque vous saignez je saigne et je meurs dans vos mêmes liens
Quelle heure est-il quel temps fait-il ? J’aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant, avoir été peut-être utile
C’est un rêve modeste et fou, il aurait mieux valu le taire
Vous me mettre avec en terre, comme une étoile au fond d’un trou.
En espérant que le désordre actuel ne dure pas trop longtemps et que la coordination des secours et l’aide des pays riches permettront de soulager, quelque peu, les survivants, les blessés, tous les meurtris endeuillés … mais j’ai bien peur que cette tragédie ne devienne la « catastrophe majeure » : Le malheur au malheur ressemble, il est profond, profond, profond…. Mais s’il ressemble aux autres, je crains qu’il ne soit encore plus profond que jamais…. j’ai bien peur et j’espère que je me trompe que ce malheureux pays ne s’en relève pas.
Alors à quelles banalités devais-je consacrer un billet si cette tragédie n’était pas surgie des ondes, au petit matin, ce mercredi 13 janvier : j’avais envie à traiter de l’absurdité de la condition humaine..... et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on a été servi.
Effet médiatique, effet télévision, depuis le téléfilm consacré à Albert Camus j’ai relu « La peste : Ce qui est plus original dans notre ville est la difficulté qu’on peut y trouver à mourir. Difficulté, d’ailleurs n’est pas le bon mot, il serait plus juste de parler d’inconfort. » ….… et puis j’ai relu « L’étranger :..Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile ; mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier… ». J’ai ressenti l’absurdité de la situation lorsque ma mère est décédée alors que j’étais en mission professionnelle à la Martinique… .J’avais craint cette éventualité depuis le début d’été 2008 et je m’en étais ouvert à la psycho-gériatre de l’hôpital qui la suivait…
« Combien de temps partez-vous ?» m’avait-elle demandée
« un peu moins d’un mois, deux semaines en Guyane puis deux en suivant à la Martinique. » avais-je répondu.
« Rassurez vous, si sa mémoire lui échappe, le corps reste solide…. Vous pouvez partir tranquille… elle sera encore là, longtemps après votre retour ».
Le 20 octobre 2008, à 5 H du matin martiniquais, deux jours avant la fin de mission, un coup de téléphone de la maison de retraite m’annonçait son décès, m’obligeant à rentrer en métropole en catastrophe, j’ai pensé immédiatement aux premières lignes de l’Etranger.…. Absurdité.
Trois semaines plus tôt quand j’étais allé embrasser maman la veille mon départ en lui disant que je devais partir quelques jours, et que je reviendrai bientôt, elle m’a assené un terrible et inattendu « Menteur » dont je me souviendrai pour le restant de mes jours .
Absurde mais je ferai un jour prochainement un billet sur Albert Camus en exploitant notamment la remarquable « biographie intellectuelle » de Roger Grenier « Albert Camus : Soleil et Ombre »
En lisant le hors série du Monde « Où en est la France d’outre-mer ?» paru début janvier je réfléchissais aussi à un nouveau billet sur ces départements que j’aime tant.
La reprise d’un entretien de 1981 d’Aimé Césaire et puis un article «Esclavage une histoire qui ne passe pas » m’emmenait vers Haïti et le désir de vouloir évoquer Toussaint Louverture un peu comme j’avais parlé de Louis Delgrès et Magloire Pélage lors de mon dernier séjour en Guadeloupe. Louverture et Delgrès combattants de la liberté en Caraïbes, victimes de Napoléon.
Samedi 8 janvier je suis allé au centre culturel où j’ai emprunté l’ouvrage d’Aimé Césaire «Toussant Louverture : La révolution française et le problème colonial :…. Quand Toussaint Louverture vint, ce fut pour prendre à la lettre la Déclaration des droits de l’homme, ce fut pour montrer qu’il n’y a pas de race paria, qu’il n’y a pas de pays marginal…. ».
Quelle absurdité ! Je m’intéresse au père de la nation haïtienne la veille d’un désastre majeur qui donne comme un coup de grâce à un pays qui, depuis le 1er janvier 1804 (proclamation de l’indépendance quelques semaines après la mort de Toussaint Louverture captif dans une prison en France.) et jusqu’à ce terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010, n’a connu que misères, dictatures et catastrophes naturelles. Le pays le plus miséreux du continent américain et l'un des plus pauvres du monde.
Toujours dans le lot des banalités, au regard du drame haïtien, une dernière absurdité de ce début d’année 2010 .
Mardi dernier j’achetais le dernier livre de Vincent Peillon « Une religion pour la République : La foi laïque de Ferdinand Buisson ». Sur ce blog, j’ai souvent parlé de Vincent qui me fait l’honneur de son amitié depuis 1994. J’ai notamment fait un billet sur l’un de ses précédents livres « Jean Jaurès et la religion du socialisme ».
Je savais que Vincent devait participer à l’émission politique « A vous de juger » sur le thème de l’identité nationale, face au ministre Besson et à la représentante du FN, Mme Le Pen…. Qu’allait-il faire dans cette galère ? Quelle erreur ! J’étais très déçu de le voir s’embarquer dans une émission où les thèses poujadistes allaient avoir le beau rôle, une émission d’indignité nationale.
Il n’est pas venu, il a posé un lapin à Mme Chabot. J’étais déçu qu’il participe à ce débat, mais je dois avouer que ma déception fut encore plus vive devant ce coup d’éclat que je ne comprends vraiment pas ….Que n’avait-il pas refusé bien avant ? Surtout qu’il affirme que son absence était préméditée et organisée de telle sorte qu’aucun autre socialiste de substitution ne puisse être débauché.... les explications avancées me déconcertent plus que l'annonce de sa participation à l'émission. J'ai vraiment eu du mal à encaisser ce qui m'a paru être, avant tout, une dérobade... « Vincent, mon ami…il faudra que tu m’expliques car ça ne te ressemble pas….. avais-tu des pressions (conseils) de la direction du PS pour ne pas y aller ? Pressions conseils que tu aurais repoussés jusqu'à la dernière limite... pour être finalement obligé de jeter l'éponge, au dernier moment, le soir même.... j'ai vraiment besoin de comprendre.... »
Pour conclure ce malheureux billet, je mentionne la très jolie lettre de Serge Moati à son ami Philippe. Cette lettre à un frère disparu était dans le Monde Magazine de vendredi dernier et c’est très beau « …Tu cultivais la légende : celle d’un homme aux mille colères alors que tu étais, et j’en témoigne, gentil et tolérant. La preuve tu étais copain avec un type de gauche, certes de Tunis, mais même pas footeux !... ».
Serge Moati parlait à son ami d’enfance, Philippe Seguin, mort le 7 janvier.….. Comme quoi l’amitié sincère, l’amitié vraie, dépasse les clivages politiques (De même que de regrettables ratages politiques).
A suivre