Blog à part...Gargantua mis en pièces à Maillezais.
Quand on arrive au pied du promontoire où ou se dressent les vestiges de l’abbaye de Maillezais, on croise un pied, une main et une tête taillés dans la pierre, les restes d’une statue, la statue d’un géant vu la taille des éléments épars : sans l’ombre d’un doute il s’agit d’une représentation de Gargantua mise en pièces et gisant dans ce pré digne d’un champs des guerres Picrocholines pour rappeler aux voyageur que Rabelais a vécu, travaillé et médité en ces lieux.
François Rabelais fils de famille de petite bourgeoisie « instruite », serait né vers 1490 à La Devinière, au cœur du vignoble Chinonais. Adolescent il aurait été novice au monastère franciscain de la Baumette près d’Angers où il se lia d’amitié avec les frères Du Bellay dont il restera proche.
Vers 1520 Rabelais devint moine et se retrouva au couvent franciscain du Puy-Saint Martin à Fontenay-le-Comte. Ce monastère avait un trésor, il regorgeait de livres, d’encyclopédies diverses, dans lesquels il se plongea « goulument » lui qui n’avait été nourri que par l’instruction religieuse.
« Il demanda à être chargé de la prédication et s’en fut par les bourgs et les hameaux, propager la parole évangélique. Il pensait aussi devenir un pêcheur d’âmes, amener le monde laïc à Dieu …. Et c’est le monde, ce monde dont il ignorait tout, qui le conquit…. Et il se persuada rapidement qu’il ne suffisait pas de sauver les âmes. Ces âmes dans des corps aussi malades ne risquait-elle pas de pourrir ? Il était prêtre. Il résolut de devenir médecin…..
….Dans la bibliothèque du couvent les seuls livres traitant de médecine étaient écrits en grec. Aucun des moines du Puy-Saint-Martin ne connaissait cette langue, morte depuis la mort de Byzance Rabelais décida de l’apprendre. En même temps, il sortit des casiers quelques volumes moisis par l’humidité et découvrit les théories du droit, des mathématiques et de l’astrologie. .…… Rabelais qui n’avait jamais lu autre chose que les Evangiles et le bréviaire découvrait un univers insoupçonné et se laissait griser par ses lectures. »
Le couvent de la Puy-Saint-Martin était proche de l’abbaye bénédictine de Maillezais, située à environ une douzaine de kilomètres, et elle était alors dirigée par un humaniste l’évêque Geoffroy d’Estissac. Faisant fi de leurs différences d’ordre, les religieux se rencontraient de temps à autres, ce qui permit à Rabelais de s’y faire connaître et même remarquer.
Maillezais était jusqu’à la fin du premier millénaire une des nombreuses îles du golfe des pictons sur laquelle un château avait été édifié pour protéger la région des incursions des pirates. Au début du second millénaire (entre l’an 1006 et l’an 1010 selon les sources) une Abbaye fût établie à l’emplacement du château. Elle fut incendiée en 1220 et subit aussi les aléas des combats pour chasser les anglais du territoire. En 1313 l’abbaye devint siège épiscopal et les hostilités finies les religieux se firent entrepreneurs pour aménager par canaux ce qui allait progressivement devenir le Marais Poitevin. Des travaux qui étaient en cours lorsque Geoffroy d’Estissac devint en 1518 évêque de Maillezais.
« Les fantaisies érudites de Rabelais furent d’abord tolérées parce que l’on pensait qu’il cherchait dans les grimoires des arguments pour ses sermons. Sa popularité de prédicateur valait au Puy-Saint-Martin de nombreux avantages en argent et en nature. Les choses se gâtèrent lorsqu’il rechigna à aller prêcher considérant que ces déplacements nuisaient à ses études. Arrivèrent de surcroît auprès du père supérieur les récriminations des curés de villages où la parole de Rabelais créait le trouble. On l’accusait de friser l’hérésie. Lorsque le père supérieur découvrit que Rabelais apprenait le grec, le scandale fut à son comble. Le latin seul était la langue d’Eglise, et à Paris, la Sorbonne bannissait des études le grec, langue païenne…..
