Histoire de rôles ..... Mourir pour des idées.
Voilà un titre de billet qui me pose problème : d’abord tout le monde aura reconnu là, le titre d’une des chansons les plus connues de Brassens et ceux qui me connaissent savent que je suis un inconditionnel de tonton Georges et pourtant,….. Et pourtant et cet aveu me coûte beaucoup, je n'aime pas cette chanson.
Alors pourquoi ai-je retenu ce titre ? C’est que j’ai puisé mon inspiration dans un livre que je viens de lire et qui s’intitule « Mourir pour des idées. La vie posthume d’Alphonse Baudin » et si ce livre m’a beaucoup appris je dois quand même avouer que je l’ai souvent trouvé «barbant ». Un livre d’universitaire, un livre pour étudiants il a fallut que je m’accroche pour le finir. En fait c’est le concept de la vie posthume, c'est-à-dire l’exploitation, voire la récupération publique de la mort d’un personnage connu ou historique qui m’intéressait.
Bien sûr j’ai aussi acheté ce livre parce qu’il concernait Alphonse Baudin…. dont j’ai entendu parler depuis mon enfance : un Baudin ça ne se refuse pas quand on porte le même nom…. (Il me faudra d’ailleurs faire aussi, bientôt un billet sur Nicolas Baudin marin explorateur… et charentais maritime….. un personnage intéressant !).
En cet été 2010 il faut bien avouer que travailler, étudier, réfléchir sur deux personnages comme Jacques de Liniers et Alphonse Baudin était une gageure ; c’était même philosophiquement troublant.
Jacques de Liniers un aventurier et une épopée extraordinaire, un héros exceptionnel qui a, pour l’exemplarité républicaine française, galvaudé sa sortie de l’histoire en restant loyal à la monarchie espagnole plutôt que de devenir le héros de l’indépendance de l’Argentine auquel sa popularité le destinait après avoir chassé les anglais du Rio de la Plata.
Alphonse Baudin un citoyen bien ordinaire, certes médecin des pauvres, socialiste et démocrate qui ne fut député que quelques mois et qui, par sa mort et ses derniers mots «sublimes», est devenu un mythe, une référence républicaine pendant plus d’un siècle.
J’ai donc lu ce livre consacré au député Jean Baptiste Alphonse Victor Baudin qui le 3 décembre 1851, en s’opposant au coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte, mourut, assassiné sur une barricade. Il m’a fallu quelque peu me forcer pour lire complètement cet ouvrage trop didactique d’Alain Carrigou, professeur de science politique à l’université Paris Ouest, et je reconnais avoir zappé quelques paragraphes qui me semblaient répétitifs. Je n’ai donc pas vraiment « dévoré » ce livre et je ne pouvais vraiment pas le référencer par son titre complet ….. D’où le retour, par défaut, au titre finalement retenu.
L’essentiel est dit dès les premières pages : « Qui se souvient d’Alphonse Baudin ? ……. Son unique mandat, inachevé, son engagement politique précoce et l’ensemble de sa vie n’ont guère laissé de traces. Ce portrait eût été plus bref encore sans un ultime haut fait : sa mort sur la barricade le 3 décembre 1851. Ce jour-là à huit d’heure du matin Baudin revêtit une écharpe improvisée avec des bandes de calicots rouge blanc et bleu et prit part à la construction d’une barricade à l’intersection des rues Sainte-Marguerite et de Cotte. A ce moment quelques hommes en blouse, de ceux que la police avait embrigadés, parurent et crièrent « Abas les 25 francs ! »(Le montant indemnitaire journalier à l’époque d’un député) Baudin qui avait déjà choisi son poste de combat et qui était debout sur la barricade, regarda fixement ces hommes et leur dit :
« Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs »….. A un coup de fusil tiré de la barricade, les deux compagnies ripostèrent par une décharge générale et Baudin fut tué…..»…«….. Une mort héroïque annoncée par un mot sublime, telle est la substance d’une histoire qui fut célèbre avant d’être à demi-oubliée (mais seulement avec la Vème république)….. »
Alphonse Baudin est né le 23 octobre 1811 à Nantua. Le député avait été élu en 1849 sur la liste démocrate socialiste du département de l’Ain….Il était membre des loges maçonniques et de clubs socialistes.
