Ciné-cure..... Le Guépard.
Voilà un billet ciné-cure où je ne parlerai que de cinéma et de littérature, un billet hommage, un billet sincère sans la moindre arrière-pensée politique……. Encore que ? ….. Ceux qui connaissent, qui ont lu le roman de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa ou vu le film de Luchino Visconti, ceux-là savent parfaitement que la politique est omniprésente tout au long de cette histoire du Risorginento qui se situe en Sicile entre mai 1860 et novembre 1861 ; histoire qui commence avec l’épopée des Mille et se termine avec l’unification de l’Italie autour du roi Victor Emmanuel II : Entre un vieux monde étriqué qui disparait et un nouveau qui s’ouvre, ce n'est finalement qu'un épisode de la longue marche de l’humanité qui débouche aujourd'hui, en ce début de XXIème siècle, sur la mondialisation ! Ce n’est pas la peine de vouloir rester dans la nostalgie du passé ni d’attendre les lendemains merveilleux d’un grand soir….il faut simplement s’adapter … Le monde d’aujourd’hui et celui de demain ne sont que la continuité d’une histoire vieille comme le monde.
Mercredi dernier, j’ai eu le plaisir de revoir au cinéma « le Guépard » la palme d’or du festival de Cannes de 1963. Il s’agit d’une version restaurée et numérisée à l’initiative de Martin Scorsese et qui est projetée en France depuis début décembre. Je me dois d’abord de remercier l’association « Les diaboliques » qui est à l’initiative de cette projection. Une association qu’il m’est arrivé de critiquer dans certains billets à cause de son obstination à faire passer des films étrangers en V.O. au Méga CGR en réseau commercial….. Le film est d’ailleurs passé en version italienne, mais ça ne me posait pas de problème car d’une part je connais le film par cœur et, d’autre part, parce que l’italien, comme l’espagnol, est une très agréable langue méditerranéenne. Cette version restaurée dure 3h10 alors que l’ancienne, celle que j’ai en DVD ne dure que 2H50. On reconnaissait facilement les scènes qui ont été ajoutées car le film passe alors subitement en français. (Ce qui montre aussi que la version originale n’est pas exclusivement italienne : Lancaster est doublé en français comme en italien de même que Delon en italien et probablement Reggiani.)
J’ai du voir pour la première fois ce film en 1963 ou 64, et je me souviens d'y avoir entraîné mon ami Jef. Depuis que j’étais gamin, j’étais fan de Burt Lancaster mais c’était le Burt de « Bronco Apache », de « Véra Cruz », du « Corsaire rouge » du « Vent de la plaine » etc…de « La dernière séance ». Je crois que ni Jef ni moi, du haut de nos 16 ou 17 ans n’étions vraiment prêts à voir ce Lancaster en Prince de Salina, vieil aristocrate philosophe. Mon Burt cow-boy ou apache ou corsaire avait pris un sacré coup de vieux ! …..J’avais été terriblement déçu.
Bien sûr en vieillissant ma culture cinématographique s’est étoffée et j’ai su que ce film était un vrai chef d’œuvre. Je ne sais plus trop quand je l’ai vu pour la seconde fois : ce devait être au début des années 70 au Zaïre, sur le chantier du barrage d’Inga, où nous recevions chaque semaine un film du circuit culturel de l’ambassade de France.
J’ai tellement aimé ce film que dans les années 80 je l’ai revu en cassette et puis quand il est sorti en DVD je l’ai acheté…. Vu et revu et encore revu. Enfin, j’ai fini par acheter le roman, par curiosité pour voir si Visconti avait été fidèle à Tomasi Di Lampusa et quelle ne fut pas ma surprise de voir que s’il y avait quelques légers accommodements, bien compréhensibles, dans la construction de l’histoire, les dialogues étaient rigoureusement respectés ainsi que de très nombreux détails matériels. Autre particularité : le film ne prend en compte que six chapitres du roman qui en comporte huit ; les deux derniers concernent la fin de la dynastie et se déroulent plusieurs décennies après . On peut même dire que Visconti n’en retient que cinq car celui (le 5ème chapitre) qui éclaire le lecteur sur la personnalité du Père Pirrone n’est pas non plus pris en compte à l’exception de quelques dialogues qui ont été rattachés à d’autres parties du film. Comment peut-on faire un film de trois heures en partant d’un texte relativement court de 220 pages très facile à lire ? En conservant la quasi-totalité des conversations, des débats qui sont finalement la principale richesse de ce film sans compter bien sûr l'extraordinaire charisme de Lancaster qui rejaillit sur l'ensemble du casting.
