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A livre ouvert ..... Carlos et Budd, ovation et silence

17 Mars 2022 , Rédigé par niduab Publié dans #A livre ouvert

Information : J'ai publié cet article le 16 novembre 2017 et je le propose à nouveau pour donner ce livre une seconde vie. Sur mon modeste blog il a été ouvert par 375 personnes, dont plus de la moitié lors des trois premiers mois. Le livre (pas mon article, le livre)  mérite beaucoup mieux. Je n'ai rien changé de l'article, juste la date de parution. 

 

Voici un livre que j’ai adoré et que j’espère présenter de façon suffisamment élogieuse pour que mes lecteurs amis ou inconnus aient envie de le découvrir. Pour moi, c’est un petit chef d’œuvre.

C’est par un article de la Nouvelle République, probablement  de début septembre, que je fus immédiatement intéressé et ce pour deux raisons : d’abord je connais un peu l’auteur, Yves Revert, qui est journaliste et qu'il m’est arrivé parfois de référencer (très succinctement) sur ce blog.

La seconde raison est que je savais par quelques westerns qui était Budd Boetticher, le réalisateur américain des années 40 à 60 auquel je me suis intéressé  comme de la plupart des grands réalisateurs américains de l’après-guerre grâce au livre référence de Bertrand Tavernier « Amis Américains »  (500 pages et près de 5 kilos) ; livre auquel j’ai consacré trois billets du blog (2). Je savais aussi  que  Boetticher, au-delà des westerns et de quelques films policiers,  avait aussi fait trois ou quatre films ayant trait à la  tauromachie dont celui consacré à Carlos Arruza. Par contre il n’y a pas beaucoup d’informations sur « Arruza » dans le bouquin de Tavernier ;  Le chapitre Boetticher s’appuie essentiellement sur une interview de 1964 alors que le film « Arruza » ne fut tourné qu’en 1968 pour ne sortir et uniquement aux États-Unis et au Mexique qu’en 1972. Bertrand tavernier n’y consacre d’ailleurs que trois lignes. Il en a aussi un peu parlé dans un bonus biographique figurant sur les DVD de films de Boetticher post 1956, des films qui pour la plupart ne sont pas sortis en France, notamment ceux avec Randolph Scott.

 

Le roman comprend trois parties : une courte introduction quelque  peu mystérieuse dans son déroulement : « Il enfile son costume blanc, descend dans la rue …..etc… » L’auteur balade son personnage  (et les lecteurs) pendant une journée dans les rues de Mexico…. Sa vie de tous les jours sans doute ! .... Sauf que tout à coup il aperçoit  devant lui  un homme qui le regarde. Le personnage semble gêné, hésite, prend le temps de vérifier où il se trouve exactement. « L’autre attend quelque chose, sans un mot, sans un signe, il attend que quelqu’un lui dise quoi faire, quelle est la suite de la scène... […] .. puis marche droit sur lui. A deux mètres il s’arrête et sourit : Alors de retour à Mexico ?

Notre personnage lui répond : « Je ne suis pas de retour Carlos, je ne suis jamais parti. »….. Il semble que ça fait longtemps que ces deux hommes amis ne se sont pas vus. (Sont-ils vraiment amis d’ailleurs ?) ….. Ils entrent dans le hall d’un hôtel et gagnent le bar où ils se font servir un whisky.

« --- Alors ? Que deviens-tu  Budd,  depuis quatre ans à Mexico ?

 ---- Je tourne un film, Carlos

 ---- Un film ? Magnifique. Comment s’appelle-t-il ?

 ---- Mais tu le sais parfaitement. Je l’appelle Arruza et je ne partirai pas avant de l’avoir fait avec toi. »

 

La deuxième partie du roman, sur une centaine de pages, raconte l’histoire de cette amitié et la naissance du projet "Arruza". L’auteur se fait narrateur, sous sa plume apparaît le valet d’épée de Carlos Arruza qui tient un journal ou une chronique à l’intention de son amie Elsita. «  Carlos cet après-midi a rencontré Budd par hasard dans la rue. Ils sont allés boire un verre ensemble…. Toi et moi savons parfaitement ce que cela veut dire… […].. : L’histoire que nous croyions finie va recommencer. Tu vas encore me poser des questions…. […].. . Veux-tu vraiment entendre parler de tout ça, Elsita ? »

Qui sont ces deux personnages ? Le valet d’épée est Jorge Rosales qui est à la fois ami et confident de Budd et de Carlos. «  Un soir, Carlos nous a dit à Budd et moi, que nous étions les nouveaux trois Mousquetaires. Nous avons ri. Je n’ai rien dit mais je savais que c’était faux. Parce que chacun sait que les trois Mousquetaires étaient quatre, et moi de toute façon, j’étais le valet. Cela ne me dérangeait pas de l’être. Cela me rendait libre de dire ce que je pensais à Budd et à Carlos, et puis au théâtre, le valet est celui qui parle avec le public. »

  Elsita est une actrice mexicaine (Elsa Cardenas)  qui devait jouer le rôle de la femme de Carlos dans le film Arruza en remplacement de Debra Paget, actrice américaine et un temps femme de Budd Boetticher et qui a fini par se séparer de Budd et du projet de film.

