Triste souvenir.... Il y a quarante ans les adieux de Salvador Allende...
Je crois au vote et non au fusil.». Salvador Allende aura manifesté jusqu'à sa mort cette confiance en la démocratie, en la force du suffrage universel.
L’ancien président chilien a toujours été un homme modéré et non le dangereux marxiste que les Etats–Unis ont combattu et fait tomber en 1973 pour préserver leurs intérêts. Peut-être n’a-t-il pas toujours fait, lors de son court mandat des choix judicieux et manqué de prudence en procédant brutalement à la nationalisation totale des mines de cuivre….. peut-être ! Mais nous étions déjà une trentaine d’années après la seconde guerre mondiale, longtemps après le putsch franquiste en Espagne et vu de France, pour le jeune homme idéaliste que j’étais, c’était incompréhensible…..
Né le 26 juin 1908 Salvador Allende fut élevé dans le giron d’une famille bourgeoise humaniste, d’origine basque. Son engagement militant remontait à la fin des années 1920 lors de ses études en faculté de médecine. Il fut l’un des membres fondateurs du Parti socialiste chilien en 1933 puis il commença une carrière politique comme leader du centre-gauche. Elu député en 1937, il devint à 31 ans ministre de la santé dans le gouvernement de Front populaire d’Aguire Cerda.(1939-1941).
En 1945 il fut élu pour la première fois Sénateur. Sa capacité, à incarner le visage d’un socialisme modéré, conjuguée à son sens politique lui valut d’être nommé par ses pairs président du Sénat en 1966.
Pendant les années où il fut parlementaire, il se présenta par trois fois à l’élection présidentielle : La première fois c'était en 1952 et il obtint seulement 5,5 % des suffrages en raison de profondes divisions chez les socialistes. A nouveau candidat en 1958 il améliora son score en atteignant 28.5 %, mais gêné par une candidature populiste il dût s’incliner devant le candidat de la droite Jorge Alessandri.
A partir des années 60 s’établit au Chili le système des ‘’trois tiers’’ à savoir la Droite, au centre le Parti démocrate Chrétien et la Gauche du Frente de Acción Popular.
En 1964, Allende était pour la troisième fois candidat à l'élection présidentielle où il représentait le FRAP. Il devint vite clair que l'élection allait se résumer à une course entre Allende et le démocrate chrétien Edouardo Frei. Par crainte du triomphe d'Allende, l'électorat d’une droite discréditée devait reporter son vote sur Frei qui était considéré comme le moins dangereux des deux favoris. Dans cette configuration Allende perdait une nouvelle fois avec 38,6 % des suffrages contre 55,6 % à Frei.
Le nouveau Président, centriste, réalisa durant son mandat de très importantes mesures sociales comme la ‘’Revolucion en Libertad’’, dont une réforme agraire et la nationalisation à 51% des mines de cuivres qui étaient détenues par des américains. Des réformes faites avec l’appui parlementaire de la gauche ; réformes entrainant une radicalisation de la droite
En 1970 Salvador Allende était candidat à l’élection présidentielle pour la quatrième fois. Le grand favoris semblait, cette fois, être le candidat de droite, ancien Président, Jorge Alessandri. Le Président sortant Frei ne pouvant se représenter, la démocratie chrétienne choisit pour la représenter Radomiro Tomic clairement marqué au centre gauche et qui fit une campagne peut différente de celle de Allende qui plus connu du grand public, parut alors plus modéré.
Le 4 septembre 1970 Savador Allende arrivait en tête avec 36.6% devant Alessandri 34.9 et Tomic 27.8%. A cette époque il n’y avait pas de second tour au suffrage universel, et celui qui était arrivé en tête devait être confirmé par le Congrès. Les socialistes obtinrent des démocrates chrétiens leur soutien à l’investiture d’Allende en échange de la promesse de respecter les libertés et la légalité. Salvador Allende l’emporta avec 153 voix pour 195 parlementaires.
Devenu Président à 62 ans et disposant d'une majorité parlementaire grâce au soutien des démocrates-chrétiens, Allende intensifia les réformes de son prédécesseur. Pour les mines de cuivre déjà nationalisées à 51 % par Frei, Allende expropria la partie restante sans indemniser les compagnies américaines. Il accentua aussi sensiblement la politique de redistribution des terres en faveur des paysans pauvres. Les entreprises, en position de monopole furent nationalisées (dont neuf banques sur dix). Le gouvernement Allende mit en place des mesures sociales comme l'augmentation des salaires et d’ambitieux programmes de santé publique, de logement et d’éducation ; le divorce était légalisé et la sécurité sociale étendue.
C’était sans doute trop en moins en si peu de temps……. Le miracle économique ne dura qu’une année, avec baisse du chômage et de l’inflation mais retournement de tendance dès 1972 suite à la chute ‘’organisée’’ des cours du cuivre sur les marchés. Le Démocratie chrétienne lâcha le gouvernement pour s’allier à la droite nationaliste dans la perspective des les élections législative de 1973. Dès 1972 de grandes manifestations populaires avaient lieu dont celles ‘’des casseroles.’’ .