….. Dans son ignorance dans sa pureté Rabelais n’avait jamais soupçonné que les paroles de ses sermons puissent être teintées d’hérésie. Il savait que l’on brûlait sur des fagots les méchants hommes et les méchantes femmes possédés par le démon. ….. La manière dont ses confrères le regardaient lui démontra l’urgence à décamper …. »
Rabelais osa demander asile à l’Abbaye de Maillezais. L’évêque Geoffroy connaissait Rabelais et non seulement il ne lui trouvait pas un mauvais esprit évangélique mais il admirait sa soif de connaissances et son extraordinaire aptitude à apprendre, à traduire, à enseigner. Il le prit à son service et obtiendra en 1524 du pape Clément VII qu’il puisse quitter l’ordre des franciscains pour devenir Bénédictin.
« En même temps que Rabelais changeait d’ordre religieux, il allait changer de vie…. Les sept années qu’il vécut dans l’Abbaye Saint Pierre de Maillezais furent parmi les plus heureuses de sa vie. Sorti du Moyen Age par la porte du couvent des franciscains de Fontenay-le-Comte il entrait dans la Renaissance avec les moines bénédictins industrieux et lettrés de Maillezais…..
……Hommes de leur temps, ces bénédictins partageaient leurs journées entre l’étude et le travail manuel. Ils édifiaient dans le marais des canaux, des écheneaux, des biefs, des chaussées. Ils assainissaient le sol spongieux et le transformait en terroir propre à la culture. ….Rabelais ne ménagea pas sa peine dans les tourbières… ce travail manuel, si nouveau pour lui, contribuait à clarifier son esprit…… » (Le Roman de Rabelais de Michel Ragon. Extraits)
Rabelais resta plusieurs années au service de l’évêque : quatorze selon certaines sources mais plus vraisemblablement seulement sept ans comme le dit Michel Ragon, ce qui ne veut pas dire qu’il resta tout ce temps à Maillezais… Il accompagnait partout son évêque sont il était devenu le secrétaire et faisait ainsi les tournées d’inspection des terres et abbayes. On sait qu’en 1525 il séjourna plusieurs mois à Litugé près de Poitou où il se fit de nouveaux amis prêtres érudits. Avec l’accord de son évêque il se fit finalement prêtre séculier afin de pouvoir voyager un peu partout et notamment se rendre dans les villes universitaires. Il fut reçu bachelier de la Faculté de Montpellier.
En 1532 il fut nommé médecin et la même année publia à Lyon son premier livre « Pantagruel », livre qui fut immédiatement censuré par la Sorbonne. Dès 1523 Rabelais se rendait à Rome accompagné de son ami d’enfance le Cardinal Jean du Bellay pour obtenir du pape la levée de la censure.
A son retour à Lyon il se remit au travail et publie « La vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel » : re-censure de la Sorbonne et re-voyage à Rome en compagnie de l’ami cardinal… et re-absolution du Pape…. C’est bien d’avoir ses entrées. Rabelais resta près d’une année à Rome comme représentant de l’évêque Geoffroy.
Les protections ne durent que ce que durent les protecteurs et en 1543 la Sorbonne censurait à nouveau les ouvrages de Rabelais….. Mais le diable d’homme se trouva illico un nouveau protecteur en la personne du roi François Ier qui lui octroya le privilège d’imprimer librement.
François Rabelais prêtre, écrivain, traducteur, humaniste se fit de plus en plus médecin en se mettant au service des ces amis de jeunesse les « Du Bellay ». En tant qu’écrivain il eut à nouveau quelques ennuis à la mort de François Ier en 1547, ce qui le contraint à effectuer un nouveau voyage « accompagné » à Rome. Rabelais mourut à Paris en avril 1553.
Pendant les guerres de religion l’Abbaye de Maillezais fut plusieurs fois pillés notamment en 1562. Elle tomba aux mains des protestants par la volonté d’Henri de Navarre, et redevint catholique par le choix du même devenu Henri IV par le choix comme gouverneur en 1589 d’Agrippa d’Aubigné. (Infos Wikipédia).
Le siège épiscopal fut transféré à La Rochelle en 1648 et l’abbaye de Maillezais abandonna ses fonctions religieuses en 1666.
L’abbaye fut vendue comme bien national en 1791. Des marchands de matériaux démantelèrent, saccagèrent l’édifice.
Ce qui restait des ruines fut classé monument historique en 1923 et l’abbaye obtint en 1964 un prix au concours des chefs d’œuvres en péril…. Et des travaux de rénovation sont progressivement effectués.
Avant de quitter ce lieu magique nous avons assisté à quelques scènes d’une pièce jouée en pleine air par une troupe de comédiens. Vu les costumes, les dialogue et la très grande taille d’un des comédiens, c’était incontestablement Rabelaisien…. « Une mise en pièce de Gargantua ? »
(A suivre)