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A livres ouverts .......Des soldats tortionnaires.... et d'autres.

16 Septembre 2012 , Rédigé par niduab Publié dans #à livre ouvert

« Des soldats tortionnaires » et d’autres…. qui refusèrent de le devenir, de sombrer dans la barbarie, comme Claude Juin, l’auteur de ce livre avant tout utile et nécessaire et dont le sous-titre est « Guerre d’Algérie des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable »

« Des soldats tortionnaires » et d’autres livres sortis en cette année du cinquantenaire des accords d’Evian et de l’indépendance de l’Algérie. D’autres livres que je n’ai pas lus, pas même achetés, malgré ma gourmandise, mon addiction à acquérir plus de livres que je n’ai le temps d’en lire, sans compter, en plus, tous ceux que je voudrais relire et que je conserve avec entêtement, au cas où..... avec une pensée toute particulière pour Yves Courrière, écrivain, journaliste lauréat en 1966 du Prix Albert Londres, mort le 8 mai dernier, qui me passionna avec ses récits sur la guerre d'Algérie en quatre tomes, dont le premier fut préfacé par Joseph Kessel :

·      Les fils de la Toussaint. 1954 : le coup d’envoi. Publié en 1968

·      Le temps des léopards 1955-1957 : œil pour œil. Publié en 1969.

·       L’heure des colonels 1957-1960 : un espoir sans lendemain. Publié en 1970.

·       Les feux du désespoir 1960-1962 : des barricades à l’abîme. Publié en 1971.

Pour terminer ce paragraphe, coup de chapeau à Yves Courrière, le premier à m’avoir permis de comprendre ce drame algérien, et auquel je devrai un jour consacrer un billet pour l’ensemble de son œuvre, notamment ses biographies (Vailland, Prévert et Kessel) je dois mentionner une petite anecdote révélatrice :  j’ai lu ces quatre livres, en 1985 et 1986 après les avoir repérés  dans une librairie de Yaoundé, où je vivais alors. J’avais demandé à la bibliothèque du cercle militaire français, où j'étais inscrit, de les acquérir. Face aux réserves manifestes des gestionnaires du cercle, j’en ai  parlé à un gradé que je connaissais bien par les parents d’élève du lycée français, qui m’a répondu qu’il n'y avait absolument aucun problème, hors initiative personnelle, et une dizaine de jours plus tard j’attaquais, enfin, le 1ertome de ce monument littéraire et historique. Je n’ai découvert que bien plus tard qu’Yves Courrière n’était qu’un pseudo, et que l’écrivain avait, en fait, le même patronyme que le bon colonel, qui avait quelque peu bousculé, les fraîcheurs censoriales militaires qui pouvaient encore demeurer, chez certains intermédiaires, plus de vingt ans après le drame algérien. 

 Début mars dernier j’ai reçu de ma librairie préférée, les informations de débats du mois, dont une rencontre avec Claude Juin pour la présentation de son livre sur la guerre d'Algérie. Je connaissais Claude depuis, mon arrivée à Niort, en 1987. Nous  appartenions, tous deux, à cette époque à la même sensibilité socialiste, les rocardiens. Nous avions même créé, en 1996,  un collectif local de réflexion, pour disserter des idées socialistes…. Quelques réunions bavardes qui avaient débouché sur pas grand-chose…. hormis un mini-opuscule, publié et vendu 30 F en librairie, qui manquait d’indignation, pour être acheté par d’autres que les membres du collectif. Heureusement pour lui et pour nous, Claude est passé à autre chose, dont en 1998, une biographie de Daniel Mayer, que je n’ai pas lu, mais que je dois, impérativement me procurer et lire, dans les plus brefs délais, pour l'intérêt que je porte à ce personnage (grand résistant, ancien ministre, président de la ligue des droits de l'homme et président du Conseil constitutionnel.)  

