Ciné-cure.....Hôtel Rwanda & Shooting Dogs
Il y a vingt ans le dernier génocide du XXe siècle se déroulait au Rwanda. Le 6 avril 1994, l’avion qui allait atterrir à Kigali ramenant le président rwandais et son homologue Burundais fut abattu par un tir de missile, tuant notamment les deux présidents. Pendant la nuit du 6 avril, l'attentat fut l'élément déclencheur du génocide réalisé par le Hutu Power. Sur les ondes de la Radio des Mille Collines, radio de propagande, le signal du début du génocide fut, dit-on, la phrase entendue: « Abattez les grands arbres ». (Référence wikipédia).
Le génocide allait durer une centaine de jours faisant selon l’ONU plus de 800.000 victimes. Tutsie et Hutus modérés étaient massacrés Le 21 avril le Conseil de sécurité des Nations unies prit la décision, après la mort de 10 Casques bleus belges, de retirer la majeure partie de la mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR). Cette force de maintien de la paix fut ramené de 2500 à 250 hommes. Le 22 juin 1994, avec l'autorisation de l'ONU, la France lançait l'opération Turquoise : des soldats français arrivaient dans le sud-ouest du Rwanda pour établir une zone humanitaire sécuritaire pour les réfugiés. Pourtant, les massacres de Tutsis continuaient, même dans la « zone de sécurité » contrôlée par la France. Le 4 juillet Le front patriote révolutionnaire de Paul Kagamé, les rebelles tutsis, prenait le pouvoir à Kigali et 10 jours plus tard dans tout le pays à l’exception de la zone humanitaire, initialement prévue pour les victimes tutsis et qui après l’arrivée du FPR servit de sas d’évacuation vers le Congo pour les criminels Hutus. Les deux films que je présente dans ce billet traitent essentiellement de la période qui se situe entre le 6 avril et le 22 juin, les soldats des nations unies sont presque tous partis et ceux de la force turquoise ne sont pas encore arrivés.
Hôtel Rwanda a été réalisé par Terry George, tourné pour l’essentiel en Afrique du Sud en 2004 et sorti en France en mars 2005.
Shooting Dogs a été réalisé par Michael Caton-Jones, tourné à Kigali sur les lieux d’origine des évènements et de nombreux survivants ont participé à la réalisation de ce film soit comme techniciens soit comme acteurs ou figurants. Il est sorti en France en mars 2006.
Hôtel Rwanda retrace l'action de Paul Rusesabagina un hutu gérant de l'hôtel quatre étoiles à Kigali, qui abrita et sauva 1268 Rwandais tutsis et hutus modérés dont sa propre famille.
Le réalisateur Terry George avait fait ses gammes comme scénariste auprès de Jim Sheridan, irlandais comme lui. Les deux acteurs principaux Don Cheadle et Sophie Akonidi furent nominés pour leur rôle aux oscars 2005. Au casting on trouve, aussi, Nick Nolte colonel de la force onusienne sur le départ, Joaquim Phoenix journaliste, Jean Réno directeur de Sabena Airline chargé d’évacuer les européens.
Ce film a fait polémique car certains rwandais récusent l’image héroïque donnée à Rusesabagina le personnage interprété par Don Cheadle. Il n’en reste pas moins que c’est un excellent film qui, à quelques petites erreurs historiques près, informe bien ce que fut ce génocide, comme en témoigne en son temps la critique de Studio magazine : «…. En concentrant son récit sur le destin de Paul Rusesabagina. Cet homme qui, confronté aux dérives de son propre clan décide, un peu comme Oskar Schlindler, de faire tout son possible pour éviter une mort certaine à un maximum de gens. Le cinéaste nous permet de ressentir au plus fort la folie meurtrière qui s’est abattue sur le Rwanda. Bouleversant, le film ne sombre jamais dans le pathos. Ainsi le génocide n’est pas figuré par un étalage de corps mais par une scène incroyable où le héros, après avoir découvert l’ampleur de la tragédie, ne parvient pas à reprendre le cours de sa vie… »
Shooting Dogs Le film est basé sur l’expérience de David Belton qui travaillait pour la BBC à Kigali en 1994 pendant le génocide. Belton est scénariste du film et un des producteurs.
Le réalisateur américain Caton-Jones avait déjà à son actif une petite dizaine de films de style très divers dont un ‘’le Chacal’’ un film sur des réseaux terroristes avec Richard Gere, Bruce Willis et Sydney Poitiers. Shooting Dogs l’emmène un nouveau registre.
Le titre du film fait référence aux actions des soldats de l’ONU qui n’étaient pas autorisés à tirer sur meurtriers Hutus, mais qui avaient l’autorisation de tuer les chiens qui dépeçaient les cadavres.
« Près d’un million de tutsis sont exterminés à la machette par les miliciens hutus. Dans une école un prêtre catholique (John Hurt) et un jeune coopérant (Hugh Dancy) vont, impuissants, assister au massacre des malheureux qui veulent se réfugier dans l’église de la mission. Un an après Hôtel Rwanda, cette chronique tragique des évènements redit la cruauté hallucinante ainsi que le lâcheté internationale…. Le générique de fin présente les survivants qui ont participé à la réalisation du film…..Studio magazine.»
