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A livre ouvert....Les mille et une vies de Théodore Roi de Corse...

22 Décembre 2011 , Rédigé par daniel Publié dans #à livre ouvert

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J’ai déjà évoqué ce livre dans le billet du 3 novembre dernier, consacré aux héros de la révolution corse, quelques lignes seulement pour hisser cet étranger au rang des plus illustres patriotes corses. Que dis-je au rang ? Ne fut-il pas pendant sept mois leur roi ? Le roi de Corse ; l’unique roi qu’eut la Corse tout au long de son histoire ! Et puis ce roman m’a enthousiasmé au-delà de l’aspect historique comme m’a enthousiasmé son auteur Jean Claude Rogliano notre hôte pendant une semaine, fin août début septembre, à Carchetu en son domaine les Tours de Tévola.

Je ne trouve pas de meilleure introduction à ce billet que de reporter la sympathique dédicace de l’auteur : « ....En témoignage d’amitié, ces mille et une vies de Théodore dont l’évasion d’une oubliette de l’histoire révèle un des souverains les plus éclairés de son temps. »

 Qui était donc ce personnage mystérieux qui débarqua à Aléria le 20 mars 1736 d’un bateau anglais apportant des armes et ses services à l’insurrection corse et qui, 26 jours plus tard, le 15 avril, fut élu roi par l’ensemble des chefs de clans corses réunis en ‘’consulte’’ à Alesani ? 

  Théodore de Neuhoff serait né à Cologne le 25 août 1694, dans une famille de haute noblesse westphalienne.  Son père Léopold, ayant eu la mauvaise idée d’épouser celle qu’il aimait, Amaliala fille d’un riche marchand de Liège, fut disgracié et dut se retirer en France. Il reçut le commandement du fort de Metz  où il mourut quelques années plus tard, laissant une épouse et de jeunes enfants qui furent élevés par le comte de Mortagne, un lointain cousin riche et influent….  …Dès l’âge de quatorze ans, grâce à l’enseignement qui lui était dispensé, mais aussi grâce à une vivacité d’esprit et à une mémoire exceptionnelle, Théodore lisait le latin dans le texte, parlait cinq langues et possédait de solides connaissances dans les sciences. Quand il entra dans sa seizième année, monsieur de Mortagne estima qu’il était temps qu’il retrouva sa place …..Il décida de le faire venir à la Cour. La duchesse d’Orléans avait besoin d’un page et Théodore avait l’âge requis…..

 Un après-midi de juin 1710 Théodore était présenté à la Palatine, duchesse d’Orléans, qui fut immédiatement conquise par l’intelligence du jeune homme… Il comprit rapidement que dans ce monde, être courtisan était un métier. Commençait pour lui l’apprentissage de la duplicité.

 Les années passées à Versailles, au service de la duchesse d’Orléans avaient effacé chez Théodore tout ce qui aurait pu rappeler le jeune hobereau gauche et compassé. Tirant parti des conseils de la Palatine, il s’était fondu dans cette faune des jeunes oisifs et de vieilles débauchées, de fringants gentilshommes, de coureurs de prébendes ou de séducteurs d’oies blanches, prêts à s’entre-déchirer pour gérer l’entretien du pot de chambre royal….

  A l’approche de ses 18 ans il fallait trouver une nouvelle orientation à Théodore et la voie militaire qui fut celle de son père, lui était destinée ; grâce à la princesse Palatine Théodore devint lieutenant au régiment d’Alsace mais après les premiers mois consacrés à l’apprentissage du maniement des armes et à donner des ordres, c’était un jeune homme sans fortune mais attiré par les excès de la jeunesse qui se trouvait quasiment désœuvré. Pour avoir côtoyé un monde confit dans le luxe et le pouvoir, il mesurait la médiocrité de sa condition. 

