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Presse aidant ..... Peut-on encore débattre des fondamentaux de la première République ?

20 Novembre 2020 , Rédigé par niduab Publié dans #Presse aidant

Ce nouveau billet complète en quelque sorte deux articles précédents : par le thème historique voire philosophique l'article concernant Sieyès, et par son origine, ou source, du journal Le Monde  d'où j'avais déjà emprunté l'article Un président deux Amériques. 

  Les attentats terroristes, les contraintes imposées au nom du salut public face à l’épidémie de Covid-19 et les controverses sur la liberté d’expression nous amènent, tous, à débattre des fondamentaux de la République, surtout ceux qui furent âprement débattus pendant les années de la Ière République (1792-1804), autrement dit pendant la Révolution. Nous ressortons un vocabulaire jamais oublié mais jamais déni, un peu comme si nous allions chercher des outils remisés depuis des années dans un cabanon parce qu’il faut réparer, dans l’urgence, un toit qui s’envole ou une porte qui bloque
C’est sans surprise que resurgissent les oppositions entre les exigences de l’unité nationale et le respect des identités particulières, entre les références à la raison et la reconnaissance des religions et, plus basiquement, entre liberté et terreur. Ce dernier binôme contient en lui-même tous nos fantasmes « républicains ».
 Qui n’est pas décidé à « vivre libre ou mourir » ? Qui n’est pas prêt à se mobiliser contre la terreur, quelle qu’en soit la forme ? Qui ne rejette pas les appels aux épurations radicales comme aux compromis douteux ? Et la boîte à musique révolutionnaire nous rejoue les grands airs avec les costumes d’époque, comme si nos grands ancêtres avaient mené, en leur temps, des politiques bien déterminées en suivant des mots d’ordre rigoureux, comme s’ils n’avaient pas, fort habilement, utilisé les grands idéaux pour éliminer des rivaux, obtenir des pouvoirs et des avantages et imposer leurs vues, même incertaines.
 Il suffit de quelques exemples pour saisir de quoi il s’agit. Il faut rappeler que, le 6 décembre 1793, Robespierre imposa la liberté des cultes à tout le pays, obligeant les sans-culottes à ne pas afficher leur athéisme, devenu suspect, donc possiblement contre-révolutionnaire et éventuellement raccourci par l’échafaud.

Quelques mois plus tard, le même proposait le rassemblement du peuple autour de l’Être suprême et de la Nature (dimensions que les écologistes actuels devraient bien méditer) parce qu’il croyait qu’une nation ne pouvait exister qu’autour d’une aspiration spirituelle commune ou, dit autrement, autour d’une religion collective.
 Évidemment, ses opposants y virent, à juste titre certainement, l’occasion de cumuler les pouvoirs d’un grand prêtre avec ceux d’un chef de faction. On connaît la suite. Encore faut-il souligner que, jusqu’à son dernier jour, Robespierre s’éleva contre tout « système de terreur » considéré comme politique des « despotes » Paroles que ses adversaires, devenus ses vainqueurs le 9 thermidor (27 juillet 1794), renversèrent aussitôt pour assurer qu’il y avait bien eu une Terreur en France et qu’il en avait été l’inventeur. Le mot « terroriste » fut même créé alors pour qualifier les « robespierristes » et les envoyer à la mort. Évidemment, ce chassé-croisé des idées et de leurs instrumentalisations, des principes et des pratiques, complique les démonstrations et brouille la qualité des références qu’on invoque.
 Il n’est pas question que quiconque soit tenu de passer dix ans à étudier la Révolution avant de parler de liberté et de terreur. Il serait simplement souhaitable que tous ceux qui invoquent ce passé restent modestes et prudents. Sa complexité – mais quel passé n’est pas complexe ? – nous apprend que rien n’a été obtenu autrement que dans des luttes brouillonnes et confuses, que les leçons n’en ont été tirées qu’après des années de décantation pédagogique et politique et que toute volonté de transformer des mots d’ordre en absolus est une hérésie historique. Ce qui en soi n’est pas très grave, sauf quand cela risque de changer notre vie aujourd’hui. 
Il n’y a jamais eu d’opposition entre liberté et contrainte hors de conditions précises : guerre, rébellions, etc. Les mots que nous utilisons ne sont pas des concepts, mais des mythologies qui nous handicapent plus qu’elles nous aident à comprendre la novation dans laquelle nous vivons ; ils furent des étiquettes modifiées au gré des alliances et des rivalités. Il n’y a ni à regretter la lucidité devant ce passé qui parle en nous, ni à rejeter ces codes qui sont notre histoire, seulement à revenir aux fondamentaux de la politique : rechercher le bien commun sans emphase, sans effets de manche, au prix des inévitables arrangements indispensables au respect des autres et à la vie collective. Ne croyons pas qu’il s’agisse ici de la réinvention de l’eau tiède, rien ne se fera sans se débarrasser de tous les va-t-en-guerre et de tous les ayatollahs qui jettent de l’huile sur le feu en nous rappelant un passé qu’ils inventent.
Et là rien n’est gagné. 

Cet article est de J.C. Martin (*) professeur émérite de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française. Son dernier ouvrage, « La Vendée de la mémoire. 1800-2018 », a été publié aux éditions Perrin en 2019;

(*) L'image, la fête de l'être suprême, est mon choix, mon apport. 
 

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