A livre ouvert..... Vinyles Vintage....
Je me devais de lire le dernier livre de Jérôme Pintoux dont j’ai déjà à plusieurs reprises, sur ce blog, salué le talent, notamment avec son surprenant et magnifique « Interviews d’outre-tombe » mais également, ses passionnants recueils d’interviews de Balzac et de Jules Verne sur Publie.net. Il m’a aussi fait l’honneur de m’offrir par courriels quelques nouvelles inédites (1&2) dont je me suis régalé et empressé de présenter par quelques billets
J’étais moins certain d’adhérer à son dernier livre dont le titre « Vinyles Vintage » indiquait clairement que Jérôme quittait, cette fois, le domaine de la littérature, des écrivains pour celui de la musique ‘’pop’’ et des rock-stars. Oh ! Ce n’est pas que je fus toujours fermé à ce genre de musique, car j’ai eu, comme tout un chacun, entre 15 ans et 19 ans, ma période rock mais elle ne coïncide pas tout à fait avec celle de Jérôme, certes de peu, cinq ans seulement, mais à cet âge, cinq ans c’est énorme…..et ce d’autant que mon choix de vie et ma profession dès 1969 m’entraînaient vers des horizons très éloignés des médias…. Je dois aussi avouer que, dès 1967/68, je m’étais éloigné du rock que j’avais aimé ; un rock référencé Memphis qui, avec l’embonpoint d’Elvis, les ennuis de Jerry Lee et la disparition d’Otis Redding, avait déjà perdu son roll.
Ce petit livre de Jérôme Pintoux est un roman onirique, qui évoque aussi et avant tout le séjour d’un adolescent de 17 ans à Londres en juillet 1968. Un journal de voyage, de découvertes, d’apprentissage de la langue anglaise et de la vie, le tout enrichi de souvenirs probablement apocryphes ou du moins distancés et de rêves magnifiques, incontestablement trop beaux pour être totalement faux. Disons qu’il s’agit d’histoires à dormir debout, ce qui, après tout, n’est guère un problème quand on est jeune et qu'on peut facilement passer de nombreuses nuits blanches.
Dès les premières pages Jérôme nous fait entrer dans son univers farfelu tout en avouant, modestement, mais sans certitude, qu’il avait du rêver : « 1erJuillet 1968…. Le Général De Gaulle m’avait invité à déjeuner à l’Elysée en compagnie de Daniel Cohn-Bendit et de quelques leaders étudiants….. C’était gênant, trop cérémonieux…..Je faisais les frais de la ‘’conversation’’, un long monologue banal, au cours duquel je comparais pesamment les mérites respectifs des Beatles et ceux de Jimi Hendrix, le guitariste flamboyant que le général ne connaissait même pas….. Cohn-Bendit, l’air indifférent, presque impoli, feuilletait La Nouvelle République du centre-Ouest, Alain Geismar La Dépêche du Midi…… Je voyais la pochette de ‘’Blonde On Blonde’’ dans un lourd cadre doré, surchargé, accroché au mur, au-dessus d’une corbeille de fruits, surplombant une commode. ‘’Je l’ai toujours connu à l’Elysée’’ prétendait le Président. ». La commode sans doute ! Car je doute que De Gaulle ait eu en ces moments post-chienlit le moindre intérêt pour le septième album de Bob Dylan. Ce rêve donne le ton au roman et traduit ma perplexité initiale, car je dois bien avouer qu’il m’a fallu lire deux fois ce petit roman de 140 pages pour en extraire la substantifique moelle.
Lors de ma première lecture je me suis franchement amusé à lire le journal de bord d’un ancien ado…. c’est enjoué, rafraîchissant et pouvait même me rappeler quelques souvenirs en vrac. : « A whiter Shade of Pale » je connais et j’ai dansé ; « Le secret des Mayas » je l’ai lu au pensionnat comme l’intégral des Henri Vernes jusqu’à 1962 ou 63 ; le 45 tours de Brel de 1967 « Mon père disait » forcément ; et le meilleur des westerns, celui de Richard Brooks « Les Professionnels » avec Burt Lancaster, Lee Marvin etc…. et je suis même d’accord avec Jérôme qui malmène le médiocre « Les cinq font la loi hors la loi » avec Henri Fonda et James Steward.