     Alors qu’il était aux arrêts de rigueur dans son appartement suite à un duel avec un officier pour une affaire de femme -- duel à l’issue duquel il avait quelque peu percé son adversaire -- il fut contacté pour une mission auprès du baron Von Görtz premier ministre suédois de Charles XII, qui était retenu à La Haye. Cette mission menée à bien le ministre séduit par les vastes connaissances du baron de Neuhoff, par son esprit d’à propos, son aisance, sa pertinence à s’exprimer en diverses langues sur les sujets les plus divers Görtz demanda à Théodore de devenir son secrétaire particulier. …. Sa vie et son destin prenaient dès lors une nouvelle orientation une nouvelle dimension…. Outre un secrétaire avisé et un messager dont il était sûr du dévouement, était-il pour Görtz un entremetteur, une éminence plus ou moins grise, un agent secret ? Bien évidement ! Progressivement mais rapidement.  Homme de paille, diplomate ou espion aussi énigmatique que parussent ses fonctions auprès des grands serviteurs des Etats de l’Europe….. Il distillait les informations, les allusions les analyses sur les conflits, les alliances, les ententes secrètes entre les Etats avec une habileté telle que sans avoir jamais défini précisément le rôle qu’il y jouait on était enclin à croire qu’il fut déterminant. Peut-être était-ce aussi l’ambiguïté de Théodore qui suscitait un engouement faisant de lui un personnage très entouré. Il se retrouva ensuite à Madrid au service du duc de Riperda premier ministre du roi d’Espagne. Il effectuait pour lui de nombreuses missions aux quatre coins de l’Europe. A Madrid il prit quand même le temps d’épouser Sophie d’Osmond de Kilmanech qui, outre qu’elle était de haute noblesse, la demoiselle était camériste de la reine et qu’être dans les bonnes grâces de la souveraine pouvait arranger ses affaires.Hélas, Sophie découvrait un mari endetté dont la fonction diplomatique était bien moins importante que ce qu’il en disait et Théodore se rendait compte qu’il avait surestimé la fortune de sa femme et son crédit auprès de la reine.

 Bientôt, en 1719, les créanciers se pressaient à sa porte ; il était temps que Théodore de fuir Madrid. Il le fit sans vergogne en emportant les bijoux de son épouse. Il reprit son périple à travers les capitales d’Europe à glaner ici et là des informations diplomatiques à vendre dans une autre capitale. Ce fut à Amsterdam qu’il vendit pour cinq mille florins au ministre impérial ce qu’il savait d’une mystérieuse négociation de Turin….. Mais trop préoccupé à échapper à ses créanciers, il avait du renoncer à une importante mission qui consistait à recueillir des renseignements sur l’île de Corse secouée par des troubles.

 Tout au long des années 1720 à 1730 il vécut d’expédients, d’escroqueries, de jeux : on le croyait à Florence il était à Paris. On l’imaginait en Angleterre alors qu’il séjournait à Gêne. Il laissait à chaque fois derrière lui des dettes. Partout où il passait Théodore continuait à se faire passer pour un agent secret. Avec sa faconde et son aplomb hors du commun, il savait encore gagner la confiance de ceux qui croisaient sa route.

 Ce fut le cas d‘un moine, le père Giulaniu, rencontré probablement en 1732 dans une église de la campagne romaine ; un moine corse qui au bout de quelques jours de voyage se mit à raconter la lutte que menaient les habitants de son île contre l’occupant génois. « Trois ans s’étaient écoulés depuis l’affaire qui avait éclatée dans le Bozzio et qui d’agitation en émeutes, d’insurrections en rebellions, de l’En deçà à l’Au-delà des monts, avaient disséminé les germes de la résistance. Il raconta comment cette résistance corse mit en échec les génois pourtant renforcés par des  troupes allemandes envoyées par l’empereur, mais aussi comment les chefs corses furent traîtreusement arrêtés lors des négociations de paix.

 Une idée germait dans l’esprit de Théodore qui respensait à l'importante mission qu’on lui avait proposée quelques années plus tôt et qu’il n’avait malheureusement pas pu effectuer : du conflit opposant corses et génois, en rassemblant ce qu’il gardait en mémoire du peu qu’il avait appris dans le palais de l’infant d’Espagne et en l’ajoutant à ce qu’il venait d’apprendre du moine, il pouvait en raconter les péripéties comme s’il en avait suivi de près le déroulement. Le moine l’entendit dire comme s’il pensait tout haut : A voir comment il se défend, ce petit peuple mériterait qu’on le libère de ce joug !

