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Saga Africa & co......réveil au son du canon à Yaoundé.

7 Avril 2008 , Rédigé par daniel Publié dans #saga africa

 Ce vendredi 6 avril 1984 j'étais en train de me raser lorsque j'entendis des coups de tonnerre ; c'était curieux à cette époque de l'année et de si bonne heure. Il devait être environ 5 H 45 et il faisait encore nuit..... et puis j'ai continué à me préparer en écoutant les infos sur RFI : La veille, en France, Mitterrand avait fait une conférence de presse essentiellement consacrée à la sidérurgie.... Un drame humain en Lorraine.... en dehors de ça, rien de bien important dans le monde.... Nous avons réveillé Eric et Cécile à 6 H car je les déposais chaque matin au lycée à 7 H avant de rejoindre mon laboratoire. Le gardien était déjà parti, comme chaque jour, aux premières lueurs de l'aube ; par contre Jean, notre boy, était en retard...... et  toujours par intermittence ces coups de tonnerre, mais sans pluie.......curieux.
 A 6 H 45 Eric et Cécile étaient prêts, j'ouvris la porte et je me dirigeai vers la voiture quand une voix m'interpella :
« Monsieur Baudin il ne faut pas quitter votre domicile ce matin, c'est une recommandation de l'ambassade de France car il y a une tentative de putsch, en cours  ».
 C'était notre voisine et la propriétaire de la maison que nous louions qui me prévenait. Je me suis rapproché de la haie qui séparait nos jardins. Elle travaillait d'ailleurs à l'ambassade de France et avait donc reçu un coup de téléphone la chargeant d'avertir ses voisins.
 Selon ses informations c'était la garde républicaine qui s'était rebellée et attaquait  le palais présidentiel dans lequel le chef de l'état s'était enfermé.
« Vous n'avez pas entendu les coups de canons ? ».  C'était donc ça le tonnerre !
Mon premier sentiment fut le soulagement.
Soulagement d'être prévenu à temps pour ne pas circuler en ville dans ces circonstances, avec les enfants.
Soulagement surtout d'être là, auprès de ma famille, alors que j'étais parti 4 jours en mission dans l'ouest du pays, Bafoussam, Bamenda et enfin Douala et que j'étais juste rentré la veille vers 20 H  sans doute par le dernier avion ayant atterri à Yaoundé.
Soulagement aussi de savoir qu'on habitait dans un quartier résidentiel, quelque peu privilégié, le quartier Bastos, alors que deux mois plus tôt nous étions encore isolés dans un quartier populaire à Essos.
Ensuite ce fut la phase de réflexion et d'inquiétudes. Il fallait tout fermer et mettre la maison en sécurité. Condamner les pièces de la maison dont la fenêtre donnait sur la rue.
On se mit à l'écoute de la radio. Sur la radio camerounaise il y avait un silence total et puis plus tard dans la matinée ce furent des marches militaires. Sur Radio France  Internationale (RFI)  l'information ne fut donnée qu'en fin de matinée.
 J'ai circulé, malgré tout, dans le quartier Bastos ;  tout était calme et même quelques petits commerces restaient ouverts. J'ai fait quelques courses, du pain, du lait et des fruits, car pour le reste le congélateur et le placard, étaient bien garnis ; on avait de quoi voir venir.     Nous avons rencontré quelques amis dont Jipé et Claudine qui habitaient à 300 m de chez nous... tout le monde était calme... et puis la présence militaire française à Yaoundé, tout en étant surtout symbolique et purement formatrice, était malgré tout rassurante.
  En discutant entre nous on a fait le point de la situation politique au Cameroun qui était effectivement tendue depuis quelques mois.... notamment fin février.... mais qu'on n'appréhendait pas très bien.  La réalité je ne l'ai comprise que bien plus tard avec du recul et en lisant.... quelques livres car, entre 1982 et 1984, je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de journaux qui aient bien analysé et annoncé ce qui se jouait au Cameroun.