Et toujours au fil des pages des rêves farfelus dont certains d’un goût vieux ‘’soixante-huit-tard’’ façon Hara Kiri « Le cadavre du général de Gaulle avait été retrouvé près d’une voie ferrée abandonnée, là où j’avais aperçu jadis un serpent. Il avait été jeté aux chiens après son exécution sommaire par les maoïstes. On avait découvert sur sa table de chevet un bout de papier. On croyait que c’était ses dernières volontés, une sorte de testament politique, alors qu’il s’agissait d’une pauvre liste de chansons, qui m’avaient marqué, et que j’avais établie le 2 juillet dernier… ».Toujours le fantasme élyséen chez le jeune Jérôme, mais on note qu’il a mis de l’eau dans son rock, car plus de Blonde on Blonde, sur sa liste de chansons oubliées mais Léonard Cohen, Jacques Brel, Albinoni….. et puis Mrs Robinson (Normal, le Lauréat pour un jeune qui va s’émanciper). On a même droit, en rêve, aux aventures souterraines de Georges Pompidou. Etait-il voyant le Jérôme de 17 ans pour savoir le 5 juillet que le premier ministre serait débarqué cinq jours plus tard pour être remplacé par Couve de Murville ? Pompidou qui reviendrait comme Président de la République un an plus tard. Aventures souterraines, comme c’est politiquement bien dit. !
Voilà tout ce qui m’amusait dès la première lecture. La seconde lecture (un mois plus tard) fut encore plus intéressante car ce fut la découverte de nouveaux traits d’humour non relevés la première fois et d’une chasse aux trésors sur internet. A titre d’exemple lors de ma première lecture j’étais passé sur ‘’Blonde on blonde ‘’ sans faire un arrêt sur image; pour la seconde je suis allé faire un petit tour sur Wikipédia, comme je le faisais aussi souvent en lisant les « Interviews d’outre-tombe » et c’est ainsi que l’ignare que je suis a appris que c’était un célèbre et mythique album de Bob Dylan, http://www.youtube.com/watch?v=L6xjrS9tdPs. Un album enregistré en février 1966 à Nashville et dont la pochette a été réalisée par Jerry Schatzberg ; le Schatzberg qui deviendra quelques années plus tard le génial réalisateur de « L’épouvantail » qui fut récompensé par le grand prix du festival de Cannes 1973. Voilà, tout à coup, que ça me parlait plus. J’aime bien les mélodies de Dylan de cette époque même si j’ai plus apprécié les versions françaises d’Hugues Auffray car j’entrave que dalle à ce que raconte Dylan, mais il parait que les anglophones n’en pigent pas plus, tellement il bouffe ses mots. Finalement ce roman n’était pas forcément ‘’so British’’ et ma première enquête sur le net me ramenait cash au country du Tennessee.
Dans la première partie du roman on découvre aussi Niort et le Marais poitevin de 1968 et ça me plait, ça m’amuse, moi qui n’ai découvert cette ville et cette région qu’en août 1986. 68 et 86 il n’y avait guère de changements même pas dans le désordre. «…A Niort, au collège, Mai 68 s’est limité à deux choses : on a boycotté les cours de Margotte, la prof d’espagnol, petite bonne femme tyrannique et plutôt méprisante, et on a entendu parler d’une manif qui a opposé les cocos aux gaullistes : un coco avait eu l’audace d’aller planter un drapeau rouge tout en haut du donjon… » Pas grand-chose donc de révolutionnaire chez la belle endormie. Ceci dit je n’ai pas fait beaucoup mieux, même si j’ai alors beaucoup marché dans Paris, faute de transport. A 21 ans j’étais déjà technicien dans un bureau d’étude laboratoire rue Brancion dans le XVe où je travaillais dans le même service en faisant le même boulot, peut-être avec le même matériel, qu’un certain Jean Ferrat, douze à quinze ans plus tôt…. Il y avait toujours dans ces murs, des airs, des fantômes d’ébauches de chansons qui m’éloignaient de plus en plus de mes erreurs de jeunesse ‘’rock & rolleuses‘’. Je me rappelle aussi que le soir, deux fois par semaine, j’allais au Conservatoire des arts et métiers pour suivre les cours de math-géné. Et sans compter que nous devions, Pilou et moi, nous marier début juin et que nous suivions avec inquiètude l’évolution des grèves dans notre mairie. Heureusement pour nous, le grand Charles est allé chercher à temps un soutien Massu à Baden-Baden.
Dès le 13 juillet Jérôme arrivait au domicile des Davies, sa famille d’accueil à Londres, il était accompagné d'un autre français, un peu plus âgé et qui savait y faire, puisqu’il était déjà venu l’année précédente « Tu verras, on va baiser plein d’anglaises ». Machin comme l’appelle Jérôme « se débrouille remarquablement en anglais que c’en est une honte. Tandis que moi je ne touche pas ma bille …il me sert carrément d’interprète… ».Dès le lendemain ils vont chez un disquaire où Jérôme trouve le second album du Pink Floyd enfin sorti « Six mois que je l’attendais ».... Moi ça fait 45 ans que je l'ignorais, car je viens de découvrir qui était ce groupe de Cambridge. Toujours la chasse au trésor mais franchement ….. pas de quoi s’envoyer en l'air. Trop tard pour moi sans doute.