 Quelques jours plus tard à Livourne le père Giulianu présentait à Théodore les chefs corses en exil : Giafferi, Ceccaldi, Costa et le chanoine Orticoni qu’il avait d'ailleurs déjà rencontré  à la cour du premier ministre espagnol. … ce qui lui donnait une once de confiance supplémentaire.

 Sept jours plus tard les chefs corses venaient le trouver chez lui pour demander son aide. Nous vous avions proposé d’être à la fois un conseiller qui nous apporterait son expérience sur les choses du commerce et de la guerre en même temps que celui qui, par ses relations diplomatiques, serait un négociateur auprès des Etats qu’il estimerait les mieux disposés à se pencher sur notre sort. De vos arguments et des conclusions que nous en avons tirées, il fallait nous rendre à l’évidence que, dans l’impossibilité de désigner pour chef l’un des nôtres…… nous conduisent à considérer que, plus encore qu’un négociateur, il nous serait précieux que vous acceptiez d’être notre chef.

 Après cette rencontre avec les chefs corses Théodore s’était mis à courir l’Europe en quête d’appuis et de subsides afin de mener à bien son entreprise insulaire. Il faut bien avouer que son crédit était très amoindri. Il fut même conduit à passer quelques semaines dans le bagne de Livourne. A sa sortie il choisit de se rendre à Constantinople où il espèrait trouver de l’aide en soumettant au sultan ottoman un projet d’invasion de l’Europe, la Corse servant de point d’appui. A défaut d’un engagement militaire de la Turquie, il obtint un soutien financier témoignant de l’intérêt pour l’action entreprise et un encouragement à la poursuivre. Il se retrouva ensuite à Tunis où il réussit à établir un accord de collaboration avec Buonogiorno, un homme d’affaire sicilien lié à des corsaires et le vice-consul d’Angleterre. Il resta un an à Tunis pour préparer l’expédition et acheter des armes.

  Le 20 mars 1736 il arrivait à Aléria avec armes et bagages ; ces bagages ayant une forte coloration orientale qui donna un style grandiloquent qui surprit la foule et les chefs insulaires venus à sa rencontre : …. Matra qui le voyait pour la première fois interrogeait d’un regard effaré Giafferi et Ortticoni qui s’ils l’avaient rencontré à Livourne ne l’avait jamais vu ainsi habillé et paraissaient aussi déconcerté que lui…

   Avec cette arrivée de Théodore de Neuhoff en Corse j’ai résumé succinctement un peu plus de la moitié du très beau roman de Jean Claude Rogliano. La seconde partie est, dirai-je, plus « sentimentale » l’auteur, devant une fin qui tourne forcément mal, éprouve une vrai sympathie pour l’aventurier et s’efforce quelque peu à le réhabiliter : …. Pour ce peuple farouche, belliqueux, écartelé entre rivalité intestines et haines immémoriales, il se surprenait à éprouver quelque chose qui ressemblait à de l’admiration…  Pouvait-on désespérer un tel peuple ! Dans cette île où les hommes et les femmes dissimulaient leur misère sous les travestis d’un orgueil inouï…..on y faisait éclore des lois semées sur le terreau d’idées nouvelles, tout en observant celles inscrites dans la mémoire des siècles. Et ce peuple avec ses tares et ses vertus hors du commun, lui le faiseur, l’intrigant, le débauché, l’escroc, l’aventurier, le joueur qui, en le circonvenant, rêvait de réaliser le plus beau coup de sa vie, découvrait qu’il était en train de l’aimer.

  Je laisse le lecteur que ce billet aura intéressé, découvrir ce magnifique roman et plus particulièrement ces six mois de monarchie théodorienne.

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  Voici toutefois en condensé et de façon moins romanesque comment s’est terminé l’espoir en puisant quelques paragraphes du livre de Pierre Lepidi «Héros de la révolution Corse »

Le 12 mars 1736 (date différente ??) il débarque sous pavillon anglais et y étale son chargement. L’accueil lui est favorable et, muni d’une lettre invitant Giacinto Paoli et les autres chefs corses à le proclamer roi il accède au trône moins d’un mois plus tard….