La semaine dernière il y a eu, une nouvelle fois, de la tension entre le Rwanda et la France. C’est une interview du Président Paul Kagame à l’hebdomadaire « Jeune Afrique » qui a lancé les hostilités..
« …..Jeune Afrique : Vingt ans après le génocide pensez-vous que le monde extérieur a enfin pris la mesure de ce qui s’est passé ici ?
Paul Kagamé :Non, hélas. L’image qui prédomine à l’extérieur est celle d’un génocide tombé du ciel, sans causes ni conséquences et dont les responsabilités sont multiples, confuses et dilués. Une sorte d’épiphénomène.
Jeune Afrique : Cette incompréhension ne tient-elle pas au fait que ce génocide fut un génocide de proximité unique dans l’histoire contemporaine ?
Paul Kagamé : Sans doute. Notre expérience est différente de celle des autres et cette spécificité a généré de notre part des réponses elles aussi spécifiques, parfois complexes à expliquer. Il ne faut pas oublier – même s’il s’agit encore aujourd’hui d’un sujet tabou- le rôle clé, dans les racines historiques mais aussi dans le déroulement du génocide, de ces mêmes puissances occidentales, qui aujourd’hui définissent seules les règles de la bonne gouvernances et les normes de la démocratie. Elles aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’est impossible. Prenez le cas de la France ; Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C’est un fait mais cela masque l’essentiel : le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même.
Jeune Afrique : Complicité ou participation ?
Paul Kagamé : les deux ! Interrogez les rescapés du massacre de Bissero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats de l’opération turquoise y ont fait. Complices certes, à Bissero, comme dans toute la zone libre ‘’humanitaire sûre mais aussi acteurs. …… »
Cette interview a conduit l’exécutif français à annuler le voyage du Ministre Christine Taubira qui devait représenter la France aux cérémonies commémoratives. A son tour Le pouvoir rwandais réagissait en retirant l’invitation à l’ambassadeur français.
Voyons maintenant l’éditorial du journal Le Monde du samedi 5 avril.
France-Rwanda : ouvrir les archives pour établir la vérité
Vingt ans après le déclenchement du génocide rwandais, qui, en cent jours, a fait 800 000 morts, Tutsi et Hutu modérés, la guerre des mémoires continue de faire rage. Alors qu'à Kigali on commémore une tragédie dont les blessures sont loin d'être cicatrisées, c'est sur la France et ses prétendues responsabilités que le président Paul Kagamé a choisi de focaliser l'attention.
En accusant, une fois de plus, Paris d'avoir " participé à l'exécution " du génocide, l'homme fort de Kigali interrompt brutalement le patient processus de rapprochement mené par Nicolas Sarkozy et prolongé par François Hollande, auquel il a lui-même participé.
Le général Kagamé montre du doigt la France sans doute pour faire oublier les graves accusations dont il fait l'objet : déstabilisation et pillage de la République démocratique du Congo voisine, dérive autocratique marquée notamment par l'assassinat d'opposants en exil. Ironie de l'histoire, il met en cause la France, le pays occidental le plus enclin à fermer les yeux sur son mépris des droits de l'homme, au moment où Washington, le plus fidèle admirateur de ses réussites — stabilité, croissance économique... —, fronce sérieusement les sourcils.
Que le président rwandais ne soit pas le mieux placé pour poser la question du rôle de la France dans la tragédie de 1994 ne signifie nullement que cette interrogation soit illégitime. Au contraire : vingt ans après l'extermination des Tutsi, il est plus que temps, pour notre pays, de faire toute la lumière sur sa politique et l'action de ses soldats sur le terrain, pendant le dernier génocide du XXe siècle. En 1998, une mission d'information parlementaire n'avait retenu que des " erreurs d'appréciation " et des " dysfonctionnements institutionnels ".
Aucune preuve formelle n'existe de l'implication de soldats français dans les tueries. Mais des travaux d'historiens, des témoignages ont, depuis lors, multiplié les doutes, amplifié les questions et renforcé l'exigence d'un débat public. Alliée indéfectible du régime pro-Hutu qui allait commettre le génocide, la France de François Mitterrand, soucieuse de défendre son " pré carré " africain, l'a aidé jusqu'au bout à s'opposer militairement à l'offensive des Tutsi de Paul Kagamé. Jusqu'aux hallucinantes réunions, à l'ambassade de France, des extrémistes hutu organisant les massacres. Ce passé-là, qui décidément " ne passe pas ", doit être interrogé ; de même que les ambiguïtés de l'opération " Turquoise ", affichant une prétendue " neutralité " en plein génocide ; ou la protection dont ont bénéficié, pendant des années, d'anciens génocidaires sur le sol français.
De Vichy à la guerre d'Algérie, il a fallu des décennies pour que la France soit capable d'affronter les vérités dérangeantes et éclairer les pages sombres de son histoire. Vingt ans ont passé, et il est grand temps, même si M. Kagamé n'y aide guère, d'ouvrir les archives et de faire entrer ce génocide dans l'Histoire. Non pour l'oublier, mais pour passer des anathèmes à la complexité, des mémoires à vif aux méthodes historiques. Pour en tirer aussi toutes les leçons d'actualité sur l'impérieuse nécessité de transparence de la politique africaine de la France, du Mali à la Centrafrique.
(A suivre)