9782221129821[1]

Dès le lendemain de la réception de ce mail d’information, je me précipitai à la librairie pour acheter le livre « Des soldats tortionnaires », pour le lire, ou du moins en lire suffisamment avant la réunion pour pouvoir participer activement au débat. Le 21 mars, cinquante ans et 2 jours après le cessez le feu, décrété au lendemain des accords d’Evian. nous étions nombreux dans cette petite salle à écouter Claude. Peu ou pas de contradicteurs, si ce n’est un ou deux minoritaires qui se demandaient si c’était vraiment utile cette recherche de vérité mais, au contraire, de très nombreux amis favorables et partageant pleinement le point de vue, les analyses et les idées de l'auteur. Claude rappela que pendant les 9 mois, ou appelé, il dut tenir son rôle de soldat au 435èmeRAA, tous les soirs il notait sur des petits carnets ce qu’il faisait et ses impressions, notamment pendant la période où son régiment fut envoyé dans le massif l’Ouarsenis pour rétablir l’ordre par tous les moyens. Enfin libéré en janvier1959, il rentrait en métropole, vivant mais vaincu. Il n’osait parler de ce qu’il avait vécu à personne et surtout pas à ses parents. Militant au PSU, il voulut chasser ses cauchemars en écrivant en 1960 sous le pseudonyme de Jacques Tissier « Le Gâchis », un livre qui fut interdit en France, réimprimé en Suisse et distribué sous le manteau. Il est aujourd'hui introuvable. 

Ces dernières années il voulut reprendre son travail de devoir de mémoire et prépara une thèse de doctorat en sociologie, en rassemblant ses souvenirs et ses notes et consultant ses camarades de drame, une thèse qu’il soutint à 75 ans à l’EHESS sous le titre «  Guerre d’Algérie, mémoire enfouie des soldats du contingent » de laquelle il tira ensuite ce riche et beau livre « Des soldats tortionnaires ».

Je crois que Claude fut très heureux de cette soirée niortaise de débats. Moi je fus bien content de sa dédicace « Pour un copain militant des dernières années » même si on ne se croisait plus, guère, depuis le début des années 2000, que le samedi matin au marché .  

Je l’ai revu mi-juin, à la librairie des halles et comme je lui demandai si son livre se vendait bien et il me confirma que c’était le cas et Il m’annonça qu’il était invité à participer à une émission de Jean Pierre Elkabbach, pour la chaîne parlementaire, consacrée à la guerre d’Algérie.

 L'émission passa le 2 juillet, dans le cadre de la bibliothèque Médicis. Autour de l'animateur étaient réunis Fatima Besnaci-Lancou, Jean-Noèl Pancrazi, Alexandre Arcady, Hervé Bourges et Claude Juin.

 Elkabbach donna le ton en rappelant le thème : « L'Algérie : l'Algérie et nous !...- Il est temps de dire la vérité !... - Il est temps de se dire la vérité, sans mauvaise conscience, sans tabous !...- Il est temps d'affiner l'Histoire pour réparer les injustices à l'égard des pieds-noirs, des algériens, des harkis, et pour inventer l'avenir !.... L'Algérie commémore le 50ème anniversaire de son indépendance, elle le fête avec sobriété et mesure...Elle a écrit à sa manière, qui l'arrange, des pages de légende, qui laissent pourtant les jeunes sur leur faim !... 50 ans après, tout n'est pas révélé !... Les invités de Bibliothèque Médicis ont un lien, fort, définitif, avec l'Algérie !..... »

 Le premier invité, Jean Noël Pancrazi, était l’auteur d’un petit livre de 93 pages « La Montagne » publié chez Gallimard, qui reçut le prix méditerranéen 2012. Avec ce roman, l'auteur raconte la guerre d'Algérie vue par un enfant de huit ans, qui doit vivre avec le lourd souvenir de l'enlèvement de ses camarades de jeu, sous prétexte d'une promenade en montagne. Aucun n'est revenu de la promenade. Je n’ai pas encore lu ce livre mais  je vais le lire, très bientôt, le temps d’un voyage. J’ai bien compris, en écoutant l’auteur s’expliquer, que l’homme mûr qu’il était devenu racontait les évènements d’Algérie avec le regard de l’enfant de huit ans qu’il était alors, ce jour de malheur, sans leçon de morale, sans jugement mais en se posant toujours la même question : Pourquoi lui, n’était-il pas monté aussi dans le bus ? 