Jérôme suit des cours d’anglais et il ne s’en sort pas trop mal du moins à l’écrit. il va aussi « au cinoche où les anglais n’arrêtent pas de bouffer des bonbons ». Avec ses camarades il visite Londres, il passe par Baker Street et va chez Madame Tussauds mais il cherche quand même à capter la radio française pour suivre le Tour de France.
Le 18 juillet on relève un vrai progrès, le signe d’un début d’adaptation : Jérôme rêve de Winston Churchill. « Il s’entretenait avec mon grand père paternel. Tous deux fumaient d’énormes cigares. Ils parlaient de la drôle de guerre, de l’histoire de la marine, de souvenirs communs. A un moment Winston tapa gentiment sur l’épaule de mon grand père et lui demanda « Et quel est le secret de votre coq au vin. » « Ah ça, mon cher, vous ne le saurez pas ! »
Par contre il n’apprécie pas trop au réveil « l’odeur entêtante du bacon du breakfast ». Dans le jardin des Davies il aperçoit Déborah une jeune voisine « Putain qu’est-ce qu’elle est mignonne….. Elle est championne régionale de plongeon…. Des plongeoirs de dix mètres de haut ne lui font pas peur ; en revanche les petits français elle s’en méfie à mort. »
29 juillet 1968 (page 50) le grand début. « Chose incroyable : j’ai rencontré Syd Barrett et j’ai pu l’interviewer ! Il m’a même payé un pot. Au début il m’a répondu avec réticence, mais peu à peu on a sympathisé, et il s’est vraiment confié !
-- Syd Barrett, vous avez été viré du Pink Floyd ? Je ne vous ai pas vu sur la pochette du dernier Album.
-- Ouais …Ils m’ont viré, comme un malpropre.
-- Et que vous reprochaient-ils ?
-- Pffft .… »
Inutile de préciser que je viens de découvrir ce Syd Barrett et comme il est mort depuis le 7 juillet 2006, impossible de savoir si Jérôme prend ses rêves pour des réalités ou si cette interview eut réellement lieu..... Moi j’y crois car en une dizaine de pages c’est un florilège d’informations sur l’artiste et ses amis que l’auteur fournit et manifestement il en sait plus sur le bonhomme que Wikipédia, ce qui prouve qu’il l’a bien rencontré ; sinon comment saurait-il tout ça ?
Suivent quelques rêves de Jérôme pour faire une petite pause, quelques balades dans Londres pour souffler un peu….. et c’est reparti comme en…..68 ! Jérôme retrouve Syd Barrett chez lui, pas très loin de Leicester Park : « Il nous a joué Terrapin à la guitare sèche, une belle Framus vintage. C’est une ballade inédite, un folk très doux, très délicat enthousiasmant. Barrett joue de la gratte d’une façon très particulière : il frotte des cordes très près du chevalet et non pas au-dessus de la rosace. » Ca ne s’invente pas des détails comme ça et donc forcément j’y crois de plus en plus. D’autant que nous avons connu en 1985, une situation du même type en accueillant à Yaoundé Maxime Le Forestier qui nous a offert une superbe version bossa-nova de « Dans l’eau de la claire fontaine » de Brassens. Alors pourquoi feu Syd n’aurait-il pas été pote avec Jérôme?
Et puis je retrouve encore une histoire d’épouvantail avec « Scarecrow » : http://www.youtube.com/watch?v=_yBvhIC8d5U . Une chanson douce dont il faudrait comprendre les paroles pour l’apprécier.... ou non! …. Mais, il semblerait bien que la douceur de la mélodie ait inspiré Jerry Schatzberg pour son film road-movie « Scarecrow » avec Gene Hackman et Al Pacino ; Pacino mimant un épouvantail pour calmer la violence de Hackman et éviter qu’il ne foute une raclée à un mec dans un bar … Un film monumental.
Je ne peux en dire plus sur Syd Barrett que je ne connaissais même pas avant de lire le roman de Jérôme Pintoux. J’invite le lecteur à savourer ces pages et notamment l’histoire impossible de Syd et de la Fée Morgane dont l’auteur est si fier. Confidence qu’il m’a faite et qui m’a incitée à faire une seconde lecture, et même une troisième (quand on aime on ne compte pas) du roman.