  Ce pays était dirigé depuis l'indépendance, en 1960, par Amadou Ahidjo qui garda son poste de président de la république après la réunification en octobre 1961 avec le Cameroun Britannique. Il fut encore réélu en 1975 et nomma Paul Biya 1er ministre. Ahidjo fut à nouveau réélu en 1980 et conservait toujours Biya à ses côtés. L'alliance entre un Foula musulman du nord et un Béti Boulou catholique du sud donnait satisfaction à tous dont à la France.... à tous exceptés les partisans des droits de l'homme..... mais c'était l'Afrique post coloniale.....et dans quel pays du continent était ce vraiment mieux ?
  Le 4 novembre 1982, beaucoup crurent pourtant à un miracle de la démocratie, à une exception africaine, quant à 20 H 30  le président de la République Camerounaise annonça à la radio, à la surprise générale, qu'il démissionnait de ses fonctions. Stupeur dans le pays. Stupeur des diplomaties du monde entier.
 Deux jours plus tard Paul Biya prêtait serment, devant la cour suprême et devenait le nouveau président de la république.  Equilibre ethnique oblige, il prenait comme 1er ministre un homme du nord Bello Maïgari.
 Y avait-il vraiment un miracle en Afrique, un espoir de croire enfin en des passations de pouvoir paisibles sur ce continent ?
 Le pays était déjà considéré comme un modèle au regard des grands équilibres économiques en oubliant quand même que c'était un des rares pays à n'avoir pas encore de télévision (une curiosité à porter aussi au crédit d'Ahidjo : les autres maîtres ou dictateurs africains ayant su faire bon usage de cet instrument de propagande.) ; un pays qui n'avait pas en 1984 de liaison routière entre le port et capitale économique Douala et la capitale politique Yaoundé, deux villes distantes de moins de 300 km sans difficulté technique insurmontable.
  D'aucuns ont d'ailleurs avancé, mais bien plus tard,  l'hypothèse que la démission de Ahidjo, malade, dépressif, aurait été quelque peu téléguidée par des puissances occidentales qui voyait en Biya un interlocuteur plus intéressant pour les investisseurs notamment dans le domaine pétrolier.
  L'ancien président s'était retiré immédiatement en France, à Grasse, pour se soigner ....Puis au bout de quelques mois de repos,  il décida de rentrer au pays . L'ancien moribond avait retrouvé du tonus et des ambitions politiques, après tout n'était-il pas toujours président du parti unique.
  Alors qu'une certaine libéralisation du régime et une amorce de moralisation avaient fait jour, la préparation des élections législatives de mai 1983 fut à l'origine des premières tensions entre les deux chefs. Ahidjo confirmait sa volonté de candidatures uniques au sein du parti unique, alors que Biya était lui favorable à des candidatures multiples provenant quand même toujours du parti unique... un petit pas vers la démocratie..
  Un compromis semblait avoir été trouvé car François Mitterrand devait effectuer une visite officielle au Cameroun fin juin 1983. La tension s'atténuait entre Ahidjo et Biya, le calme semblait s'installer.... semblait seulement car quelques jours avant l'arrivée de Mitterrand, Biya remania, brusquement et par surprise, le gouvernement en faisant tomber tous les barons d'Ahidjo. L'ancien président avait trouvé plus fin politique que lui et la venue de Mitterrand l'empêchait d'entrer ouvertement en conflit contre son successeur. Fin juillet Ahidjo privé de marge de manœuvre s'envola pour se reposer et se soigner une nouvelle fois en France.... des vacances qui se transformèrent en exil définitif.

  Je suis arrivé avec ma famille à Yaoundé fin septembre 1983 et je ne connaissais de ce combat politique que la paisible et exemplaire passation de pouvoir. Je n'ai pas perçu dans les mois qui suivirent ni dans la presse française ni bien sûr dans les journaux camerounais la moindre allusion à cette guerre de pouvoir. C'est même, avec surprise, que j'appris en février 1984 qu'il y avait un procès au tribunal militaire où étaient jugés et furent condamnés pour conspiration contre l'état des proches de l'ancien président. Procès au cours duquel Ahidjo fut lui-même condamné à mort par contumace, ce qui lui interdisait à jamais,  de revenir au Cameroun. On était bien loin du printemps démocratique de novembre 1982.

  Paul Biya avait eu auparavant la bonne idée de consolider son pouvoir en se faisant élire en janvier 1984, au suffrage universel mais comme candidat unique.
 La remise au pas de l'armée, pour s'assurer de sa fidélité, était en cours mais était encore inachevée en avril 84 : ainsi la garde républicaine était encore constituée et dirigée par hommes du nord. 
  Forte de 1500 hommes bien armés et disposant de blindés légers la garde a assiégé le quartier général et le palais présidentiel en ce 6 avril à 3 H du matin. Mais ce fut surtout une grande pagaille et une tentative de putsch quelque peu improvisée. Le président et ses fidèles se sont enfermés dans le bunker d'Etoudi et attendaient l'arrivée à Yaoundé de l'armée régulière. De cette première journée il y eut peu de victimes à l'exception notoire du grand père de Yannick Noah, venu en ville « engueuler » les putschistes.
 En fin d'après midi les parachutistes entraient en action et d'autres unités arrivaient en renfort. La nuit du 6 au 7 avril fut une nuit de guerre urbaine intense même dans notre quartier qui ne fut pas le plus « chaud » on entendit toute la nuit crépiter les mitraillettes. Dans notre maison, toutes lumières éteintes, j'étais aux aguets du moindre bruit suspect, mais qu'aurai-je pu faire si des insurgés étaient entrés se cacher chez nous?