Jorge le narrateur raconte à Elsita comment les deux hommes se sont connus. Il lui dit comment Budd, ce petit gars de l’Indiana d’un peu moins de 20 ans, à peine  arrivé à Mexico en mars 1937, assista à une corrida de Lorenzo Garza. « Cet après–midi là, l’Oiseau des tempêtes, (le surnom de Garza) a fait et refait le geste. Il s’est mis à genoux, le taureau décrivant un tour complet autour de lui ; Et puis un autre, et puis un autre, le public, n’en revenait pas de tant d’abandon et tant de légèreté. ». Le narrateur n’était pas là car il ne ferait la connaissance de Budd que quelques années plus tard mais celui-ci lui a raconté et a même relaté la scène dans une lettre. Une de ces lettres qu’il lui a données un soir qu’il le raccompagnait à son hôtel….. « La plus ancienne remonte à 1938 et la dernière date de janvier 1962. Quand je lui ai demandé quoi en faire, il s’est contenté d’un geste de la main qui voulait dire débrouille-toi » (silence..)

«  J’ai retrouvé parmi les lettres celle où Budd mentionne Carlos pour la première fois… […]… Il ne dit rien des circonstances de leur rencontre mais je les imagine facilement. Budd ayant commencé à fréquenter le milieu taurin s’était lié à Armilla Chico dont Carlos était à l’époque l’élève. Tout laisse à penser qu’ils se sont liés dans la seconde moitié de l’année 1938. »

«  Budd  n’est pas rentré aux États-Unis. Les derniers jours de l’année 1938, il a vécu sur la route avec Carlos et Armillita Chico…. […]… Les jeunes gens se louaient pour quelques jours, porteurs de valises, hommes à tout faire, rêvant de croiser un matador qui leur laisserait leur chance… […]…. Leur amitié s’est modelée dans les derniers mois de 1939. Ils sont devenus inséparables, ils avaient 23 et 19 ans. Budd et Carlos ont passé la fin de l’année à courir les ranchs de la vallée de la Puebla pour assister aux sélections de reproducteur. »

«  A quel moment Budd a-t-il compris qu’il ne serait jamais torero ? Il a bien dû y avoir un après midi ou un soir devant une arène…. […]… Ces choses-là, on ne les dit pas. On les sait mais on n’en parle pas. ».

C’est son père qui lui a ouvert les portes du cinéma  «  Il a appelé un vieil ami qui dirigeait un studio de production en Californie pour qu’il trouve un travail à Budd. C’est comme cela qu’il a commencé, en s’occupant de chevaux sur un tournage. Les chevaux étaient l’unique trait commun entre le père et le fils. »  Mais Budd eut aussi de la chance car quelques mois plus tard Rouben Mamoulian se lançait dans la réalisation du film « Arènes sanglantes » tiré du roman de Vicente Blasco Ibanez avec, dans les rôles principaux, Tyrone Power, Rita Hayworth et Anthony Quinn. Et s'il y avait un spécialiste de tauromachie à Hollywood c’était bien le jeune Boetticher. Il apprit les ficelles du métier de toréador à la star de l’époque, Tyrone Power. Il fut même chargé de régler la scène de danse pour y donner des allures de corrida. Il obtint pour ce film un contrat de conseiller technique.

« Ces années-là, pendant que Budd travaillait avec Rita Hayworth à Hollywood, Carlos est devenu le Carlos que nous connaissons. L’oiseau des tempêtes déclinait. Armillita Chico était au firmament... […]… Carlos était resté un torero sans grande importance quand nous sommes partis en Espagne. » Au Printemps 1944 Carlos s’envolait pour la péninsule ibérique afin de se mesurer avec les grands matadors, Manolete surtout mais aussi Dominguin qui était en pleine ascension. L’année 1945 fut triomphale pour Carlos. (Ovations ! )

En 1943/44, Budd réalisait à 27 ans son premier film « One Mystérious Night ». En 1950 sous le nom d’Oscar Boetticher junior,  il en avait fait dix, dont une majorité de polars. De ces films il dira à Bertrand Tavernier, « Moins j’en parlerai mieux ça vaudra

Si Boetticher a beaucoup réalisé pendant la tournée ibérique de Carlos, il a quand même su se libérer pour rejoindre son ami de temps en temps.  «  L’Espagne, pour Budd a été un choc… [….]…Carlos était fier que son ami qui travaillait dans le cinéma américain s’intéresse à son travail et à sa réussite. Il lui racontait dans le détail chacun de ses gestes dans l’arène, pourquoi il avait lié telle passe avec une autre…. » Le 25 juillet 1944 Carlos triomphait à Barcelone et quelques mois plus tard il finissait  premier au classement annuel des matadors. (Ovations !) .

En 1951, Budd réalisait son premier film sous le nom de Budd Boetticher, son premier succès « The Bullfighter and the lady (La dame et le toréador) » avec Robert Stack dans le rôle d’un toréador américain. Ce film lui valut sa seule nomination aux Oscars, celui de la meilleure histoire  originale. (Ovation ratée de peu. Dommage !)