La suite est un chemin de choix, non pas vraiment de Jérôme car il n'y est pour rien le pauvre, mais le choix des rock-stars. Comme Syd ils vont tous comprendre que pour leur postérité qui n’est pas encore complètement assurée en 1968, ils ont tous besoin de se faire connaître et de faire connaître leurs potes et c’est ainsi que Syd Barrett refile à Jérôme l’adresse de Marc Bolan. Je vais résumer car je n’ai jamais entendu parler de ce gugusse « beaucoup plus prétentieux que Syd et moins sympa » mais le leader du groupe T. Rex ( ????) et représentant du glam rock ( ????) l’a reçu et a répondu à ses questions, et surtout, effet dominos, il lui a refilé l’adresse de Donovan.
« Donovan n’est pas là. Tant pis je vais me rabattre sur Ray Davies, le chanteur des Kinks, dont j’ai obtenu l’adresse, grâce à Syd Barrett. Il habite une maison cossue dans un quartier résidentiel non loin du British Museum…..Ray Davies me reçoit, avec sa goule en tirelire, un peu de traviole. Il a l’air préoccupé….. ».…. Les Kinks? Ca me dit vaguement quelque chose comme des souvenirs de boums, mais de bien avant 1968. Je cherche sur internet. Mais c’est bien sûr : de 1965 ! Et ça au moins ça swinguait un tantinet. http://www.youtube.com/watch?v=-2GmzyeeXnQ Et ça continue encore et encore, un vrai et long chemin de choix.
Le 6 août: « Donovan était chez lui et il m’a reçu gentiment.
--- Donovan, en 1965/1966, votre carrière s’est inscrite dans la mouvance de celle de Dylan ?
--- Oui ‘’Catch the wind’’, Colours’’….
Puis vous avez suivi une voie plus pop, dans le sillage des Beatles ?
--- Yes ‘’Shunsine Supermen « Mellow Yellow » » . Ouf ! Au moins une chanson qui me dit quelque chose.http://www.youtube.com/watch?v=RsP989jIWNU. Une bien jolie mélodie.
--‘’Mellow Yellow’’ , est-ce une chanson festive ?
---Oui, j’ai voulu changer de look.... Mais j’entends sonner ça doit être Dylan et Roger Mc Guinn, le chanteur des Byrds. Voulez vous les interviewer. Mais ne soyez pas trop long …. ». L’interview n’est certes pas inintéressante mais je commence à être un peu trop long aussi vais-je à l’essentiel.
« --- Merci beaucoup. Je suis confus ….Je vais vous laisser maintenant. Je vous ai assez dérangés, vous et MM. Dylan et Donovan.
---Pas du tout. Ca nous a amusés. Vous devriez aller interviewer John Lennon de ma part, aux studios d’Abbey road. Les Beatles y enregistrent un double album qui doit sortir en décembre.
----Vous croyez qu’il me …recevrait !!
----Pourquoi pas ? Je vais vous faire un mot. Un peu scolaire... mais enfin, 17 ans.
Le 7 août Jérôme rencontrait John Lennon, mais aussi, le temps d’une clope, Eric Clapton, puis dans la foulée Paul Mac Cartney.
« -- ’’Penny Lane ‘’ est une évocation d’une rue de Liverpool ?...Une sorte de carte postale ?
---Oui, un quartier où j’ai passé mon enfance ».
Je crois que je vais maintenant en rester là, car les Beatles c’est quand même ce que j’ai préféré de la pop anglaise http://www.youtube.com/watch?v=_hIV7jwLXt8
Jérôme fait ensuite d’autres interviews. Effet dominos, car Lennon lui a donné l’adresse de Mick Jagger et Eric Clapton celle de Jim Morrison qui lui refilera celle de Jimi Hendrix et de Frank Zappa, des gens que je n’aime pas trop ou que je n’ai pas voulu connaître…..
Et puis franchement je n’y crois plus trop. C’est pas possible que Jérôme à 17 ans ait pu tous les rencontrer. Il en fait trop, il se la pète le Jérôme :
Syd Barrett ok ! Quelques autres aussi comme Marc Bolan, John Lennon et à la rigueur Jim Morrison et Jimi Hendrix…. Mais les autres, ceux qui sont toujours vivants, je n’y crois pas.... Ou alors qu'ils lui fassent un mot !
Peut-être me faudra t-il relire une quatrième fois ce livre pour tirer au clair les cas de Morisson et d’Hendrix….. et aussi me replonger dans ses rêves : le fantôme qui joue avec un chat, la petite fille et l’hippocampe, la venue d’Hannibal à Niort avec ses pachydermes….etc…
Un livre trop riche, bourré d’humour et de facéties. Comme disent les gosses d'aujourd'hui ''c'est trop bon !''. Heureusement qu’il ne fait que 140 pages !
( A suivre)
Vinyles Vintage. Roman de Jérôme Pintoux. Les Presses du Midi. Décembre 2012 : 16 €.
Lire le sympathique commentaire de Jérôme Pintoux.