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Blog à part ..... Le massacre de Thiaroye

11 Octobre 2020 , Rédigé par niduab Publié dans #Blog à part

 Mardi dernier, France 2 a présenté un documentaire exceptionnel intitulé « Décolonisations, du sang et des larmes » un documentaire en deux partie,  la fracture puis la rupture, le tout complété par un débat que je n'ai pas suivi tant j'étais fatigué de revoir ou découvrir des faits dramatiques. Aujourd'hui (cinq jours plus tard) par ce billet et après de nombreuses heures de recherches sur internet et dans ma bibliothèque je reviens sur le sujet de ce documentaire qui m'a le plus troublé, le massacre de Thiaroye. 
 Après le débarquement de juin 1944 puis la libération de Paris et alors que la guerre était encore loin d'être terminée, les nouvelles autorités décidèrent de rapatrier les tirailleurs sénégalais en Afrique occidentale française (A.O.F.). Ces soldats africains attendaient le versement d'une somme d'argent pour rentrer chez eux, dont des arriérés de solde et la prime de démobilisation. Le ministre des colonies a décidé qu'ils ne seraient démobilisés qu'en arrivant à Dakar ; seule une modeste avance leur fut versée en octobre, avant le départ de la métropole, le reste serait réglé en arrivant au Sénégal, en francs CFA.
Ce premier départ se fit de Morlaix. Le contingent qui embarqua le 5 novembre, sur un bateau britannique, rassemblait des soldats provenant de divers centres de transit de la région ouest. Ils furent 1635 à monter sur le bateau, une minorité d'environ 300 soldats refusa de quitter la métropole tant qu'ils ne seraient pas payés. Fin novembre le bateau arrivait à Dakar avec officiellement 1280 tirailleurs sénégalais (lors de l'escale à Casablanca près de 400 soldats ne sont pas remontés sur le bateau, dans l'attente des sommes qui leur étaient dues).
 En arrivant au Sénégal ils furent parqués dans un camp à Thiaroye, à 15 kilomètres de Dakar. Le problème était que ces tirailleurs sénégalais n’étaient pas tous sénégalais certains étaient originaires d'autres pays de l'A.O.F…. C’est justement la décision d'acheminer quelques jours plus tard un groupe à Bamako, qui entraîna la révolte. Les soldats concernés refusèrent de quitter Dakar tant que l'on ne leur aurait pas versé la totalité des sommes dues. Ce refus entraina l'intervention du général Dagnan qui vint les sermonner mais il fut quelque peu malmené. 

Son autorité bafouée par des sans-grades, le général Dagnan prit la décision de faire une démonstration de force. Des gendarmes renforcés de soldats locaux, d'autres tirailleurs sénégalais et un régiment d'artillerie coloniale, appuyés par un char léger et deux automitrailleuses, furent mobilisés. Le camp fut investi au matin du 1er décembre à partir de 6 h 30. Selon un rapport un mutin  aurait « porté la main à son couteau » à 7 h 30, avant d'être désarmé par des sous-officiers. Une première rafale éclata à 8 h 45 selon le même rapport. Les tirs mortels sur les tirailleurs rassemblés dans la cour, eurent lieu vers 9 h 30, la fusillade dura seulement quelques secondes.
Les officiers français insistent dans leurs rapports sur la menace posée par le regroupement de nombreux tirailleurs alors que ceux-ci dirent lors des interrogatoires postérieurs qu'ils avaient pensé qu'on allait accéder à leur demande mais quand ils ont compris que ce n'était pas çà ils ont crié leur désarroi... et en réponse les forces de l'ordre tirèrent sur des hommes assis  parterre.
Le bilan fut lourd : un télégramme du 2 décembre 1944 parle de 24 tués et 46 blessés dont 11 décédés ensuite, soit 35 morts. Mais le rapport du général Dagnan daté du 5 décembre 1944 évoque « 24 tués et 46 blessés transportés à l’hôpital et décédés par la suite », soit finalement 70 morts.
Trois cents tirailleurs furent extraits du camp et envoyés à Bamako. 34 tirailleurs furent jugés le 6 mars 1945 et condamnés à des peines allant de un à dix ans de prison, à une amende de 100 francs de l'époque et ils perdirent leurs droits à l'indemnité de démobilisation. Ils furent graciés en juin 1947, lors de la venue à Dakar du président de la République Vincent  Auriol. « Il ne s'agit pas d'un acquittement, et les veuves de Thiaroye n'ont jamais perçu de pension »