Lors des élections de 1973 et malgré une amélioration avec 44.5% de son socle électoral l’Unité populaire était battue par l’Alliance des droites qui atteignait 55.5%. Toutefois la nouvelle majorité parlementaire réactionnaire ne disposait pas de la majorité des 2/3 pour pouvoir destituer le Président de la république. La constitution et les haines politiques provoquaient un blocage du pays. Il n’ y avait pas de possibilité de cohabitation raisonnable
Au cours de l'été 1973 de multiples grèves et des insurrections menacèrent la stabilité du pays. Le 23 août 1973, au lendemain d’une manifestation importante qui entraîna la démission du ministre de l’intérieur, Salvador Allende nomma Pinochet général en chef des armées dans le but de s’assurer sa loyauté avant d’appeler les chiliens à un référendum décisif pour mettre fin à la crise. Le 11 septembre les putschistes qui avaient rallié, quelques jours plus tôt, Pinochet à leur projet, passèrent à l’action en attaquant et bombardant le palais présidentiel où le Président Salvador Allende qui était resté à son poste, se suicida après avoir fait par radio, son discours d’adieu au peuple Chilien.
« Camarades qui m’écoutez : la situation est critique, nous sommes face à un coup d’Etat auquel participe la majorité des forces armées.
Je n’ai pas l’étoffe d’un martyr, je suis un combattant de la cause sociale qui accomplit la tâche que le peuple lui a confiée. Mais que ceux qui veulent revenir sur l’Histoire et nie la volonté majoritaire du Chili m’écoutent : même si je ne suis pas un martyr, je ne ferai pas un seul pas en arrière. Qu’ils le sachent, qu’ils l’entendent, qu’ils le gravent dans leur esprit : je quitterai La Moneda quand le mandat que m’a confié le peuple sera achevé, je défendrai la révolution chilienne et je défendrai le gouvernement parce que c’est pour cela que le peuple m’a élu. Je n’ai pas d’autres choix. Seules les balles pourraient m’empêcher d’accomplir la mission que m’a confiée le peuple.
C’est sans doute ma dernière chance de m’adresser à vous. Les forces aériennes ont bombardé les tours de radio Portales et de radio Corporacion. Mes paroles sont empreintes de déception mais pas d’amertume. Qu’elles soient le châtiment moral de ceux qui ont trahi leur serment : les soldats du chili, les commandants en chef, l’amiral Merino, qui s’est lui-même désigné commandant de la Marine, monsieur Mendoza, général perfide qui hier encore manifestait sa solidarité et sa loyauté au gouvernement, et qui aujourd’hui s’est promu commandant général des carabiniers.
Face à ces événements je déclare aux travailleurs que je ne renoncerai pas ! Confronté à ce tournant historique, je paierai de ma vie ma loyauté au peuple. J’ai la certitude que la semence qui a été déposée dans la conscience de milliers de Chiliens ne pourra pas être arrachée. Ils ont la force, mais les mouvements sociaux ne se maîtrisent ni par le crime, ni par la force. L’histoire nous appartient, ce sont les peuples qui la font.
Travailleurs de ma patrie : je veux vous remercier de votre loyauté, de la confiance que vous avez accordée à un homme qui ne fut que l’interprète de votre soif de justice, qui vous a promis le respect de la Constitution et de la loi et qui a tenu sa parole.
En ce moment crucial, le dernier où je peux encore m’adresser à vous, je veux que vous reteniez cette leçon : le capital étranger et l’impérialisme, unis à la réaction, ont créé le climat pour que les forces armées rompent leur tradition, celle que leur avait enseignée le commandant Schneider et qu’avaient réaffirmée le général Araya, tous deux victimes (assassinés) de la même classe sociale qui aujourd’hui attend tranquillement qu’une main étrangère lui rende le pouvoir pour continuer de défendre ses intérêts et ses privilèges.
Je m’adresse à vous, et en particulier à la modeste femme de notre terre qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé plus, à la mère qui a compris notre préoccupation pour ses enfants. Je m’adresse à tous les professionnels, aux patriotes qui n’ont jamais cessé de lutter contre la sédition encouragée par les corporations professionnelles, corporations de classe qui défendaient elle aussi les avantages que leur accordaient la société capitaliste.
Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui chantèrent et nous livrèrent leur joie et leur esprit de lutte. Je m’adresse à l’homme chilien, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à ceux qui seront persécutés, parce que le fascisme a déjà pris place dans notre pays ; à travers les attentats terroristes, abattant les ponts, coupant les voies de chemin de fer, détruisant les oléoducs et les gazoducs, face au silence de ceux qui avaient le devoir de réagir. Ils sont responsables. L’histoire les jugera.
On fera certainement taire Radio Magalanes et le métal tranquille de ma voix ne vous parviendra plus. Peu importe. Vous l’entendrez encore. Je serai toujours à vos côtés. Mon souvenir sera tout au moins celui d’un homme digne, d’un homme qui fut loyal à sa patrie.
Le peuple doit se défendre mais, pas se sacrifier. Le peuple ne doit pas se laisser écraser, il ne doit pas mourir sous les balles, mais il ne doit pas se laisser humilier.
Travailleurs de ma patrie, j’ai foi dans le Chili et en son destin. D’autres hommes surmonteront ce moment gris et amer où la trahison prétend s’imposer. N’oubliez jamais que bientôt s’ouvriront à nouveau de larges avenues qu’empruntera l’homme libre pour bâtir une société meilleure.
Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs !
Ce sont mes dernières paroles et j’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas vain, j’ai la certitude qu’il sera pour le moins une leçon morale qui frappera la félonie, la lâcheté et la trahison.
La longue nuit dictatoriale qui tombe sur le Chili ce 11 septembre 1973 va durer plus de 16 ans.
J'avais déjà partiellement traité ce sujet il y a deux ans pour la commémoration des attentats du 11 septembre 2011.
( A suivre)