Certes il y a les scènes de combats et la prise de Palerme par les troupes de Garibaldi, qui ne sont pas décrites et à peine mentionnées dans le roman. C’est d’ailleurs la partie la plus décevante du film, la moins bien filmée, la moins bien jouée, mais elle est utile pour que le spectateur qui n’a pas lu le livre ou qui n’a pas une bonne connaissance historique, comprenne la situation. Il y a aussi une scène de journée électorale à Donnafugata, mentionnée dans le roman lors de discussions entre le Prince et son fidèle Ciccio Tuméo (Serge Reggiani). Franchement le gag de la fanfare lors de la proclamation des résultats du vote n’est pas digne du film.
Par contre le bal qui est le clou du film n’est traité en chapitre 6 qu’en 35 pages. Dans le film la scène dure 45 minutes et si elle est peu longue elle est néanmoins très importante, avec un seul gros inconvénient, elle a trop mis en valeur le couple glamour Alain Delon-Claudia Cardinale faisant perdre de vue que le film repose surtout sur les confrontations permanentes entre le Prince et son confesseur ou entre le Prince et son compagnon de chasse avec quelques interventions décisives de Tancredi.
Dans l’ensemble Luchino Visconti a été rigoureusement fidèle au roman, notamment pour le choix des personnages et il n’est pas inutile de préciser que l’auteur du roman est décédé en 1957 avant même que son roman ne soit publié et cinq ans avant le début de tournage du film.
Burt Lancaster est parfait en Prince de Salina tel que décrit. « Il était immense et très fort ; sa tête effleurait les lustres…. Son teint rosé et ses poils couleurs de miel dénonçaient l’origine allemande de sa mère, la princesse Caroline… »
Il en est de même pour Alain Delon qui interprète Tancredi « Tandis que le Prince se rasait la joue droite il vit dans le miroir, derrière lui le visage d’un jeune homme, un visage maigre, distingué avec une expression de moquerie craintive ». Cette scène est magnifiquement jouée et laisse des regrets pour ce qu’il en fut de la carrière de Delon.
Un autre personnage très important du film est le Père Pirrone magistralement interprété par Romano Valli.
Toute la première partie du roman et du film tourne autour de ces trois personnages. Le Prince Don Fabrizio qui impose à sa famille une rigueur aristocratique ; atmosphère figée dont lui s’évade en passant la journée dans son bureau observatoire d’astronomie ou en allant régulièrement le soir retrouver une maitresse à Palerme. Au Père Pirrone qui l’adjure de se confesser il répond « Ce n’est pas nécessaire vous savez tout et de renchérir … Je suis un homme vigoureux et comment faire pour me contenter d’une femme qui se signe avant chaque étreinte….. J’ai eu sept enfants avec elle et je n’ai jamais vu son nombril ….Est ce juste ? La vraie pécheresse c’est elle ! »
Le Prince aime son neveu Tancredi plus que ses propres fils. Il accepte même son insolence quand celui-ci évoque ses escapades du soir à Palerme « C’est du beau, à ton âge ! ….ces ruines libertines ». Tout au plus essaye-t-il de se montrer sévère quand le jeune homme lui annonce qu’il va rejoindre les troupes garibaldiennes. « Tu es fou, mon enfant ! Aller se mettre avec ces gens-là ! Des mafieux, des coquins. Un Falconeri doit être avec le roi. » Et c’est le jeune homme fougueux qui raisonne le vieil aristocrate « Pour le Roi, certes mais pour quel Roi ? (La guerre oppose François II Roi des Deux-Siciles à Victor Emmanuel II Prince de Savoie, Piémont Sardaigne allié au républicain Mazzini et à Garibaldi.) …. Si nous ne sommes pas là, ils vont nous arranger la République. Si nous voulons que tout reste pareil il faut que tout change… » Et quand Tancredi quitta son oncle, celui-ci courut derrière pour lui remettre une bourse bien garnie « Tu subventionnes maintenant la Révolution ! Merci mon oncle »
