Philo bath..... Le procès de Socrate...
Nous avons fait un court séjour, d'une petite semaine, fin mai début juin, à Athènes. Nous avions promis ce voyage à notre petit-fils Hugo pour qu’il découvre quelques splendeurs de la Grèce antique avant d’entrer, en septembre prochain, au collège. Je ferai bientôt d’autres billets sur ce séjour mais je voulais commencer par évoquer le philosophe Socrate et plus particulièrement l’histoire de son procès. C’est un article du Monde du 29 mai, acheté à Athènes, qui excita d'abord ma curiosité, puis un livre remarquable trouvé le lendemain « Les hommes illustres de la Grèce antique : leur vie et œuvre » de Georgos Papadoceorgos aux éditions Toubis. (En version française bien sûr, mais on le trouvait aussi en différentes versions)
Mais commençons par l’article du « Monde » du 29 mai, article signé A.S. (Athènes correspondance) intitulé « Socrate acquitté en appel, vingt-quatre siècles plus tard. »
« ….Et vingt-quatre siècles plus tard Athènes acquitta Socrate. Des juges et des avocats du monde entier ont refait à Athènes, Vendredi 25 mai, le procès de Socrate Condamné à mort en 399 avant Jésus-Christ, pour impiété et corruption de la jeunesse. Les débats ont été disputés et le résultat serré. Cinq juges l’ont condamné et cinq l’ont acquitté. En l’absence de majorité, l’accusé a été déclaré innocent. Le public a été plus clair : le vote du jury populaire du Centre culturel Onassis, par 584 voix pour et 282 contre, a rendu sa liberté au penseur qui se méfiait de la loi du plus grand nombre.
Les procureurs ont été habiles à faire du procès de Socrate celui des pourfendeurs de la démocratie. Antonis Papadimitrou, avocat et président de la fondation Onassis et le professeur de criminologie Elias Anagnostopoukos ont rappelé le contexte historique : en 399 avant Jésus-Christ, Athènes se remettait à peine de sa défaite contre Sparte dans les guerres du Péloponnèse et de l’année de terreur imposée par les Trente Tyrans qui coûta la vie à 1500 citoyens.
Le principal artisan de ce retour de l’Oligarchie était Critias, un disciple de Socrate (par ailleurs cousin de Platon). On connaît aussi la faiblesse de Socrate pour Alcibiade, qui avait trahi Athènes pour Sparte. Pour l’accusation, la cause est entendue : Socrate est un traître à la patrie et à la démocratie.
La tâche des avocats était difficile le « Mon client se défend si mal », a constaté Patrick Simon, l’un des défenseurs du philosophe avec l’Anglais Michael Beloff. Dans ‘’L’Apologie de Socrate’’ de Platon, le philosophe passe son temps à faire la leçon à ses juges. Heureusement pour ses avocats, Socrate était absent vendredi soir. Ils ont pu développer leurs plaidoiries en mettant l’accent sur la liberté d’expression et en dénonçant un procès politique. Ils ont eu gain de cause.
« Socrate est acquitté, il peut rentrer chez lui, a prononcé avec solennité et malice la juge new-yorkaise Loretta Freska, qui a pourtant voté en faveur de la condamnation de « ce dangereux subversif » au terme de plus de six heures de débats.
Imaginons un instant ce que dirait Socrate, rentrant chez lui aujourd’hui après avoir échappé à la ciguë. Ses réserves sur la démocratie ne seront sans doute pas levées par le spectacle des très lointains successeurs de Périclès qui se disputent actuellement le pouvoir à Athènes, alors que le pays se débat dans une crise sans précédent. Pousserait-il plus loin sa recherche de la sagesse pour faire mentir l’oracle affirmant qu’il n’y avait pas d’homme plus sage que lui ? Verrait-on un homme en toge déclarant à qui veut bien l’entendre « Je suis le taon, qui de tout le jour, ne cesse jamais de vous réveiller, de vous conseiller, de morigéner chacun de vous et que vous trouvez partout, posé près de vous » ? Peut-être certains auraient-ils bien vite envie de le condamner à nouveau…. »
Je ne savais pas grand chose sur Socrate : je savais certes qu'il était Athénien, philosophe, qu'il n'a laissé aucun écrit et que ce que l'on sait de son enseignement fut révélé par ses disciples, essentiellement par Platon ; enfin je savais aussi que, considéré traître par les maîtres d'Athènes, il fut condamné à mort et dut boire la ciguë....
