Saga néo-calédonienne ….. Voyage jusqu’à Tiendanite.
Courant septembre et début octobre, nous avons passé près de quatre semaines à parcourir la Nouvelle-Calédonie. Nous avons fait plus de 3200 km et sensiblement autant de photos tant les sites sont magnifiques. Passant de gîte en gîte nous n’avons rencontré que des gens chaleureux et accueillants, que ce soit sur la côte ouest ou que soit sur la côte est, à l’extrême nord ou au sud. Seule la ville de Nouméa est quelque peu différente, c’est une ville de 100.000 habitants (180.000 pour l’agglomération urbaine) sans qu’on puisse dire que l’accueil y soit moins spontané, du moins pour les gens que nous avons pu rencontrer. Je relaterai dans de prochains billets les différentes étapes de ce long et superbe périple, mais pour ce premier billet je veux répondre à la question qui nous fut posée pratiquement par toutes les personnes que nous rencontrions : « Pourquoi êtes vous venus chez nous ? Êtes-vous venu voir de la famille, un enfant peut-être qui s’est expatrié pour travailler à Nouméa ? ». Eh bien non ! Nous sommes venus pour découvrir le pays et ses habitants, ses cultures. Nous en rêvions depuis des années….
Il y avait plein de raisons de vouloir faire ce voyage ne serait-ce que la beauté des sites, la baie de Hienghène en est l’un des plus beaux exemples. Et puis c’est un territoire français d’outre-mer et quand on est déjà allé (pour raisons professionnelles) dans les départements d’outre-mer, Martinique, Guadeloupe, Réunion (deux séjours pour chacun) et Guyane (7 séjours), des territoires qu’on a aimés passionnément, on ne pense qu’à continuer la route vers ceux du Pacifique. Mais c’est loin, fatigant et ça coûte cher…. Et maintenant il n’y a plus de missions professionnelles. Mais il restait le magot des ‘’miles’’ d’Air France : il en fallait 80.000 pour la Nouvelle-Calédonie. En ne retenant ces dernières années que des propositions de voyages garantissant des vols par ou lié à Air France nous avions enfin le magot nécessaire….Bingo ! Il était temps !
Mais la vraie raison est tout autre, comme c’est souvent le cas pour choisir un voyage. En 2013 nous sommes allés en Afrique du Sud pour connaitre le pays de Mandela qui était alors hospitalisé, en 2014 au Cap Vert pour connaitre le pays de Césaria Evora… etc, et il y eut très souvent une raison particulière, parfois chanceuse, comme d’être aux États-Unis en Novembre 2012 la semaine de la réélection de Barack Obama, ou plus superficielle comme d’aller en Thaïlande pour voir le site du Pont de la rivière Kwaï…. J’espère que je pourrai aller un jour en Birmanie, le pays de Aung San Suu Kyi.
Je voulais donc, avant tout, aller en Nouvelle-Calédonie pour connaître le pays de Jean Marie Tjibaou. J’ai été plus qu’intéressé, marqué devrais-je dire, par les événements d’Ouvéa en avril 1988 et particulièrement ému par la réconciliation, trois mois plus tard, et les accords de Matignon sous l’égide de Michel Rocard. J’ajoute que j’avais suivi l’évolution des problèmes relationnels entre communautés depuis 1984 par les articles du journal le Monde car à l’époque nous vivions au Cameroun où il n’y avait pas encore la télévision pour voir des images. La désignation, par le président Mitterrand, d’Edgard Pisani comme Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, m’avait conduit à suivre de très près ce qui se passait dans ce T.O.M du pacifique ; Pisani dont je venais de lire « La main et l’outil » et qui était et est toujours pour moi, une référence politique, philosophique, morale y compris comme écrivain.
Le voyage devenait possible cette année, et il s’avérait que la période septembre-octobre était la plus intéressante.
Fin décembre 2015, Pilou avait déjà préparé un périple de 25 jours sur le ‘’Caillou’’ avec l’appui et les conseils des représentants du site ‘’Tour du Monde’’ chez qui nous serions en gîte, à Païta, au nord ouest de Nouméa, pendant environ deux semaines. En janvier ce périple s’enrichissait d’une étape tahitienne de douze jours, pour le même coût de voyage avion et nous permettait pour la première fois de faire un tour complet de la planète. Au total un voyage de 37 jours, déplacements compris.
Je décrirai dans de prochains billets les différentes étapes de ce voyage mais je veux commencer par ce qui m’a le plus touché, les quelques heures à revisiter l’histoire récente du côté de Hienghène. Pour cela je vais proposer quelques photos de Hienghène, de sa baie, de sa vallée et des villages (et tribus) de Wérap et Tiendanite ; des photos que j’accompagne pour l’essentiel de paragraphes du livre d’Edgard Pisani « Persiste et signe » du chapitre ‘’La Nouvelle-Calédonie’’ : J’ai déjà fait un billet sur ce livre -- c’était d’ailleurs l’un des premiers billets du blog – mais j’ai évité de parler de ce chapitre. Je le gardais de côté pour le jour où, enfin, je pourrai me rendre en Nouvelle Calédonie ; pour le premier billet de ce séjour ! Je m’appuie aussi sur quelques éléments de discussions très intéressantes avec Dan et Jean-Claude à leur table d’hôtes du gîte ‘’Tour du Monde’’ et d’autres rencontres comme Martial, chef coutumier de la tribu Werap, ou Farah la sympathique gérante du gite Ka Waboana de Hienghène, et par ailleurs membre de la famille Tjibaou. …..et quelques autres rencontres. Sans oublier l’instructive visite du musée Tjibaou de Nouméa avant de nous lancer à la découverte de l’île hors zone de Nouméa.