Le Prince a besoin de débattre du sujet avec le Père Pirrone, lui révéler ce qu’il appelle sa découverte politique, un peu comme si c’était une nouvelle étoile au bout de son télescope. Le Prêtre le sermonne « En quelques mots vous les seigneurs vous vous mettez d’accord avec les libéraux, que dis-je les libéraux ! Même les francs-maçons à nos dépens, au dépens de l’église » et puis pour finir cette longue joute politico-philosophique « Excellence, j’ai été trop brusque ; gardez-moi votre bienveillance…. Mais suivez mes conseils, confessez-vous. »
Et comme le Prince lui répond « On verra ça samedi ! », il doit battre en retraite mais en ajoutant « Vous aurez deux péchés à me confesser Excellence : un péché de la chair hier et un de l’esprit aujourd’hui. Souvenez-vous en »
La seconde partie du film et du roman suit la victoire des troupes garibaldiennes. La famille princière se rend dans son Palais de villégiature à Donnafugata en montagne pour y passer les trois mois d’été. Don Fabrizio de Salina abandonne son observatoire d’étoiles et ses soirées libertines mais ne se prive pas de son confident-confesseur qui est du voyage tout comme son neveu Tancredi. La famille est accueillie par le Maire, un riche parvenu, Don Calogero Sédara (interprété par Paolo Stoppa), divers notables et Don Ciccio Tuméo (Serge Reggiani) compagnon de chasse du Prince et autre confident.
Deux scènes sont importantes : La première se déroule dans la salle de bain du Prince alors que celui-ci est dans sa baignoire, un domestique l’informe que le Père Pirrone souhaite lui parler promptement. Devant l’urgence Don Fabrizio demande qu’il vienne immédiatement et le jésuite rentre au moment où le prince sort de son bain. Le père balbutia une excuse et esquissa un retour en arrière « Mon père ne soyez pas stupide vous qui êtes habitué à la nudité des âmes ne soyez pas effrayé par la nudité d’un corps. Donnez-moi mon peignoir et aidez-moi à m’essuyer. De quoi s’agit-il ? » Et le prêtre d’annoncer qu’il a un message à lui transmettre de sa fille Concetta qui est amoureuse de son cousin Tancrédi. Et le prince de marmonner « Un homme de quarante cinq ans peut se croire jeune jusqu’au moment où il apprend qu’il a des enfants en âge d’aimer….. Et cette sotte, pourquoi est-elle allée vous raconter ces choses à vous ? Pourquoi n’est-elle pas venue me voir ? ». L’important pour le Prince était surtout de savoir si de son côté son neveu s’était engagé. Non il ne s’était pas déclaré ! Alors il ne s’agissait que de simples rêveries de jeune fille ; le danger n’était pas proche.
« Mon Père, Tancredi a un grand avenir devant lui et vous voyez Concetta ambassadrice à Vienne ou Saint Petersburg ? Non ! Et puis Concetta ne sera pas très bien dotée. Ce qu’il faut à Tancredi c’est bien autre chose par exemple l’une des filles Sutéra si laides mais si riches. Parce que l’amour c’est feu et flammes pendant un an puis cendres pendant trente ans »
L’autre scène importante de cette second partie est le diner qu’offre le Prince aux notables de Donnafugata ; Le maire Don Calogero ne peut se faire accompagner de son épouse, soit disant souffrante, mais qui, en fait, vit recluse chez elle. Il se rend donc à l’invitation accompagné de sa fille Angelica (Claudia Cardinale). …. La famille princière n’avait pas vu Angelica, depuis des années et ce n’était plus la fillette au physique ingrat mais une jeune femme d’une hallucinante beauté qui entrait dans le salon ; « les Salina restèrent le souffle coupé ; Tancredi senti battre les veines de ses tempes. Devant l’impétuosité de sa beauté les hommes furent incapables d’en remarquer les défauts qui n’étaient pas rares…. » Tancredi tomba immédiatement sous le charme de cette incroyable beauté à l’état brut dont on disait en plus que le père était immensément riche. Le Prince de son côté faisait le même constat.