Le second intervenant était le réalisateur Alexandre Arcady, qui présentait son dernier film « Ce que le jour doit à la nuit » tiré du roman éponyme de Yasmina Khadra, publié en 2008, qui eût un très beau succès, façon best-seller, dans de très nombreux pays notamment au Japon, au Canada, en Espagne et aussi et surtout en Algérie et en France (Prix du meilleur livre 2008 par la revue Lire et prix roman France télévision).  Je n’ai pas lu et pas même encore acheté ce livre, mais j’ai vu, cette semaine, le film d’Arcady malgré de nombreuses critiques assez défavorables. Comme je suis plutôt sévère avec l’œuvre globale d’Arcady, surtout pour ses plus récents films, j’y suis allé sans enthousiasme excessif tout en espérant que ce retour aux fondamentaux me rappellerait ses premiers films …. Et finalement ce fût une très, très agréable surprise «  …l’ambition d’entremêler l’histoire d’un pays meurtri avec celle d’une bande de cinq copain d’enfance était séduisante. Pas manichéenne dans sa vision d’une éden qu’Arabes et Français ont tragiquement réduits en cendres, cette fresque de 2H 40 émeut aussi lorsqu’elle évoque le sacrifice de son héros, condamné à rejeter l’amour de sa vie…. Studio Ciné live». Bien évidemment, sur la longueur il y a bien quelques naïvetés, quelques aspects surréalistes, mais je ne serais pas étonné que ces ''défauts''  soient fidèles au roman. Le film a été apprécié par Yasmina Khadra : « Quand Alexandre m’a invité à une projection restreinte (...) j’avoue que j’étais loin de m’attendre à un tel résultat. A la fin, j’étais en larmes. Complètement conquis. ». Même si c'est dommage de ne pas avoir lu ce roman avant d'avoir vu le film…je vais quand même le lire.... très bientôt.

Je m’efforcerai de lire aussi « Fille de harki », même si on ne peut pas tout lire, mais c’est également un petit livre de 125 pages, le temps d’un voyage SNCF Niort-Paris, plutôt que de lire le Nouvel Obs ou autre hebdo, et puis le témoignage de l’auteur Fatima Besnaci-Lancou m’a touché. Elle qui, à l’âge de 8 ans embarqua un soir de novembre 1962, avec ses parents et quatre sœurs pour un voyage qui devait les conduire dans un camp entouré de barbelés à Rivesaltes. Elle passa la plus grande partie de son enfance et de son adolescence dans des camps réservés aux familles de harkis, dans le sud de la France. Adulte et enfin intégrée à la société française elle se bat, en écrivant, à réhabiliter la mémoire des siens ; ceux que l’Algérie a rejetés et que la France n’a pas accueillis dans la dignité. Je retiens cette phrase terrible de Fatima Besnaci-Lancou : « Je me sentirai absolument libérée, dans le sens psychologique, d'aller et venir vers ce pays qui est mon pays natal le jour où on aura vraiment rendu leur place à ces hommes, qu'on sache réellement qui ils sont, et que eux aussi puissent circuler librement, et ceux qui le souhaitent puissent se faire enterrer en Algérie. Le jour où les décideurs algériens arrêteront de renvoyer les cercueils, ce sera une piste de sérénité. »

  Je ne dirais pas grand-chose d’Hervé Bourges qui n’était pas là pour présenter un livre mais pour évoquer ses souvenirs auprès de Ben Bella dont il fût très proche.  Il aurait pu d’ailleurs mentionner son autobiographie « Mémoire d’éléphant » publié en 2000 chez Grasset, où il apparait qu’il continua à travailler avec le nouveau gouvernement algérien après la prise pouvoir de Boumediene si on en croit un entretien à Afrik.com en décembre 2000. «…. Algérie a été plus qu’un tournant dans ma vie. J’y ai séjourné longuement à deux reprises. La première fois, en 1958, en tant qu’officier de l’armée française durant la guerre d’Algérie. Puis mon second séjour a duré quatre ans, de 1962 à 1966. Un séjour pendant lequel je travaillerai, entres autres, comme conseiller au cabinet du premier président algérien Ahmed Ben Bella. Puis auprès d’Abdelaziz Bouteflika, alors ministre de la Jeunesse et des Sports. Ceci jusqu’au coup d’Etat de Houari Boumediene, après lequel je rentrerai au service de Bachir Boumaza, ministre de l’Information. L’une des mes principales tâches, à cette époque, sera la formation des journalistes algériens…..»

