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Presse aidant........ La grande transformation écologique : un projet républicain.

14 Octobre 2021 , Rédigé par niduab Publié dans #Presse aidant

Nous sommes encore à six mois de la prochaine élection présidentielle et je suis déjà très inquiet de la tournure des premiers échos, qui annoncent une poussée importante de la droite extrême. J'essaye de me convaincre que tout n'est pas joué et que ceux qui propagent dans les médias des idées racistes et misogynes ne pourront  l'emporter..... Mais vers qui vais-je pouvoir me tourner ?  En attendant de pouvoir suivre des débats sérieux avec des candidats officiels je me plonge dans des journaux et revues que j'ai conservés pour nouvelles lectures et analyses. J'ai notamment repris un journal le Monde daté du 6 septembre 2019 où j'ai retrouvé  un article très intéressant de  Bernard Cazeneuve  intitulé « La grande transformation écologique : un projet républicain ».  

Extraits : 

C’ est par la République que je suis entré en politique et c’est dans l’adhésion à ses valeurs et à son projet d’émancipation du citoyen que j’ai trouvé des raisons d’espérer que le progrès serait possible pour l’humanité. A ses débuts, à travers de grandes causes, dont certaines s’inscrivaient en rupture avec l’ordre établi, elle s’identifiait à cet idéal humaniste dont l’éducation était le moyen et la liberté, le but. Par-delà la sagesse à laquelle elle nous invitait, en voulant faire de nous des êtres libres et responsables, elle rehaussait la politique d’une ambition, celle de tendre vers l’idéal, c’est-à-dire vers le meilleur qu’il nous était permis de concevoir et d’espérer. Cet idéal, aujourd’hui, quel est-il ? Et comment faire en sorte de ne jamais le perdre de vue ? Il est avant tout, à mes yeux, une synthèse consistant à articuler, dans un souci de cohérence, les quatre dimensions essentielles de la modernité politique : l’aspiration à la liberté, dans le confortement continu de l’Etat de droit ; le combat pour l’égalité, sans privilège de naissance ni de statut ; une conception active et non consumériste de la citoyenneté, qui fait que nous nous reconnaissons comme semblables, solidaires et fraternels ; et, enfin, la nécessité d’une projection collective, sans laquelle il n’y a pas de cohésion nationale possible, ce qui suppose une action publique concertée entre un Etat, force d’impulsion, et des collectivités territoriales dotées des moyens juridiques et budgétaires de leur action. C’est la possibilité de cette synthèse qui fait la singularité de la France, l’identité de notre communauté non pas culturelle, mais proprement politique, qui porte le nom de « République ». C’est elle qui nous a permis, grâce au ressort de la méritocratie, de faire accéder à l’élite celles et ceux que leurs origines sociales ne prédestinaient pas à l’exercice des plus hautes fonctions ; c’est elle qui nous a conduits à construire l’Etat-providence, c’est-à-dire des politiques publiques amples et justes, assurant l’autonomie des individus, la cohésion sociale et économique des territoires, dans le respect de leur diversité. C’est elle, enfin, qui nous permet de nous élever collectivement au-dessus des intérêts particuliers, au nom d’un creuset de valeurs qui donnent du sens à notre volonté de vivre ensemble. L’ère politique qui s’est ouverte depuis la fin des « trente glorieuses » et la publication du rapport Meadows (1972) oblige à reformuler cette synthèse républicaine en fonction des limites écologiques et environnementales propres au système Terre. La communauté de destin des humains et non-humains appelle une nouvelle conscience morale et civique et requiert un républicanisme élargi, au-delà des enjeux historiques et pérennes de limitation du pouvoir (libéralisme politique) et de redistribution (socialisme). Une conception des biens communs, élargie aux contraintes et exigences de la nature, des générations futures, de tous les êtres vivants et du long terme, doit consolider notre socle républicain initial et permettre à nouveau sa projection par-delà nos frontières. Non pour le subvertir ou le rendre accessoire, mais, au contraire, pour articuler et tenir ensemble les exigences de justice politique, sociale et environnementale, foncièrement complémentaires et, dans les faits, désormais indissociables. La transition écologique, telle est ma conviction, sera sociale et républicaine – ou ne sera pas. A l’aune de cette nouvelle perspective, il faut comprendre le mouvement des « gilets jaunes » comme la manifestation d’un retour aux fondamentaux du politique. Ce n’est nullement un hasard s’il a réactivé certains symboles de la Révolution française. Si l’on a pu comparer l’étincelle initiale, la « révolte des carburants », à la « guerre des farines » d’Ancien Régime, si l’on a pointé le prix à la pompe comme l’équivalent du prix du pain d’alors, c’est pour des raisons évidentes à chacun : les équilibres sociaux et territoriaux construits durant les « trente glorieuses » se sont à ce point fragilisés que, pour de larges franges de notre population, une augmentation du coût des déplacements réduit immédiatement à néant toutes les marges de manœuvre du quotidien, en termes de pouvoir d’achat, de bien-être familial et d’espérance collective. L’automobile et le « diesel » condensent ainsi une constellation de problèmes et d’espérances bien plus amples, dont il convient de prendre la mesure. Cette nouvelle constellation, je la caractériserais avant tout comme la fin d’un long cycle démocratique et le début d’un autre dont il nous incombe, collectivement, de formuler les termes contemporains et les rapports de force à venir. (…) Un « juste prix de la nature » La grande transformation écologique bouleverse la social-démocratie à laquelle j’appartiens, dans laquelle j’ai grandi et me suis construit politiquement. Le surgissement de la limite écologique ouvre un nouveau siècle, une nouvelle ère pour ma famille de pensée. La question du capitalisme, la question sociale, la question républicaine, la question démocratique que formula la social-démocratie continuent d’interroger quiconque croit au progrès de l’humanité. Dans l’obligation où elle se trouve de se reconstruire, la gauche française s’égarerait en se contentant d’une simple opération de greenwashing. En pensant se dépasser, elle se réduirait, pour finir par s’effacer définitivement. Ceux qui pensent que la référence à la gauche pourrait devenir accessoire sous prétexte que le sauvetage de la planète serait la cause essentielle se trompent. Ils oublient la consubstantialité des appartenances et des causes. Ils feignent d’ignorer qu’on ne dissocie pas des combats sans trahir les valeurs qui justifient qu’on les engage, sans rendre l’objectif inatteignable. La transition écologique et sociale doit donc avoir pour triple principe d’être socialement juste, démocratiquement acceptable et géographiquement différenciée. Socialement juste signifie que l’effort de transition doit être équitablement réparti en fonction des ressources et de l’empreinte carbone de chacun, en tous points de l’échelle sociale et du pays. Démocratiquement acceptable et territorialement différenciée, cela suppose de ne pas imposer de manière verticale ou arrogante un schéma uniforme de transition sans tenir compte des multiples différences qui existent entre les métropoles, les zones périurbaines et les zones rurales. (…) Il n’y a pas de grande politique sans fiscalité. La transition écologique et sociale ne pourra être atteinte que par l’imposition d’un « juste prix de la nature », au moyen d’une taxe carbone s’appliquant aux activités, produits et services émetteurs de GES . L’imposition d’une fiscalité environnementale irréfléchie ne peut que mener aux conflits sociaux et démocratiques de l’hiver 2019. Il importe, par conséquent, pour toute fiscalité écologique juste et efficace, de respecter plusieurs impératifs. [gaz à effet de serre] Un impératif économique d’abord. La fiscalité environnementale ne doit pas dégrader la compétitivité de l’économie française. Les taxes environnementales représentaient moins de 5 % des prélèvements obligatoires en 2017. Sans augmenter les impôts pour nos concitoyens, il conviendrait de basculer une part plus importante des prélèvements qui pèsent aujourd’hui sur le travail, comme les cotisations salariales ou l’impôt sur le revenu, vers la fiscalité environnementale, comme ont su le faire les gouvernements successifs en Suède dès les années 1990, rendant ainsi la transition écologique effective et acceptable par tous les citoyens.