« …..Peu d’évènement eurent autant d’écho que le coup d’Etat de décembre 1851. Cette « farce », selon le mot du temps, n’auraient guère eu d’importance si elle n’avait inauguré un nouveau régime et remplacé un régime parlementaire par un prince-président vite travesti en empereur. La résistance fut faible et commencée par une médiocre barricade. Pas moins de trois de ses acteurs reçurent la consécration suprême : Victor Hugo en 1885, Alphonse Baudin en 1889 et Victor Schœlcher en 1948 furent inhumés au Panthéon. Si l’écrivain et l’abolitionniste (de l’esclavage en 1848) avaient d’autres titres de gloire que d’avoir participé à cette « péripétie », le parlementaire n’avait que le mérite d’y avoir été tué….. »
Ce coup d’Etat était une violation de la constitution de la deuxième république : A quelques mois de la fin de son mandat de trois ans et alors qu’il n’était pas autorisé à se représenter Louis Napoléon Bonaparte dissolvais l’Assemblée nationale et convoquait le peuple à un référendum. La résistance menée par les républicains fut écrasée en quelques jours faisant plusieurs centaines de tués dont le premier fut Alphonse Baudin. Plus de 27000 personnes furent arrêtées et la plupart des républicains furent bannis du territoire français ou s’exilèrent d’eux même. Le 21 décembre Louis Napoléon Bonaparte fut plébiscité avec 7 millions de suffrages et du coup un an plus tard le 2 décembre 1852, il fit célébrer le coup d’Etat par un nouveau plébiscite qui établissait le second empire et le faisait empereur des français sous le nom de Napoléon III. Pendant ce long hiver pour la démocratie les opposants républicains allaient se structurer autour du mythe « Baudin ».
Victor Hugo et Victor Schœlcher qui étaient présents sur la barricade apprirent à se connaitre en exil et devinrent amis. «….Echappé dans des circonstances rocambolesques sous l’habit de prêtre, un proscrit fit irruption au domicile bruxellois de Victor Hugo qui regardait, surpris, cette figure d’ecclésiastique dont il avait comme un vague souvenir, lorsque l’inconnu prit la parole ; « Citoyen Victor Hugo, dit-il vous m’avez longtemps été suspect ….Le pair de France m’obscurcissait en vous le démocrate. Je me demandais si vous étiez sincèrement républicain. Ce doute a duré trois ans. Il a cessé en trois jours. Je vous ai vu les 2,3 et 4 décembre, cela m’a suffi. Je suis Victor Schœlcher, voulez vous me donner la main ? ». Cette amitié ne se démentira point jusqu’au bout de leur vie….. ».
Baudin qui était désigné dans les cercles socialistes par son patronyme, et dont le prénom usuel familial était Alphonse fut aussi appelé Jean Baptiste après sa mort sur les actes administratifs et Victor par l’opposition républicaine en exil. Les Victor symbolisaient la future victoire qui n’arriverait que le 4 septembre 1870, avec la IIIème République.
Schœlcher de son exil écrivit « Histoire des crimes du deux septembre » puis « Les deux Décembres, les massacres de Paris » qui ne furent publiés qu’en 1874.
Victor Hugo écrivit dès 1852 un pamphlet « Napoléon le petit » et « Histoire d’un crime » mais pour ce dernier et pour protéger des républicains qui étaient restés en France, il ne fut publié qu’en 1876.
En 1868 le journal le « Le Réveil » lançait une souscription pour construire un monument au représentant héroïque de la république. Le pouvoir impérial pouvait-il tolérer un tel défi ? Non ! Il choisit de faire un procès au directeur du journal Charles Delescluze ; procès au cours duquel s’illustra un avocat nommé Léon Gambetta et la légende renaissait de ses cendres.
Avec la chute de l’empire en septembre 1870, et le retour des proscrits Victor Hugo et Victor Schœlcher, les témoignages, les récits étaient enfin connus, lus. La IIIème république « radicale » exploitait à nouveau le mythe notamment après la Commune puis contre le boulangisme pour le centenaire de la révolution française quand les restes de Baudin furent ramenés au Panthéon (le 4 août 1889, tout un symbole).