Quand ce fut le tour de Claude Juin et après avoir indiqué le titre de son livre Elkabbach lui demanda brutalement s’il avait, lui-même, torturé, celui-ci lui répondit, les yeux dans les yeux « Si je l’avais fait je ne serais pas là ! Sans doute avez-vous su qu’il y eut  beaucoup de suicides au retour des jeunes soldats. » et Claude développa en quelques minutes les grandes ligne de son livre riche de 310 pages et dont je propose, en condensé, quelques passages tirés de la conclusion.

« …. Ce n’est qu’à partir de l’année 1957 que les dénonciations de la pratique de la torture contre des prisonniers souvent arrêtés arbitrairement et condamnés sans véritable jugement, ainsi que les diverses exactions commises contre la population…..

….La question de l’attitude des jeunes du contingent face aux exactions et à la pratique de la torture fut posée.……. Un constat s’impose tout de même ; peu de jeunes, par rapport au nombre des appelés, ont écrit ou parlé….. Beaucoup d’entre eux ont été témoins, seuls quelques uns d’entre eux ont témoigné. Certains ont été associés à la torture, sur ordre ou volontairement, d’autres ou les mêmes ont fait mourir sous la torture, d’autres ont froidement exécuté des suspects…… Ils étaient des jeunes gens ordinaires. Après la guerre, ils ont retrouvé leur famille, leurs amis, ils se sont remis au travail et ont participé au boom économique et social des « trente glorieuses.

Il n’est pas possible de dénombrer exactement les tortionnaires…… Je suis persuadé, en fonction de mon propre vécu et surtout du nombre et de la nature des différents témoignages dont j’ai eu connaissance pendant la guerre et ultérieurement, que la torture fut pratiquée dans de nombreux cantonnement pendant tout le conflit.....Mais pour autant, j’estime qu’en chiffrage relatif, les jeunes qui s’y sont personnellement adonnés furent peu nombreux. En revanche, ceux qui sur place, en ont eu connaissance ou en ont été témoins, en entendant par exemple les cris des torturés et qui l’ont dénoncé ont été l’exception. Les soldats avaient chaque jour à gérer leur propre vie. Ils considéraient qu’ils étaient en danger quasi permanent. Ils devaient affronter les violences les plus diverses. La peur était leur quotidien…..

…..En Algérie, les jeunes soldats acceptaient la violence par obéissance ou passivité. Ils étaient dans une situation de soumission à l’autorité militaire, dont les ordres étaient de détruire par tous les moyens les ‘’terroristes’’ et de traquer les ‘’suspects’’. De plus, ils étaient porteurs d’une culture selon laquelle la population à laquelle appartenait le ‘’terroriste’’ était d’une ’’race’’ inférieure à la leur, porteuse d’humanisme. C’est cela le racisme. Ce qui explique le mépris généralisé des jeunes soldats des indigènes. ….

….Un certain nombre de jeunes ont refusé l’intolérable. Ils furent fréquemment punis. Alors que généralement l’impunité sécurisait ceux qui se soumettaient aux ordres et à leur propre vulnérabilité. La pacification parce qu’elle est la face cachée de la colonisation a fait perdre le sens humain aux jeunes soldats et précipité nombre d’entre eux dans la violence et la cruauté. A leur retour et cinquante après la guerre, la plupart d’entre eux sont restés silencieux. La honte gagna certains…….

Ces derniers mots rappelés en réponse à une autre question de Jean-Pierre Elkabbach. : « Vous savez Il fallait du temps et passer par un terrible sentiment de honte pour redevenir humain.»

 

  (A suivre)

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