Ensuite, la fiscalité environnementale doit s’attacher à refléter fidèlement, dans le prix des biens et des services, la réalité de leur impact social et environnemental. Seule une fiscalité environnementale puissante permettra d’assurer l’opération « vérité des prix », en augmentant le prix des biens et services non soutenables et en incitant les consommateurs à s’orienter vers des achats plus vertueux, plus circulaires, plus durables.

 Troisièmement, pour qu’elle soit efficace, la taxe doit s’appliquer à égalité à toutes les émissions de GES. Certains secteurs, comme les transports aériens ou maritimes, bénéficient d’exonérations injustifiées, alors même qu’ils sont de gros émetteurs. C’est ce « deux poids, deux mesures » qui contribue à rendre inacceptable le paiement de la taxe par les automobilistes sans solution alternative. Dernier principe, les recettes de la fiscalité environnementale doivent être affectées aux politiques d’accompagnement, qui sont de deux natures. D’une part, des politiques de redistribution sociale pour les ménages modestes et les classes moyennes : une partie de la taxe qu’ils acquittent doit leur être reversée sous forme d’aides directes, comme le chèque énergie ou le chèque transport. Les politiques d’accompagnement désignent aussi le financement de la transition écologique à travers le développement de solutions alternatives dans des secteurs-clés, an d’éviter aux gens d’être prisonniers de leur destin. (…) Refonder le pacte républicain Il n’y aura pas de solution simple, car nous devrons faire converger les quatre exigences cardinales que sont la justice sociale et territoriale, l’inclusion et co-construction démocratique, la transition écologique, la croissance décarbonée. Cette cohérence est non plus une option mais une contrainte puisque aucune solution ne sera viable sans l’assentiment des peuples, sans la pérennisation d’une stabilité démocratique capable de nourrir le jugement et l’action collective. (…) Dessinons ensemble les contours d’une autre volonté et adossons cette volonté à un pacte républicain refondé selon les critères intangibles suivants :