 Dans l’interview à Bertrand Tavernier qui disait avoir été déçu par ce film, il lui répond : « Je suis désolé qu’il vous ait déplu, car moi je l’aime beaucoup, et avec moi beaucoup d’américains. C’est un film où j’ai mis beaucoup de moi-même, et dont je me sens très proche. »

Budd était-il vraiment sincère avec cette réponse. Certes il est plutôt content que le film ait bien marché mais finalement il aurait voulu faire mieux. Dans l’industrie cinématographique il y a trop de trucages,  trop de faux semblants.  

Il y a aussi le fait qu’en 1954 il eut une autre commande d’un film lié à la tauromachie, «The magnificent  Matador (le brave et la belle) » avec Anthony Quinn et Maureen O’Hara, le script était de Budd et il aurait du être à l’aise avec cette histoire, mais  cette fois il y avait trop de capitaux en jeu et il ne put faire ce qu’il voulait et n’en fut pas satisfait. « Ce qu’il préférait au fond, c’était les séries B parce qu’on lui laissait la liberté de les faire à sa guise et qu’il pouvait tourner rapidement. »

 

« C’est à moi que Budd a parlé en premier de son idée. Parce que si Carlos a vite pris l’habitude de faire de moi son messager auprès de ses proches, les autres n’ont pas tardé à faire de même vis-à-vis de lui. Plus le sujet était important, plus ils recouraient à mes services.  

Il m’a dit : Tu comprends on a utilisé un mannequin pour faire charger le taureau dans The Bullfighter and the Lady. Le matador ne risquait rien donc la peur n’est pas là….. […]… Après quelques minutes, il a fini par me souffler son idée : tourner un film sur Carlos où Carlos jouerait son propre rôle, sans mannequin ni poupée, ni montage qui fabrique des attitudes et des gestes qui n’ont pas existé.

De retour à Pasteje, j’ai fait part du projet à Carlos. J’ai senti son regard s’allumer, puis il a secoué la tête en souriant. (Les silences !)  Mais il a donné rendez-vous à  Budd. »

Bien évidemment Carlos a accepté la proposition de Budd. Le film se fera mais avec beaucoup de vicissitudes, de difficultés, de problèmes divers, de drames même. C’est toute la suite de cette histoire. Je m’arrête à la page 67 en laissant les personnages vers 1957 et il y a encore beaucoup à lire à découvrir. La deuxième partie du roman court jusqu’à la page 114 et  la troisième partie magnifiquement intitulée « Suivre son couloir jusqu’à la lumière » nous emmène jusqu’à la page 185 et en 1972 date de la sortie du film.

Les quelques 120 pages restantes dont je n’ai pas parlé, me semblent surtout chargées d’expliquer les silences des personnages. L’auteur Yves Revert y met autant d’attachement et de talent que pour exprimer les ovations. Il doit de plus en plus, en fonction des situations, compléter d'un point de vue distancié, les souvenirs qu'il prête à Jorge le valet d'épée.

 

Bonne lecture.

1/ Manolete et Carlos Arruza  2/ Budd Boetticher et Debra Paget  3/ Carlos Arruza et sa femme Maria  4/ L'affiche du film
1/ Manolete et Carlos Arruza  2/ Budd Boetticher et Debra Paget  3/ Carlos Arruza et sa femme Maria  4/ L'affiche du film
1/ Manolete et Carlos Arruza  2/ Budd Boetticher et Debra Paget  3/ Carlos Arruza et sa femme Maria  4/ L'affiche du film
1/ Manolete et Carlos Arruza  2/ Budd Boetticher et Debra Paget  3/ Carlos Arruza et sa femme Maria  4/ L'affiche du film

1/ Manolete et Carlos Arruza 2/ Budd Boetticher et Debra Paget 3/ Carlos Arruza et sa femme Maria 4/ L'affiche du film

Reprise du billet le 17 novembre : hier soir l'auteur, Yves Revert, présentait son livre à librairie des Halles à Niort. Un débat très intéressant.

Je me suis permis d'intervenir pour évoquer l'amitié entre les deux hommes et je me suis appuyé sur un court passage, page 110, que je souhaite ajouter à ce billet.
« .... Carlos se contentait d'écouter. Budd a du le sentir parce qu'au bout de plusieurs minutes de monologue, il s'est tourné vers lui et je l'ai entendu dire : Tu es mon ami, Carlos....[...Un petit temps de réflexion (silence) de la part de Carlos puis ..]... Il a dit en regardant devant lui : Non Budd, mon ami c'était Manolete, toi tu n'es pas de ceux qui se présentent face aux cornes.

Bonus pour ceux que ça intéresse j'ai trouvé une vidéo où l'on voit Carlos Arruza toréé (Je ne suis pas certain que ce soit un extrait du film de Boetticher). Voici l'adresse :  https://www.youtube.com/watch?v=XCwq1-Jt0hg

Editions Verdier 11220 Lagrasse.

Editions Verdier 11220 Lagrasse.

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