Les chefs corses exilés auraient proposé, à ceux restés sur l’île, cette solution. N’ayant rien à perdre ils auraient écrit « Ou bien ce monsieur est bien tel qu’il le dit et alors le Royaume est sauvé ; ou bien il ne l’est pas et alors sans injustice nous pourrons le déposséder et le renvoyer

 Avant même son élection, un texte constitutionnel limite l’exercice de son pouvoir absolu et cerne les contours de sa puissance royale.

Sous le châtaignier d’Alesani, Théodore de Neuhoff accède donc au trône et coiffe une simple couronne de laurier.

La consulte établit une monarchie républicaine (…..Et ces corses indisciplinés, teigneux, querelleurs, vindicatifs, jaloux qui l’avaient élaborée dans le tumulte, ne savaient pas qu’ils venaient de jeter les bases de la première constitution démocratique d’Europe…). Le roi Théodore qui se soucie de doter son royaume d’une monnaie et d’une armée en plus de la garde royale suscite une adhésion massive dès les premières semaines. Le peuple veut croire en Théodore 1er, dont l’une des priorités est la réconciliation entre les patriotes ainsi que la liberté de conscience. Il s’assure aussi de la fidélité des notables en leur distribuant des titres de chevalier, de comte ou de marquis.

Mais très vite le vent se met à tourner.

Les chefs insulaires s’aperçoivent au fil des semaines que le roi n’obtiendra jamais les soutiens escomptés. Sur l’île, la pacification prend du retard, et les rivalités entre les chefs attisent le feu des rancunes…… C’est surtout l’absence de résultats militaires, cumulé au manque de moyens dont il dispose, qui va accélérer sa chute. Le 11 novembre, prétendant aller chercher de nouvelles ressources et des appuis efficaces pour poursuivre son règne, il embarque à Sulinzara, soit sept mois seulement après son couronnement. Théodore 1er aura été roi de Corse le temps d’un été…..

… En 1737 et en 1743 il tentera de revenir discrètement sur cette île qui attend désormais un chef plutôt qu’un roi. Théodore de Neuhoff va ensuite s’essouffler. A travers l’Europe, l’aventurier même une vie dans un relatif dénuement. Totalement ruiné, il passe même les six dernières années de sa vie dans une prison londonienne. Le 11 décembre 1756 quelques jours après sa libération il meurt dans la misère à Londres.

 Théodore apparait dans un court paragraphe sous la plume de Voltaire dans Candide (Chapitre XXVI ; « Un souper que Candide et Martin firent avec six étranger à Venise. »

 

(La suite de cette révolution Corse s'appelle Pascal Paoli  )

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F
1710... A deux on va y arriver. Amitiés.
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D
J'ai fait une erreur: il est entré au service de la duchesse d'Orléans en 1710 il avait 16 ans. Il y resta 3 ans avant d'aller rejoindre le régiment d'Alsace où il a bien du passer 2 ou 3 ans ce<br /> qui devrait nous amener aux alentours de 1715 ou 1716. Il fut ensuite secrétaire particulier du premier ministre suédois Görtz avant de se retouver à Madrid dans l'entourage du premier ministre<br /> espagnol le duc de Ripperda puis il y eut son mariage avec Sophie Dormond à laquelle il eut le temps de faire un enfant (une fille) avant de fuir les créanciers madrilènes en 1720 en volant les<br /> bijoux de sa femme.<br /> Merci Fanfan de veiller au grain.
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D
Tu as raison il y a une erreur ce n'est pas 1740 mais 1720 (il avait 16 ans).<br /> J'adore l'histoire et plus encore celle des personnage qui furent les oubliés de l'histoire (ou moins connus), comme jacques de Linier un niortais qui devint vice-roi de l'Argentine et d'autre dont<br /> je me plais à prler sur ce blog. Pour la Corse il y a effectivement Pascal Paoli et puis ce curieux bohomme de Théodore de Neuhoff.
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F
''Un après-midi de juin 1702''... (pas 1740). Bel article au demeurant. C'est un comble qu'un Niortais soit le narrateur de l'histoire du roi de Corse. Il faut se faire à tout. Félicitations, cher<br /> ami. Fanfan.
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