1. Création de richesses, marchandes autant que non marchandes, par un nouveau modèle de croissance soutenable tenant les deux bouts de la chaîne : car sans richesses marchandes, pas de partage possible, pas de rééquilibrage entre les mieux et les moins bien partis du jeu économique et social, au sein des nations comme entre elles ; mais sans richesses non marchandes, pas de nouvelles pratiques dépassant les calculs ordinaires coûts-avantages de l’écologie libérale, pas de réduction de l’empreinte écologique de nos sociétés, pas de liens sociaux forts ni de remobilisation civique à la hauteur du dé écologique qui s’annonce. L’économie du partage, qui repose sur la collaboration, le troc ou le réemploi, devra jouer un rôle éminent dans cette conversion des esprits ;

 2. Justice sociale, car il n’est pas de démocratie stable sans critères de justice assurant une cohésion optimale de bas en haut de l’échelle sociale ;

3. Justice territoriale, car le principe de la continuité territoriale de la nation est un principe fondamental appelant des ajustements constants, par l’action publique et une fiscalité consentie parce que juste, progressive et transparente, entre les parties du territoire les mieux et les moins bien dotées ;

 4. Soutenabilité écologique, parce que la nature est un bien intrinsèque (un bien en soi, désirable comme tel, en raison de sa radicale altérité, diversité, beauté), un bien public fondamental (comme climat et environnement) pour tous les êtres humains et un bien qui ne peut être préservé qu’à condition de réviser toutes les équations politiques de court terme, centrées sur le seul présent – la croissance productiviste, les intérêts privatifs de classes, les rivalités étatiques de puissance et une vision anthropocentrique du système Terre ;

5. Inclusion et co-construction, car associer le plus largement possible nos concitoyens est un principe indépassable de la démocratie sans privilège des « semblables » ; et parce que construire ensemble les solutions ne doit plus être perçu comme une contrainte mais comme une ressource, encore sous-employée. Cette co-construction ne se fera pas sans les grands leviers – la grande politique – de l’Etat, mais elle ne se fera pas non plus sans la démultiplication des échelons et des relais territoriaux, sans l’implication ni la force d’innovation propre des citoyens et de leurs associations. Une crise durable du « kratos » ( Force de souveraineté ) A l’heure où il conviendrait d’inventer et de rassembler plutôt que de semer la discorde et de diviser, certains voudraient nous faire croire que la crise contemporaine des démocraties s’enracine dans une crise du demos, une crise du « peuple » en somme, de ses diverses qualités, ou, plutôt, manquements (riches versus pauvres pour les uns ; mondialistes, migrants, assistés versus le bon peuple-ethnos, autochtone et authentique, pour les autres). Je demeure convaincu, pour ma part, que nous avons bien davantage affaire à une crise durable du , du pouvoir sur soi de la démocratie, de notre capacité à réguler les processus économiques, sociaux et écologiques globaux qui débordent et restreignent le périmètre classique des vieux Etats-nations. kratos

C’est faute de parvenir à reprendre la main sur ces dynamiques structurelles qu’un sentiment délétère de crise s’est installé et que la communauté strictement politique des citoyens en vient à s’abîmer, littéralement, dans la question de l’identité ethnoculturelle plutôt que de s’employer à modifier les règles du jeu matérielles qui la déstabilisent. La politique est un anti-destin ; les humains n’ont jamais disposé d’une arme plus efficace que leur volonté pour se sortir de l’ornière. Le nouveau pacte républicain que j’appelle de mes vœux pourrait être une manière de nous rassembler largement an de déjouer les fatalités et de conjurer la catastrophe. Faute de quoi, n’en doutons pas, cette catastrophe ne manquera pas d’être démocratique et sociale, autant que climatique et environnementale. »

Cet article devait être intégré dans « Le Débat » n° 206 septembre-octobre 2019, Gallimard, 192 pages, 21 euros. Je n'ai pas acheté cet ouvrage, me contentant de l'article du Monde.

 Bernard Cazeneuve a été premier ministre de décembre 2016 à mai 2017. Ministre de l’intérieur de 2014 à 2016, il a été confronté à une importante vague d’attentats terroristes en France. Il avait précédemment été ministre délégué aux affaires européennes (2012-2013) et ministre délégué au budget (2013-2014). Il a également été maire de Cherbourg- Octeville (Manche). Depuis 2017, il a repris ses activités d’avocat.

 

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