La suite du film est plus conventionnelle et le côté glamour prend malheureusement le dessus mais il y a encore de très belles scènes de débats avec de beaux dialogues et de savoureuses répliques : comme la partie de chasse où le Prince se renseigne au près de son ami Don Ciccio Tuméo sur Don Calogero ; sur sa richesse bien sûr, mais aussi sur les origines grands-parentales d’Angélica. Le Prince informa alors son compagnon de chasse qu’il allait demander à Don Calogéro la main d’Angélica pour Tancredi qui l’avait sollicité par lettre.
Cette information provoqua la colère de Ciccio : « ça, excellence, c’est une vilénie ! Un neveu, presque un de vos fils ne doit pas épouser la fille de ceux qui sont vos ennemis et qui vous ont toujours tiré dans les jambes. Chercher à séduire, comme je le croyais, c’était un acte de conquête ; ainsi c’est une reddition sans condition. C’est la fin des Falconeri et des Salinas aussi ! »
Le Prince était devenu violet…serrait les poings en faisant un pas vers lui…. Puis ses poings se rouvrirent « Rentrons à la maison, Don Ciccio il y a des choses que vous ne pouvez pas comprendre. Ce mariage n’est pas une fin mais le début de tout. »
Il y a aussi la scène de ménage dans la chambre à coucher avec son épouse qui est furieuse de cette décision prise au détriment des sentiments de leur fille Concetta…. Enfin il y a la scène de la demande en mariage officielle tout ce qu’il y a de plus courtoisie diplomatique, en présence, bien entendu, du Père Pirrone et qui se termine par une formidable accolade du Prince au maire, Don Fabrizio soulevant du sol à bout de bras Don Calogero.
Et puis la fin du film dans son versant romantique perd de l'intérêt en gagnant en superbe. Le couple Delon-Cardinale étant plus en vue que le duo Lancaster- Valli ou Lancaster-Reggiani. A signaler encore une scène magnifique entre Le Prince et Chevalley (Leslie French) le représentant du gouvernement qui venait lui proposer de siéger au Sénat. . Les deux hommes, qu’à priori tout opposait, s’entendent à merveille même si le Prince ne peut accepter cette distinction. Don Fabrizio lui souriait, le prit par la main, le fit s’asseoir près de lui sur le divan « Vous êtes un gentilhomme, Chevalley, et j’estime que c’est une chance de vous avoir connu ; vous avez raison sur presque tout ...... Sauf que vous vous trompez quand vous dites que les siciliens voudront être meilleurs….. alors qu'eux pensent : Ils viennent nous apprendre des bonnes manières alors que nous, nous sommes des Dieux… »…. En reconduisant Chevalley à sa voiture, voyant qu’il avait du mal à saisir la situation et son refus du poste de sénateur, le Prince lui dit : « … Nous fumes des Guépards, des Lions ; ceux qui nous remplaceront seront des petits chacals, des hyènes ; et tous ensembles, Guépards, chacals et moutons nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre...."
La dernière partie du film est ce bal majestueux et malgré les coulisses peu ragoutantes de ce beau monde, on se laisse prendre par la magnificence du spectacle. C’est la victoire totale de Tancrédi à qui tout sourit : l’amour, la réussite, les honneurs, l’avenir.....
Le Guépard lui se traine dans un coin jusqu'à ce que Angélica vienne l’inviter à danser. Le Prince en fut tout heureux, il se sentait tout enorgueilli : « Merci Angelica tu me rajeunis.. » … Le couple Angelica–Don Fabrizio fit une impression magnifique… Au point que les critiques pour symboliser ce grand film ont essentiellement retenu cette scène mythique. C'est un peu court d'autant que cette dernière partie est un peu trop longue.
Le film se termine au petit matin de cette fête, le Prince allant dans une ruelle de Palerme..... sans doute pour chasser Angelica de ses pensées.
( A suivre)