Le dernier homme politique à avoir fait référence à la mort de Baudin est François Mitterrand au temps du « coup d’éclat permanent » critiquant l’excès de pouvoir présidentiel qu’instauraient la Vème République et l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Certes il a lui-même enfilé les habits présidentiels et s’en est très bien accommodé. Il faut aussi rappeler qu’il a subi deux cohabitations et qu’il a laissé son opposition gouverner comme le fit également Jacques Chirac.
Il en est autrement aujourd’hui avec Sarkozy et les effets négatifs du quinquennat dont l’absence de risque de cohabitation. D’ailleurs, en terme de récupération d’un héros, d’un martyre, Sarkozy a bien été le pire de tous les faux-culs que notre histoire ait connus avec l’utilisation scandaleuses de la lettre d’adieu de Guy Moquet le jeune militant communiste fusillé à 17 ans par les allemands.
Bon je ne vais pas finir ce billet sur ce coup de gueule…. Ça plombe l’ambiance. Il me faut parler encore de Baudin héros républicain, héros civique, héros ordinaire. Je vais, donc, pour finir, raconter une histoire de fausse vraie filiation, et pas seulement une filiation d’idées ; une histoire que j’ai déjà raconté sur ce blog le 4 septembre 2007. (Ce n’est pas une blague et je ne l’ai pas fait exprès car ce jour là c’était le 137ème anniversaire de la fin du second empire et le début de la IIIème république) :
Il y a quelques années, on devait être en 1995, Georges un collègue de travail parisien qui était venu m’aider pour un chantier d’autoroute m'a dit : « Dimanche avec mon épouse et les enfants, nous sommes allés au musée Carnavalet, dans le quartier du Marais à Paris. C’est le musée d’Histoire de la ville de Paris et au détour des salles je suis tombé sur le tableau du député Alphonse Baudin. Ce n’est pas croyable comme tu lui ressembles, c’est ton portrait craché. Une telle ressemblance signifie que c’était, sûrement, un de tes ancêtres, peut-être ton arrière grand-père ou une génération de plus ». (Tableau d’Ernest Louis Pichio)
A cette époque, j’avais déjà suffisamment avancé mon arbre généalogique pour savoir que ça ne collait pas ; de plus je ressemble beaucoup à ma mère et je n'ai pas hérité de grand-chose du côté paternel.
L’année suivante Georges revint et me demanda « Alors es-tu allé au Musée Carnavalet ?» Non bien sûr je n'y étais pas allé et ce fut comme ça pendant 3 ou 4 ans. A chaque fois qu’on se voyait la même question revenait, et moi, embarrassé par son insistance, je faisais toujours la même réponse quelque peu gêné par mon manque de curiosité.
En 1998, Georges a quitté d’entreprise, et comme vœux de nouvel an il m’a envoyé une carte du tableau….. Et là effectivement c'était troublant….il me semblait voir quelqu’un que je voyais régulièrement tous les matin dans une glace du moins quelques années plus tôt lorsque j’avais la quarantaine.
A l’automne 2005 je passai à proximité du musée Carnavalet…. C’était l’occasion, je n’avais rien d’urgent à faire et je suis donc entré. J’ai cherché le tableau de Pichio et comme il y avait peu de monde je suis resté longtemps à examiner l’œuvre.
Au fond de la salle il y avait une surveillante qui m'observait. De rester ainsi immobile à contempler le tableau a du l’intriguer car au bout d’un moment elle s’approcha et me demanda si j’aimais ce tableau :
« Bien sûr-ai-je répondu- c’est surtout que c’est un de mes ancêtres - ai-je menti - ne trouvez vous pas que je lui ressemble ?».
« Ah bon ! » répliqua-t-elle, et la dame recula, elle me détailla de la tête aux pieds, puis son regard se porta sur le tableau, puis à nouveau sur moi, puis sur le tableau. Elle prit tout son temps, avant de m’asséner de façon péremptoire:
« Absolument pas ! Vous êtes nettement plus vieux et plus gros. »
(A suivre)