Texte d’Edgard Pisani. « …A mon arrivée sur le territoire, nous étions au lendemain du scrutin du 18 novembre 1984. Le déroulement et le résultat de ce scrutin avaient engendré en Nouvelle-Calédonie une situation insurrectionnelle qui ne paraissait plus pouvoir être maîtrisée…(…)… La moitié des électeurs et notamment la quasi-totalité des électeurs canaques, ne s’étaient pas rendus aux urnes, soit qu’ils se soient volontairement abstenus, soit qu’ils aient été empêchés… (...)… Dans les jours suivants, on avait assisté à un double mouvement de mise en place des instituions légales et de rejet de ces institutions par le FLNKS. Ce mouvement avait abouti le 23 novembre à la double élection de Dick Ukeiwé comme président du gouvernement territorial légal et, pour y répondre par défi, de Jean-Marie Tjibaou comme président du gouvernement provisoire de la République de Kanaky. La fracture entre les deux communautés était consommée…. (…) … Ainsi la Nouvelle Calédonie s’enfonçait-elle peu à peu dans une situation proche de la guerre civile, la plus grande partie du Territoire, contrôlé par le FLNKS, étant désormais en insurrection et la légalité n’étant maintenue qu’à Nouméa et sa proche région dominée par les Caldoches……
…..Ma tâche était d’assurer le retour à l’ordre comme la sécurité des biens et des personnes, sans lesquels rien ne pouvait être tenté. Il me fallait sans brutalité inutile corriger la démission et la faiblesse d’un État qui, faute de faire preuve d’autorité, ne savait que faire usage de la force ….
….. Je lançais le 5 décembre un appel aux Néo-Calédoniens dans lequel, tout en annonçant que la gendarmerie recevrait bientôt mission d’assurer l’ordre partout, je déclarais qu’un délai serait laissé avant que ne soit employé la force.
Au moment même où je lançais mon appel, dix militants du FLNKS, parmi lesquels deux de des frères de Jean Marie Tjibaou, étaient assassinés à Hienghène, au cours d’une embuscade montée par des Caldoches. Le FLNKS n’en décidait pas moins de répondre positivement à mon appel en demandant à ses militants la levée des barrages, levée qui fut effectivement achevée le 10 décembre …. (..)… Cette amorce de détente, réalisée en dépit de l’attentat de Hienghène me rendit l’espoir comme devait m’impressionner le lendemain la dignité dont fit preuve Jean-Marie Tjibaou quand je le reçu avec Yéweiné Yéweiné, le 9 décembre. Cet homme qui venait de perdre -- et dans quelles condition ! – deux de ses frères, était à la fois bouleversé, tremblant, crispé, et mesuré, sérieux attentif, se maîtrisant assez pour manifester sans arrogance les positions qui étaient les siennes et celles de son mouvement.
Il évoqua calmement à la fois la situation présente et l’avenir possible de la Nouvelle Calédonie. Je découvris un homme qui était réfléchi et responsable. Je n’avais jusqu’alors entendu parler que d’indépendance, il me parla pour la première fois de souveraineté, de cette souveraineté que les Canaques avait perdue, qu’ils souhaitaient reconquérir et pour la reconnaissance de laquelle ils luttaient. Être maitres en leur demeure ! Songeaient-ils vraiment aux attributs d’un État indépendant ? Leur adversaire n’était pas la France, dont ils avaient besoin, mais ces quelques milliers de Français qui, avec arrogance, occupaient leur maison. Ce premier contact eut une grande influence sur moi. Non sur mon action en tant que haut-commissaire ou sur des propositions qu’à ce titre, j’élaborerais par la suite mais sur mes sentiments personnels à l’égard du problème … (.)…De tous mes interlocuteurs Jean-Marie Tjibaou fut celui avec lequel j’eus les entretiens les plus féconds. Je lui rends hommage car il assuma sans faillir la tâche de convaincre ses troupes du bien-fondé de la négociation. Homme paisible et calme, il imposa une certaine retenue à un parti dont bien des militants ne rêvaient que d’en découdre. Il risqua plusieurs fois d’y perdre la confiance de sa jeunesse, violente, agressive parfois ouvertement raciste.»