  Il y eut beaucoup de morts du côté des rebelles, très peu, semble-t-il, du côté de l'armée régulière, et quelques victimes dans la population, touchées par des balles perdues dont un hollandais gravement blessé .
  Au petit jour de ce samedi 7 avril le calme était revenu mais personne ne se hasardait dans les rues où patrouillait l'armée. 
  En écoutant la radio camerounaise et RFI on sut que le pouvoir était resté au président élu. Paul Biya devait une fière chandelle à la fidélité de l'armée. La nuit suivante fut tranquille.
 Dimanche matin 8 avril j'ai commencé à circuler un peu : c'était calme.
 Nous avions des amis qui habitaient le quartier Essos et on savait que Clément était parti depuis une dizaine de jours en Centre-Afrique. Annie était seule avec 3 enfants dont un bébé de 4 mois. On savait aussi qu'Annie ne faisait pas trop de réserves, aimant bien, pour s'occuper, faire ses courses au fil des jours....
 J'ai décidé d'aller la voir. Les quartiers de Bastos et Essos étaient distants d'environ 5 ou 6 km. Il y avait à chaque carrefour des militaires mais je ne me souviens pas avoir été arrêté lors de ce trajet.
 En arrivant j'ai trouvé notre amie apeurée et n'ayant pratiquement aucune provision. Les deux grands de 12 et 11 ans Morgan et Magali étaient également angoissés.
Je les ai rassurés en leur disant que la ville était calme et que je n'avais pas vu de trace de combat sur le trajet. J'ai proposé à Annie de venir passer la journée à la maison et de faire le plein de provisions chez nous ; mais faute de place à la maison je devrais les ramener avant la nuit. Elle accepta immédiatement : j'étais en quelque sorte sa bouée de sauvetage. Le retour à Bastos fut aussi calme que l'aller sur Essos et nous avons passé une bonne journée, réconfortés aussi par les informations de la radio.
 Quand je les ai ramenés chez eux vers 16 heures ce fût une toute autre histoire. Les soldats fatigués, énervés, arrêtaient toutes les voitures à chaque carrefour. Ils nous faisaient descendre, nous mettaient en joue et fouillaient la voiture en évoquant devant nous des « mercenaires blancs ». Combien avons-nous eu de contrôles? Une douzaine  et autant pour moi seul au retour.... Mais nous sommes arrivés sans encombre... un bien mauvais moment qui reste un sacré souvenir. Une petite frayeur l'espace de dix secondes lorsque, ouvrant le coffre de la voiture, un soldat trouva un jouet, un pistolet en plastique de Didier : le soldat l'a gardé et d'ailleurs je l'aurai embrassé de le garder ; que cette mésaventure ne se répète pas au prochain contrôle avec un autre soldat moins calme.....
 Le lundi 9 avril je n'ai pas emmené Eric et Cécile au Lycée ; comme je passais devant je vis d'ailleurs qu'il n'y avait personne. Par contre je suis allé travailler. Le labo était sur la route de l'aéroport et là le spectacle était tout autre. Un soldat brûlé dans une auto mitrailleuse, des cadavres non ramassés et des prisonniers quasiment nus, ligotés et entassés dans des fossés.
 Au bureau avec mes deux collègues français on a fait un rapide point de la situation et puis nous sommes rentrés chez nous, retrouver nos familles... les commerces commençaient à ouvrir les administrations aussi ... et sous deux ou trois  jours la vie normale a repris son cours.
Combien y a-t-il eu de victimes? Plus tard les autorités ont avancé le chiffre de 120 victimes lors des combats. Il y eut ensuite 51 personnes condamnés à mort dont le colonel Saleh Ibrahim meneur de l'insurrection et plus de 200 longues peines d'emprisonnement.

  Notre ami Clément est arrivé du Centre-Afrique en milieu de semaine... il avait fait près de 1000 km en taxi brousse pour rentrer chez lui quand il avait entendu la nouvelle du coup d'état

  Nous sommes restés deux années de plus au Cameroun. Pendant quelques mois il y eut bien, officiellement, un couvre-feu mais qui est, quasiment, passé inaperçu, du moins pour nous les expatriés. La vie a repris son train tranquille et on a pu  vivre et travailler sans problème .....

  Ahmadou Ahidjo est mort en 1989 à Dakar où la France lui avait recommandé de s'installer. Paul Biya est encore au pouvoir régulièrement et confortablement réélu. Selon le journal Jeune Afrique de janvier 2008  il envisagerait une réforme constitutionnelle pour pouvoir briguer un nouveau mandat en 2011.  

 (A suivre)

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