Je n'ai entendu (*) parler de ce drame que bien plus tard, en 2012, et par la presse suite au discours important du président François Hollande à Dakar le 12 octobre 2012 lors d'une escale au Sénégal avant de se rendre à Kinshasa pour le sommet de la Francophonie. Au milieu de ce long discours où le thème principal était que le temps de la France-Afrique était révolu, il inclut quelques mots de repentance : « La part d'ombre de notre histoire, c'est aussi la répression sanglante qui en 1944 au camp de Thiaroye, provoqua la mort de 35 soldats africains qui s'étaient battus pour la France. J'ai donc décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu'elles puissent être exposées au Musée du mémorial.» François Hollande est le premier responsable politique français à avoir rappelé officiellement cette tragédie et pourtant selon plusieurs historiens le chiffrage annoncé ne représente même pas la moitié des victimes.
l'historienne Armelle Mabon déclara dans le journal Libération du 25 décembre 2012 : « Je souscris à la volonté du président de la République de donner les archives au Sénégal mais pour que ce geste fort ait du sens et permette une réconciliation après tant de malentendus et de mensonges, il faut impérativement : restituer tous les documents officiels dans les archives ; donner le bilan sincère du nombre de morts ; révéler le lieu de leur sépulture ; nommer ces hommes qui ont été tués ; amnistier ceux qui ont été condamnés, la grâce ne suffisant pas ; reconnaître la spoliation du rappel de solde et la responsabilité de l’armée ; réhabiliter ces tirailleurs en leur rendant un hommage solennel.»
D'autres historiens se sont intéressés à ce drame et notamment Julien Mourre, auteur d'une thèse de doctorat sur le sujet, « le nombre exact de tués ne sera probablement jamais connu » mais la présence de deux bilans officiels montre qu'au moins un de ces deux bilans est faux. Il n’ajoute que l’approximation dans les rapports militaires français de 1944 est « curieuse » et « laisse planer l’hypothèse d’un massacre impliquant plusieurs centaines d’hommes ».
M'Baye Gueye, seul historien sénégalais à avoir étudié le sujet, compte 191 tirailleurs tués.
L'historien Julien Fargettas estime néanmoins que le sujet a subi une "surenchère" mémorielle. En juillet 2014, il publie une lettre ouverte à François Hollande sur le sujet, où il réclame la « constitution d’un comité d’historiens franco-africains ». Il critique également les travaux d'Armelle Mabon en affirmant que « l'omission d'autres archives et témoignages, des conclusions hâtives et autres raccourcis incohérents, témoignent de la partialité de ce travail »
Le 30 novembre 2014, à Thiaroye, le président François Hollande évoque non plus « 35 morts » mais au moins « 70 morts », et déclare vouloir « réparer une injustice et saluer la mémoire d'hommes qui portaient l'uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leurs fusils.»
J'ai moi-même fait ma petite enquête en tant qu'ami de l'Afrique (plus de 10 ans de vie en Afrique dans le domaine des travaux publics plus ces dernières année de nombreux voyages dont un magnifique au Sénégal en 2009.) J'ai donc ouvert les livres de ma bibliothèque qui avaient trait à l'histoire de l'Afrique, car je ne voulais pas construire un billet instructif uniquement avec des informations empruntées sur internet et notamment Wikipedia…. Et j'y suis arrivé avec l'Histoire de l'« Afrique noire.» du voltaïque  Joseph Ki-Zerbo, Un livre de 700 pages publié en 1988. En page 204 concernant le Sénégal d'après guerre,  il évoque «... Les doléances des anciens combattants dont tout un contingent fut massacré à Thiaroye près de Dakar.....»… Une petite phrase qui rassure et c’est plus que le vieux livre (1970) « Histoire de l’Afrique des origines à la 2e Guerre mondiale » de Robert et Marianne Cornevin ». 
(*) Je comptais beaucoup  sur mon livre préféré « Les Français en Afrique noire, de Richelieu à Mitterrand.» de Pierre Biarnes publié en octobre 1987, dont j’ai raconté la genèse dans un billet d'octobre 2007 intitulé Le bon et brutal temps des colonies. En relisant ce texte aujourd’hui je m’interroge : Biarnes, ancien correspondant du journal le Monde, installé à Dakar depuis les années 60 ne nous a-t-il pas évoqué ce drame ce jour là ? Je m’interroge…. Mais toujours est-il qu’il n’en parle pas dans ce magnifique livre (j'ai passé beaucoup de temps ces jours-ci à chercher un paragraphe, une phrase ou même le nom Thiaroye, mais il n'y a rien). Peut-être que le grand républicain qu’il a toujours été aurait répugné à aborder ce sujet désagréable car il ne pouvait pas ne pas savoir. 

Et puis en voilà un autre  plus récent, « Frères et sujets.» de J.P Dozon  publié en 2003. Je n'ai pas acheté ce livre que j'ai découvert sur internet en faisant mes recherches tout au long de la semaine. J'ai pu le consulter et j'ai trouvé page 188 un paragraphe qui a sa place dans ce billet  «....... la force noire, comme les colonies dont elle était diversement issue, n'échappa à rien de la complexité de la situation française, pas même à la résistance intérieure que certains tirailleurs, évadés des camps de détention allemands, rejoignirent dans plusieurs de ses maquis, notamment dans celui du Vercors. Et elle y échappa tellement peu que lorsque plusieurs milliers de conscrits africains, rapatriés sans coup férir dans leur colonie d'origine, manifestèrent leur mécontentement contre les conditions de casernement et de paiement des soldes, cette force se redécouvrit bien faible face au peu de compréhension de son encadrement français. Comme en décembre 1944, au camp de Thiaroye, près de Dakar, où une mutinerie de tirailleurs fut réprimée à coup de tirs à l'automitrailleuse, faisant trente-cinq morts et plusieurs centaines de blessés dans leurs rangs.»

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