C’est le 7 janvier 1985 qu’Edgard Pisani présenta ses premières propositions sur lesquelles devaient s’engager réflexions et discussions
« Dans chacun des deux camps, mon plans progressait. Mais j’observais entre eux une dissymétrie qui imposait quelques contorsions. Chez les indépendantistes, les leaders étaient modérés et la base radicale. Autant il était facile d’atteindre les premiers, autant il était difficile d’avoir contacts avec les seconds, les jeunes en particulier qui prenaient goût à la vie d’aventure et aux rêves dont Eloi Machoro était le héros. Chez les européens, les leaders étaient radicaux, leur indéfectible attachement à la République constituant leur fond de commerce. La base, la brousse en particulier, s’interrogeait sur l’avenir d’une attitude politique intransigeance. Et dans cette base, les authentiques Caldoches qui étaient là sur leur terre cherchaient désespérément une solution.
Une solution semblait donc en vue quand intervinrent le 11 janvier la mort d’Yves Tual, un jeune Caldoche tué par balle et celle d’Eloi Machoro, à Nouméa le lendemain, lors d’émeutes de nuit et d’échanges de coups de feu avec la gendarmerie. »
Malgré les assassinats et l’instauration de l'état d’urgence, Edgard Pisani poursuivit les négociations pour essayer de faire accepter par les deux camps un projet d’évolution vers un statut d’indépendance-association.
« Ce plan ne recueillit pas l’adhésion générale. Si j’étais, grâce à l’appui de Jean-Marie Tjibaou, arrivé à convaincre le FLNKS de ce que le seul moyen d’aboutir à l’indépendance était de faire en sorte que celle-ci soit acceptée par une large majorité de la population néo-calédonienne, le RPC se montra beaucoup plus réticent, au point de refuser purement et simplement de poursuivre les discussions »
Le gouvernement demanda à Edgard Pisani, nommé Ministre de la Nouvelle Calédonie, de rentrer en métropole pour défendre le projet de loi devant le parlement.
« Peu de temps avant de quitter le Territoire j’étais, à l’invitation de Jean-Marie Tjibaou, allé me poser en hélicoptère sur un terrain proche du col qui domine Hienghène… (..)… Bientôt Jean-Marie Tjibaou m’invite à faire quelques pas avec lui. Il marche devant, d’un pas décidé, silencieux. Nous allons ainsi pendant dix minutes en suivant un chemin étroit qui traverse une belle forêt. Il s’arrête devant un arbre immense, un kaori. Sans se retourner, il me dit calmement, gravement, d’une voix émue : « Vous nous avez demandé de donner notre accord au statut d’indépendance-association. Vous nous avez demandé de donner des garanties aux Européens qui décideront de rester. Vous nous avez promis qu’en échange des avantages que nous lui consentirions, la France nous aidera dans notre développement. Vous nous avez proposé un processus où, au jour même de notre indépendance reconnue, nous nous lierons par contrat avec la France. Nous ne voulons pas nous séparer d’elle. Nous voulons être maitres chez nous. C’est beaucoup exiger de nous que de nous demander de confier à la France notre justice, notre sécurité, nos relations internationales et de consacrer cela par des clauses constitutionnelles. Tout le monde n’est pas d’accord. Mais nous avons décidé de répondre par l’affirmative à la question que vous nous avez posée. Nous sommes prêt à élaborer le statut de l’indépendance –association dans la mesure où il restitue nos terres, consacre notre culture, nous permet d’élaborer nos propre règles. Ne croyez pas que nous reviendrons à notre ancienne coutume. Nous aurons besoin que vous nous conseilliez dans l’élaboration d’une législation moderne mais qui respecte ce que nous sommes…Je n’ai pas voulu vous dire mon accord autour d’une table de discussion mais là au pied de l’arbre de mes ancêtres... »
Il parlait de plus en plus bas, de plus en plus lentement. Il se retourna. Il était aussi bouleversé que moi. Il me tendit la main. « J’espère que la France tiendra la promesse que vous nous avez faite. Parce que votre discours du 7 janvier est une promesse. A vous de vous arranger pour que le gouvernement et le Parlement la tienne. Quant à nous, nous tiendrons la promesse que je vous fais ici, à cette heure, au pied de cet arbre devant lequel je ne puis mentir ni me tromper. » Ce n’était pas lui qui parlait mais sa terre. ……
…..Cette promesse ne fut pas tenue. Lorsque la droite arriva au pouvoir, Jacques Lafleur, qui était encore dans la position très agressives qu’il a quitté depuis, obtint en effet des dirigeants du RPR qu’ils abandonnent l’attitude d’attente critique qui était la leur pour adopter une position de remise en cause totale de ce qui avait été fait…»
Et puis la veille du second tour de la présidentielle de 1988 il y eut le drame d’Ouvéa puis la réélection de François Mitterrand, la nomination de Michel Rocard comme premier ministre et assez rapidement le 25 juin 1988, les accords de Matignon. La paix était revenue sur ‘’le Caillou’’.
Jean- Marie Tjibaou a été assassiné le 4 mai 1989 avec Yeiwéné Yéiwéné, son bras droit au FLNKS, lors de la commémoration de la tragédie d’Ouvéa par Djubelly, un Kanak indépendantiste hostile aux accords de Matignon.