Sans être trop long voilà l'essentiel de ce que j'ai appris, en plus, ces jours-ci, grâce au livre de Papadoceorgos.... et c'est passionnant, surtout à l'aune de la situation politique actuelle.
« On ne peut utiliser avec assurance ni le cheval sans rênes, ni l'argent sans mesure…. »
Socrate naquit à Athènes en 470 av. J.C. Fils d'un sculpteur il semble qu'il exerça lui aussi ce métier jusqu'à l'âge de 40 ans, ce qui ne parait pas être, a priori, incompatible avec la réflexion philosophique. Il abandonna le noble art pour consacrer tout son temps à dialoguer, à débattre, et éduquer ses compatriotes et plus particulièrement les jeunes. En fait Athènes était à la fin d'un cycle, celui de l'âge d'or du développement de la ville sous la gouvernance de Périclès et à l'apogée d'une évolution démocratique. A partir de 431 av. J.C commençait la guerre du Péloponnèse qui se termina une trentaine d'années plus tard par la défaite d'Athènes et le début de la domination spartiate. L'enseignement public gratuit et l'influence de Socrate coïncidait avec cette longue période de guerre : Quel bouc émissaire idéal il faisait alors après la défaite et ces temps d'humiliation.
Pourtant il ne semble pas que Socrate se soit mêlé de politique. Il est présenté comme ayant été un citoyen discipliné, honnête et juste qui enseignait le respect des lois et montrait l'exemple en s'acquittant avec ardeur de ses devoirs de citoyen athénien; il aurait même participé à certaines batailles au début de cette guerre. Bien que Socrate n'ait pas l'âme d'un politicien il n'en était pas moins un personnage exceptionnel, mystérieux, mais très écouté à Athènes. Platon disait de lui qu'il était « le plus parfait, le plus sage et le plus juste des Grecs.» Il se consacra à une quête de philosophie morale, de vertu et de justice. Il était convaincu que la principale mission de sa vie était de contribuer à élever le niveau moral et spirituel de ses concitoyens et notamment de la jeunesse.
« On doit embellir les villes avec des statues et les âmes avec des vertus…. »
Il souhaitait également faire prendre conscience aux hommes de leur ignorance et les aider à se connaître.
« Connais-toi, toi même…. Tant que je vis j'apprends..... »
Il ne créa pas d'école, il ne dispensait pas de cours contre rémunération mais il parvenait par le dialogue, par de simples questions, à faire discuter les gens issus de toutes les classes sociales sur des sujets religieux, éthiques, politiques et sociaux, mais aussi à les faires réfléchir sur leur vie, l'éducation de leurs enfants, la justice et tous sujets qui suscitent l'intérêt populaire.
Il faisait naître le dialogue en prétendant ne rien savoir, et ne donnait jamais l'impression de vouloir inculquer quelque chose de précis.
« Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien.... »
Cette méthode utilisée par Socrate porte le nom de ''Maïeutique'', c'est à dire l'art d'accoucher les esprits sans que l'interlocuteur en soit conscient.
Aujourd'hui un donneur de leçons sans en avoir l'air serait, à mon avis, appelé un ''fouteur de m....de première'' et c'est peut-être ce qui a conduit en 399 av J.C, trois citoyens athéniens à le traîner devant les tribunaux sur l'accusation de corrompre la jeunesse et de reconnaître non pas les dieux de la cité mais d'y introduire de nouvelles divinités. Diantre !
Les disciples de Socrate avaient pris soin pour ce procès de faire assurer sa défense par un grand rhéteur, mais Socrate refusa ses services en décrétant qu'il avait, lui-même préparé son plaidoyer toute sa vie. Ainsi il assura sa défense comme il l'entendait : un plaidoyer improvisé, parsemé de son habituelle ironie à l'égard des juges. Le tribunal le jugea coupable et le condamna à mort. La peine n'étant exécutée que 30 jours plus tard, nombre de ses disciples venaient le voir dans sa geôle qui prenait l'aspect une école de philosophie. Paisible il prodiguait ses derniers conseils et revendiquait de rester fidèle à ses principes et montrer par son exemple que « les citoyens doivent toujours respecter les lois de la cité.»
En mai 399 av. J.C. il but la ciguë paisible et serein.
(A suivre)